S’il fallait en choisir une seule, quelle est la politique promue par Anne Hidalgo que vous entendriez continuer si vous êtes élu ?
C’est une question difficile… Je pense que je m’inscrirais dans cette volonté politique de lutter contre la pollution atmosphérique. Même si les résultats à ce stade sont décevants, l’intention est louable. C’est le chemin qu’il faut suivre, en faisant différemment sur la forme et la méthode.
Quels sont les leviers qui vous permettraient de réussir dans votre action, là où vous considérez que la précédente mandature n’a pas réussi ?
(Rires.) Il faut toujours être modeste quand on s’engage en politique. Évidemment il faut tout faire pour réussir, mais on n’a jamais la garantie d’y parvenir. D’abord, il y a une question d’état d’esprit. Je pense qu’il ne faut pas concevoir la lutte contre la pollution atmosphérique comme une guerre, mais comme quelque chose qu’on doit chercher à atteindre collectivement et positivement. C’est essentiel, parce que si l’on ne fait pas cela, on donne le sentiment qu’il y a des gagnants et des perdants. Or, je pense que tout le monde a intérêt à y gagner. Il ne faut pas donner l’impression que nous sommes dans une dialectique du bien contre le mal. C’est la première chose.
La deuxième chose, c’est qu’il faut fournir des solutions aux gens avant de les priver d’un certain nombre de services ou de restreindre leur mobilité. Cela signifie que la priorité numéro une réside, selon moi, dans le développement des transports collectifs. Je pense que c’est là que l’on doit investir avant tout, avec la Région Île-de-France, avec la Métropole du Grand Paris, c’est essentiel.
Et troisièmement, cette politique doit être totalement partenariale, elle doit être envisagée à l’échelle de ce qu’est vraiment la ville : la zone dense urbaine, la Métropole du Grand Paris.
Quels sont les leviers plus généraux, au-delà du registre écologique, sur lesquels vous pensez qu’Anne Hidalgo n’insiste pas assez ?
Je pense qu’elle a commis deux erreurs, qui d’ailleurs se situent aux deux bouts d’une même échelle.
La première, c’est qu’elle n’a pas assez considéré qu’être maire de Paris, c’est être le maire des détails de la vie des Parisiens. Quand je parle de détails, je pense à l’entretien des rues, l’esthétisme du quotidien, les murs, etc. Il s’agit de l’environnement immédiat des Parisiens. Anne Hidalgo l’a négligé, ou donné le sentiment de le négliger. Et donc je pense qu’elle n’a pas assez utilisé l’écoute directe des habitants pour essayer d’améliorer leur quotidien.
La deuxième chose, c’est qu’elle n’a pas du tout utilisé le levier de la construction de la métropole parisienne. On n’a pas progressé d’un iota au cours de son mandat sur l’intégration métropolitaine, et c’est trop facile de dire que c’est de la faute de l’État. Elle avait la responsabilité, si ce n’est le devoir, d’être moteur sur le sujet et elle ne l’a pas fait.
À cet égard justement, quelle est votre vision pour le Grand Paris et votre rapport avec Paris 2024 que nos analystes décrivent comme un processus de « métropolisation sans métropole » ?
C’est une expression très juste !
Plus précisément, Raphaël Bonet et Felipe Bosch affirment dans « Paris 2024 : une métropolisation sans métropole ? » paru le 29 septembre dans Le Grand Continent que l’état actuel de la Métropole du Grand Paris complexifie une gouvernance métropolitaine déjà chaotique, avec les communes, Établissements Publics Territoriaux, départements, métropole et région qui jouent des coudes et craignent de se voir dépossédés de leurs compétences. La gouvernance territoriale serait inefficace de par sa complexité, empêtrée dans un « millefeuille administratif » qui paralyserait les efforts de rapprochement escomptés. Les organisateurs du Grand Paris se seraient dès lors repliés sur une intégration infrastructurelle et économique au détriment d’un effort de construction politique.
