L’Iran est secoué depuis trois jours par un important mouvement de contestation. Il fait suite à l’annonce d’une hausse des prix de l’essence vendredi : le prix devrait augmenter de 50 % pour les 60 premiers litres, et de 300 % pour les litres suivants. Selon le Président Rohani, cette mesure servira à financer des aides aux personnes souffrant des sanctions américaines. L’annonce a immédiatement déclenché des manifestations dans plusieurs villes du pays1.

La population iranienne avait jusqu’alors accès à de l’essence très bon marché grâce à des subventions de l’État. Ces subventions ont une place importante dans l’économie iranienne, et ont jusqu’ici permis d’empêcher la montée d’une contestation sociale capable de menacer le régime, face au grave ralentissement économique, dans une sorte de modus vivendi entre le régime et la population. La chute de la rente pétrolière du pays pose cependant la question du financement de l’État social iranien : le rationnement de l’essence avait déjà été évoqué l’année dernière par le gouvernement, mais avait été abandonnée devant l’impopularité de la mesure.

Plusieurs mouvements sociaux ont éclaté en Iran depuis le retour des sanctions, notamment en janvier 2018, mais restaient circonscrits à certaines régions ou à certains secteurs d’activité. Celui-ci semble avoir essaimé dans toutes les grandes villes, y compris la capitale, où les autoroutes ont été bloquées. Il se distingue également par sa violence : des stations-essences et d’autres infrastructures auraient été détruites, des échanges de tirs ont été rapportés, ainsi que de nombreux blessés, et la mort d’un policier et de plusieurs manifestants2. Par ailleurs, l’accès à internet, déjà fortement contrôlé par la censure, semble avoir été coupé ou très fortement ralenti, ce qui indique que le mouvement est pris très au sérieux par les autorités.

Alors que l’Iran semblait en position de force dans la région depuis l’attaque des installations pétrolières d’Abqaïq et de Khurais en Arabie Saoudite (revendiquée par les Houthis mais attribuée à l’Iran par les États-Unis), et le retrait progressif des forces américaines de Syrie, sa sphère d’influence semble désormais mise à l’épreuve. En Irak, le mouvement prend une coloration anti-iranienne, Téhéran étant accusé de téléguider les partis chiites au pouvoir et les milices, qui répriment très violemment la contestation. Certains y voient la main du Général Soleymani, commandant de la force Al-Qods (chargée des opérations extérieures) des Gardiens de la Révolution iraniens3. L’ayatollah Sistani, plus haute autorité chiite du pays, qui avait jusqu’ici affiché sa proximité avec le président iranien, a pris partie pour la contestation contre le pouvoir4. Le consulat iranien a également été pris pour cible par les manifestants à Kerbala, haut-lieu de l’Islam chiite. Au Liban, le Hezbollah, solide allié de Téhéran, en particulier sur le théâtre syrien, n’échappe pas non plus à la contestation contre le pouvoir en place.

Dans sa confrontation avec les États-Unis, l’Iran est de plus en plus isolé. Les relations bilatérales avec la France, qui avait pris la tête des efforts de conciliation pour sortir de la crise, continuent de se dégrader suite à l’emprisonnement de deux chercheurs français en juin et juillet derniers.

L’Iran, qui s’affranchit progressivement de ses obligations issues de l’Accord de Vienne sur le nucléaire, semble avoir franchi un point critique le 6 novembre, en reprenant l’enrichissement d’uranium dans les centrifugeuses de Fordow5. Ce site est l’un des plus controversés du programme nucléaire iranien : construit sous terre et en secret sur le site d’une ancienne base des Gardiens de la Révolution, il a concentré les soupçons d’une possible dimension militaire du programme. Les européens signataires de l’accord (la France, le Royaume-Uni et la Commission Européenne) semblent ne plus exclure de prendre des mesures de rétorsion face à ce qui est perçu comme une véritable menace de prolifération6. Des traces d’uranium dans un site non déclaré ont également été découvertes par l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique), ce qui pourrait indiquer une violation antérieure de l’accord. Dans ces conditions, les autres signataires de l’accord, Russie et Chine, jusqu’ici relativement proches de Téhéran, pourraient à leur tour changer d’attitude.

Téhéran a jusqu’à présent refusé de revenir à la table de négociations en position de faiblesse. La perspective d’un déblocage de la situation s’éloigne donc, à moins d’une concession importante de la part des États-Unis, ou si le mouvement, en se politisant, menace la survie du régime.

Perspectives

  • L’horizon des élections législatives en février 2020 divise la classe politique iranienne sur l’attitude à adopter face à la contestation.
  • Les autorités iraniennes ont pour habitude de criminaliser les mouvements sociaux sur la base de motifs sécuritaires. Esmail Bakhshi et Sepideh Gholian, leaders du mouvement des ouvriers de l’usine Haft Tapeh dans le sud du pays en novembre 2018, ont ainsi été arrêtés pour « atteinte à la sécurité de l’Etat », et ont affirmé avoir été torturés en prison avant la diffusion d’ « aveux » à la télévision publique iranienne7. Les dernières déclarations du Guide Suprême, Ali Khamenei, qui accuse une ingérence extérieure et affirme la détermination des autorités à rétablir l’ordre8, ouvrent la voie à une répression très violente.