Tel Aviv. Israël a choisi l’Égypte comme destination de ses ressources gazières. A partir de 2020, l’Etat hébreu transportera le gaz naturel issu de ses champs offshore Tamar et Leviathan, situés en Méditerranée orientale, vers le réseau égyptien. Cette décision est le fruit d’un accord historique comprenant des contrats de vente et de transport de 85,3 milliards de mètres cubes de gaz sur 15 ans (à partir de 2020). Le gaz transitera vers l’Égypte sous forme de Gaz naturel liquéfié (GNL), mais pourrait également connaître d’autres destinations, en Europe et ailleurs. En effet, cet accord prévoit que l’Égypte devienne une plaque tournante du gaz israélien.1

Les circuits gaziers dans la région

Le gaz israélien sera exporté vers l’Égypte via plusieurs gazoducs : le gazoduc sous-marin entre Ashkelon et Arish (dans la partie égyptienne du Sinaï) ainsi que le gazoduc East Mediterranean Gas (EMG), construit en 2008 pour acheminer le gaz égyptien en Israël, mais abandonné depuis 2011, qui a soulevé des litiges avec Le Caire. En effet, un arbitrage international a longtemps entravé la coopération sur le gazoduc. Israël avait demandé une compensation de 1,8 milliard de dollars pour l’interruption soudaine de l’approvisionnement en gaz depuis l’Égypte en 2011 en raison de sa situation politique instable à l’époque. Grâce au maxi-gisement Zohr et à d’autres découvertes, l’Égypte a recommencé à exporter du gaz depuis l’année dernière et Tel-Aviv a accordé une « remise », s’élevant à un peu plus de 500 millions de dollars, en échange de la libéralisation des importations de gaz à destination du marché égyptien.

Un premier accord exécutoire avait déjà été signé en février 2018 par les partenaires du Léviathan et du Tamar, menés par le groupe israélien Delek et le groupe Texan Noble Energy. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait alors qualifié l’accord comme un « jour heureux » pour le pays.2 Parrainé par les États-Unis, cet accord avait été bloqué en raison de problèmes bureaucratiques et de sécurité dans le nord du Sinaï, une région contrôlée par l’État islamique. Le nouveau contrat signé avec l’Egyptian Dolphinus Holding augmente de 34 % le volume des fournitures destinées à l’Égypte dans le 2018, et prolonge sa durée jusqu’en 2034.

La livraison du gaz commencera au 1er janvier 2020, d’abord au rythme de 2,1 milliards de mètres cubes par an, puis montera en puissance pour atteindre 6,7 milliards de m3 à partir de 2022, grâce à l’expansion des approvisionnements en provenance du Léviathan, dont la production débutera à la fin de cette année.3

Pour l’Égypte, cette importation de gaz israélien s’ajoute à la production national en qui devrait atteindre 77 milliards de m3. L’usine de liquéfaction de Damietta LNG (détenue par ENI par l’intermédiaire d’Uniòn Fenosa Gas) devrait également être à nouveau opérationnelle d’ici décembre, d’après le gouvernement égyptien et la société San Donato. Alors que son autre usine nationale, Idku LNG, a déjà redémarré, l’Égypte pourra à terme liquéfier plus de 17 milliards de m3 de gaz par an. Ces capacités sont en adéquation avec les capacités d’exportation du pays. En effet, après déduction de la consommation intérieure annuelle, il resterait 15 milliards de m3 à exporter. Cette demande intérieure devrait augmenter d’environ 30 % au cours des deux prochaines décennies, d’après les prévisions de la société de recherche Wood Mackenzie.4

Projets contestés Leviathan Aphrodite Zohr

Les implications géopolitiques de l’accord

L’Égypte espère exploiter sa situation stratégique et ses infrastructures robustes pour devenir un carrefour pour le commerce et la distribution du gaz. Grâce au canal de Suez, le gaz pourrait atteindre les marchés asiatiques et ainsi concurrencer les géants et du secteur comme le Qatar ou la Turquie rivaux politiques et économiques du Caire. Doha et Ankara, en effet, sont partisans d’un islam politique incarné par les principes des Frères musulmans, groupe considéré comme illégal et terroriste par l’Égypte et ses alliés (et notamment les principaux acteurs du « Quartet arabe » : Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Bahreïn, auxquels le Koweït pourrait bientôt s’ajouter).

Le principal perdant de cet accord est la Turquie, qui a longtemps espéré attirer le gaz israélien pour renforcer sa position de plaque tournante de l’énergie en Méditerranée.

Cet accord pourrait par ailleurs aggraver les frictions avec le Liban, qui a cédé à Eni, Total et Novatek des licences dans les eaux territoriales contestées par Tel-Aviv. Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah, a menacé en 2018 de mener des attaques contre les plates-formes d’extraction israéliennes en cas d’interférence avec des activités d’exploration libanaises.

L’accord ferme la porte à des solutions alternatives pour la distribution des ressources gazières de la région, notamment le projet de gazoduc EastMed, qui bénéficie d’un fort soutien politique en Europe mais demeure non-financé à ce jour. Il existe également l’hypothèse coûteuse, mais jamais écartée, de construire une usine de liquéfaction à Chypre plutôt que sur une plateforme offshore proche près des puits israélien.5

Concernant Israël, selon Charles Ellinas, Senior Fellow au Global Energy Center, Israël pourrait chercher des alternatives afin de commercialiser son gaz, grâce au surplus qui atteindra bientôt 9-10 milliards de m3 par an. Mais d’un point de vue économique, il n’existe pas d’alternative réellement viable, dans un marché de gaz saturé, dont les prix, assurent les analystes, resteront bas pendant longtemps.

Sources
  1. MAGDY Mirette, BENMELEH Yaacov, Israeli Gas Shares Soar After Egypt Planned Supply Boost, Bloomberg, 2 octobre 2019
  2. BELLOMO Sissi, Israele sceglie l’Egitto per esportare il gas del Bacino del Levante, Il Sole 24 Ore, 20 février 2018
  3. Israel will start exporting natural gas to Egypt this year, Al Jazzeera, 25 juillet 2019
  4. MAGDY Mirette, BENMELEH Yaacov, Israeli Gas Shares Soar After Egypt Planned Supply Boost, Bloomberg, 2 octobre 2019
  5. BELLOMO Sissi, Il gas di Israele esportato via Egitto. Storico accordo nel Bacino di Levante, Il Sole 24 Ore, 3 octobre 2019