Banjul. Ram Nath Kovind, président de l’Inde, a commencé sa tournée en Afrique de l’Ouest en partant de Banjul, en Gambie, où il est arrivé le 30 juillet1. Cette première étape a été suivie de visites au Bénin et en Guinée qui se termineront le 3 août. La raison de cette visite et son importance géopolitique résident dans les liens culturels étroits existant entre le continent et New Delhi2. L’Afrique a toujours été un élément fondamental de la géopolitique indienne : le soft power exercé par la figure de Gandhi a permis de tisser des liens étroits lors de la lutte pour l’indépendance, aux côtés du mouvement des pays non alignés. La politique fortement identificatrice de Modi investit maintenant beaucoup en Afrique comme un exutoire aux tensions latentes avec Pékin.

Historiquement, ces relations ont été fondamentales pour l’Afrique. La figure de Gandhi, inspirée depuis ses années en Afrique du Sud d’une forme d’opposition non-violente également utilisée dans certaines colonies africaines, a été le principal catalyseur du soft power que l’Inde a toujours exercé. À cela, il faut également ajouter le rôle central de la côte swahili, dans les années 1980 et 1990, sous réserve d’une redéfinition géopolitique forte à laquelle l’Inde participait, afin de contrebalancer les acteurs du Moyen-Orient.3

La politique étrangère de Modi s’est appuyée sur ces bases culturelles solides pour développer une ligne diplomatique forte vers le continent africain. Les lignes directrices pour le présent et l’avenir de l’action indienne en Afrique figurent dans un document intitulé Les 10 points, annoncé par Modi lui-même en Ouganda, lors d’une visite en juillet 2018. Ces dix dossiers fondamentaux vont de la reconnaissance de la centralité géopolitique du continent jusqu’à la gestion des conflits régionaux face aux crises humanitaires. Ils touchent également à la pleine reconnaissance des priorités et des besoins des pays concernés, l’amélioration de l’agriculture locale et la lutte contre le changement climatique4. La géopolitique indienne avec Modi tend donc à reprendre le passé de l’hégémonie culturelle typique de New Delhi, afin de promouvoir un nouveau plan d’investissement ambitieux. La grande majorité des interventions directes privées de l’Inde est en réalité de nature purement financière : depuis 2011, en raison également des conséquences de la crise financière, New Delhi a soutenu la création d’un cadre d’assistance pour les entreprises et les caisses d’État sur le continent avec la promotion de lignes de crédit à des taux subventionnés5. En ce qui concerne la coopération au développement, la plupart des efforts semblent porter sur l’amélioration du secteur primaire, en particulier l’agriculture (maximiser les profits tirés des terres fertiles dont le continent est riche) et la pêche, avec des programmes de protection des océans.

Le point principal concerne toutefois la politique de sécurité et de gestion des conflits. L’Inde, l’un des principaux contributeurs mondiaux au maintien de la paix des Nations unies, s’appuie sur des décennies d’expérience pour proposer des programmes de formation à la médiation et au désarmement. Cependant, les liens militaires entre New Delhi et le continent ne sont pas clairement définis. En réalité, Modi veut doter sa propre diplomatie d’une ligne de sécurité claire et solide, afin que l’Inde soit préparée à de nouveaux scénarios de guerre. L’Afrique est donc le théâtre de coopération mutuelle, y compris sur le front du renseignement militaire. En effet, dans ce dernier secteur, New Delhi a été très actif en Sierra Leone et au Libéria, investissant massivement dans les missions locales des Nations unies. Dans le même temps, le marché de l’armement voit l’Inde de plus en plus présente, avec d’importantes concessions d’armes aux principaux importateurs continentaux (l’Algérie en particulier). La politique de sécurité est très embryonnaire, mais elle révèle d’importants potentiels.

Un aspect fondamental de ces dossiers est leur aspect de défiance vis-à-vis de la Chine. C’est notamment le cas de la politique maritime, avec des programmes de sécurité visant les eaux territoriales somaliennes (une région à forte présence multilatérale). Cependant, il manque une politique de reconstruction institutionnelle claire et une vision plus générique du continent, toujours basée sur certaines zones au détriment d’autres (la Libye par exemple). Il est donc difficile de définir la politique indienne vis-à-vis du continent comme une nécessité presque existentielle, ou comme une tentative de limiter les objectifs de certains acteurs mondiaux6.

Sources
  1. JAWO Momodou, CHAM Kaddy, India’s President arrives today, The Point, 30 juillet 2019.
  2. TRIGUNAYAT Anil, Evolution and importance of India-Africa relations ; from Gandhi to Modi, Financial Express, 2 avril 2019.
  3. TRIGUNAYAT Anil, Evolution and importance of India-Africa relations ; from Gandhi to Modi, Financial Express, 2 avril 2019.
  4. VISHANATHAN H. H. S., The ten guiding principles for India-Africa engagement : Finding coherence in India’s Africa Policy, ORF Occasional Paper, 25 juin 2019.
  5. A look at how India’s Africa strategy is working, The Conversation, 20 mars 2019.
  6. A look at how India’s Africa strategy is working, The Conversation, 20 mars 2019.
Crédits
Le président indien Ram Nath Kovind a atterri le 30 juillet à Banjul (Gambie), première étape de sa visite d'État en Afrique. Il visitera également le Bénin et la Guinée avant de rentrer en Inde le 3 août. L'importance de cette initiative réside dans la perception qu'a New Delhi de l'Afrique et dans quelle mesure cela a influencé sa politique à l'égard du continent. Coincé entre le passé de Gandhi et les « 10 principes » de Modi ainsi que la rivalité sans fin avec la Chine, ce voyage est une occasion de comprendre les intentions de New Delhi en Afrique.