Je souscris à cette analyse. Aujourd’hui, il y a une zone dense urbaine avec des habitants qui vivent ou travaillent dans cette métropole et qui même, culturellement, se considèrent comme Parisiens — qu’ils soient d’un côté ou de l’autre du périphérique. Quand on est à New-York et qu’on croise quelqu’un qui se dit Parisien, il n’habite pas forcément dans l’un des vingt arrondissements de Paris. Il peut venir de Versailles, du Chesnay, ou de Créteil, mais il se sent Parisien. Il s’agit, dès lors, d’une ville plus large mais sans maire, sans politiques publiques. L’objectif doit donc être de donner à ce qu’est la réalité de la ville aujourd’hui, que ce soit pour ses habitants ou dans l’espace urbain, un maire. Il y a un déni de démocratie aujourd’hui. On a un espace géographique, économique, social et culturel qui ne s’incarne pas démocratiquement. Y remédier nécessite du courage. Il faut, d’une part, que les candidats, dans toutes les villes qui composent la métropole, disent : « Nous serons les derniers. ». Moi, c’est ce que je dis. Je veux être le dernier maire de Paris. Je souhaite que la prochaine fois, il y ait un maire qui soit élu au suffrage universel — je l’espère direct — dans une aire repensée. On pourrait imaginer un mode de scrutin simplifié au profit d’une gouvernance globale, unique et intégrée, de la métropole du Grand Paris. Et d’autre part, il faut que l’État prenne sa responsabilité juridique de changer la loi à Paris, à Lyon et à Marseille, où se pose la même problématique. On peut d’ailleurs prendre exemple de ce point de vue-là sur ce qu’avait fait Lyon, où le département et la métropole ont fusionné. À Paris, il faudrait certainement fusionner les compétences de la Région, des départements et de la ville dans la Métropole du Grand Paris, avec une gouvernance unique.
Paris est à la fois une ville qui rayonne à l’échelle internationale et à l’échelle européenne. Mais Paris rayonne avant tout en France. Elle est la capitale de tous les Français. Se pose, dès lors, la question de la responsabilité du maire de Paris vis-à-vis du reste du pays. Quelle devrait être pour vous l’articulation adéquate entre la capitale puissance locale, nationale et mondiale ?
On a parlé de la responsabilité de Paris vis-à-vis de la métropole. Il y a un autre sujet dont on parle beaucoup moins : la responsabilité de Paris vis-à-vis de l’Hexagone. Il faut savoir que Paris doit beaucoup à la France dans son ensemble : 80 % des Parisiens ne sont pas nés à Paris. Les personnes nées à Paris sont donc minoritaires. Il faut faire attention, car si l’on ne bouge pas, la situation peut changer. En effet, la ville de Paris est de plus en plus inaccessible pour les nouveaux entrants. Les prix de l’immobilier sont extrêmement prohibitifs. Il devient très difficile de s’installer à Paris pour ses études, d’y fonder ou d’y faire grandir une famille. Je pense donc que Paris doit s’agrandir d’une part, et continuer à se renouveler du point de vue architectural et immobilier d’autre part. Sinon, Paris va se refermer sur elle-même. Or, elle ne peut être qu’une ville ouverte au monde et à l’Europe, mais surtout une ville ouverte à toute la France.
Ensuite, Paris doit continuer à contribuer au développement du pays dans son ensemble, à la fois de façon financière, mais elle le fait déjà beaucoup à travers des mécanismes de péréquation, et à la fois en termes de rayonnement. Elle ne doit pas se construire contre les autres, mais plutôt être un laboratoire de politiques publiques pour le reste de la France. Elle doit aussi et surtout regarder ce qui a été fait dans d’autres villes françaises, dont je m’inspire beaucoup dans ma compagne électorale : ce qui a par exemple été fait à Strasbourg en matière de vélos ; ce qu’ont fait pendant de nombreuses années Lille d’une part et Nantes d’autre part du point de vue culturel ; ce qui existe dans la ville de Bordeaux en matière d’urbanisme, etc. C’est quelque chose que l’on entend peu en ce moment et qu’il faut réaffirmer. Paris doit rester une ville ouverte à l’ensemble de la France, Paris doit continuer à servir de laboratoire pour toute la France, mais surtout Paris doit s’inspirer de toute la France pour son propre développement.
