Hong Kong. « Un pays, deux systèmes », telle était la promesse faite au peuple de Hong Kong en 1997, lorsque le Royaume-Uni a cédé la souveraineté du territoire à la République populaire de Chine. Conçue comme l’étape finale du démantèlement de l’Empire britannique, la rétrocession devait marquer la fin de l’asservissement politique de Hong Kong. Les Hongkongais conserveraient leurs institutions occidentales, leurs libertés et leur état de droit, tout en se rapprochant toujours plus de leurs camarades de longue date en Chine. Les événements récents ont montré que les promesses du continent s’étaient révélées fausses et que les Hongkongais en avaient assez de vivre en tant que sujets impériaux. 

Le 16 juin dernier, près de deux millions de personnes – plus d’un quart de la population de Hong Kong – ont marché pour préserver leur liberté contre l’empiètement du continent1. En chiffres absolus, il s’agissait de l’une des plus grandes manifestations en faveur de la démocratie de l’histoire de l’humanité. En termes de proportion, il n’y avait pas de précédent. Comme si 90 millions d’Indiens avaient choisi une seule journée de marche avec Gandhi pour l’indépendance, ou plus loin dans le temps, comme si 500 000 patriotes avaient défilé à Boston en un seul après-midi en 1775 (seulement 200 000 environ avaient servi pendant toute la guerre révolutionnaire). 

Bien qu’aucune marche au cours des trois derniers mois de manifestations à Hong Kong n’ait dépassé ce nombre titanesque, beaucoup d’entre elles s’en sont approchées (y compris la marche du week-end dernier de 1,7 million). Jusqu’à présent, les revendications des manifestants se sont regroupées autour d’une liste de cinq actions anti-autoritaires et pro-démocratiques2 :

  1. Libération de tous les manifestants arrêtés sans inculpation.
  2. Relance de la réforme électorale.
  3. Création d’une enquête indépendante sur les violences policières et les abus de pouvoir.
  4. Retrait de la qualification d’« émeute » des manifestations (note : le terme d’« émeute » a de lourdes conséquences en droit à Hong Kong).
  5. Retrait définitif de la législation qui permettrait le transfert des fugitifs de Hong Kong vers la Chine continentale.

Dans n’importe quelle démocratie moderne, des demandes similaires seraient sérieusement prises en considération par le gouvernement, si ce n’est une capitulation pure et simple étant donné l’ampleur et la durée du mouvement de protestation – mais pas plus tard que lundi, la cheffe de l’exécutif, Carrie Lam, a refusé d’accepter ne serait-ce qu’une seule demande.  

Dans le cas hongkongais, nous devons faire face à une réalité évidente. La République populaire de Chine n’est pas une démocratie et rien n’indique qu’elle donnera un jour à Hong Kong la chance de l’être. Dès les années 1950, Pékin a activement découragé les Britanniques d’accorder le statut d’autonomie gouvernementale à Hong Kong3. En 1972, à la veille de la décolonisation, la République populaire de Chine a insisté pour que Hong Kong soit retiré de la liste des territoires non autonomes de l’ONU afin qu’il n’ait plus le droit internationalement reconnu de revendiquer son indépendance4. Et à la veille de la rétrocession de 1997, Pékin s’est fermement opposé aux réformes démocratiques adoptées par l’administration britannique sortante5. Plus récemment, les demandes des Hongkongais en faveur du suffrage universel ont été rejetées à plusieurs reprises par la Commission permanente de l’Assemblée populaire nationale chinoise6, l’un des deux organes législatifs de Beijing.

Il est donc compréhensible que de nombreux Hongkongais ne se sentent pas attachés à leur nouvelle identité nationale. Un récent sondage d’opinion publique7 réalisé dans le cadre du projet sur l’opinion publique de l’université de Hong Kong a révélé que sur plus de 1 000 répondants, 53 % se sont identifiés comme « hongkongais » et non comme chinois. 23 % se sont identifiés comme « hongkongais en Chine », tandis que les autres se sont identifiés comme « chinois » (11 %) ou « chinois à Hong Kong » (12 %). Dans la même enquête, 71 % des personnes interrogées ont répondu « non » lorsqu’on leur a demandé si elles étaient fières d’être ressortissantes chinoises. Selon les chercheurs, l’identité de Hong Kong est maintenant plus forte qu’elle ne l’a jamais été depuis que l’université a commencé à produire ces statistiques en 1997.

Les manifestations gigantesques de ces derniers mois semblent largement enracinées dans la prise de conscience des Hongkongais que leurs normes actuelles de liberté et d’expression démocratique ne sont tout simplement pas compatibles avec la vie dans la République populaire de Chine, en particulier avec le système « un pays, deux systèmes  ». Ce qui se passe à Hong Kong est l’une des expressions les plus remarquables des aspirations démocratiques de mémoire d’homme.

Pour la plupart, les habitants de Hong Kong sont seuls. Alors que les dirigeants des démocraties du monde entier ont critiqué la violence excessive de la police de Hong Kong, peu d’entre eux ont promis des conséquences réelles si leurs paroles n’étaient pas entendues – et aucun n’a soulevé la simple idée que Hong Kong devait décider de son propre destin.

Les dirigeants démocratiques ont la responsabilité historique de prendre la parole et d’insister sur le fait que, comme tous les autres peuples soumis qui se sont battus pour vivre sous leur propre drapeau et selon leurs propres règles au cours des 70 dernières années, les Hongkongais méritent eux aussi une chance de s’autodéterminer. Plutôt que d’être simplement subsumée dans l’administration centrale chinoise, soit aujourd’hui, soit à la fin officielle de « un pays, deux systèmes » en 2047, Hong Kong devrait obtenir ce qui lui est dû depuis longtemps : un référendum, sur une pleine intégration à l’État central chinois ou sur une indépendance totale.