Paris. Le 7 janvier dernier ont été publiés les chiffres de la vente de pesticides pour l’année 2018 en France. Un communiqué commun des ministères de l’Agriculture, de la Santé, de la Recherche et de la Transition écologique fait état d’une augmentation de 24 % 1 de la vente des produits à usage agricole entre 2017 et 2018 2. Cela ne concerne pas les produits de biocontrôle à risque faible qui regroupent l’essentiel des produits utilisables en agriculture biologique et hors traitements de semences.
Ce chiffre est a priori sans appel : la vente de produits à usage agricole a considérablement augmenté. Or, ce chiffre n’est en rien évocateur. En effet, les produits à usage agricole se conservent deux ans 3, soit la durée conseillée lorsqu’aucune mention ne figure sur l’étiquetage. D’autres hypothèses que la hausse effective de l’usage des produits phytosanitaires peuvent être formulées, comme le renouvellement prématuré des stocks, en prévision de la mise en place de la redevance sur les produits phytosanitaires qui est entrée en vigueur le premier janvier 2019.
Pour cette raison, cette hausse de 24 % n’est pas éloquente. Il serait plus opportun d’étudier les statistiques sur l’épandage, ce qui permettrait de contrôler la quantité de produit entrée effectivement dans la terre. Cependant l’accès aux cahiers d’épandage des agriculteurs est un sujet sensible. Derrière cette gêne se cache le secret de la pratique mais aussi la peur de la critique, dans une ambiance d’agribashing médiatique qui est délétère.
Si l’on considère qu’un intrant agricole périme au bout de deux ans, il serait plus adéquat de se fier à minima à la moyenne bisannuelle d’achat. L’autre chiffre communiqué par les ministères, mais peu analysé, concerne la moyenne triennale, plus représentatif de l’épandage et donc la consommation effective de pesticides. Entre les années 2009 et 2011, ainsi qu’entre 2016 et 2018, on constate c’est une hausse de 25 % de la vente donc de consommation effective. Ainsi, dans l’hypothèse où toutes les substances achetées seraient consommées dans les délais, on peut alors conclure à une augmentation globale des produits à usage agricole. Cette augmentation globale témoigne donc de l’échec du plan Ecophyto débuté en 2008, devenu Ecophyto 1 et Ecophyto 2 + en avril 2019 en réponse aux échecs successifs des premiers plans visant à réduire l’utilisation des produits phytosanitaires.
Le rapport de la Cour des comptes publié le 4 février dernier, souligne l’échec des plans Ecophyto successifs « en dépit d’une décennie d’actions mobilisant des fonds publics importants » 4. L’objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides de synthèse en 10 ans semble d’autant plus difficile à atteindre 5. On soulignera cependant que l’usage des substances dites « préoccupantes » a diminué. 6
Au-delà de l’échec des politiques publiques mises en œuvre depuis plus de dix ans, il s’agit de questionner les raisons d’une telle augmentation que l’argument du renouvellement des stocks en anticipation de la redevance pour les produits phytosanitaires ne suffit pas à justifier. Pour l’année 2018, les records de température constatés ont, comme le souligne le communiqué, été favorables aux maladies fongiques au printemps et aux insectes en été, pouvant justifier un recours exceptionnel à ces produits en voulant compenser les effets des grandes chaleurs. Cette explication ne peut néanmoins faire office d’argument pour justifier le recours systématique à des substances chimiques pour faire face à un problème.
Cependant traiter cette question à l’échelle nationale ne peut être pertinent : en effet la possibilité pour les agriculteurs d’aller se fournir dans d’autres pays membres de l’Union européenne laisse à penser qu’il faut se placer à une plus large échelle. La question de la consommation des pesticides était déjà au cœur des préoccupations avant la parution du Green Deal, pour assurer la restauration des sols 7. Le rôle du parlement européen est essentiel, tout comme il l’a été pour la mise en place de restrictions harmonisées régissant l’utilisation et la vente de pesticides. Par ailleurs, dans le cadre des négociations pour définir la politique agricole commune sur la période 2021-2027, chaque état membre de l’Union européenne doit élaborer son plan stratégique national “définissant un diagnostic de sa politique agricole, ses priorités et la manière dont il compte distribuer dorénavant les aides de la PAC”. En vue de l’élaboration de ce plan stratégique national doit s’ouvrir le 23 février 2020 le débat public “ImPACtons !” 8. Pour les participants au débat, il est notamment question de hiérarchiser les 9 objectifs 9, dont la contribution à la protection de la biodiversité et l’amélioration de la réponse des agricultures aux attentes sociétales en matière d’alimentation et de santé. Il s’agit de donner la priorité, ou non, à ces questions pour les années à venir. Affaire à suivre.
Perspectives :
- Les chiffres de la vente de pesticides sur l’année 2018 sont à nuancés avec le contexte environnemental (fortes chaleurs), législatif (hausses taxes) et pratique (stockage possible)
- A court-terme, prise en considération de la hausse de la vente et de la consommation ces dernières années dans le débat public pour le renouvellement de la politique agricole commune
- Retour des mesures prises par le gouvernement ainsi que les conclusions du débat public sur la PAC et les négociations à venir
Sources
- Chiffre pris pour le NODU, indice « Calculé à partir des données de vente des distributeurs de produits phytopharmaceutiques, le NODU correspond à un nombre de traitements « moyens » appliqués annuellement sur l’ensemble des cultures, à l’échelle nationale. » Selon le ministère de l’agriculture, en réalité révélateur de la vente.
- Écophyto – Note de suivi 2018-2019, rendu public par les ministères de l’agriculture, de la santé, de la recherche et de la transition écologique le 7 Janvier 2020 : Écophyto et sortie du glyphosate : le Gouvernement renforce la transparence et mobilise l’expertise scientifique
- Manuel de stockage des pesticides et de contrôle des stocks, publié par FAO (Organisation des nations unis pour l’alimentation et l’agriculture ) en 1996
- Le bilan des plans Écophyto, Cour des comptes, 4 février 2020
- Écophyto : réduire et améliorer l’utilisation des phytos, Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, 7 janvier 2020
- « – 15 % pour les CMR 1 et – 9 % pour les CMR 2 entre 2009-2011 et 2016-2018 (en moyenne triennale) »
- Pollution, toxicité, agriculture : l’Union Européenne, vers des politiques sûres et durables ?, le Grand Continent, février 2020
- ImPACtons Le débat public sur l’agriculture : ImPACtons ! , Commission nationale du débat public
- 1)Favoriser des revenus agricoles viables et la résilience sur le territoire de l’Union pour renforcer la sécurité alimentaire ; 2) Améliorer l’adaptation aux besoins du marché et accroître la compétitivité, notamment en mettant davantage l’accent sur la recherche, la technologie et la numérisation ; 3) Améliorer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur ; 4) Contribuer à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à ce dernier, ainsi qu’au développement des énergies durables ; 5) Favoriser le développement durable et la gestion efficace des ressources naturelles, telles que l’eau, les sols et l’air ; 6) Contribuer à la protection de la biodiversité, renforcer les services écosystémiques et préserver les habitats et les paysages ; 7) Attirer les jeunes agriculteurs et faciliter le développement des entreprises dans les zones rurales ; 8) Promouvoir l’emploi, la croissance, l’inclusion sociale et le développement local dans les zones rurales, y compris la bioéconomie et la sylviculture durable ; 9) Améliorer la réponse du secteur agricole européen aux attentes sociétales en matière d’alimentation et de santé, notamment en matière d’alimentation saine, nutritive et durable et de bien-être animal.