Téhéran. Depuis qu’internet a été intégralement coupé en Iran le 17 novembre à la suite de manifestations qui ont éclatées en raison d’une multiplication par trois du prix de l’essence (le 15 novembre), il est très difficile d’obtenir des informations sur ce qui se passe actuellement. Les seuls médias encore accessibles sont des agences de presse et journaux fortement contrôlés par le gouvernement iranien. Cependant, selon le projet Netblocks, dont le graphique sur le niveau de connexion à internet de l’Iran a été repris par tous les commentateurs de la situation politique en Iran, la plupart des régions du pays ont été re-connectées à Internet au cours de la journée du 23 novembre1. Nous assurerons un suivi des informations qui circulent en persan sur la page Twitter du programme Asie intermédiaire du Groupe d’études géopolitiques.

La ligne officielle du régime iranien, au cours de cette semaine, consistait à dire que les manifestants étaient des fauteurs de trouble qui créaient du chaos (âchoub ou éghtéchâch) diabolique (achrâr), des ennemis (dochman) de la nation iranienne (méllat-é irân). Certaines agences de presse ont même comparé la répression de ces manifestations à l’Opération Mersâd, à la fin de la guerre Iran-Irak, en juillet 1988, au cours de laquelle l’Iran a remporté une victoire décisive en repoussant une offensive à laquelle participaient les Moudjahiddines du peuple, organisation révolutionnaire iranienne qui a soutenu Saddam Hussein pour tenter de renverser la République islamique.

En somme, dans ce narratif, tout manifestant est présenté comme un traître à la nation qui pactise avec l’ennemi et contre lequel il faut mener une guerre impitoyable. Les rares informations fiables, bien que parcellaires, proviennent d’Amnesty Iran, qui a compté au moins 115 manifestants tués pendant les manifestations2, et Iran Human Rights, qui considère qu’au moins 1000 personnes ont été arrêtées3. Ces chiffres sont bien entendu temporaires et seront très probablement réévalués à la hausse au cours des prochains jours.

Si l’on ne peut pas apporter à présent davantage de détail sur la situation actuelle, les épisodes dramatiques de la semaine dernière, probablement les plus importants depuis les manifestations de juin 2009, nous permettent de tirer trois conclusions provisoires.

Premièrement, la taille rapidement critique des manifestations montre que les questions économiques sont particulièrement sensibles et que toute détérioration économique est susceptible d’avoir des conséquences politiques immédiates.

Deuxièmement, ces épisodes nous informent sur la sensibilité extrême des officiels iraniens sur les questions de maintien de l’ordre et de soulèvements populaires. En effet, Internet a été coupé beaucoup plus rapidement et radicalement que lors des manifestations de janvier 2018, dernier épisode de type insurrectionnel en Iran. De plus, les officiels iraniens ont montré la cohérence de leurs discours, puisque les supposés “réformistes” ont proposé un discours identiques à celui des “conservateurs”.

Troisièmement, l’épisode montre les impasses de la politique des sanctions américaines et de la pression maximale, qui s’accompagne d’une grande maladresse dans la communication des officiels iraniens. Ainsi, le compte officiel de Mike Pompeo a écrit un tweet en persan invitant les manifestants iraniens à envoyer des vidéos de répression à l’administration américaine 4. Ces déclarations n’aident pas la population iranienne à conquérir de nouveaux droits politiques, mais en fait les otages du régime iranien et alimente le discours de la répression brutale et sanglante. En somme, en écartant toute transition paisible, elle oblige la population iranienne soit à subir la répression, soit à tenter de renverser le régime, ce qui, en l’état actuel, ne pourrait que prendre la forme d’une guerre civile chaotique et extrêmement brutale. Aucun de ces scénarios ne semble souhaitable.

Sources
  1. Netblocks, 23 novembre 2019, “Internet being restored in Iran after week-long shutdown”, https://netblocks.org/reports/internet-restored-in-iran-after-protest-shutdown-dAmqddA9
  2. Amnesty, 23 novembre 2019 https://twitter.com/amnesty/status/1198196624062844928
  3. Iran HUman Rights, 23 novembre 2019, https://twitter.com/ICHRI/status/1197899811355340800
  4. https://twitter.com/SecPompeo/status/1197659041465602048