Londres. Alors que Boris Johnson a enfin officialisé le Brexit le 31 janvier dernier, le pays cherche à redéfinir sa place et son soft power en Europe et dans le monde. L’organisation de la 26ème Conference of the Parties (COP26) du 9 au 19 novembre 2020 à Glasgow, en Ecosse, semble être l’événement idéal pour que le pays réaffirme son prestige international, a fortiori dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, le dossier chaud de ces dernières années.

La COP26 dans le brouillard

2020 s’annonce en effet comme une année cruciale pour l’action britannique dans le domaine de la transition énergétique. Le premier ministre Johnson veut en effet dévoiler sa stratégie de décarbonation du secteur automobile (en avançant notamment la date d’interdiction des voitures à moteurs thermiques de 2040 à 2035)1. L’organisation de la COP26 demeure néanmoins l’événement central. Pour mettre toutes les chances de son côté, Boris Johnson a nommé Mark Carney au poste de conseiller dédié à la finance, et participera à ce titre à l’organisation de la COP26. L’actuel gouverneur de la banque centrale d’Angleterre quittera son poste en mars prochain et possède déjà une expérience significative dans la réflexion sur la lutte contre le changement climatique : en décembre dernier, il avait déjà été nommé « envoyé spécial des Nations unies pour l’action en faveur du climat »2, succédant ainsi au milliardaire New Yorkais Michael Bloomberg, candidat au primaires démocrates aux Etats-Unis. Mark Carney avait alors exhorté le secteur privé à accélérer son action en faveur du développement d’une économie bas-carbone.3

Toujours en décembre, il avait annoncé que la Bank of England allait mener des premiers tests de résistance du secteur financier aux effets du changement climatique.4 Après une première étude réalisée d’ici mars 2020 sur leur faisabilité, les tests prenant en compte plusieurs scénarii du dérèglement climatique seront réalisés durant le second semestre de l’année, pour une publication des résultats en 2021.

Pourtant, une personnalité en chasserait presque une autre. L’arrivé de l’ancien président de la Bank of England a été précédée de peu par le limogeage soudain de la présidente de la COP26, l’ancienne ministre de l’énergie Claire O’Neill, le 31 janvier dernier5. Son ou sa successeur(e) n’est pas encore connu(e), David Cameron ayant décliné l’offre de Boris Johnson.6 Même s’il n’existe pas de lien entre l’arrivée de Carney et le départ de Claire O’Neill, d’aucuns estiment que son animosité envers la première ministre écossaise Nicola Sturgeon, ainsi que ses « piètres » prestations lors du récent forum de Davos et d’une récente visite en Inde aurait fait pencher la balance en sa défaveur, après qu’elle y a affirmé que l’Accord de Paris était « mort ».7

Malgré les polémiques naissantes sur cette éviction8, Boris Johnson souhaite faire du lancement de « l’année climatique » le véritable début de la préparation de la COP26, un rendez-vous décisif alors que l’accord de Paris de 2015 est remis en cause par de plus en plus de dirigeants et que la COP25 de Madrid s’est clôturée sur un échec.

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

L’autre pionnier de la transition énergétique

L’organisation de la COP26 en Ecosse est l’occasion de se poser deux questions : le Royaume-Uni conservera-t-il une place de leader de la transition énergétique après sa sortie de l’Union européenne et surtout après la période de transition nécessaire à l’établissement des nouvelles relations entre Londres et Bruxelles ? De plus, l’Union européenne aurait-elle beaucoup à perdre du départ du Royaume-Uni dans ce domaine ? Le pays est en effet, avec l’Allemagne, l’un des grands pays pionniers européens de la lutte contre le dérèglement climatique et d’une transition énergétique bas-carbone. Margaret Thatcher a été, avec Ronald Reagan, l’une des initiatrices du désormais incontournable GIEC, dès les années 1980. Son fameux discours de novembre 1989 à la tribune des Nations unies9 avait par exemple mis sur le devant de la scène les problématiques du réchauffement climatique, des pluies acides et de la pollution environnementale. Néanmoins, de nombreux militants écologiques affirment que sa politique de déréglementation a causé de gros dégâts environnementaux10. Son successeur John Major a tenté de préserver l’héritage thatchérien en adoptant en 1994 la stratégie de développement durable visant à respecter les engagements du Sommet de Rio de Janeiro en 1992. Pourtant, les dissensions internes au parti conservateur ont miné ces ambitions. Les gouvernements travaillistes successifs ont permis l’adoption du premier marché européen du carbone en 2005 et ont respecté le protocole de Kyoto, mais Tony Blair a reconnu peu après son départ de Downing Street qu’il aurait pu faire « plus en tant que Premier Ministre pour contrer la menace du changement climatique »11.

