Quel était le contexte politique des élections en Slovaquie ?
À première vue, le contexte politique slovaque pourrait sembler similaire à ceux d’autres pays de l’Union. Alors que ces élections sont légitimement considérées comme cruciales pour l’avenir du pays, les forces politiques progressistes se dresseraient face aux forces politiques nationalistes/populistes. Il s’agit là d’une compréhension simpliste reprise dans de nombreux médias nationaux. Le contexte politique slovaque nécessite une analyse bien plus précise de la situation afin d’en dégager une compréhension à l’échelle pertinente.
Le contexte politique national qui a accompagné l’élection de samedi est directement situé dans la continuité des effets de « l’affaire Kuciak », tournant majeur de la vie politique slovaque en 2018. L’assassinat de ce journaliste d’investigation et de sa petite amie a mis au jour l’existence d’un système politico-mafieux impliquant très largement le parti social-démocrate au pouvoir – le Smer-SD 1 – et ce depuis plusieurs années. En toile de fond, divers scandales de corruption généralisée dont « l’affaire Gorila » révélée en 2011. Celle-ci prouvait alors l’existence d’un système de pots-de-vin entre politiciens, fonctionnaires et chefs d’entreprises dans le cadre de contrats d’approvisionnement et de privatisation. En 2019, l’affaire refait surface dans les médias nationaux après la découverte d’une copie des enregistrements sonores originels – disparus en 2011 – lors d’une perquisition chez l’influent homme d’affaires Marián Kočner – accusé d’être le commanditaire de l’assassinat de Kuciak – en 2019.
L’assassinat de Ján Kuciak a alors conduit à de grands rassemblements citoyens à travers le pays – notamment dans les grandes villes. Les Slovaques sont ainsi descendus massivement dans la rue pour l’avènement d’une « Slovaquie décente » [Za slušne slovensko] appelant alors à des changements politiques profonds. Le 9 mars 2018, 40 000 personnes étaient rassemblées à Bratislava, faisant de cet évènement le plus grand rassemblement citoyen depuis la Révolution de Velours de 1989. Devant l’importance de ce mouvement, le Premier Ministre Robert Fico – au pouvoir de 2006 à 2010 puis depuis 2012 – considéré comme le principal responsable de ce qui est perçu par la population comme un système politico-mafieux, choisit de démissionner le 14 mars.
Assez logiquement, deux partis d’opposition de courants politiques opposés sont parvenus à tirer parti de la situation. Ceux-ci adoptent un style populiste similaire, déployé dans une rhétorique dégagiste, anti-élites et anti-système, et articulée autour de la promesse d’une « Slovaquie décente ». C’est le cas du parti social-libéral et pro-européen Slovaquie Progressiste (Progresívne Slovensko) qui a aisément remporté avec Zuzana Čaputova les élections présidentielles de mars 2019, puis les élections européennes de mai 2019. C’est aussi le cas du parti néo-fasciste Parti Populaire Notre Slovaquie (L’udová strana Naše Slovensko) de Marian Kotleba qui s’est également montré à son avantage en dépassant par deux fois les 10 %. Pendant de longs mois, ces partis ont été considérés comme les possibles nouveaux protagonistes du système politique slovaque – d’où la simplification « progressistes versus nationalistes ».
Pourtant, les résultats des élections législatives de ce samedi 29 février n’ont pas confirmé ces prédictions.
Quels sont les résultats des élections législatives en Slovaquie ?
Les résultats des élections législatives slovaques ont révélé que 6 partis seront représentés au sein du Parlement slovaque 2. Les 150 députés élus disposeront d’un mandat de quatre ans.
Comment comprendre les rapports de force au sein du nouveau Parlement ?
La première leçon à tirer de ces élections concerne le taux de participation, particulièrement élevé, qui a atteint 65,8 %. C’est six points de plus que lors des élections législatives de 2016, et c’est le plus haut taux de participation depuis 2002.