Les Gilets jaunes sont un peu l’illustration de la place de Paris dans l’imaginaire des Français. Paris reste un point de référence pour se manifester, même pour des personnes considérées comme éloignées de la capitale et qui se sentent exclues vis-à-vis du politique.
Paris reste la capitale économique, politique, culturelle et symbolique du pays. Tout le monde y converge pour une raison ou pour une autre.
D’ailleurs, pour ce qui est du rayonnement international de la ville, vous avez une position plutôt iconoclaste sur la question du tourisme…
Je pense que Paris doit être une ville attractive pour les entreprises, pour l’innovation économique, pour les artistes. En revanche, je pense qu’il ne faut pas que Paris se « Disneylandise ». Je veux dire que si on devient un parc d’attraction géant, les Français et Parisiens ne voudront plus y vivre, et même les touristes ne voudront plus venir. Qui a envie de vivre dans un parc d’attraction, entre le château de la Belle au bois dormant et la parade de Mickey ? Personne. Moi je n’ai pas envie que ma ville soit « instagramable » mètre après mètre. J’ai envie que ce soit juste une ville dans laquelle les gens peuvent vivre.
Les trois villes qui sont des repoussoirs en Europe de ce point de vue sont selon moi Barcelone, Rome et Venise. Je suis allé récemment à Florence aussi, la ville est très abîmée. Il faut que Paris reste une ville dans laquelle il y a des habitants, mais aussi une ville où il y a de la richesse et du tourisme. On est à une échelle totalement différente, mais New-York est à la fois une ville touristique et une capitale économique, culturelle, dans laquelle il y a des New-Yorkais. À Manhattan plutôt des jeunes actifs, et à Brooklyn, dans le Queens ou le Bronx, il y a énormément de familles.
D’ailleurs sur la question du tourisme, le Louvre accueillait pour la première fois en 2019 plus de 10 millions de visiteurs, ce qui en fait le musée le plus visité au monde. Ce chiffre est un défi en termes d’infrastructures, car le Louvre n’a pas été conçu pour être un musée.
Le ministère de la Culture et les directeurs successifs du Louvre n’ont pas réussi à sortir d’une ambiguïté : d’un côté, une fréquentation massive permet d’entretenir les collections et les bâtiments face à la réduction des subventions publiques, et d’un autre côté, cette fréquentation maximale non seulement abîme le musée en tant que tel, mais surtout détruit l’expérience muséale. Les anti-modèles sont les musées du Vatican à Rome ou les musées de Florence. Il faut plutôt s’inspirer du musée de Reina Sofia à Madrid, ou le MoMa que j’ai visité ce matin. Je trouve qu’ils ont trouvé un très beau compromis entre excellence de la collection et aération du bâtiment. On ne se sent pas submergés par la foule quand on est au MoMa ou au musée de la Reina Sofia. Au contraire, la visite du Louvre ne procure plus aucun plaisir. Je n’emmènerais pas mes enfants voir la Joconde. C’est épouvantable… Les Parisiens y vont peu également.
Pour rebondir sur la question de New-York, que vous citiez juste avant, Rudy Giuliani (maire de New-York de 1994 à 2001, ndlr.) constitue-t-il un exemple pour vous ?
Il y a deux maires de New-York qui sont des sources d’inspiration, pour des raisons totalement différentes : Rudy Giuliani et Michael Bloomberg.