A l’heure actuelle, les performances du Royaume-Uni dans la politique climat-énergie sont plutôt bonnes. Entre 1990 et 2018, le pays a réduit ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de près de 44 % grâce à une stratégie rapide de sortie du charbon12, une part non négligeable du nucléaire dans le mix électrique et à son leadership industriel sur les technologies de l’éolien offshore. Le Royaume-Uni a de plus été le premier pays à viser la neutralité carbone en 2050. Concernant le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique néanmoins, le Royaume-Uni n’atteindra vraisemblablement pas ses objectifs, en matière d’efficacité énergétique (la cible de consommation primaire d’énergie le sera, mais pas forcément la cible de consommation finale)13, et en matière d’énergies renouvelables, celles-ci représentaient 11 % du mix énergétique national en 2018, contre un objectif de 15 % en 2020).14

Mix énergétique des pays membres de l'Union européenne et la part des énergie renouvelables

Tensions avec Bruxelles

La contribution de Londres à l’effort énergétique et climatique européen n’est donc pas à surestimer. Lors de la révision du paquet climat-énergie européen en 2014, David Cameron a par exemple fait pression pour que la Commission européenne abandonne le caractère contraignant des objectifs de développement des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique adressés aux Etats membres.15

Les avis divergent sur l’attitude probable du Royaume-Uni face à la politique climat-énergie de l’UE ; les longues négociations de ces prochains mois donneront de premières indications sur la relation énergétique entre les deux partenaires. Selon l’Atlantic Council’s Global Energy Center,16 plus la relation restera forte (ce qui impliquerait que Londres continue de respecter l’acquis communautaire), moins les choses changeront. Certains estiment néanmoins que le départ du Royaume-Uni est une mauvaise nouvelle pour l’UE17 car le pays est un important partenaire pro-climat et un « faiseur » de compromis entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est. Néanmoins, certains eurodéputés sont prêts à infliger à Londres une taxe carbone à la frontière du marché unique en cas de non-respect des règles du Système d’échange de quotas d’émissions de l’UE après la période de transition. En somme, la nature de la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne se trouve, en cette période post-Brexit, dans un état transitoire qui ne semble devoir se fixer dans aucune direction anticipable avec certitude à l’heure actuelle.

Perspectives  :

  • La COP26 en novembre prochain sera un rendez-vous incontournable pour Boris Johnson afin de présenter le Royaume-Uni comme un leader de la lutte contre le changement climatique.
  • Alors que Londres est considéré comme un pionnier de la transition énergétique, le Royaume-Uni a envoyé des signaux contradictoires ces dernières années, et le respect de l’acquis communautaire après la finalisation du Brexit n’est pas encore certain.
  • L’Union européenne perd avec le Royaume-Uni une importante voix pro-climat.
Sources
  1. HARVEY Fiona, Boris Johnson promises urgent climate action after stinging criticism, The Guardian, 4 février 2020
  2. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, nommé envoyé spécial de l’ONU pour le climat, Les Echos, 2 décembre 2019
  3. Les entreprises agissent trop lentement pour le climat, selon le futur envoyé spécial de l’ONU, Le Temps, 30 décembre 2019
  4. La Banque d’Angleterre présente ses « tests climatiques », Le Devoir, 19 décembre 2019
  5. HARVEY Fiona, CARRINGTON Damian, Former energy minister removed as UN climate talks chair, The Guardian, 31 janvier 2020
  6. TOPPING Alexandra, David Cameron turns down offer of COP 26 climate summit job, The Guardian, 5 février 2020
  7. HARVEY Fiona, CARRINGTON Damian, Former energy minister removed as UN climate talks chair, The Guardian, 31 janvier 2020
  8. MASON Rowena, HARVEY Fiona, Boris Johnson doesn’t get climate change, says sacked COP 26 head, 4 février 2020
  9. THATCHER Margaret, Speech to United Nations General Assembly (Global Environment), 9 novembre 1989
  10. VIDAL John, Margaret Thatcher : an unlikely green hero ?, The Guardian, 9 avril 2013
  11. McCURRY Justin, WATT Nicholas, Blair defends record on tackling climate change, The Guardian, 28 juin 2008
  12. Committee on Climate Change, How the UK is progressing, 2019
  13. Commission européenne, EU 2020 target for energy efficiency
  14. Eurostat, Renewable energy statistics, janvier 2020
  15. TURMES Claude, Transition énergétique, une chance pour l’Europe, 2017 (chapitre 7 « la préparation des objectifs énergie-climat pour 2030 »)
  16. Global Energy Center, What will Brexit mean for energy markets ?, 3 février 2020
  17. SIMON Frédéric, UK’s Brexit election explained : ‘There will be one less pro-climate vote in the EU’, Euractiv, 13 décembre 2019