Grande gagnante, la plateforme populiste conservatrice et anti-corruption Gens Ordinaires et Personnalités Indépendantes (Obyčajní L’udia a Nezávislé Osobnosti) a créé la surprise en s’imposant très largement. Avec 25,02 % des voix, la structure politique d’Igor Matovič enverra 53 députés au Parlement et aura ainsi la lourde responsabilité de former une coalition gouvernementale.
La coalition pourrait se constituer autour des autres partis de l’opposition dite démocratique, à savoir le parti libéral-conservateur et eurosceptique Liberté et Solidarité (Sloboda a Solidarita) crédité de 6,21 % (13 sièges) et du parti libéral-conservateur et pro-européen Pour le Peuple (Za L’udi) de l’ancien Président Andrej Kiska (2014-2019) qui a atteint 5,77 % (12 députés). Une coalition entre ces trois partis permettraient d’atteindre la majorité fixée à 76 sièges (avec 78 députés). Igor Matovič a néanmoins annoncé avoir l’intention d’entamer très rapidement des pourparlers avec le parti populiste conservateur Nous Sommes une Famille (Sme Rodina). Son leader, Boris Kollár, s’est dit ouvert aux discussions. Cela permettrait à la coalition d’atteindre la majorité constitutionnelles fixée à 90 sièges.
Dans cette configuration, deux autres partis politiques formeraient ainsi l’opposition. D’une part, le Smer-SD qui, malgré sa deuxième place et ses 18,29 % (38 députés), a subi l’une des défaites les plus importantes de son histoire. C’est son pire résultat au cours d’élections législatives depuis 2002. D’autre part, le parti L’SNS, qui obtient un résultat moins important que prévu avec 7,97 % (17 députés), soit trois députés de plus que lors de la précédente mandature.
Parmi les principaux absents figure évidemment la coalition PS-SPOLU (6,96 %), qui, à 0,04 % près, n’est pas parvenu à atteindre le seuil de représentativité. Autre parti de l’opposition démocratique supposé intégrer une hypothétique coalition gouvernementale, le Mouvement Chrétien-Démocrate (Krest’anskoDemokratické Hnutie), qui échoue à 4,65 %.
Les partis ayant coopéré avec le Smer-SD au sein du gouvernement sortant ont eux aussi subi des revers électoraux importants. Ainsi, les nationaux-conservateurs du Parti National Slovaque (Slovenská Národná Strana) culminent à seulement 3,16 %, de même que les sociaux-libéraux – représentants de la minorité hongroise – du Parti de la Coopération (Most-Híd), qui ne dépassent pas 2,05 %. Il n’y aura d’ailleurs, et c’est la première fois depuis l’indépendance de la République slovaque en 1993, aucun parti représentant de la minorité hongroise au Parlement, puisque le Parti de la Communauté Hongroise (Strana Mad’arskej Komunity) n’a récolté que 3,9 % des voix.
Qu’est-ce que la plateforme politique OL’aNO ?
La victoire d’OL’aNO semble susciter une vague d’espoir en Slovaquie. Les électeurs slovaques semblent exprimer une volonté claire de rupture. Comme les derniers mois le laissaient présager, les Slovaques ont décidé de sanctionner lourdement le long règne politique du Smer-SD, en confiant le pouvoir à un parti politique novice. Cette aspiration à la nouveauté implique toutefois le risque d’exercer le pouvoir avec un parti sans véritable expérience gouvernementale et au programme politique flou.
Le mouvement OL’aNO a vu le jour en 2010, à l’initiative de quatre « personnalités indépendantes » dont Igor Matovič – l’actuel leader et probablement futur Premier Ministre. Le parti s’est constitué autour d’un unique combat politique : la lutte contre la corruption. Un sujet évidemment d’importance particulière pour la Slovaquie – classée au 21ème rang des pays de l’Union en termes de corruption. L’objectif d’OL’aNO est clair, le parti se propose de « nettoyer le pays » de ceux qu’il appelle les « mafiosos ». Néanmoins, s’étant concentré sur cette seule niche thématique, il est difficile de comprendre avec précision quel est le programme du parti vainqueur.