Giuliani, parce qu’il a réussi à pacifier la ville et à lutter contre l’insécurité qui était la gangrène de New-York dans les années 70-80. Paris n’en est pas là, mais il y a à Paris ce qu’on appelle des « hot spots » d’hyper-violence et d’hyper-criminalité aux Halles, place de la Chapelle, etc. Ce sont des endroits dangereux et désagréables, alors qu’ils sont situés en plein cœur de Paris. Il va donc falloir rétablir une forme d’autorité si on veut arriver à améliorer les choses. Il va falloir, ce qui n’est jamais très facile en France, assumer que la sécurité est une priorité car c’est une condition de la liberté. C’est rare venant de la bouche de quelqu’un de gauche comme moi, mais je le dis sans aucune difficulté. Je pense que ce sont les quartiers populaires qui souffrent le plus de l’insécurité à Paris. Giuliani est donc une première source d’inspiration.
Ma deuxième source d’inspiration est Bloomberg, pour le développement économique, évidemment. Il a fait beaucoup pour New-York et son dynamisme, mais aussi pour la lutte contre les inégalités, puisqu’il a utilisé les sommes obtenues par le développement immobilier pour réduire la pauvreté. L’espérance de vie a augmenté à New-York, pas seulement mais notamment sous son effet. C’est aussi parce que lui a considéré que le développement de New-York ne se limitait pas à Manhattan et qu’il fallait le voir à grande échelle. C’est probablement ce qu’il faudra faire à Paris.
Quel sera l’effet du Brexit sur la ville de Paris ? S’agit-il d’une occasion que vous souhaitez saisir ? En quel sens ?
Le Brexit est une opportunité qu’il faut saisir de façon intelligente et non désordonnée, sinon cela risque de se retourner contre Paris et contre ses habitants. Il s’agit d’une opportunité, car les entreprises vont quitter Londres et vont avoir besoin de s’implanter sur la partie continentale de l’Union européenne. Cela a d’ailleurs commencé. Beaucoup de banques se sont relocalisées : Morgan Stanley, Bank of America, et d’autres. Ces déménagements sont positifs dans la mesure où ils apportent du pouvoir d’achat, des devises, peut-être même du patrimoine, et participent, ainsi, au dynamisme de la ville. Il faut donc accompagner ce phénomène. Il s’agit d’abord de préoccupations fiscales pour les personnes et entreprises concernées, et donc d’un sujet national. Paris peut, quant à elle, utiliser le levier fiscal sur la partie qui la concerne, mais elle est plus marginale. Le rôle de la ville est alors plutôt d’accompagner et d’aider ces entreprises à s’implanter. Son rôle est également d’accompagner l’arrivée de ces nouveaux habitants dans leur vie quotidienne, à travers la mise à niveau des services publics en matière d’éducation, de culture, de petite enfance, etc. Je pense que c’est un mouvement qui est enclenché et qu’il faut poursuivre.
Mais il faut faire attention à ne jamais donner le sentiment que les nouveaux Parisiens sont plus importants que les Parisiens présents depuis plusieurs générations, dont je fais partie. L’arrivée des Brexiters à Paris a quand même un effet économique très néfaste : la poursuite de l’augmentation des prix de l’immobilier. Les marchés londonien et parisien ne sont pas au même niveau — même si le second a fortement augmenté — et l’arrivée de ces gens au pouvoir d’achat quasi-illimité, du moins en apparence, pousse les prix à la hausse. Il faut donc faire attention à ce que la situation ne se retourne pas contre les Parisiens. Je pense que dans les deals qui sont noués avec les entreprises, il faut avoir une vision globale et trouver quelles peuvent être les contreparties dans les opérations immobilières qui vont être menées pour accueillir ces entreprises. Trouver un moyen de construire des logements en accession à la propriété, des logements pour les classes moyennes ou pour les personnes les plus pauvres. De la même manière, les investissements que la ville pourra faire pour l’éducation, pour les crèches, la petite enfance, devront pouvoir être compensés, notamment sur le marché de l’immobilier, par les entreprises concernées. Le Brexit est une très belle opportunité qu’il va falloir saisir.
Comment faudrait-il concevoir la relation de Paris avec les autres capitales européennes ?
