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Le Barde et la Révolution Française : découvrons Robert Burns, poète national écossais

Véritable poète national écossais, Robert Burns demeure pourtant très largement inconnu en France. Traducteur de Burns, Paul Malgrati revient ici sur quelques œuvres majeures du barde écossais à l'heure du renouveau indépendantiste écossais.

Robert Burns (1759 – 1796), le barde national écossais, demeure un illustre inconnu en France. Rares, en effet, sont ceux qui au pays de Voltaire connaissent l’auteur de la chanson « Auld Lang Syne »—l’hymne de l’amitié et du temps perdu, chantée en cœur, à chaque nouvelle année, par-delà les mers et les continents, aux quatre coins du monde anglophone. Ce n’est pourtant pas que les lettres françaises aient manqué d’intérêt, à travers les âges, pour la culture écossaise. David Hume, Adam Smith, Ossian, Walter Scott, Robert Louis Stevenson et Walter Scott —parmi d’autres grands noms philosophiques et littéraires — irriguent depuis longtemps l’imaginaire du sud de la Manche. Cependant, il semblerait que ce panthéon calédonien, édifié principalement au dix-neuvième siècle, et admiré des romantiques, des aventuriers, et des économistes en tous genres, depuis Victor Hugo jusqu’à Charles Nodier et Frédéric Bastiat, soit resté fermé à la charrue de ‘Rabbie’ Burns, le poète paysan des basses-terres de l’Ecosse, mort à 37 ans, en 1796.  

Certainement, rien ne saurait trancher davantage avec l’adulation qui entoure le souvenir du barde écossais dans son pays natal. Hissé au rang de héros national de son vivant et révéré chaque année depuis lors par la cérémonieuse Burns Night, tenue tous les 25 janvier, le jour de sa naissance, Robert Burns demeure le personnage historique préféré des écossais. Si l’on en croit plusieurs sondages, parus régulièrement depuis le début du siècle, la popularité posthume du poète dépasse même celle de William Wallace, le grand martyr de l’indépendance écossaise (rendu mondialement célèbre par le film de Mel Gibson, Braveheart, en 1995).  

Sans doute faut-il également insister sur le fait que Burns n’est pas seulement une icône écossaise, ni même anglo-saxonne. Le culte de Burns a en effet longtemps été observé (et parfois l’est encore — de façon certes plus confidentielle mais non moins enthousiaste) en ex-URSS, en ex-Allemagne de l’Est et en République Populaire de Chine. La raison en est que Burns, poète adoré par Karl Marx —si l’on en croit les souvenirs de Paul Lafargue— fut l’un des fils spirituels de la Révolution Française, dont le vent émancipateur le conduisit à composer des textes souvent tenus comme annonciateurs du socialisme.

N’est-il pas étonnant qu’un poète si connu pour ses opinions révolutionnaires ait manqué la postérité dans le pays où germa la Révolution ? Certes, la langue de Burns, fortement marquée par le dialecte écossais des basses-terres —le Scots— n’a pas facilité les échanges avec une littérature française souvent contemptrice des poésies régionales. De même, le modérantisme —sinon le royalisme— régnant chez la plupart des anglophiles français du dix-neuvième siècle n’a probablement pas favorisé l’importation d’une œuvre roturière, à la réputation sulfureuse. Ainsi, les traductions du poète, par Léon de Wailly, en 1843, et par Auguste Angellier, en 1893, ne surent frapper les esprits par-delà les cercles d’initiés —une situation qui ne changea guère au vingtième-siècle, malgré l’essor du communisme et l’immense popularité de Burns en URSS (où une traduction de ses œuvres par Samuel Marshak se vendit à plus d’un demi-million d’exemplaires).

Plus de deux-cent-vingt ans après la mort du barde écossais, alors que les velléités d’indépendance se font plus que jamais sentir dans son pays natal, le temps est peut-être venu de redorer le blason de Robert Burns et de l’introduire dans le canon des auteurs qu’il incombe aux Français de découvrir s’ils veulent apprécier, à sa juste mesure, l’amplitude universelle de la littérature écossaise. A la faveur des remous politiques de l’Ecosse contemporaine, il semblerait que la situation soit déjà en train d’évoluer en ce sens. Après une nouvelle traduction des œuvres de Burns par Jean-Claude Crapoulet en 1994, plusieurs travaux universitaires par Yann Tholoniat, Dominique Delmaire, et Karyn Wilson-Costa ont récemment mis Burns au goût du jour.

Toutefois, en dehors des cénacles universitaires, tout reste à faire pour permettre à Burns de piquer la curiosité du public francophone. Dans cette optique, et à n’en pas douter, le jacobinisme du barde écossais constitue la porte d’entrée la plus stimulante vers son œuvre. C’est donc l’ambition du présent article que d’exposer les principaux textes, vers, et chansons politiques du poète, lesquels ont façonné les cultures libérale, travailliste et indépendantiste écossaises depuis plus de deux siècles.

Comme on le verra, la tradition socialiste, depuis la Grande-Bretagne jusqu’à l’Union Soviétique, a eu raison d’insister sur le pédigré révolutionnaire de Burns. Certes, le sans-culottisme de ses plus grandes chansons ne saurait manquer d’émouvoir les cœurs égalitaires. Cependant, il convient aussi d’insister sur certaines ambiguïtés du poète, lequel, évoluant dans un contexte politique difficile, celui des années 1790 où les écrivains séditieux subissaient la répression du régime britannique, ne put échapper aux tourments de la compromission et à l’appât des retournements de veste opportuns. Au carrefour du protestantisme, du jacobitisme (à ne pas confondre avec le jacobinisme), du républicanisme et du royalisme, l’œuvre politique de Robert Burns embrasse les moindres circonvolutions de l’identité écossaise. En tant que telle, elle a tout pour fasciner le lectorat francophone.

POETE PAYSAN, POETE DISSIDENT

Robert Burns naît le 25 janvier 1759, à Alloway, dans l’Ayrshire, une région agricole et minière du sud-ouest de l’Ecosse. Sa mère, Agnès Broun, est une paysanne de la région. De culture protestante, presbytérienne, elle narrera au jeune Robert les histoires et légendes des martyrs covenantaires —ces fantassins de la foi qui, le siècle passé, se sont levés contre le roi et la « tyrannie épiscopale » dans l’espoir d’assurer la tolérance religieuse et d’établir une église plus démocratique, où les paroissiens élisent leurs propres pasteurs, à rebours des évêques et du roi (nommé chef de l’église depuis la réforme anglicane du XVIème siècle).