Compte tenu de la diversité des profils de ses candidats, le parti pourrait néanmoins disposer d’une capacité d’adaptation remarquable, en suivant ainsi possiblement la tendance technopopuliste interprétée par le Mouvement Cinq étoiles en Italie.
Toutefois, du fait de son utilisation récurrente de la rhétorique anti-élite et antisystème (notamment dans le cadre de la lutte contre la corruption organisée) et de ses positions généralement conservatrices (notamment au niveau sociétal), il convient de classer OL’aNO comme un parti populiste conservateur.
Le parti OL’aNO s’est structuré autour de la forte personnalité de son leader politique Igor Matovič. Ce dernier, millionnaire excentrique venant du monde des médias, dispose d’un certain talent d’orateur et d’une habileté reconnue en matière de communication politique. Il utilise ainsi abondamment les réseaux sociaux à son avantage pour profiter des effets de buzz.
Lors de la campagne électorale, il s’est ainsi rendu à Cannes pour prendre la pause devant une maison luxueuse supposée appartenir à un politicien du Smer-SD, et a arboré la pancarte « ce bien appartient à la République slovaque ». Son live Facebook a été vu plus d’1,5 millions de fois, des chiffres inouïs pour un pays de 5,5 millions d’habitants.
Si l’attitude dynamique et passionnée de Matovič a évidemment joué un rôle dans la victoire d’OL’aNO, c’est la stratégie électorale dans sa globalité qui a permis le succès de ce parti. Le parti a su magnifier sa rhétorique populiste afin de placer le citoyen slovaque au cœur de ses réflexions.
Que cela implique plus de protection pour les citoyens (contre la corruption, par une amélioration de la gouvernance et un renforcement de l’État de droit), plus d’égalité entre les citoyens (économique et sociale) ou plus de participation directe de la part des citoyens (la e-democratie, illustrée par le questionnaire sur les priorités du futur gouvernement).
En plaçant le citoyen au coeur de son programme, OL’aNO a bien évidemment joué la carte populiste mais cela lui a permis aussi et surtout de devenir le parti d’opposition incarnant le mieux « le nouveau monde ». OL’aNO a ainsi pu capter le vote des abstentionnistes et rapatrier des électeurs par défaut de certains autres partis, notamment certains électeurs du L’SNS.
Comment peut-on envisager la mise en place de la coalition gouvernementale autour d’OL’aNO ?
La plateforme OL’aNO doit désormais parvenir à mettre en place une coalition gouvernementale fonctionnelle. L’ambition d’Igor Matovič d’atteindre la majorité constitutionnelle en intégrant Sme Rodina semble audacieuse mais ne sera pas simple. Si les négociations devraient sans doute connaître une issue positive, le fonctionnement de cette coalition suscite de grandes interrogations.
Quatre partis devraient y entrer, dans un rayon allant de la droite radicale eurosceptique au centre-droit pro-européen. Il est intéressant de noter que ces jeunes partis 3, à l’exception du SaS (2010-2012, correspondant à la courte période du Smer-SD dans l’opposition), n’ont jamais connu d’expérience gouvernementale. Cette relative ingénuité politique a largement contribué à leurs bons résultats, puisqu’ils ont profité de cette image antagoniste de la politique traditionnelle, associée au Smer-SD et à la détérioration du système politique slovaque.
Le principal défi pour ces futurs partenaires sera leur capacité à dépasser leurs divisions. Des divisions qui pourraient potentiellement être importantes sur de nombreux sujets, aussi bien en politique intérieure qu’en politique européenne ou internationale. Dans de telles conditions, la flexibilité assumée du programme d’OL’aNO pourrait être un atout. À moins que la réputation d’imprédictibilité et d’intransigeance concernant Matovič ne viennent encore compliquer les choses.
