Washington. La mouvance démocrate à Hong Kong a récemment gagné deux victoires majeures. 

D’abord, des partis démocrates ont nettement remporté les élections du 24 novembre aux District Councils (« les Conseils ») et désormais disposeront d’une majorité incontestée de 347 sièges, contre 60 pour le camp pro-Pékin et 45 pour les indépendants. Un score inédit pour les partisans du suffrage universel et des droits humains, qui auront par conséquent une présence dominante dans 17 des 18 Conseils ; ils étaient minoritaires dans tous les 18 avant le vote.

Ensuite, le président américain a signé deux actes dotant le Département d’État (State Department) de l’autorité de réévaluer, chaque année, le régime commercial spécial qui gouverne les échanges États-Unis-Hong Kong, et de recommander sa révision (voire sa dissolution) au cas où l’autonomie du territoire se serait suffisamment dégradée. De plus, la législation nouvelle interdit aux entreprises américaines d’exporter aux autorités hongkongaises du gaz lacrymogène, du spray anti-agression, et d’autres outils de la répression publique.1

Mais qu’est-ce que tout cela peut changer sur le terrain ? Très peu, peut-être. 
Ou alors beaucoup.

À première vue, le séisme électoral de la semaine dernière ne peut avoir qu’un impact très faible sur le gouvernement hongkongais. Les Conseils sont des restes du système colonial britannique — essentiellement consultatifs, créés pour donner aux citoyens une faible lueur de participation civique. Leurs seuls canaux pour influencer le gouvernement hongkongais consistent à sélectionner cinq des 70 membres du Legislative Council (ou « LegCo ») et 117 des 1 200 membres de la comité électorale qui choisit, tous les cinq ans, le président exécutif (chief executive). 

Les autres membres de ce comité représentent le consensus des partenaires sociaux de Hong Kong2 : les grandes entreprises, les syndicats, les regroupements professionnels et le LegCo — une formule qui produit des chief executives pro-Pékin depuis plus de vingt ans. Ainsi, même si chacun des 117 électeurs que choisiront les Conseils en 2022 étaient des démocrates, ils ne feraient pas le poids pour contrecarrer une coalition d’intérêts qui voit en Pékin l’opportunité de s’enrichir ad infinitum, et pour laquelle la mouvance démocrate semble au mieux imprévisible et au pire menaçante.3

En bref, la victoire des démocrates aux urnes est presque entièrement symbolique. Mais dans ce cas, le symbolisme a une importance profonde.  

Les élections aux Conseils sont le moyen le plus direct dont disposent les Hongkongais pour s’exprimer politiquement. Et, cette fois, ils n’ont rien laissé aucune place aux interprétations divergentes. Malgré les violences et les perturbations des derniers mois, les Hongkongais ont signalé leur soutien aux démocrates et aux manifestants à voix haute et claire.4

Bien sûr, Pékin fait de son mieux pour obscurcir ce signal. Les journaux officiels chinois ont versé beaucoup d’encre pour convaincre leurs lecteurs que la victoire des démocrates n’a rien eu à voir avec la volonté du peuple et que, au contraire, la « main noire » de l’influence étrangère a manipulé des naïfs et soudoyé des traîtres pour obtenir ce résultat.5 Mais dans cet effort de propagande il n’y a rien de surprenant — non uniquement à cause de la situation immédiate dans l’ancienne colonie britannique, mais pour des raisons plus existentielles. 

Par son rejet du système communiste chinois et de ses porte-drapeaux, Hong Kong a miné (de manière très visible) l’image de la Chine forte, culturellement unifiée, et capable de gagner les esprits et même la soumission de capitalistes occidentalisés. Le scrutin de la semaine dernière porte, au moins, un coup superficiel au projet d’hégémonie régionale de Xi Jinping. Plus concrètement, le vote a dynamisé les formations anti-Pékin à Taiwan, ce qui frustre davantage l’effort de la métropole pour réabsorber sa province rebelle en douceur, selon le même modèle « un pays, deux systèmes » qui provoque tant de rage à Hong Kong.6

Et comme si cela n’était pas suffisant, les deux lois promulguées aux États Unis constituent une critique publique de la gestion chinoise de la situation à Hong Kong et compliqueront sans doute les négociations déjà très tendues entre les deux nations pour mener leur guerre commerciale à sa fin.

Alors… qu’en tirera la Chine ?

Pour le dire en bref, la mouvance démocrate à Hong Kong est pour la Chine une migraine qui s’empire sans cesse. Chaque jour qu’elle durera, cette migraine sèmera de l’embarras et de la complexité dans d’autres sphères des politiques nationales et étrangères. 

Si les événements de la semaine dernière accroissent les manifestations (soient paisibles, soient violentes), la Chine interviendra, mais son outil de choix ne sera probablement pas l’Armée populaire de libération. Il est beaucoup plus probable (pour des raisons aussi publicitaires que juridiques) que Pékin rattachera quelques unités de sa gendarmerie redoutable à la Police de Hong Kong, qui se sert de plus en plus de ses armes ses dernières semaines7, et dont le nouveau Commissaire a récemment rejeté toute accusation de brutalité policière et traité de simples « slogans » les fameuses cinq demandes des manifestants.8

La présence de la Police armée du peuple (« la PAP ») — dont l’historique inclut des répressions sur la place Tiananmen, au Tibet, et actuellement au Xinjiang9 — serait le signe d’une transformation fondamentale dans l’orientation de la Chine envers sa province troublée. Et si Tiananmen, le Tibet et le Xinjiang permettaient d’anticiper l’avenir, les efforts de la PAP seraient bien en mesure de pacifier Hong Kong.

La question clef consiste donc à savoir quand et si les coûts politiques nationaux et internationaux seront assez lourds pour pousser Pékin à l’acte.

Et si cela arrive, qu’en fera le monde libre ?

Sources
  1. RUWITCH John, BRUNNSTROM David, ZENGERLE Patricia and SPETALNICK Matt, Trump signs Hong Kong bills ; Beijing vows retaliation : Now what ?, Reuters, 27 novembre 2019.
  2. CHEN Albert Hung Yee, The Executive Authorities and the Legislature in the Political Structure of the Hong Kong SAR, Academic Journal of “One Country, Two Systems, No. 1, Vol. 4. July, 2011.
  3. KINLING Lo, Hong Kong election success for pro-democracy camp gives Beijing a headache when dealing with ‘kingmaker’ tycoons, South China Morning Post, 28 novembre 2019
  4. McLAUGHLIN Timothy, Hong Kong Doesn’t Have a ‘Silent Majority’, The Atlantic, 25 Novembre 2019.
  5. RENNIE David, Why Chinese officials imagine America is behind unrest in Hong Kong, The Economist, 15 aout 2019.
  6. ZHENG Sarah, CHUNG Lawrence, Hong Kong protests are a game changer – for Taiwan, Inkstone News, 26 aout 2019.
  7. Mainland’s armed police can back Hong Kong police in protests, says professor, South China Morning Post, 2014.
  8. LEUNG Christy, New Hong Kong police chief Chris Tang tells residents : the force cannot end the protests alone, South China Morning Post, 19 novembre 2019.
  9. YIP Hilton, China’s Paramilitary Police Could Crush Hong Kong, Foreign Policy, 6 aout 2019