Le père de Robert, William Burnes, pour sa part, est un émigré de l’Aberdeenshire, une région du nord-est de l’Ecosse, bouleversée durant l’année 1745 par la dernière insurrection des rebelles jacobites —les partisans défaits de la dynastie Stuart, d’origine écossaise, proches de la France catholique, et favorable à l’épiscopalisme (la version écossaise de l’anglicanisme). Inutile de le souligner, Covenantaires et Jacobites (presbytériens-protestants et catholiques-anglicans) sont les grands frères ennemis de l’histoire écossaise. Depuis la Révolution Anglaise du milieu du dix-septième siècle jusqu’à la Glorieuse Révolution protestante de 1688 et la défaite finale des Jacobites, à Culloden en 1746, ils se sont haïs, martyrisés, et entretués. Le long des routes, au bord des lochs, et en haut des collines, cairns décrépis et vieilles ruines sont le rappel constant d’une guerre civile qui dura plus de cent ans.

Toutefois, en ce milieu de dix-huitième siècle, et malgré la proximité temporelle du dernier soubresaut jacobite, le récit des grandes rébellions semble désormais appartenir au passé. L’union de l’Ecosse et de l’Angleterre, acté en 1707, sur la base d’un protestantisme modéré, assure désormais la stabilité politique et financière du royaume. En outre, l’expansion du marché colonial et l’éssor de la fortune mobilière, favorise l’émergence d’une classe bourgeoise, dont le nouveau sens commun, poli et libéral, apparaît aux antipodes des fanatismes passés. Cette culture des Lumières, en vogue de Londres à Edimbourg, constitue les oripeaux du parti Whig (le parti du parlement, libéral, protestant), qui contrôle les affaires du pays tout le long du siècle, au détriment du parti Tory (le parti du roi, conservateur, anglican).

Ainsi, c’est dans ce contexte que grandit Robert Burns, héritier —par sa mère et par son père— des deux grandes traditions politiques, religieuses, et insurrectionnelles de l’Ecosse. Ces dernières marqueront profondément la pensée politique et l’œuvre poétique du future barde. Alors qu’il occupe ses jeunes années à pousser le soc de la charrue familiale de métairies en métairies, Robert bénéficie cependant d’une éducation de qualité, fournie par les services du précepteur John Murdoch. Le rôle de ce dernier dans l’éducation politique du jeune Robert est fondamental. En effet, Murdoch, selon la terminologie de l’époque, est un dissenter (‘dissident’), un radical, dont la foi protestante et le parlementarisme intransigeant confinent parfois au républicanisme, et aux rêves de sédition inspirés du souvenir covenantaire. Cet enseignement avancé, reçu par le jeune Robert jusqu’en 1772, prend tout son sens quelques années plus tard, en juillet 1776, lors de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Pour la première fois depuis l’époque d’Olivier Cromwell (qui fut pour un temps l’allié des Covenantaires écossais), un rameau républicain a bourgeonné dans le monde anglophone.

A cette époque, Burns, qui est entré dans sa dix-septième année, compose déjà quelques vers —le plus souvent adressée aux jeunes femmes de son entourage. Cette passion pour la poésie, inspirée par les scènes de la vie paysanne et la langue vernaculaire du sud de l’Ecosse, continue de grandir au fil des années, jusqu’à éclore, une décennie plus tard, en 1786, à travers la publication du premier (et unique) recueil de poésie de Burns : Poems, chiefly in the Scottish dialect (« Poèmes, principalement dans le dialecte écossais »).

Cinglant et corrosif à bien des égards, les Poems manient l’élégie et le langage des sentiments aussi bien que la satire, l’ironie, et les envolées moralistes. Cette grande liberté de ton et de genre permet au radicalisme de Burns de s’exprimer sans ambages, au carrefour des traditions covenantaires, dissidentes, et proto-républicaines. Un premier exemple, dans ce registre, apparaît dans le troisième poème du recueil, une satire intitulée ‘Réclamation et prière fervente de l’auteur aux représentants de l’Ecosse dans la Chambre des Communes’. Ce long poème critique la politique d’imposition du whisky récemment votée à Westminster et prend à partie les députés écossais au Parlement britannique, incapables d’avoir défendu les intérêts de leurs compatriotes consommateurs. « Freedom and whisky gang thegither ! » (« La liberté et le whisky font la paire »), raille le poète, à l’attention des députés avant de hausser le ton et d’invoquer les mânes insurrectionnels de la ‘Vieille Ecosse’. Il s’adresse, une nouvelle fois, aux députés 

Arouse, my boys ! exert your mettle,
To get auld Scotland back her kettle ;
Or faith ! I’ll wad my new pleugh-pettle,
Ye’ll see’t or lang,
She’ll teach you, wi’ a reekin whittle,
Anither sang.

This while she’s been in crankous mood,
Her lost Militia fir’d her bluid ;
(Deil na they never mair do guid,
Play’d her that pliskie !)
An’ now she’s like to rin red-wud
About her whisky.

An’ Lord ! if ance they pit her till’t,
Her tartan petticoat she’ll kilt,
An’ durk an’ pistol at her belt,
She’ll tak the streets,
An’ rin her whittle to the hilt,
I’ the first she meets !

For God sake, sirs ! then speak her fair,
An’ straik her cannie wi’ the hair,
An’ to the muckle house repair,
Wi’ instant speed,
An’ strive, wi’ a’ your wit an’ lear,
To get remead. 1

Cette évocation goguenarde —mais non moins provocatrice— du passé séditieux de la « Veille Ecosse », n’hésite pas à fusionner le souvenir des deux frères ennemis de l’histoire écossaise, depuis la mention de la milice armée (l’un des thèmes favoris des presbytériens patriotes du début du siècle) jusqu’à la description des kilts et poignards (dirks) jacobites. Associant les deux traditions familiales, maternelle et paternelle, Burns crée ainsi l’image patriotique et radicale d’une « Vieille Ecosse » populaire, réconciliée par son opposition commune au ventre mou du parlementarisme whig et londonien.