Sur les questions de politique intérieure, plusieurs défis semblent déjà évidents. Au niveau économique, Sme Rodina acceptera-t-il de revenir sur son vote récent d’un treizième mois de retraites coûtant environ 400 millions d’euros pour l’État face à l’orthodoxie budgétaire prônée par SaS, voire dans une moindre mesure OL’aNO ? Au niveau sociétal, comment trouver un terrain d’entente entre les visions libertairiennes (SaS), progressistes (Za l’udi) et traditionnelles (OL’aNO et Sme Rodina) ?
Sur le plan européen, la tâche s’annonce là aussi ardue puisque deux de ces partis (Sme Rodina et SaS) sont ouvertement eurosceptiques, comme le prouvent leur appartenance respective aux groupes parlementaires européen Identité et Démocratie et Conservateurs et Réformistes Européens. La question des quotas migratoires pourrait faire partie des sujets difficiles à gérer, lorsqu’on connaît la position d’ouverture d’Andrej Kiska (Za l’udi) sur cette question.
Est-ce la fin définitive du règne politique du Smer-SD ?
Le séisme politique était attendu depuis de nombreux mois, si ce n’est de nombreuses années. Le parti mené par Robert Fico avait déjà montré des signes de faiblesse au cours des élections législatives de 2016, en obtenant seulement 28 % des votes, se trouvant ainsi dans l’obligation de mettre en place une coalition gouvernementale. Quatre ans plus tôt, il avait rassemblé 44 % des suffrages et disposait de la majorité absolue des sièges. L’affaire Kuciak, ayant conduit à la démission du Premier Ministre Robert Fico et de son bras droit Robert Kalinák Ministre de l’Intérieur, lui sera finalement fatale. En effet, le parti social-démocrate perd successivement trois élections en 2019 et 2020 et ce malgré les tentatives désespérées du nouveau Premier Ministre – réputé plus modéré – Peter Pellegrini de faire campagne sur le « renouveau du Smer-SD ». À première vue, la situation politique du parti comporte toutes les caractéristiques d’une fin de règne.
Outre son implication dans divers scandales de corruption, le parti Smer-SD a également souffert de la dérive idéologique menée par Robert Fico. Initialement d’obédience social-démocrate (groupe S&D au Parlement européen), le parti a peu à peu procédé à une réorientation de son discours adoptant alors une position populo-nationaliste sur de nombreux sujets sociétaux, en s’attaquant notamment à l’état de droit. Certains ont même comparé la politique de Fico à celle de Viktor Orbán. À ce titre, la crise migratoire de 2015 a servi de catalyseur. Smer-SD a également radicalisé sa position sur les minorités Roms ces dernières années, emboitant le pas aux néo-fascistes du L’SNS. Durant la campagne électorale, Robert Fico a même défendu publiquement la liberté d’expression d’un député L’SNS, pourtant condamné pour des propos racistes à ce sujet. En difficulté au sein de sa coalition gouvernementale – notamment avec la distanciation politique du parti Most-Híd – le Smer-SD est même allé plus loin en s’appuyant sur le soutien des députés kotlébistes concernant le vote de plusieurs projets de lois au Parlement.
Face à cette dérive idéologique, le parti peut sembler perdu au milieu de ses idées contradictoires. Plus qu’un rejet anti-Smer-SD, cette débâcle est d’abord un rejet anti-Fico, observable même au sein du Smer-SD –qui a connu récemment des vagues de démission. Le risque d’implosion du parti est bien réel au lendemain de ces élections entre une aile modérée – représentée par Peter Pellegrini – et une aile plus radicale – impulsée par le duo Fico-Kalinák.
Dans le cas d’une division effective du parti, nous assisterions alors à une recomposition importante du paysage politique slovaque. La restructuration du parti est communément admise, reste à savoir à quelle intensité celle-ci sera mise en place.
