Bruxelles. Alors que les menaces de l’Union à l’encontre de la Turquie sont restées sans effet, Bruxelles a finalement décidé de les mettre à exécution. Et pour cause, Ankara a effectivement débuté ses activités pétrolières et gazières aux larges des côtes chypriotes, en dépit des avertissements européens.

La zone aujourd’hui sondée correspond à la zone économique exclusive (ZEE) auto-déclarée de Chypre, zone non reconnue par la Turquie qui la revendique au nom de la République turque de Chypre du Nord (RTCN), un État de jure indépendant – établie suite à l’intervention militaire turque en 1974 – mais de fait géré comme une administration coloniale. Pour l’UE et Chypre, il en va donc de la souveraineté de l’Etat membre ainsi que d’une démonstration d’unité face à un adversaire qui tente de profiter des ressources locales. Pour leur part, les Turcs estiment que leurs propres forages sont une réponse légitime à ceux conduits par Chypre et menés notamment par BP en 20181.

Pour rappel, le gisement géant gazier Zohr, le plus important jamais découvert en mer Méditerranée, équivalent à une année de consommation gazière en Europe (850 milliards de mètres cubes environ), a aiguisé les appétités régionaux lors de sa découverte en 20152. Depuis, les projets d’exploitation, de construction d’infrastructures et notamment de pipeline se sont multipliés.

Dans ce contexte, l’Union a donc décidé de sanctionner la Turquie dès mi-juillet. Ces sanctions consistent en plusieurs points :

  • Amputer la Turquie de 145,8 millions d’euros d’aide de pré-adhésion sur un budget 2014-2020 de 4,454 milliards d’euros ;
  • Demander à la Banque européenne d’investissement (BEI) de revoir les conditions pour l’octroi de ses financements à Ankara alors que en 2018, la BEI avait accordé 385,8 millions d’euros à la Turquie ;
  • Réduire le dialogue à haut niveau et notamment dans le cadre d’un accord global sur le transport aérien3.

Pour autant, Ankara n’a pas reculé devant cette pression. Selon le ministre des affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, « Les mesures adoptées (par l’Union) n’auront aucun impact sur la détermination de la Turquie à poursuivre ses activités liées aux hydrocarbures en Méditerranée orientale ». De fait, les autorités turques ont annoncé envoyer un quatrième navire de forage dans la zone4. Le gouvernement semble par ailleurs déterminé à continuer ses efforts à terme vu le renforcement de son contrôle sur le RTCN, suite à la création d’un organe de Coordination des Affairs Chypriotes rattaché directement au président le 6 juillet dernier5.

Pour la Turquie, cette intransigeance pourrait être un moyen d’amener une nouvelle carte sur la table des négociations qui n’avancent pas depuis la conférence à Crans-Montana sur la réunification de l’île en 2017. De plus, à la confrontation avec l’Union vient s’ajouter la crise liée à l’achat des S-400 avec les Etats-Unis, et renforce donc la rhétorique du gouvernement d’un pays assiégé et d’un complot économique occidental.

Pour l’Europe en revanche, ces enjeux sont importants à plus d’un titre. La préoccupation principale est de montrer que l’Union défend les intérêts de ses membres et protège leur souverainetés lors de cette période où Bruxelles est contesté fortement en interne. Les dividendes économiques de l’exploitation d’un gisement de conséquence et la marge d’autonomie énergétique que cela permettrait face à la Russie intéresse également certain Etats-membres clés dont notamment l’Allemagne et l’Italie. Enfin, l’Union fait également face à l’enjeu géostratégique de son positionnement en Méditerranée orientale – géographie où elle a était largement marginalisée dans le contexte de la guerre en Syrie et où elle cherche potentiellement à se réaffirmer en renforçant Chypre.

Perspectives  :

  • Les forages turcs dans la ZEE non-reconnu du RTCN continueront et risquent de s’accélérer sous l’impact de la crise économique en Turquie et la pression politique du gouvernement.
  • Les forages seront un facteur aggravant lors des prochaines réunions sur la réunification de l’île et contribueront à la pétrification du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union, voir à même à l’annulation éventuelle de ce dernier.
Sources
  1. Tensions entre Chypre et la Turquie au sujet de l’exploration gazière, Le Monde avec l’AFP, 11 février 2018.
  2. Données issue du BP Statistical Review, 2019.
  3. GARCIN-BERSON Wladimir, Bruxelles coupe dans ses aides à la Turquie, Ankara hausse les épaules, Le Figaro, 16 juillet 2019.
  4. VINET Caroline, Chypre : le ton monte entre l’Union européenne et la Turquie, La Croix, 16 juillet, 2019.
  5. Kıbrıs İşleri Koordinatörlüğü kurulacak [Un Coordinateur des Affaires Chypriotes sera créé], TRT Haber, 6 juillet 2019.