Plus loin, dans le recueil, le poète continue de broder le lien entre le passé écossais et la possibilité d’une résurgence insurrectionnelle. C’est le cas, par exemple, dans « Le samedi soir du métayer » (« The Cotter’s Saturday Night »), qui fait la part belle à la culture presbytérienne du sud-Ouest de l’Ecosse. Bâti comme une image pieuse, ce long poème décrit le pater familias écossais et sa petite famille, recroquevillés dans la foi et les psaumes par une longue soirée d’hiver (une scène à laquelle William Burnes avait depuis longtemps accoutumé son fils). Parvenu à la fin de la prière, les deux dernières strophes du poème s’élancent dans une péroraison patriotique où semblent sonner les trompettes de l’ancien Covenant :

O Scotia ! my dear, my native soil !
For whom my warmest wish to Heaven is sent !
Long may thy hardy sons of rustic toil
Be blest with health, and peace, and sweet content !
And O ! may Heaven their simple lives prevent
From Luxury’s contagion, weak and vile !
Then, howe’er crowns and coronets be rent,
A virtuous populace may rise the while,
And stand a wall of fire around their much-lov’d Isle.
 
O Thou ! who pour’d the patriotic tide,
That stream’d thro Wallace’s undaunted heart,
Who dar’d to, nobly, stem tyrannic pride,
Or nobly die, the second glorious part :
(The patriot’s God, peculiarly Thou art,
His friend, inspirer, guardian, and reward !)
O never, never Scotia’s realm desert ;
But still the patriot, and the patriot-bard
In bright succession raise, her ornament and guard !2

Comme dans la « Réclamation et prière fervente de l’auteur », « Le samedi soir du métayer » invoque l’image d’une ‘populace’ patriotique et pieuse, opposée au ‘luxe’ des puissants, et soulevée, cette fois-ci dans le souvenir médiéval de William Wallace —le héros roturier de l’indépendance écossaise dont Burns a dévoré la légende épique sous la férule de son précepteur.

Cette opposition entre l’humilité religieuse des paysans et l’arrogance somptuaire des lords —ce que d’aucuns ont décrit comme la ‘conscience de classe’ de Robert Burns— ne s’exprime nulle part avec plus de véhémence que dans ‘Les deux chiens’ (« The Twa Dog »’), le premier poème du recueil. Cette longue satire met en scène le dialogue entre un médor bien nourri —César, le chien d’aristocrate— et un cabot efflanqué —Luath, le chien de paysan. Conformément à la tradition satirique (très prisée en Ecosse depuis les fables animalières de Robert Henryson, au XVème siècle), la discussion entre les deux animaux tourne à la vindicte contre le système social et politique de la Grande-Bretagne. Au détour d’une tirade, César en vient à plaindre la pauvreté et la sujétion des maîtres de Luath :

CAESAR
But then to see how ye’re negleckit,
How huff’d, an’ cuff’d, an’ disrespeckit !
Lord man, our gentry care as little
For delvers, ditchers, an’ sic cattle ;
They gang as saucy by poor folk,
As I wad by a stinkin brock.

I’ve notic’d, on our laird’s court-day, –
An’ mony a time my heart’s been wae, –
Poor tenant bodies, scant o’cash,
How they maun thole a factor’s snash ;
He’ll stamp an’ threaten, curse an’ swear
He’ll apprehend them, poind their gear ;
While they maun stan’, wi’ aspect humble,
An’ hear it a’, an’ fear an’ tremble !
I see how folk live that hae riches ;
But surely poor-folk maun be wretches !3

A cela, Luath répond que ses pauvres maîtres jouissent tout de même du confort des humbles : une progéniture joyeuse, une ivresse à peu de frais après la fin des récoltes, et des discussions enflammées sur les affaires de l’état et de l’église (on appréciera ici encore le démocratisme presbytérien de Burns, qui encense l’opinion populaire dans un contexte où moins d’un écossais sur cent dispose du droit de vote) et des parlementaires « œuvrant pour le bien de la Grande Bretagne ».

La réponse de César, trop au fait de la corruption parlementaire, ne se fait pas attendre. Aux abois, le médor se met à tirer le portrait du député de base :

CAESAR
Faith, lad, ye little ken about it :
For Britain’s guid ! guid faith ! I doubt it.
Say rather, gaun as Premiers lead him :
An’ saying ay or no’s they bid him :
At operas an’ plays parading,
Mortgaging, gambling, masquerading :
Or maybe, in a frolic daft,
To Hague or Calais takes a waft,
To mak a tour an’ tak a whirl,
To learn bon ton, an’ see the worl’.

There, at Vienna, or Versailles,
He rives his father’s auld entails ;
Or by Madrid he takes the rout,
To thrum guitars an’ fecht wi’ nowt ;
Or down Italian vista startles,
Whore-hunting amang groves o’ myrtles :
Then bowses drumlie German-water,
To mak himsel look fair an’ fatter,
An’ clear the consequential sorrows,
Love-gifts of Carnival signoras.
For Britain’s guid ! for her destruction !
Wi’ dissipation, feud, an’ faction.4

Satires antiparlementaires, tirades plébéiennes, rêves d’insurrections, souvenirs covenantaires et passions jacobites : les Poems de Robert Burns —qui lui vaudront une gloire instantanée— ont de quoi chauffer le sang des patriotes et autres dissenters dont les yeux, rivés vers l’Atlantique, s’apprête à lorgner de l’autre côté de la Manche.

DU KILT SANS CULOTTE…

Suivant le succès de ses Poems, en 1786-87, celui que l’on nomme désormais ‘barde national’ parvient à s’ouvrir certaines portes. En septembre 1789, alors que les femmes parisiennes marchent sur Versailles, il quitte sa métairie d’Ellisland et s’installe à Dumfries, avec sa femme Jean Armour, pour devenir percepteur d’impôt. Cette nouvelle situation deviendra source de nombreux dilemmes. Alors que les revenus du poète augmentent, son indépendance d’esprit —cette indépendance paysanne qu’il chérit tant— se trouve désormais restreinte par son nouveau métier. En effet, Burns, le percepteur (une position ironique pour celui qui jadis tonnait contre l’imposition du whisky) est désormais assermenté à la couronne britannique. Il travaille au service d’un Etat dont les intérêts —économiques, politiques, et idéologiques— s’apprêtent à entrer en conflit avec ceux de la France révolutionnaire.

