Genève. Le 8 août 2019, le GIEC présentait son rapport concernant l’impact du changement climatique sur les terres. Le constat dressé est clair : les dérèglements climatiques (sécheresse, inondation, …) combinés à une mauvaise gestion des terres rendent incertaine la capacité des sols à stocker du carbone et mettent notre sécurité alimentaire en danger. Sans une réduction globale des émissions de gaz à effets de serre et un changement des pratiques dans l’agriculture et l’aménagement des territoires, les sols ne pourront plus jouer leur rôle écosystémique et presque la moitié de la population mondiale pourrait manquer de nourriture. 

Cette analyse de la littérature intitulée « les changements climatiques, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres »1 s’intègre à une série de trois rapports2 produits par le Groupe International d’Étude sur le Changement Climatique (GIEC) en vue du prochain Sommet Climat des Nations Unies à New York. La rédaction finale de ce rapport sur les terres a été négociée terme à terme par les représentants des 196 parties, membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, réunies du 2 au 7 août à Genève.

Après un rapport sur le réchauffement climatique et les scenarii encore possibles pour respecter l’objectif de 1,5°C, les experts du GIEC se sont penchés sur les sols au travers de différents enjeux : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, la dégradation des terres, la désertification et la sécurité alimentaire. En effet, le secteur des terres est à la fois l’un des plus affectés par les dérèglements climatiques et en même temps l’un des leviers les plus importants et trop peu utilisés pour la décarbonation.

Les sols jouent un rôle clé dans la régulation du climat, notamment par l’échange d’énergie, d’eau et d’aérosols entre la surface terrestre et l’atmosphère qu’ils rendent possible. Chaque année, 30 % du gaz carbonique (CO2) présent dans l’atmosphère est en effet récupéré par les plantes grâce à la photosynthèse. Il est ainsi stocké dans les plantes puis transformé, lorsque ces dernières meurent, en matière organique riche en carbone via la décomposition par les organismes vivants du sol (champignons, vers, bactéries, etc.). Cette matière organique est essentielle à notre sécurité alimentaire car riche en azote, en phosphore et retenant l’eau ; elle est donc indispensable à la croissance des plantes3. Ainsi, les sols mondiaux contiennent 2 à 3 fois plus de carbone que l’atmosphère, c’est pourquoi ils sont un levier de décarbonation si important. Si le niveau du carbone augmentait de 0,4 %, dans les premiers 30 à 40 cm de sol, l’augmentation annuelle de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère serait donc considérablement freinée. C’était l’objectif notamment promu par un groupement de scientifiques dès l’époque de la COP21,via l’initiative 4 pour 10004.

Or, comme l’explique le rapport du GIEC, les dérèglements climatiques tels que les sécheresses, les inondations et les canicules de plus en plus fréquentes, ont commencé à perturber le rôle écosystémique des sols et la croissance des végétaux. Par conséquent, c’est la biodiversité et notre sécurité alimentaire qui se retrouvent en danger (Voir figure 1). De plus, ces phénomènes climatiques rendent incertaine la capacité des sols à rester des puits de carbone. 

Figure 1 — Risques émanant des modifications des sols du fait du changement climatique pour la vie humaine et les écosystèmes Source. IPCC Report on Climate Change and Land (2019  : 13) L’augmentation de la température par rapport au niveau préindustriel implique des risques pour les écosystèmes et nos modes de vie. Ce graphique les représente. Pour un réchauffement planétaire de +1,5°C, l’augmentation de la sécheresse des sols met par exemple en danger nos infrastructures, la santé humaine, celle des écosystèmes, la valeur des terres ainsi que notre habitat. A +1°C les denrées alimentaires seront plus rares et des hausses de prix importantes affecteront certains pays. Pour un réchauffement de +2°C, des pénuries alimentaires commenceront à déstabiliser certaines régions et au dessus de +2°C, ces pénuries seront mondiales et remettront en cause la sécurité alimentaire de tous les pays.