Toutefois, malgré cette sévère défaite, le Smer-SD ne peut pourtant pas être considéré comme un parti à enterrer politiquement. Avec ses 38 députés, l’ancien tenant du pouvoir jouera le rôle de premier parti d’opposition. Reste à savoir quelle sera l’attitude du Smer-SD et notamment la nature de ses relations avec le second parti d’opposition, le L’SNS. De plus, un échec sur la formation de la coalition quadripartite ou son renversement à moyen-terme – qui n’est pas à exclure – pourrait considérablement rebattre les cartes et offrir de nouvelles perspectives au Smer-SD. Concluons donc de manière prudente en affirmant que, comme la Slovaquie, le Smer-SD est à un tournant majeur de son histoire.
Peut-on réellement parler de défaite de l’extrême droite ?
Les résultats de l’extrême droite apparaissent mitigés à la lecture des résultats de ces élections législatives. Au delà des victoires et des défaites – parfois cinglantes – de chacun, il convient de noter que l’ensemble des partis d’extrême droite sont une fois de plus parvenus à atteindre 20 à 25 % des votes en cumulé. Il serait donc plus approprié de parler d’une stagnation/stabilisation de l’extrême droite en Slovaquie.
Chacun a beau jeu de l’interpréter soit positivement compte tenu de résultats inférieurs à ceux prédits par les sondages, soit négativement puisque cette stabilisation intervient dans un scrutin électoral où la participation a été fortement élevée.
L’illustration de ce dilemme se trouve dans l’interprétation des résultats de Kotleba et du L’SNS. Ces derniers ont atteint 8 % des voix alors que les sondages laissaient présager un score compris entre 10 et 14 % tout au long de la campagne. Néanmoins, si l’on regarde les chiffres plus en détails, Kotleba n’a pas perdu de votants par rapport à l’élection précédente (2016). Au contraire il a gagné 20 000 voix de plus (229 000 voix lors du scrutin du 29 février 2020). Au niveau de sa force politique, celle-ci trouve sa légitimité renforcée par de tels résultats puisque le parti bénéficie finalement d’un électorat stable et va pouvoir profiter des subventions étatiques. Le parti disposera de 17 sièges au cours de la prochaine mandature, soit 3 de plus que ces quatre dernières années.
Un parti d’extrême droite a su tirer son épingle du jeu, il s’agit du parti Sme Rodina, qui termine en troisième position avec plus de 8 % des voix. C’est tout simplement le meilleur résultat électoral de ce parti à ce jour. Son rôle politique sera déterminant puisque le parti devrait en toute logique jouer les faiseurs de rois. Comme évoqué plus haut, Matovič a annoncé vouloir inclure ce parti dans sa très grande coalition. Toutefois, en cas d’échec, Sme Rodina pourrait très bien jouer un rôle important au sein de l’opposition tout en coopérant ponctuellement tant avec le Smer-SD qu’avec le L’SNS.
Enfin, les autres partis politiques ont subi des défaites incontestables, puisqu’ils ne seront pas représentés au Parlement ces quatre prochaines années. C’est notamment le cas du SNS d’Andrej Danko, qui a subi les revers de sa présence et de son échec au sein de la coalition gouvernementale. Le résultat est même une humiliation pour le parti et son leader, qui obtiennent leur pire résultat historique depuis la création du parti en 1989 (3,16 % et 10ème position). Une profonde réorganisation du parti n’est pas à exclure. Le tout nouveau parti Patrie (Vlast’) fondé en 2019 par Stefan Harabin (qui avait totalisé 16 % des voix aux dernières élections présidentielles) n’a atteint que 2,93 % des voix. Pour ce dernier, la question se posera de la nécessité de continuer sur la voie individuelle.
Quelle est l’idéologie défendue par le L’SNS de Kotleba ?