Dans un premier temps, cependant, le poète ne semble pas s’émouvoir de l’inimitié grandissante entre les révolutionnaires français et le gouvernement britannique de William Pitt (un whig indépendant, considéré, à cause de son opposition à la Révolution française, comme le refondateur du conservatisme anglais). En juillet 1790, Burns s’essaie pour la première fois à un vieux thème franco-écossais en rédigeant les ‘Lamentations de Marie Stuart’ (« Lament of Mary, Queen of Scots  ») où la reine d’Ecosse et douairière de France peste contre son ennemi, la reine d’Angleterre, Elizabeth I, dont la ‘fausseté’ à contribuer à la disgrâce du royaume d’Ecosse. Enrobé d’élégie, cette pièce historique demeure toutefois modérée dans son propos.

I was the Queen o’ bonie France,
Where happy I hae been ;
Fu’ lightly raise I in the morn,
As blythe lay down at e’en :
And I’m the sov’reign of Scotland,
And mony a traitor there ;
Yet here I lie in foreign bands,
And never-ending care.

But as for thee, thou false woman,
My sister and my fae,
Grim Vengeance yet shall whet a sword
That thro’ thy soul shall gae ;
The weeping blood in woman’s breast
Was never known to thee ;
Nor th’ balm that draps on wounds of woe
Frae woman’s pitying e’e.5

Ce n’est qu’avec l’emballement de la Révolution française, en 1792, l’année de la prise des Tuileries, que plusieurs rumeurs (invérifiables) commencent à circuler concernant les cris séditieux du poète. En mars, on rapporte que Burns, après avoir participé à l’arrestation d’un navire contrebandier, a payé de sa poche quatre petits canons et les a affrétés pour la France, afin de secourir les révolutionnaires en guerre contre l’Autriche. Au mois d’octobre, plus outrageusement, des témoins expliquent que le barde écossais, présent lors d’une représentation au théâtre de Dumfries, a accueilli l’hymne national britannique, ‘God Save the King’ par le quolibet de ‘Ça ira !’. Ces sentiments sembleront confirmés, quelques années plus tard, quand, dans une lettre à son amie Mrs Dunlop, Burns déclarera que Louis XVI et Marie Antoinette, ‘cet imbécile parjure et cette prostituée sans principe’ méritaient de finir entre les mains du bourreau.

Cependant, la rumeur publique —fondée ou non— n’est pas au goût des supérieurs du poète-percepteur. A la fin de l’année 1792, alors qu’une guerre semble probable entre la Grande-Bretagne et la République française, le bureau d’octroi commence une enquête sur le cas de Burns. Ce dernier, qui a connu la misère et tient à son nouvel emploi, se rétracte immédiatement. Dans une longue lettre à son protecteur, Robert Graham of Fintry, il maudit la rumeur mensongère et déclare son attachement à la Constitution Britannique établie par la Glorieuse Révolution de 1688. L’enquête est suspendue.

Le barde sait désormais qu’il devra se montrer discret s’il veut continuer à commenter, par sa plume, les bouleversements politiques de son époque. En effet, à partir de l’année 1793, alors que la France entre en guerre contre l’Angleterre, le gouvernement de William Pitt entame une vaste campagne de répression contre les jacobins britanniques. En août 1793, cette ‘Terreur blanche’ frappe de plein fouet la « Société écossaise des amis du peuple ». Le grand leader révolutionnaire écossais, Thomas Muir, un ancien pasteur, est arrêté et passe devant le tribunal. Il sera ensuite transporté en Australie, d’où il s’évadera, à la rocambole, et finira par rejoindre la France, où il mourra, couvert d’honneurs, en 1799.

Quelques jours après l’arrestation de Muir, Burns envoi un nouveau texte à son éditeur. Il s’agit d’une chanson composée sur l’air de « Hey Tutti Tatti », la marche des soldats de Robert Bruce, en 1314, lors de la victoire écossaise de Bannockburn qui permit d’assurer l’indépendance de l’Ecosse face aux ingérences anglaises. Bien que d’inspiration épique et médiévale, ‘Robert Bruce s’adresse à ses troupes’, plus connu en écossais sous le nom de « Scots wha hae » (littéralement ‘Ecossais qui avez’), puise son élan, aux dires même de son auteur, non pas tant dans le passé que dans ‘certaines luttes récentes pour la liberté’.

Scots, wha hae wi’ Wallace bled,
Scots, wham Bruce has aften led,
Welcome to your gory bed,
Or to Victorie !
 
Now’s the day, and now’s the hour ;
See the front o’ battle lour ;
See approach proud Edward’s power—
Chains and Slaverie !
 
Wha will be a traitor knave ?
Wha can fill a coward’s grave ?
Wha sae base as be a Slave ?
Let him turn and flee !
 
Wha for Scotland, king, and law,
Freedom sword will strongly draw ?
Freeman stand, or freeman fa’ :
Let him follow me !
 
By Oppression’s woes and pains !
By your Sons in servile chains !
We will drain our dearest veins,
But they shall be free !
 