Pour les 3 milliards de personnes qui vivent en zone aride – soit 40 % de la population mondiale – cet enjeu est d’ores et déjà vital. L’Afrique et l’Asie sont les continents les plus touchés par la dégradation des sols due aux dérèglements climatiques. Le rapport du GIEC insiste d’ailleurs sur le fait que les risques s’additionnent : les populations des zones dont les terres sont les plus dégradées sont également situées dans des pays peu développés, où les ressources alimentaires potentielles sont limitées.

Quelles solutions ? Le paradoxe du secteur des terres est qu’il est à la fois un levier de décarbonation important mais également le responsable d’un quart des émissions à effet de serre liées aux activités humaines5. Sur les 130 millions de km2 de terres émergées libres de glace, plus de 70 % sont sous l’emprise d’activités humaines, que ce soit pour l’agriculture, l’élevage ou l’exploitation forestière. Cette dernière ainsi que l’agriculture sont par exemple responsables à elles-seules de 13 % des émissions totales de CO2 (du fait de la déforestation et des défrichements), de 44 % des émissions de méthane (du fait de l’élevage du bétail et les rizières) et de 82 % des émissions d’oxyde nitreux (généré par les engrais azotés), les deux autres principaux gaz à effets de serre6.

La première recommandation des experts du GIEC est donc de mettre en place à l’échelle mondiale une « gestion durable des terres » capable de réduire ce niveau d’émissions en amont de la chaîne de production. Cela passe en priorité par la réduction de la déforestation ainsi que par la promotion de l’agroforesterie – un mode d’exploitation combinant production agricole et création d’écosystèmes favorisant la protection de la biodiversité, notamment par la plantation d’arbres au sein des cultures. Le but est d’utiliser des solutions basées sur les interactions présentes dans la nature pour accroître la capacité des sols à stocker du carbone, restaurer les écosystèmes et optimiser l’usage de l’eau. 

Considérant que toute la chaîne de production, transformation, distribution et consommation de notre système alimentaire est à l’origine de 21 à 37 % du total des émissions de gaz à effet de serre, le rapport insiste sur l’importance de la limiter le gaspillage alimentaire représentant  aujourd’hui 25 à 30 % de la production de denrées mondiale.

Le rapport préconise également un changement de régime alimentaire afin de réduire la demande en produits animaux dont l’élevage est plus polluant, au profit de protéines végétales telles que les légumineuses, de céréales ou de fruits et légumes. Une recommandation qui demeure peu étayée d’après certains observateurs7 jugeant que l’impact de notre régime alimentaire sur la biodiversité et le réchauffement climatique a été sous-estimé dans ce rapport.  Seules les émissions issues de l’agriculture (émissions des tracteurs, méthane issu de l’élevage, etc.) ont été prises en compte pour déterminer l’empreinte carbone du secteur des terres. Or, selon plusieurs articles8, cela constituerait une vue limitée du problème. Utiliser des terres pour l’élevage aurait en réalité un coût bien plus important si le coût d’opportunité de l’utilisation de ces terres pour le stockage de carbone était pris en compte. L’empreinte carbone du régime alimentaire d’un européen passerait alors de 9 tonnes par an à presque 14,4 tonnes. Autre chiffre important, selon un article  paru dans Science9, passer à un régime végétarien pourrait permettre de restituer 76 % des terres actuellement utilisées pour l’élevage.  Des terres qui pourraient ensuite être utilisées pour restaurer les écosystèmes. Ces différents travaux n’ont pourtant pas été pris en compte par le panel d’experts du GIEC.

