Londres. Installé au 10, Downing Street depuis maintenant six semaines, Boris Johnson espérait probablement mettre à profit les premiers votes auquel son gouvernement était soumis à la Chambre des Communes pour s’installer dans le rôle. Les journées de mardi et mercredi resteront pourtant dans les annales comme celles d’un revers sans précédent. Jamais un Premier ministre n’avait essuyé quatre défaites d’entrée, en perdant des pans entiers de sa majorité. Margaret Thatcher, elle aussi, a été battue à quatre reprises, mais en onze ans de pouvoir.

L’un des protagonistes de cette semaine parlementaire aura été le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn. Très actif pour obtenir une majorité sur un texte contraignant le gouvernement à trouver un accord avec l’Union européenne et excluant la possibilité d’un no-deal, et pour obtenir ensuite un rejet de la motion présentée par Boris Johnson pour la convocation d’élections anticipées. Dans un article publié par le think tank Uk in a changing Europe1, Stephen Fielding rappelait en juin dernier l’extrême ambiguïté depuis le début du processus du Brexit de Jeremy Corbyn vis-à-vis de la question européenne. Et son positionnement cette semaine confirme que le Parti conservateur n’est pas le seul à faire prévaloir ses manœuvres internes sur le sort du pays : le Parti travailliste espère lui aussi profiter des incohérences de Boris Johnson pour revenir dans la course en cas d’élection.

On connaîtra en début de semaine, après le passage à la Chambre des Lords, l’issue de la procédure parlementaire, mais la presse britannique s’interrogeait cette semaine sur le risque systémique que le Brexit fait courir à l’économie du pays. La détermination de Boris Johnson à viser une sortie à tout prix met en alarme les milieux d’affaires. Même le quotidien dans lequel Boris Johnson a longtemps travaillé, The Telegraph, s’interrogeait mardi sur un débat qui serpente à la City2. « Jeremy Corbyn, l’épouvantail des banquiers et l’ennemi déclaré du capitalisme, gagne des soutiens dans des quartiers généraux inattendus à la City, les sièges de Citibank et de Deutsche Bank ». Avec une interrogation : Corbyn est-il aussi mauvais qu’un no-deal ? « Peut-être plus », affirme un responsable de Citibank.

Dans un long article consacré à la politique que Jeremy Corbyn serait amené à mettre en pratique s’il devait un jour accéder au pouvoir, le Financial Times reprend les principales mesures financières du projet Corbyn3. « Renationalisation des chemins de fer, de l’eau, des postes et des compagnies de distribution de l’électricité. Hausse des impôts sur le patrimoine et les plus hauts revenus. Transfert aux salariés de 10 % des actions des grandes compagnies privées ». Fidèle à sa réputation de marxiste, ce programme de Corbyn, qui marquerait un bouleversement dans la gestion de l’économie britannique, n’a pourtant pas lieu de séduire les milieux financiers de Londres.

C’est dire si la radicalisation du débat au sein du Parti conservateur sème le doute parmi les élites. Un sondage paru le 29 août dans The Guardian4 confirmait toutefois les difficultés du Parti Travailliste à tirer profit de l’instabilité, étant encore crédité de douze points de retard par rapport au camp conservateur. Boris Johnson est en outre crédité de vingt points d’avance sur Jeremy Corbyn, lorsque le consensus est testé sur leur personne. Depuis, alors que la perspective d’élections anticipées se rapproche, la prise de position de Nigel Farage, le leader du Brexit Party, laissant entendre un accord électoral avec Boris Johnson pour éviter des compétitions dans certaines circonscriptions, rend une victoire travailliste difficile. A moins d’un accord semblable avec les Lib-Dem.

Pour Elliot Hentov, conseiller du State Street Global, les différents options en cas d’élections anticipées ne permettent pas de prévoir une stabilisation du cadre politique5. « Une courte victoire de Boris Johnson ou de Corby sont les hypothèses les moins prisées par les milieux financiers. Une large affirmation de Johnson ouvrirait de nouvelles possibilités pour une sortie plus soft de l’Union européenne… Un autre parlement sans nette majorité prolongerait l’incertitude et accentuerait le ralentissement de l’économie. Seule une alliance trans-partisane permettrait de soutenir la Livre Sterling et les valeurs britanniques en général ». Difficile, au vu du climat qui régnait cette semaine à Westminster, d’entrevoir pour le moment la possibilité d’une telle alliance.

Perspectives :

  • Lundi 9 septembre : vote définitif à la Chambre des Communes de la motion excluant la possibilité d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE sans accord.
  • 9 septembre-14 octobre : suspension du Parlement imposée par le gouvernement Johnson.
  • 17-18 octobre : Conseil européen à Bruxelles.
  • 31 octobre : date limite pour le Brexit.