Lay the proud Usurpers low !
Tyrants fall in every foe !
Liberty’s in every blow !—
Let us Do or Die !6

Cette chanson a longtemps été considérée comme un potentiel hymne national de l’Ecosse. En effet, elle a tout d’une « Marseillaise » écossaise : depuis l’élan guerrier et le souvenir combiné de Wallace —le roturier martyr— et de Bruce —le roi populaire—, jusqu’au thème de l’usurpation, si cher aux Jacobites, et, enfin, la devise « Let us Do or Die » (prononcé à l’écossaise « Let us Dae or Dee »), décalque du fameux slogan révolutionnaire français, « Vivre Libre ou Mourir ». Toutefois, dans l’Ecosse de 1793, de tels accents indépendantistes et révolutionnaires ne peuvent voir le jour sans compromettre la sécurité de leur auteur. Aussi, Burns n’accepte la publication de « Scots wha hae » que l’année suivante, sous couvert d’anonymat.Le barde, cependant, ne s’arrête pas là. A cet hymne patriotique, qui embrasse la marée des volontaires de l’An II aussi bien que les fantômes des guerres médiévales, il manque encore, semble-t-il, un souffle égalitaire et universel —de quoi traduire, dans la langue écossaise, la nouvelle devise révolutionnaire : « Liberté ! Egalité ! Fraternité ! ». Au fil des mois, Burns, en fin lecteur, parvient à s’enquérir des écrits de Thomas Paine, l’agitateur anglais alors député à la Convention nationale française. Bien qu’affilié aux Girondins, Paine, dans son livre The Rights of Man (1792) s’est fait l’écho des doléances parisiennes, celles des sans-culottes et des Cordeliers. En effet, l’auteur anglais demande une réforme de l’Etat britannique, avec la mise en place d’un système social et d’une caisse de retraite, financée par l’impôt progressif. Burns, l’ancien paysan et l’auteur des « Deux Chiens », qui a vu son père mourir à petit feu sous la pression de son tenancier, ne sait que trop bien de quoi il retourne. En janvier 1795, il se lance dans la rédaction d’une nouvelle chanson, inspirée par Paine et ses espoirs égalitaires. Ultime clin d’œil à l’histoire rebelle de l’Ecosse, ce texte, pour lequel la postérité retiendra le titre « A Man’s a Man » (« Un homme est un homme ») est composé sur l’air jacobite du « Quadrille de Lady McIntosh ». Le refrain ternaire de cette mélodie (« […] and a’ that / for a’ that and athat » —littéralement « […] et tout ça, malgré tout et tout ça »), couplé au contenu radical du texte fera dire à la grande universitaire britannique, Marilyn Butler, qu’il s’agit là de « l’adaptation anglaise la plus fidèle de l’esprit et de la lettre du chant jacobin ‘Ça ira !’ ». De même, l’auteur de ces lignes s’est permis de traduire le refrain de Burns (« for a’ that ») par les fameux accents sans-culottises :

Is there for honest Poverty
That hings his head, an’ a’ that ;
The coward slave-we pass him by,
We dare be poor for a’ that !
For a’ that, an’ a’ that.
Our toils obscure an’ a’ that,
The rank is but the guinea’s stamp,
The Man’s the gowd for a’ that.
 
What though on hamely fare we dine,
Wear hoddin grey, an’ a that ;
Gie fools their silks, and knaves their wine ;
A Man’s a Man for a’ that :
For a’ that, and a’ that,
Their tinsel show, an’ a’ that ;
The honest man, tho’ e’er sae poor,
Is king o’ men for a’ that.
 
Ye see yon birkie, ca’d a lord,
Wha struts, an’ stares, an’ a’ that ;
Tho’ hundreds worship at his word,
He’s but a coof for a’ that :
For a’ that, an’ a’ that,
His ribband, star, an’ a’ that :
The man o’ independent mind
He looks an’ laughs at a’ that.
 
A prince can mak a belted knight,
A marquis, duke, an’ a’ that ;
But an honest man’s abon his might,
Gude faith, he maunna fa’ that !
For a’ that, an’ a’ that,
Their dignities an’ a’ that ;
The pith o’ sense, an’ pride o’ worth,
Are higher rank than a’ that.
 
Then let us pray that come it may,
(As come it will for a’ that,)
That Sense and Worth, o’er a’ the earth,
Shall bear the gree, an’ a’ that.
For a’ that, an’ a’ that,
It’s coming yet for a’ that,
That Man to Man, the world o’er,
Shall brothers be for a’ that.7

Publié anonymement en Août 1795 dans le journal révolutionnaire d’Irlande du Nord, The Northern Star, ce poème deviendra, au siècle suivant, l’un des hymnes du jeune mouvement ouvrier. En effet, l’élan égalitariste et universaliste de la chanson apparaît, notamment chez les chartistes britanniques des années 1830, comme une prémonition du combat pour le suffrage universel. De même, en 1838, l’anglophile socialiste allemand, Ferdinand Freiligrath, perçoit à son tour « A Man’s a Man » comme l’un des grands cantiques de la société à venir. Sa traduction germanique du poème, « Trotz Alledem  » (littéralement —« malgré tout »), amendée pour correspondre au contexte de la Révolution allemande de 1848, est publiée en juin de la même année, dans le journal de Karl Marx, le Neue Rheinische Zeitung. Le succès est immédiat et, en quelques mois, « Trotz Alledem  » devient l’un des classiques de la gauche allemande. Adopté, au vingtième siècle, par Karl Liebknecht puis par les chorales de la RDA, « Trotz Alledem » appartient, aujourd’hui encore, au répertoire musical des militants de Die Linke.

Toutefois, comme on l’imagine aisément, c’est surtout en Ecosse que la chanson de Burns résonne avec le plus d’ampleur. En juillet 1999, lors de l’inauguration du Parlement écossais, en présence de la reine Elizabeth II, « A Man’s a Man’ » est la chanson retenue pour marquer le clou de la cérémonie. Sheena Wellington, une chanteuse native de la cité ouvrière de Dundee, entonne l’hymne de Burns, face à toutes les caméras de télévision du pays, dans un grand moment de communion patriotique. Plus qu’une simple provocation républicaine à l’encontre de la reine, le choix de cette chanson, impulsé par le parti travailliste écossais, s’explique par le besoin de clamer haut et fort l’égalitarisme du peuple écossais, vingt ans après l’élection de Margaret Thatcher à la tête du Royaume-Uni.

… AU RETOURNEMENT DE VESTE ?

