Berne. Toute la Suisse était appelée aux urnes les 19 et 20 octobre pour renouveler les deux chambres du Parlement, le Conseil national (200 membres) et les Conseil des États (46 membres). Les résultats provisoires au Conseil national voient une montée en puissance des Verts (28 sièges, +17) et des Vert’libéraux (16 sièges, +9) qui doublent leur score, alors que tous les partis traditionnels enregistrent une baisse marquée. L’Union démocratique du centre (UDC, droite nationaliste) reste le premier parti du pays avec 54 sièges malgré un résultat en net recul (-12), alors que les socialistes (38 sièges, -5), les libéraux (29 sièges, -4) et les démocrates-chrétiens (25 sièges, -2) subissent des pertes plus modérées1. Si les équilibres à la chambre basse, à la faveur de l’affaiblissement de l’UDC et du succès historique des Verts, se déplacent donc légèrement vers la gauche, c’est surtout la victoire des écologistes sur le fond, en particulier chez les jeunes et dans les centres urbains, qui constitue la nouveauté de ce scrutin dont la campagne a été marquée de manière essentielle par les enjeux climatiques. Pour preuve, le succès des Vert’libéraux, au centre-droit sur les questions économiques, résolument pro-UE et écologistes ; ensemble, les deux partis recueillent plus de 20 % des voix à l’échelle nationale. L’UDC et les libéraux, qui disposaient avec deux petites formations droitières d’une majorité absolue au Conseil national lors de la dernière législature, voient ainsi leur position parlementaire dominante affaiblie, alors que leurs domaines politiques de prédilection (opposition à l’immigration et à l’UE pour les premiers, politique économique et fiscale pour les seconds) semblent jouer un rôle moins important dans l’opinion que par le passé. À l’inverse, une alliance « progressiste » de la gauche aux démocrates-chrétiens et aux Vert’libéraux disposerait désormais à la chambre basse d’une majorité confortable.

Le système de consociationalisme suisse (Konkordanzdemokratie) devrait cependant modérer les répercussions de ces changements sur la pratique gouvernementale. En vertu de la « formule magique » en vigueur depuis 1959, le Conseil fédéral, à la fois gouvernement et chef d’État collégial de la Confédération, est en effet composé de sept représentants des quatre plus grandes formations au Conseil national : deux sièges pour chacun des trois premiers partis, un seul siège pour le quatrième. Selon les résultats temporaires, le seul changement devrait donc concerner l’unique siège précédemment détenu par les démocrates-chrétiens, qui reviendrait aux Verts, désormais quatrième parti du pays. La présidente du parti Regula Rytz en a logiquement fait la demande dimanche soir ; le Conseil fédéral doit être renouvelé en décembre prochain2. Toutefois, le rôle des Verts au Conseil des États, pour lesquelles le scrutin (uninominal) nécessite deux tours, devrait être bien plus modeste. Traditionnellement dominée par des personnalités issues du centre (libéraux, socialistes et chrétiens-démocrates), la chambre haute, où chaque canton est représenté par un ou deux représentants, est moins sensible aux changements issus des cantons urbains les plus peuplés et aux innovations politiques. Moins que par un déplacement soudain du rapport de force, quasiment impossible dans une telle démocratie de consensus, la « vague verte » agira probablement davantage au travers des changements de priorités qui ne manqueront pas de se faire jour, à la suite de la victoire écologiste, dans les programmes des différents mouvements politiques. Même Albert Rösti, chef de l’UDC, a déclaré dimanche soir : « Nous aurions dû communiquer plus tôt nos mesures pour préserver l’environnement ».

La carte politique de la Suisse est marquée par une hétérogénéité assez forte entre zones linguistiques et entre espaces urbains et ruraux, parfois amplifiée par la culture politique propre des différents cantons. Alors que libéraux, démocrates-chrétiens et socialistes prédominent en Romandie et que le Tessin et les Grisons romanchophones sont des bastion démocrates-chrétiens historiques, la Suisse alémanique est dominée par l’Union du centre dans les campagnes et par les sociaux-démocrates dans les grands centres urbains (Zurich, Bâle, Berne, Winterthour, Lucerne, Saint-Gall). L’élection de ce week-end confirme cette tendance. La nouvelle délégation verte – deux partis confondus – devrait se composer d’une large majorité de représentants issus en nombre des deux grands cantons urbains de Zurich et Berne ainsi que des agglomérations frontalières de Genève et Bâle, alors que l’UDC ou les socialistes présentent un profil plus homogène. Dans l’ensemble, la participation reste faible (47,3 %).

Si les élections parlementaires de 2019 ont déjà été proclamées « élections du climat », ses conséquences sur la conduite de la politique de la Confédération dans les années à venir restent incertaines. Les Verts proposent une Suisse zéro-émissions pour 2030, soit 20 ans plus tôt que proposé jusque là par le Conseil fédéral, et entendent favoriser une politique durable dans le domaine de l’aménagement urbain et de l’agriculture, tout en « verdissant » le secteur financier du pays3. Les Vert’libéraux, tout en adoptant une position pro-business assumée, entendent suivre une voie similaire, progressiste sur le plan sociale ; les deux partis sont favorables à une sortie de l’énergie nucléaire4.

Quant aux relations avec l’Union, si elles pourraient être légèrement facilitées par les pertes de la très europhobe UDC et la croissance de partis Verts beaucoup plus tournés vers leurs partenaires européens, elles ne devrait pas connaître de changements majeurs. Le processus de négociation du nouvel accord-cadre, toujours en souffrance, devrait être relancée – sans garantie de succès toutefois – lorsque les nouveaux équilibres se seront éclaircis. Le nouveau parlement se réunira le 2 décembre prochain.

Sources
  1. Wahlen 2019 – Resultate, Schweizer Radio und Fernsehen, 20 octobre 2019
  2. BAER Claudia et SIEBER Frank, Die Grünen holen laut Hochrechnungen 17 neue Sitze im Nationalrat – Parteipräsidentin Rytz : « Anspruch auf Bundesratssitz », Neue Zürcher Zeitung, 20 octobre 2019.
  3. Manifest : Auf in die #Klimawahl2019, Grüne Partei der Schweiz, 31 août 2019.
  4. Es ist Zeit – 26 grünliberale Grundsatzpositionen, Grünliberale, 2019