Enfin, le GIEC conclut qu’à elle seule, une meilleure gestion des terres ne suffira pas à réduire le réchauffement climatique. Si les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter à l’échelle globale comme c’est le cas actuellement, de tels efforts seront vains. C’est pourquoi le rapport insiste sur l’importance de parvenir à « une baisse rapide des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine dans tous les secteurs ». Les experts précisent également que le changement d’affectation des terres prévue dans 3 des scenarii du rapport précédent sur le changement climatique pour respecter la limite d’1,5°C est en réalité incompatible avec les Objectifs du Développement Durable (ODD) des Nations Unies. En effet, ces scenarii reposent sur un changement d’affectation des terres – pour la production de bioénergies notamment. Mais de telles situations  augmenteraient la pression sur les terres et auraient des conséquences sociales et environnementales désastreuses, notamment du fait de l’intensification de l’agriculture qui serait synonyme d’une plus grande utilisation de pesticides et fertilisants, vectrice à son tour de plus amples rejets de polluants dans l’air, l’atmosphère et les terres. Seul l’un des scenarii du GIEC présenté en octobre serait donc compatible avec une gestion durable des terres (Voir figure 2).

Figure 2  : Caractéristiques des quatres scenarii de limitation du changement climatique Source. IPCC Report on Climate Change and Land (2019) Commentaire. Seul le scénario P1 n’impliquant pas une modification de l’usage des terres serait compatible avec l’objectif de protection des sols et de notre sécurité alimentaire.

La conclusion du rapport du GIEC ne laisse pas de place au doute : si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, les trajectoires pour y parvenir se restreignent et passent dans tous les cas par la réduction de notre consommation d’énergie fossile que ce soit dans les transports, l’habitat, l’industrie, ou l’agriculture. C’est donc tout notre mode de vie qui doit être repensé, à commencer par notre régime alimentaire, trop riches en produits animaux et gaspillant encore beaucoup trop de denrées. La transition vers l’agroécologie et un régimes moins riche en viande est possible, de plus en plus d’études le démontrent10 ; reste à accompagner dans la transition le secteur agricole européen. Les discussions sur la réforme de la nouvelle Politique Agricole Commune seront donc décisives à cet égard. 

Perspectives  :

  • La ratification ou non du MERCOSUR dont les impacts sur l’agriculture seront importants et très liés aux enjeux de désertification au Brésil mettra les engagements de l’Union à l’épreuve des actes.11
  • La poursuite des discussions concernant la réforme de la PAC sera éclairante quant aux choix stratégiques pour lesquels l’Europe est prête à s’engager : quid des aides à l’élevage, du soutien à l’agroécologie et aux cultures légumineuses par exemple ? Quelle proportion des aides ira aux secteurs fortement émetteurs en carbone ?
Sources
  1. IPCC, Climate change and land, 7 aout 2019
  2. Le premier de cette série de rapports paru en octobre 2018 concernait le réchauffement climatique , le troisième, à paraître courant septembre concernera les océans et la cryosphère.
  3. LeCIRAD, 4 pour 1000 | Les sols pour la sécurité alimentaire et le climat, Youtube, 1 décembre 2015
  4. Qu’est-ce que l’Initiative « 4 pour 1000 ? », 4 pour 1000
  5. Emissions exprimées en tonnes de CO2eql
  6. LE HIR Pierre, Un rapport spécial du GIEC : l’humanité épuise les terres, Le Monde, 8 aout 2019
  7. MONBIOT George, We can’t keep eating as we are – why isn’t the IPCC shouting this from the rooftops ?, The Guardian, 8 aout 2019
  8. SEARCHINGER Timothy D., WIRSENIUS Stefan, BERINGER Tim, DUMAS Patrice, Assessing the efficiency of changes in land use for mitigating climate change, Nature 564, 2018
  9. POORE J., NEMECEK T., Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers, Science, 1 Juin 2018 : Vol. 360
  10. POUX Xavier, AUBERT Pierre-Marie, Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionnelle pour une alimentation saine, IDDRI, Septembre 2018
  11. SANCHO Hugo, Libre-échange et changement climatique : les incendies en Amazonie remettent en question l’accord UE-Mercosur, Le Grand Continent, 26 aout 2019