Mais retournons, une dernière fois, à nos années révolutionnaires, où les choses se compliquent quelque peu. Quelques semaines après l’écriture de son nouvel hymne révolutionnaire, Robert Burns apprend qu’une milice patriotique et loyaliste vient de se constituer dans sa ville de Dumfries. « Les Volontaires de Dumfries », comme ils se nomment, entendent s’armer et s’entraîner pour défendre le royaume de Grande-Bretagne dans le cas d’une invasion française. Burns, qui craint encore d’être inquiété pour cris et écrits séditieux, voit dans cette nouvelle initiative une occasion de se montrer en public et de faire du zèle. En avril 1795, il s’engage chez les « Volontaires » et va même jusqu’à s’endetter pour revêtir un bel uniforme pourpre. Mieux encore, il rédige de sa plume une ode à son nouveau régiment, laquelle, imprimée par tout le pays, devient bientôt l’antienne préférée de tous les contre-révolutionnaires :

Does haughty Gaul invasion threat ?
Then let the louns beware, Sir ;
There’s wooden walls upon our seas,
And volunteers on shore, Sir :
The Nith shall run to Corsincon,
And Criffel sink in Solway,
Ere we permit a Foreign Foe
On British ground to rally !

O let us not, like snarling curs,
In wrangling be divided,
Till, slap ! come in an unco loun,
And wi’ a rung decide it !
Be Britain still to Britain true,
Amang ourselves united ;
For never but by British hands
Maun British wrangs be righted !

The Kettle o’ the Kirk and State,
Perhaps a clout may fail in’t ;
But deil a foreign tinkler loun
Shall ever ca’a nail in’t.
Our father’s blude the Kettle bought,
And wha wad dare to spoil it ;
By Heav’ns ! the sacrilegious dog
Shall fuel be to boil it !

The wretch that would a tyrant own,
And the wretch, his true-born brother,
Who would set the Mob aboon the Throne,
May they be damn’d together !
Who will not sing « God save the King, »
Shall hang as high’s the steeple ;
But while we sing « God save the King, »
We’ll ne’er forget The People !8

Publié quelques mois seulement après « A Man’s a Man », ce texte réactionnaire, loyal à la couronne de Grande Bretagne et hargneux à l’encontre de ceux qui « voudraient mettre la populace au-dessus du trône » n’a pas fini de donner de l’urticaire aux spécialistes de Burns. Depuis plus de deux cents ans, la polémique fait rage et les interprétations diverges. Du côté conservateur, bien sûr, on se réjouit d’un poème qui semble affirmer la loyauté de Burns au gouvernement contre-révolutionnaire de William Pitt. Certains commentateurs de droite, comme William Paton Ker, en 1918, s’avancent même plus loin et, relisant l’œuvre de Burns à l’aune de son « Ode aux Volontaires de Dumfries », n’hésitent pas à affirmer que Burns, influencé par les traditions monarchistes et jacobites de l’Ecosse était, en fin de compte, un grand poète tory. Du côté socialiste, à l’inverse, on souffle le chaud et le froid : tantôt l’on crie à la trahison et aux rebuffades du poète, tantôt on cherche à l’excuser compte tenu du contexte répressif des années 1790. Enfin, du côté nationaliste, on s’effarouche de l’ineptie d’un poète qui sut se faire à la fois chantre de William Wallace et panégyriste de la couronne anglaise. De manière plus subtile, l’universitaire Liam McIlvanney, spécialiste de Burns explique que le patriotisme britannique de Burns n’entre pas nécessairement en contradiction avec ses opinions avancées. Comme la majorité des réformistes qui gravitent à l’époque autour du parti whig, Burns s’inspire des idéaux de la Révolution française, certes, mais il ne convertit pas ses rêves républicains en opposition à la couronne britannique. Au contraire, tout en appelant de ses vœux une extension du suffrage et une réforme de l’Etat, le barde écossais, en bon patriote, n’hésite pas à prendre les armes contre une République française dont la diplomatie est devenue agressive. C’est en tous les cas le sens conféré par McIlvanney aux deux dernièrs vers de son ode : « Mais tout en chantant ‘Dieu sauve le roi’ / Nous n’oublierons jamais le peuple ». Royalisme et loyalisme d’un côté, réformisme et populisme de l’autre : le positionnement de Burns, en cette année 1795 —dix mois après l’exécution de Robespierre— semble refléter la complexité des développements politiques et diplomatique de son temps.

Malheureusement, même si l’interprétation de McIlvanney est convaincante, nous manquons —et manquerons toujours— de sources concrètes pour sonder le cœur de Robert Burns à cet instant fatidique. En effet, au cours de l’année 1795, la santé du poète se dégrade rapidement. Endetté, affaibli par les rhumatismes dont il eut à souffrir durant sa jeunesse et éreinté par ses longues cavalcades, carnet de percepteur en main, à travers la campagne du Dumfrieshire, le poète doit s’aliter en juin 1796. C’est à cette époque qu’il reçoit la visite du Révérend James MacDonald, un radical, qui, après un dîner avec le poète, n’hésite pas à décrire ce dernier, dans son carnet, comme un « républicain invétéré ». Burns aurait-il conservé ses convictions intactes ? On n’en saura pas davantage, malheureusement, car le poète meurt deux mois plus tard, le 16 juillet 1796, d’une inflammation de l’endocarde. Dix jours plus tard, son corbillard est accompagné par une délégation des « Volontaires de Dumfries », dont les trois tirs de volée, mousquetés au ciel lors de la descente du cercueil, planent toujours, comme un soupçon de poudre et de mystère pour la postérité.

Should auld acquaintance be forgot,
and never brought to mind ?
Should auld acquaintance be forgot,
and auld lang syne ?

For auld lang syne, my jo,
for auld lang syne,
we’ll tak’ a cup o’ kindness yet,
for auld lang syne.9

Ainsi résonne le chant d’adieu du barde écossais.

Au moment de conclure, une chose demeure certaine : au grand dam des propagandistes de tout poil, Burns, le poète, n’était pas un idéologue. Il possédait, certes, une bonne culture politique, ainsi qu’une conscience de classe aiguisée et de l’estime pour les vieilles causes politico-religieuses de l’histoire écossaise. Tout cela aurait pu préparer Burns à devenir un fervent révolutionnaire. Il semblerait qu’il ait suivi cette voie jusqu’à un certain point. Cependant, le barde ne souhaitait pas se faire martyr. A la fin de sa courte de vie, inquiet de protéger sa famille, effrayé par la répression et écartelé entre deux classes sociales —entre la paysannerie indépendante de sa jeunesse et le service confortable de la couronne— il préféra louvoyer, quitte à obscurcir le message qu’il légua aux générations futures.
 
