Londres. Facebook va devoir payer une amende de 5 milliards de dollars à un organisme de régulation américain, en réparation aux violations de la vie privée révélées par le scandale Cambridge Analytica, une entreprise de political consulting qui a fermé l’année dernière. Les données de 87 millions d’utilisateurs auraient été utilisées de manière impropre, notamment durant l’élection américaine de 2016, en vue de la diffusion de matériel de soutien à Donald Trump.1 La Federal Trade Commission (FTC), l’institution de protection des consommateurs américains, a décidé d’imposer à Facebook une amende record, la plus élevée contre une compagnie de technologie américaine. Les commissaires de la FTC ont voté à une majorité de 3 contre 2. Les deux membres du parti des Démocrates étant même favorables à une amende plus salée. Les médias américains estiment que cette décision poussera Washington à renforcer les restrictions d’utilisation des données personnelles par Facebook, mais certains objectent que la question du partage de ces données avec des tiers ne sera pas résolue. S’ajoute à cela le fait que cette décision tombe au moment où Facebook annonce vouloir lancer sa crypto-monnaie, la Libra, qui fait déjà l’objet de plusieurs craintes2.

La décision relative au scandale de Cambridge Analytica s’additionne à plusieurs amendes déjà infligées au géant du numérique ces derniers mois. Le garant italien de la protection des données personnelles avait infligé le 28 juin à Facebook une amende d’1 million d’euros pour son implication dans le scandale de Cambridge Analytica. 57 Italiens avaient téléchargé une application pour des tests psychologiques qui avait permis de recueillir les données de leurs amis sur Facebook, sans le consentement de ces derniers, de sorte qu’un total de 214 077 utilisateurs italiens du réseau social avaient vu leurs données personnelles cédées à un tiers sans qu’ils n’en aient donné leur accord.3 Par ailleurs, le régulateur britannique (ICO) a infligé à Facebook une amende de 500 000 livres au mois de novembre dernier.

Après dix-huit mois d’enquête, 23 sessions, 170 témoignages écrits de 73 témoins, 4 350 questions posées, la commission parlementaire britannique chargée d’enquêter sur le scandale Cambridge Analytica et les tentatives d’influence étrangères et de désinformation lors de la campagne du Brexit a rendu au mois de février un rapport sévère pour le géant des réseaux sociaux en le traitant de « gangster du numérique ».

Au mois de mars 2018, Christopher Wylie, ancien employé de Cambridge Analytica, soutenait devant des parlementaires britanniques que l’issue du référendum aurait pu être différente si l’entreprise n’avait pas participé à la campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le scandale avait été originellement publié dans The Observer qui avait également diffusé le témoignage en mars dernier d’un employé de la campagne Vote Leave dénonçant le dépassement de la limite des dépenses et le lien avec la compagnie Cambridge Analytica.4.

Une étude publiée en 2018 par le « Computational Propaganda Research Project » de l’Université d’Oxford qui recherche les interactions entre les algorithmes, l’automatisation et la politique, parle de campagnes politiques manipulées par les réseaux sociaux dans 48 pays. Dans chacun de ces pays, au moins un parti politique ou une agence gouvernementale utilise les réseaux sociaux pour manipuler l’opinion publique au niveau national5. Il est difficile de prouver qu’il y ait une corrélation directe entre le résultat du Brexit et le scandale de Cambridge Analytica, mais il est aussi difficile de ne pas s’interroger sur cette question lorsque le Brexit, qui aurait dû toucher à sa fin, semble reparti à la case départ des premiers jours de Theresa May à Downing Street.

En effet, dans dix jours, on connaîtra le nom du prochain Premier ministre, et les sondages sur les intentions de vote des militants conservateurs continuent à donner comme favori l’ancien maire de Londres Boris Johnson. Fin juin, la presse révélait l’existence d’une vidéo confirmant les liens de Boris Johnson avec l’ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, qui est aussi l’ancien vice-président de la société Cambridge Analytica6. Le conseiller américain aurait aidé Johnson dans son discours de démission du poste de ministre des Affaires étrangères. L’affaire semble ainsi destinée à de futurs rebondissements en cas de victoire de « Bojo » (comme l’ancien ministre des Affaires étrangères est surnommé) le 23 juillet. À la mesure des liens qui, au fil des affaires révélées depuis, semblent unir le référendum du Brexit de juin 2016 et l’élection de Donald Trump de novembre de la même année.

Perspectives :

  • Le nom du prochain Premier ministre anglais sera connu après la clôture du scrutin, soit le 21 juillet.
  • 31 octobre : date du Brexit.
Sources
  1. KELLY Liam, FORTSON Danny, Facebook fined $5bn by US regulators over Cambridge Analytica scandal, The Times, 13 juillet 2019.
  2. BATUT Cyprien, Libra : une balance incertaine, Le Grand Continent, 2 juillet 2019
  3. Italy fines Facebook one million euros over Cambridge Analytica case, ANSA, 28 juin 2019
  4. CADWALLADR Carole, GRAHAM-HARRISON Emma, TOWNSEND Mark, Revealed : Brexit insider claims Vote Leave team may have breached spending limits, The Guardian, 24 mars 2018
  5. BRADSHAW Samantha, HOWARD Philip N., Challenging Truth and Trust : A Global Inventory of Organized Social Media Manipulation, Working Paper 2018.1m Oxford, UK : Project on Computational Propaganda. comprop.oii.ox.ac.uk., p. 3.
  6. CADWALLADR Carole, Video reveals Steve Bannon links to Boris Johnson, The Guardian, 22 juin 2019