Vis-à-vis de l’ensemble de l’Europe, j’ai eu le sentiment au cours de ces dernières années que Paris était davantage intéressée par la coopération mondiale, notamment sur la question du climat, que sur l’interaction européenne directe. Or les Parisiens sont d’abord des Européens. Et à un moment où l’Europe est traversée par des vents extrêmement négatifs, anti-démocratiques, populistes voire pour certains fascisants, je pense que Paris doit pouvoir être un refuge, concret si nécessaire, mais surtout intellectuel et culturel pour tous les Européens. Sans être nostalgique, je suis fasciné par le Paris des années 20 ou le Paris de l’après-Seconde Guerre mondiale, de ces moments où Paris a su être un refuge pour les artistes et intellectuels de l’Europe et du monde entier. Même si nous ne sommes pas aujourd’hui, et je touche du bois, dans la même situation, on devrait l’assumer davantage. Cela passe par l’accueil des artistes, mais aussi par l’accueil des étudiants étrangers. J’ai prévu un plan très volontariste de construction de résidences étudiantes à Paris — ce qu’on a quelque peu arrêté de faire — et de développement de la colocation, y compris intergénérationnelle.
Aussi, il y a un leadership qu’il faut assumer, en renforçant notre coopération avec toutes les villes européennes. Actuellement, Paris est jumelée avec une seule ville : Rome. On ne peut malheureusement pas dire qu’il y ait beaucoup d’accointances politiques avec la maire de Rome actuelle, mais il faut voir à long terme et la développer, peut-être avec d’autres villes, au-delà de Rome. L’Europe est l’ADN de Paris. Certaines initiatives n’ont pas été assez exploitées, comme par exemple le théâtre de l’Odéon, qui est le théâtre de l’Europe. Le nom est européen, la réalité beaucoup moins. On peut faire mieux en la matière.
Des problématiques communes émergent, la question d’Airbnb notamment. Ne faudrait-il pas trouver des cadres institutionnels communs pour les affronter ?
C’est une très bonne question. Ces cadres n’existent pas. Aujourd’hui, Paris participe à une sorte d’ONU des villes qui s’appelle Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU). Elle participe également au C40 qui est une organisation privée dont Bloobmerg fut à l’initiative. Paris participe aussi évidemment à l’Association des Maires Francophones (AMF), mais il n’y a pas de véritable cadre européen. Or, les villes européennes font face à des problématiques communes, notamment sur la question du logement, de la régulation du tourisme, du rapport aux GAFA, etc. Toutes les villes européennes sont menacées par les excès de l’uberisation : Airbnb, Uber, Deliveroo, Lime. Plutôt que de réagir chacun à sa manière et de son côté, on gagnerait certainement à échanger des bonnes pratiques, voire décider en commun. Surtout que ces entreprises sont très attentives, non pas à la morale ou à l’éthique, mais à la régulation des pouvoirs publics. Elles seraient, dès lors, obligées de corriger leur action.
Et puis après il y a des sources d’inspiration positives. Par exemple, il y a un sujet sur lequel Paris a beaucoup de retard : le tri sélectif, dans les immeubles mais aussi dans l’espace public. À Paris, il n’y a quasiment pas de poubelles « trilib’ » dans les rues, pour trier les déchets en fonction de leurs caractéristiques. Quand on va à Rome, à Florence, à Madrid, à Barcelone, il y a des espaces de tri partout. C’est un sujet sur lequel on pourrait s’inspirer davantage des autres villes européennes.
À bien des égards, et en dehors de tout jugement de valeur, Paris semble plus proche de Londres, Barcelone ou Milan que de bien d’autres villes moyennes françaises, notamment en termes de temps réel de déplacement, de réalités sociopolitiques, etc. Que pensez-vous du mouvement municipaliste européen ? L’Europe des villes est-elle une réalité politique que votre candidature souhaite promouvoir ?