Ce faisant, il n’en reste pas moins que les éclairs les plus vifs et les plus passionnés jamais lancés par le poète continuent d’illuminer les satires subversives de sa jeunesse et les grands hymnes révolutionnaires de sa (trop brève) maturité. « The Twa Dogs », « Scots wha hae », « A Man’s a Man »  : ces vers ont bâti l’identité d’une nation —l’Ecosse— et soulevé l’imaginaire d’une classe, des dockers de Glasgow aux spartakistes berlinois. Ne serait-ce qu’à ce titre —celui de sa muse égalitaire— le barde écossais mérite incontestablement sa place dans le grand panthéon des auteurs révolutionnaires.

Sources

  1. Levez-vous, mes enfants ! Déployez votre ardeur,
    Pour faire rendre son écuelle à la vieille Ecosse ;
    Ou, ma foi, je parie le curoir neuf de ma charrue,
    Qu’avant peu vous verrez
    Qu’elle vous apprendra, avec un petit couteau fumant,
    Une autre chanson.

    Ces temps-ci elle a été de mauvaise humeur,
    La perte de sa milice lui a allumé le sang ;
    (Que le diable ne les laisse plus jamais prospérer,
    Ceux qui lui ont joué ce tour)
    Et à présent elle parait devoir devenir tout à fait folle
    Au sujet de son whisky.

    Et, Seigneur, si une fois on l’y pousse.
    Elle retroussera sa jupe de tartan.
    Et, poignard et pistolet à la ceinture,
    Elle courra les rues,
    Et plongera son petit couteau jusqu’à la poignée
    Dans le premier qu’elle rencontrera.

    Pour l’amour de Dieu, messieurs parlez-lui donc avec douceur
    Et caressez-la légèrement et pas à contre-poil :
    Et rendez-vous à la grand’chambre
    En toute hâte,
    Et efforcez-vous, avec tout votre esprit et tout votre savoir,
    D’y porter remède.

    (Traduction par Léon de Wailly, 1843)

  2. Ecosse ! mon cher sol natal,
    Pour qui mon vœu fervent est adressé au ciel,
    Puissent longtemps tes robustes enfants,
    Jouir de santé, de paix et du doux contentement !
    Puisse le ciel préserver leur simple vie
    De la contagion du luxe, faible et vil,
    Alors, quoique les couronnes et les fleurons soient brisés.
    Une vertueuse populace peut s’élever cependant,
    Et dresser un mur de feu autour de son île bien-aimée.
     
    Toi, qui versas le torrent patriotique
    Qui coulait dans le cœur indompté de Wallace,
    Lequel osa noblement tenir tête à l’orgueil tyrannique,
    Ou noblement mourir, second rôle glorieux
    Tu es particulièrement le dieu du patriote,
    Son ami, son inspirateur, son tuteur et sa récompense,
    Oh, jamais, jamais n’abandonne l’’Ecosse ;
    Mais que toujours les patriotes et les bardes
    Se succèdent avec éclat pour son ornement et sa défense
     
    (Traduction par Léon de Wailly, 1843)

  3. CÉSAR.
    Mais aussi de voir comme vous êtes dédaignés,
    Insultés, maltraités et méprisés !
    Seigneur Dieu ! mon cher, notre gentry se soucie si peu
    Des gens qui bêchent et qui piochent, et de pareil bétail ;
    Ils passent aussi arrogants près des pauvres gens
    Que je ferais près d’un blaireau pourri.

    J’ai remarqué, le jour où notre laird rend la justice,
    Et bien souvent j’en ai eu le cœur triste,
    Tout ce que ces pauvres diables de tenanciers sans argent
    Ont à souffrir d’injures d’un agent :
    Il frappe du pied et menace, sacre et jure :
    Il les fait arrêter, saisit leur avoir ;
    Et eux doivent se tenir debout d’un air humble,
    Et tout entendre, et craindre, et trembler.
    Je vois comment vivent ceux qui ont de la fortune
    Mais certes les pauvres gens doivent être bien malheureux !

    (Traduction Léon de Wailly, 1843)

  4. CESAR

    Eh, mon garçon, vous n’êtes guère au fait ;
    Au bien de la Grande-Bretagne ! Bon Dieu,
    Si vous disiez plutôt : allant où les premiers ministres le conduisent.
    Et prenant les opinions qu’ils lui dictent :
    S’étalant aux opéras et aux théâtres.
    Empruntant, jouant, se masquant :
    Ou peut-être bien, dans un joyeux caprice,
    Il pousse jusqu’à La Haye ou Calais.
    Pour faire un tour, une excursion.
    Apprendre le bon ton et voir le monde.

    Là, à Vienne ou à Versailles.
    Il fait force brèches aux vieilles économies de son père ;
    Ou bien il prend la route de Madrid
    Pour racler la guitare et combattre des taureaux ;
    Ou bien il court les sites de l’Italie.
    Pourchassant les filles de joie sous les bois de myrtes :
    Puis il boit les eaux bourbeuses de l’Allemagne
    Pour se donner meilleure mine et s’engraisser,
    Et effacer les fâcheuses conséquences
    Des dons d’amour des signoras de carnaval.
    Au bien de la Grande-Bretagne ! A sa destruction !
    A force de dissipation, de discordes et de cabale.

  5. J’étais la reine de la belle France, 
    Où j’étais heureuse ; 
    Je m’éveillais toute légère le matin. 
    Et me couchais aussi gaie le soir : 
    El je suis la souveraine de l’Ecosse , 
    Où il y a bien des traîtres ; 
    Pourtant je languis ici dans des liens étrangers , 
    Et dans un souci sans fin. 

    Mais quant à toi, femme fausse, 
    Ma sœur et mon ennemie , 
    L’affreuse Vengeance, pourtant, aiguisera une épée 
    Qui te traversera !e cœur : 
    Le sang qui pleure dans le sein de la femme 
    Ne te fut jamais connu, 
    Ni le baume qui coule sur les blessures du malheur, 
    De l’œil compatissant de la femme. 

    (Traduction Léon de Wailly, 1843)

  6. Écossais, héros de Wallace,Féaux de Bruce, de l’audace !
    Pour vous le lit de la disgrâce,
    A défaut de victoire !    
     
