Erfurt. Aujourd’hui, ce mercredi 5 février, le chef du groupe FDP au Landtag de Thuringe Thomas Kemmerich a été élu ministre-président du Land de Thuringe au troisième tour d’une élection très serrée, une défaite inattendue pour Die Linke, qui perd avec Bodo Ramelow son seul ministre-président.
Kemmerich a bénéficié des voix de la CDU et de l’AfD contre le ministre-président sortant, par 45 voix contre 44 (et une abstention). Il est le seul ministre-président libéral à l’heure actuelle, et le deuxième de l’histoire de la république fédérale. 1
Le président de la CDU de Thuringe Mike Mohring a déclaré attendre de Kemmerich qu’il se distance clairement de l’AfD, tandis que le SPD lui reproche d’ignorer la volonté des électeurs, qui a placé Die Linke en tête lors du scrutin d’octobre dernier. 2 La cheffe du groupe parlementaire Die Linke au Landtag Susanne Hennig s’est distinguée juste après l’élection en jetant aux pieds du nouveau ministre-président le bouquet de fleurs qui était destiné à Bodo Ramelow. Cette élection surprise d’un libéral à la tête du gouvernement est d’autant plus étonnante que le FDP a dépassé de seulement 73 voix le seuil de 5 % qui permet à un parti d’accéder à une représentation parlementaire. 3 Le SPD et les Verts en Thuringe ont rejeté les avances du FDP pour participer à une coalition, parce que cette dernière bénéficie d’un soutien passif de l’AfD.
Le SPD et les Verts en Thuringe ont rejeté les avances du FDP pour participer à une coalition, parce que cette dernière bénéficie d’un soutien passif de l’AfD. Après l’élection, Kemmerich a nié qu’il y ait pu avoir des consultations avec l’AfD et a soutenu “Je suis anti-AfD, je suis anti-Höcke” 4.
Cet événement constitue cependant bien un séisme politique. Pour la première fois depuis 1945, les partis du centre et de la droite acceptent le soutien de l’extrême droite pour accéder au pouvoir. En outre l’AfD de Thuringe est contrôlée par Björn Höcke, le chef officieux de l’aile la plus extrême du parti, der Flügel, dont l’influence est par ailleurs croissante dans toute l’Allemagne de l’Est. Höcke défend des positions proches de la pensée « Völkisch », raciste et antisémite. Il a décrit le monument aux juifs assassinés d’Europe à Berlin comme « monument de la honte » et a appelé à un “virage à 180°” dans la mémoire de l’époque nazie en Allemagne.
Depuis son retour au Bundestag en 2017 après quatre ans d’absence, le FDP dirigé par Christian Lindner se positionne contre le « populisme vert » des Manifestations de “Fridays for Future” , pour les droits des automobilistes, et se montre hostile à une « union de transfert » (Transferunion) entre les Etats membres de l’Union Européenne. Bien que membre du groupe au Parlement européen Renew Europe, le parti libéral s’est résolument ancré à droite, délaissant une tradition centriste sociale-libérale très vivace qui avait permis au FDP de Walter Scheel et Hans-Dietrich Genscher de gouverner treize ans durant avec les sociaux-démocrates Willy Brandt et Helmut Schmidt (1969-1982).
Après l’élection du Bundestag de 2017, les préliminaires engagés pour une coalition “Jamaïcaine” (Chrétiens-démocrates, FDP, Verts) avait échoué après le retrait des libéraux et conduit à la poursuite forcée de la Grande coalition, une solution qui ne satisfaisait personne. A l’époque, Christian Lindner avait justifié le sabotage des négociations en affirmant “Plutôt ne pas gouverner que mal gouverner” (Lieber nicht regieren als falsch). Aujourd’hui cette formule fatidique, par laquelle il a plongé l’Allemagne dans une période difficile d’incertitude gouvernementale en 2017-2018, lui est rappelée avec amertume par la gauche, alors qu’il accepte le soutien d’un parti d’extrême droite.
La nouvelle situation divise profondément le parti libéral. Tandis que certains sont prêts à faire comme si de rien n’était et à chercher à former une coalition avec des partis fréquentables comme le président Christian Lindner, son vice président Wolfgang Kubicki ou l’organisation de jeunesse du parti, les Junge Liberalen, mais plusieurs ténors demandent une démission rapide de Kemmerich, comme Marie-Agnes Strack-Zimmermann, Konstantin Kuhle et Alexander Graf Lambsdorff.
Le président du Conseil central des juifs d’Allemagne, (Zentralrat der Juden in Deutschland), Joseph Schuster, n’a pas caché sa colère, accusant le FDP de “s’éloigner du consensus des partis démocratiques”. Pour la présidente de la communauté Israélite de Munich, Charlotte Knobloch, une des grandes voix du judaïsme contemporain en Allemagne, “il ne peut pas y avoir dans une démocratie un ministre président qui arrive au pouvoir grâce aux voix de l’extrême droite”.
Le soutien d’un parti dont les principaux chefs ont régulièrement relativisé les crimes du régime nazi et la Shoah constitue un symbole malheureux pour le FDP, qui s’est toujours engagé contre le totalitarisme et l’antisémitisme, alors que le monde célébrait il y a une semaine le 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz en janvier 1945.
Perspectives :
- Plusieurs poids lourds politiques, comme le secrétaire général de la CDU Paul Ziemiak, le président de la CDU et ministre-président bavarois Markus Söder ou la présidente de la CDU Annegret Kramp Karrenbauer, ont appelé à de nouvelles élections régionales en Thuringe.
- Le vice-chancelier social-démocrate et ministre des finances Olaf Scholz a souligné que cette élection nécessiterait une explication entre les partenaires de coalition au niveau fédéral.
Sources
- FDP-Fraktionschef Kemmerich wird zum Ministerpräsidenten gewählt, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 5 février 2020
- Kemmerich ist neuer Ministerpräsident in Thüringen – Ramelow abgewählt, Mitteldeutscher Rundfunk, 5 février 2020
- SCHLEYER Johanna, Chaos gouvernemental en Thuringe : révolution au sein de la CDU ?, Le Grand Continent, 18 novembre 2019
- NIMZ Ulrike, Wenn Rechenspiele Realität werden, Süddeutsche Zeitung, 5 février 2020