Je pense qu’il y a là un ferment vraiment intéressant. Sur le contenu des politiques publiques, que l’on vient d’évoquer, mais également sur la manière de les faire émerger. Le municipalisme est d’abord un rapport à la démocratie. Il revient un peu à la source de la démocratie, qui s’invente au niveau de la cité. Aujourd’hui, il y a de quoi être inquiet sur le devenir de la démocratie dans son cadre national ou international, si ce n’est européen. En revanche, on peut reconstruire la cité démocratique au niveau local. On pourrait imaginer que ce mouvement municipaliste se structure davantage. On le voit bien, actuellement les progressistes et les démocrates sont dans les villes européennes. C’est le cas à Londres, à Paris, à Berlin, ou plus récemment à Istanbul. Il y a bien sûr des contre-exemples à Rome ou encore à Madrid, où Manuela Carmena qui était plutôt issue de la gauche extrême, de Podemos, a été remplacée par José Luis Martinez-Almeida, plus à droite. Mais c’est au niveau local que l’on voit les ferments les plus positifs. Pourquoi ? Parce que quand on fait de la politique locale, on est obligé de se démarquer des postures idéologique et émotionnelle. On attend d’un maire qu’il ne soit pas uniquement dans le plaidoyer, mais dans l’action concrète en faveur des services publics. Ainsi s’il est une échelle de l’action politique qui reste extrêmement rationnelle, c’est bien l’action municipale. Quand vous êtes un maire irrationnel, les électeurs vous sanctionnent très durement car ils considèrent que vous n’avez pas fait le travail en matière de services publics. Malheureusement, c’est moins vrai au niveau national, car les gens ont plus de mal à se rendre compte des bonnes et des mauvaises choses. Donc oui, je pense qu’il faudrait inventer, construire une fédération des villes démocratiques européennes ou en tout cas trouver des cadres d’échanges communs autour de cette question du municipalisme. C’est une belle idée d’avenir.
Selon vous, existent-ils réellement des “Parisiennes, Parisiens” ? Comment les définiriez-vous par rapport aux habitants d’autres villes françaises ou mondiales ?
Oui, totalement, et je considère que j’en suis un. S’il y a un peuple parisien, il peut se définir, bien évidemment, par des éléments objectifs. Une ascendance, par exemple. J’ai, pour ma part, un côté « enfant du village » parce que je suis extrêmement fier que mon père soit né à Paris, ainsi que plusieurs de mes grands-parents. Je suis fier d’être parisien, comme un Basque est fier d’être Basque ou un Corse est fier d’être Corse, même si, comme je le disais, la majorité des Parisiens ne sont pas nés dans cette ville. Mais au-delà de ces racines ancrées dans le bitume parisien, je pense qu’être parisien est un état d’esprit. Ceux qui critiquent les Parisiens considèrent que ceux-ci sont parfois arrogants, de mauvaise humeur ou éternellement insatisfaits. Moi je pense que ce qui les caractérise le plus, c’est leur liberté et leur capacité de résistance à l’oppression. Attaquez-vous aux Parisiens, vous les retrouverez toujours face à vous. Tous les chefs d’état et les rois qui s’y sont risqués l’ont amèrement regretté. Attaquez-vous aux valeurs de Paris et vous trouverez de nouveau les Parisiens face à vous. J’ai personnellement été marqué à vie par ce qu’il s’est passé en janvier 2015, quand il y a eu les attentats contre Charlie Hebdo, l’Hyper Casher et les trois policiers tués. La seule ville au monde au sein de laquelle un peuple entier pouvait se dresser face à la barbarie, c’était bien Paris. S’il y a une ville où l’ensemble des chefs d’États et de gouvernements du monde entier, à l’exception de Barack Obama, pouvaient venir pour réaffirmer leur attachement à la liberté, c’est bien Paris. J’ajouterai à cette définition que nous avons quand même un rapport particulier à la création et au patrimoine artistique. Il fait partie de notre ADN, même si, et je le regrette, les Parisiens ne profitent pas autant que les touristes de leur patrimoine.