L’idéologie de Marian Kotleba et de son parti est explicitée en 10 points regroupés au sein d’un manifeste appelé pompeusement Décalogue du Parti Populaire Notre Slovaquie. Ce programme répond à un objectif précis : « empêcher la spoliation de la Slovaquie ». Kotleba s’appuie essentiellement sur une rhétorique populiste pour véhiculer ses messages politiques. Ainsi, pour chaque problème soulevé, Kotleba formule des « solutions » démagogues, utilisant alors un vocabulaire simple, direct et particulièrement violent.
Tout d’abord, cela passerait par l’identification des ennemis de la Slovaquie. Selon le L’SNS, il y aurait deux types d’ennemis. D’une part, les ennemis intérieurs à savoir les politiciens « profession criminelle la plus organisée » et « ceux qui profitent du système social sur le dos des honnêtes citoyens slovaques ». Ici, sont visées en particulier les minorités Roms que Kotleba appelle violemment les « parasites gitans ». Face aux vols de la mafia politique et à la violence présumée des « parasites sociaux », L’SNS propose en parallèle de durcir le système judiciaire concernant la criminalité, d’autoriser le port d’arme pour les citoyens slovaques et d’introduire une milice citoyenne. D’autre part, les « ennemis extérieurs » de la Slovaquie sont l’OTAN « pacte terroriste criminel » et le « diktat de Bruxelles » et ses « restrictions de souveraineté ».
Par ailleurs, le programme du L’SNS se concentre sur la protection des intérêts nationaux. De manière concrète, cela passe par le renforcement de la souveraineté nationale mais aussi par le développement de l’« autosuffisance agricole, économique et énergétique ». De manière plus abstraite, cela implique aussi la défense de l’identité slovaque et des valeurs traditionnelles (religion chrétienne, famille traditionnelle)
Enfin, le L’SNS dit vouloir centrer son programme sur la sécurité et la prospérité des « honnêtes citoyens slovaques », ceux que Kotleba appelle les « slušný ľudia ». La tenue de nombreux meetings politiques dans de petits villages ruraux à travers le pays a permis à Kotleba de créer un lien de proximité avec ces gens, bien souvent des laissés-pour-compte résignés par la politique. Déclarant comprendre leurs souffrances et se présentant comme l’un des leurs – un homme ordinaire qui aime son pays – Kotleba entend saisir un potentiel : celui de l’abstention dans ces lieux oubliés. Une présence active sur les réseaux sociaux permet aussi à Kotleba de renforcer son image d’homme intègre dévoué à son peuple. Ainsi, différentes actions de communication sont mises en scène dans des vidéos (campagne d’intimidation de populations roms, aide aux victimes de catastrophes naturelles). Grâce à sa présence en ligne, Kotleba parvient notamment à interagir avec la jeunesse slovaque.
Comment expliquer la défaite des partis progressistes ?
Le 30 mars 2019, Zuzanna Čaputova (PS), avocate et activiste environnementale, remportait les élections présidentielles slovaques. Son profil de citoyenne engagée, associé à son inexpérience politique lui avaient permis de remporter aisément son duel face à Maroš Šefčovič (Smer-SD), un politicien expérimenté, ancien vice-président de la Commission européenne en charge de l’énergie. Quelques mois plus tard, le parti désormais en coalition avec le parti Ensemble (Spolu) remportait également aisément les élections européennes (20 % des voix). La route semblait toute tracée pour les législatives. Les sondages avaient toutefois averti de la probable incapacité de la coalition PS-Spolu à renouveler ses succès politiques antérieurs en 2020. La réalité fut bien plus amère puisqu’ils n’auront aucune représentation au Parlement.
En parallèle, Za l’udi est tout de même parvenu à atteindre les 5 % requis et enverra 12 députés au Parlement tandis que le parti devrait en toute logique participer à la future coalition gouvernementale. Néanmoins, ce score est en deçà des attentes du camp progressiste et notamment de l’ex-Président Andrej Kiska.