    Voici le jour et voici l’heure ;
    Voyez les lueurs du champ d’honneur
    Voyez Édouard l’air supérieur —
    Les fers du désespoir !
     
    Qui donc a l’âme du félon ?
    Qui donc pour la fosse aux fripons ?
    Qui donc les serviles poltrons ?
    Qu’ils décampent et s’enfuient !
     
    Qui pour l’Ecosse, son roi, sa loi,
    L’épée libérée brandira ?
    Celui qui librement se bat :
    Qu’il me suive en ami !
     
    Par les malheurs de l’oppression !
    Par vos enfants en sujétion !
    Nos tendres veines couleront
    Pour les faire affranchir !
     
    A bas l’usurpateur honni !
    La curée pour la tyrannie !
    Que chaque souffle ensemble crie :
    Vivre libre ou mourir !
     
    (Traduction de l’auteur)

  7. Est-ce l’honnête pauvretéQui le tient courbé comme ça ?
    Le lâche esclave il faut tancer,
    Osons, les pauvres ! Ça ira !
     Ça ira, Ça ira !
     Nos travaux humbles, ça ira !
     Le rang n’est rien que le papier
     Mais l’homme est l’or, ah ça ira !
     
    Qu’importe nos dîners frugaux
     Nos fracs râpés, ah ça ira !
     Aux gros la soie et le Bordeaux
     L’homme n’est qu’homme et s’en ira !
    Ça ira, Ça ira !
     Leur beau numéro, s’en ira !
     L’honnête homme est toujours si pauvre
     Mais roi des hommes il ira !
     
    Voyez celui qu’on nomme un Lord
     Ce paon crâneur, ah ça ira !
     A ses mots se suspend la horde
     Ah, ce bouffon, il s’en ira !
    Ça ira, Ça ira !
     Avec ses titres, s’en ira !
     L’homme à l’esprit indépendant
     Il en ri bien car ça ira !
     
    Un roi peut faire un chevalier
     Un marquis, duc, ah ça ira !
     Mais l’humble peut les mépriser
     Si, foutre ! il se tourne et s’en va !
    Ça ira, Ça ira !
     Leur distinction s’en ira,
     Si le mérite et le bon sens
     Les outrepassent ça ira !
     
    Alors prions pour l’éclosion
     (qui éclora car ça ira !)
     D’un monde imprégné de raison
     Et de talent et ça ira !
     Ça ira, Ça ira !
     Ça vient, ça vient, et ça ira !
     Quand tous les hommes sur la terre
     Seront des frères, ça ira !
     
    (Traduction de l’auteur)

  8. La Gaule hautaine nous menace d’une invasion ?
    Eh bien, que les chenapans y prennent garde, monsieur,
    Il y a une muraille de bois sur nos mers,
    Et des volontaires sur le rivage, monsieur.
    Le Nith courra vers Corsincon,
    Le Criffel s’abimera dans Sohvay,
    Avant que nous permettions à un ennemi étranger
    De se rassembler sur le sol breton !

    Oh, ne soyons pas comme des chiens hargneux,
    Divisés et en querelle ;
    Jusqu’à ce que tout d’un coup entre un franc chenapan
    Qui nous mette d’accord avec un bâton.
    Que la Bretagne soit toujours fidèle à la Bretagne,
    Soyons unis entre nous ;
    Car ce n’est jamais que par des mains bretonnes
    Que les torts des Bretons doivent être redressés.

    Dans la chaudière de l’Eglise ou de l’Etat,
    Il peut se faire qu’une pièce manque ;
    Mais du diable si un coquin de chaudronnier étranger
    Y fera entrer un clou.
    Le sang de nos pères a payé cette chaudière :
    Et qui oserait la gâter,
    Par le ciel, le chien sacrilège
    Servira de combustible pour la faire bouillir.

    Le misérable qui reconnaîtrait un tyran,
    Et le misérable, son digne frère,
    Qui voudrait mettre la populace au-dessus du trône,
    Puissent-ils être damnés ensemble !
    Qui ne chantera pas « Dieu sauve le roi »
    Sera pendu aussi haut que le clocher ;
    Mais tout en chantant « Dieu sauve le roi »
    Nous n’oublierons jamais le peuple.

    (Traduction Léon de Wailly, 1843)

  9. Faut-il nous quitter sans espoir,
    Sans espoir de retour,
    Faut-il nous quitter sans espoir
    De nous revoir un jour

    Ce n’est qu’un au-revoir, mes frères
    Ce n’est qu’un au-revoir
    Oui, nous nous reverrons, mes frères,
    Ce n’est qu’un au-revoir

    (Traduction Jacques Sevin, 1920)
Crédits
Sources françaises
–Angellier, Auguste, Les œuvres de Robert Burns (Paris, 1893),
–Crapoulet, Jean-Claude, Poésies de Robert Burns (Paris, 1994).
–De Wailly, Léon, Poésies complètes de Robert Burns (Paris, 1843).
–Tholoniat, Yann, Robert Burns. La Plume et le Panache (à paraître).
–Wilson-Costa, Karyn, Robert Burns : Le Poète et ses Doubles (Lyon, 2009).

Sources britanniques
–Marilyn Butler, ‘Burns and Politics’, in Robert Crawford (ed.), Robert Burns and Cultural Authority (Edinburgh, 1997), pp.85-106.
–Carruthers, Gerard, (ed.), The Edinburgh Companion to Robert Burns (Edinburgh, 2009).
–Crawford, Robert, The Bard. Robert Burns : A Biography, (London, 2009).
–McIlvanney, Liam, Burns the Radical. Poetry and Politics in Late Eighteenth-Century Scotland (East Linton, 2002).
–Murray Pittock (ed.), The reception of Robert Burns in Europe, (London, 2014).
–Murray Pittock (ed.), Robert Burns and Global Culture (Lewisburg, 2011).
–Simpson, Kenneth, The Protean Scot. The Crisis of Identity in Eighteenth Century Scottish Literature (Abderdeen, 1988).
–Stewart, William, Burns and the Common People (Glasgow, 1910).
–Whatley, Christopher, Immortal Memory. Burns and the Scottish People (Edinburgh, 2016).
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