La principale explication de cette défaite des partis progressistes de centre-gauche et de centre-droit se trouve très logiquement dans la division de ces forces. Longtemps espérée, la coalition entre PS-Spolu et Za l’udi n’est jamais arrivée. Pourtant, les deux partis disposaient de points de convergence notable. On peut s’en convaincre aisément à la vue des programmes politiques des autres partis de la scène politique slovaque. Rassemblés, ces partis auraient pu constituer un acteur majeur au sein du Parlement. Une faute majeure qui rappelle celle de la gauche polonaise en 2015. Ce problème s’est également renforcé au cours de ces élections par la dispersion des voix entre les différents partis politiques de l’opposition démocratique. Quatre partis (PS-Spolu, SaS, Za l’udi et KDH) avaient notamment signé un pacte de non-agression, ce qui représente une erreur stratégique comme l’a pointé du doigt Matovič.
La seconde explication de cette défaite est l’incapacité de ces partis à personnifier l’après Smer-SD et donc à devenir les leaders politiques de cette Slovaquie « décente ». D’une certaine manière, les élites progressistes n’ont pas réussi à convaincre les électeurs de leur capacité à détruire l’ancien monde politique. Une impression d’élitisme – réelle ou perçue –, le déficit charismatique de leur leader – notamment dans le cas de PS-SPolu avec Michal Truban – ou encore la mise en place d’un programme politique peu convaincant, en sont les raisons principales.
Enfin, les progressistes ne sont pas parvenus à se constituer un vivier électoral solide. Ils sont ainsi largement battus dans les grandes villes de Kosice ou Presov, et ne parviennent même pas à battre OL’aNO dans la capitale de Bratislava. Au-delà de leur incapacité à convaincre les électeurs indécis, les progressistes ne sont même pas parvenus à maintenir leur propre électorat.
Quelles sont les perspectives politiques pour la Slovaquie ?
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le fonctionnement de la coalition ne sera pas aisé du fait des probables divisions en son sein. Pourtant, les partis politiques composant celle-ci et OL’aNO en premier lieu ne disposeront pas d’une marge de manoeuvre conséquente. En effet, de par leur vote, la grande majorité des citoyens slovaques a appelé à un changement politique conséquent. Celui-ci doit devra donc être mené efficacement et si possible rapidement par les nouveaux responsables politiques. Les directions politiques que prendra une telle coalition reste à ce jour largement méconnues.
Un échec de cette coalition pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la démocratie slovaque. En effet, le parti d’extrême-droite L’SNS sera en embuscade en cas de faux pas. Si Kotleba et son parti n’ont pas gagné ces élections et n’auront probablement aucun rôle politique significatif à court-terme, ils représentent un danger réel pour la démocratie slovaque. Et cela devrait persister car ils sont désormais solidement ancrés au sein du système politique slovaque, l’épée de Damoclès que représente le néo-fascisme sera une tendance longue pour le pays. La coalition ne devra pas non plus négliger la résurrection possible du Smer-SD, que cela se fasse à travers le retour aux bases de la social-démocratie ou via une coopération accrue avec les néo-fascistes de Kotleba.
Outre la résistance à ses divisions internes et à la pression de ses opposants politiques, la coalition devra également contenir les conséquences de possibles bouleversements externes. Les deux défis majeurs pourraient être la gestion d’une nouvelle éventuelle crise migratoire ou l’apparition d’une crise économique, venant potentiellement d’un ralentissement de l’économie allemande dont la Slovaquie, est très fortement dépendante.
Enfin, ces élections confirment la prépondérance du style populiste au sein de la politique slovaque. Il faut dire que le pays a connu des expériences politiques particulières depuis son indépendance en 1993. L’avènement d’OL’aNO et de ses partenaires de coalition correspond à la sédimentation d’une tendance lourde d’inclination de l’électorat slovaque vers un populisme conservateur de droite. Cette tendance devrait se maintenir et s’intensifier au cours des prochaines années, puisque la quasi-totalité des partis politiques en Slovaquie utilisent aujourd’hui une stratégie populiste.