Oman. L’attaque de deux navires transportant des hydrocarbures dans le golfe d’Oman a fait se lever un vent de panique sur les marchés. Dans la journée, le prix du Brent et du WTI ont augmenté de 4 %, atteignant respectivement 62 et 52 dollars après plusieurs semaines de baisse. Quelques heures après l’incident, les Etats-Unis ont accusé l’Iran d’être responsable de ce sabotage en diffusant une vidéo dans laquelle on verrait des Gardiens de la Révolution retirer une mine qui n’aurait pas explosé. De leur côté, le propriétaire du bateau japonais, Yutaka Katada, a contredit la version américaine en disant que le bateau avait été touché par un objet volant et non par une mine1.

Pour autant, comparé au flux quotidien de navires transportant du pétrole et des marchandises, les tankers attaqués et la quantité de pétrole qu’ils transportent sont insignifiants. Selon Niel Atkinson, directeur de la division Marchés pétroliers à l’Agence Internationale de l’Energie interrogé aujourd’hui par Le Grand Continent, « chacune des attaques perpétrées ces dernières semaines, prise individuellement, est insignifiante ». En effet, c’est l’équivalent de 17 millions de barils qui transite chaque jour dans le détroit d’Ormuz, soit environ 15 % de la consommation mondiale, et environ 1/3 du commerce maritime mondial. La réaction des marchés est néanmoins compréhensible car, plus que l’accident lui-même, c’est la crainte d’une récidive dans le « chokepoint » le plus stratégique du monde qui préoccupe les investisseurs et a provoqué ce sursaut du cours du brut. L’épisode d’hier pourrait aussi provoquer une hausse du coût des assurances couvrant les navires, et par là même augmenter le coût du transport maritime du pétrole. Il n’y a en revanche, à ce stade, pas de signe que l’attaque ait provoqué une quelconque interruption du flux de navires dans la région.

Au delà des évolutions à court terme du prix du pétrole, ces attaques sont révélatrices de nouvelles tendances sur le marché pétrolier mondial.

Alors que ces derniers mois l’attention des analystes se focalisait sur la demande de pétrole, l’épisode d’hier signe le grand retour des considérations géopolitiques dans la prévision des cours du baril. Celles-ci occupaient en effet le devant de la scène jusqu’au début de l’année 2019. Le principal facteur d’incertitude relative au cours du pétrole était celui de l’offre et du risque de rupture d’approvisionnement. En effet, les événements politiques au Venezuela et en Libye ainsi que la stratégie de réduction de la production de l’OPEP avaient contribué à faire passer le prix du brut d’environ 50 dollars à l’été 2018 à 73 dollars à l’automne. Mais sous l’influence conjointe d’une abondante production de pétrole aux Etats-Unis et de l’exploitation de nouveaux champs hors-OPEP, comme en Norvège, la croissance de l’offre mondiale de pétrole en 2020 est estimée à environ 2,3 millions de barils par jour par l’AIE (croissance portée à 90 % par la production non-conventionnelle américaine)2. Depuis début 2019, l’inconnue dans l’équation du prix du pétrole se situe davantage du côté de la demande. Sous l’effet d’un ralentissement de la croissance économique mondiale et des effets de la guerre commerciale sino-américaine sur le dynamisme des échanges commerciaux, l’AIE a réévalué la hausse de la demande de pétrole mondiale à 1,4 millions de barils par jour en 2020, soit bien en-deçà de la croissance de l’offre sur le marché. Cette perspective a tiré le prix du brut vers le bas, passant ainsi en quelques mois de 70 dollars à 60 dollars la semaine dernière.

Ces événements rappellent également la particularité de l’Iran en tant que producteur pétrolier. La géopolitique régionale en matière de ressources naturelles met en évidence un marché du pétrole iranien fragilisé, après la levée des exemptions accordées à la Chine et à l’Inde depuis le retour des sanctions en novembre dernier. Les exportations de pétrole iranien ont chuté, bien que des cargos continuent d’être acheminés jusqu’en Chine et en Inde. Selon Niel Atkinson, « la géolocalisation par satellite des navires qui quittent les ports iraniens a été désactivée depuis plusieurs semaines ; il est devenu très difficile d’identifier les itinéraires et de localiser les bateaux ». Pour contourner les sanctions américaines, l’Iran « offre très probablement des remises sur son pétrole, pour inciter les acheteurs à prendre le risque de s’exposer à des pénalités financières ». Les difficultés auxquelles fait face le secteur pétrolier iranien ne sont pas nouvelles ; la parenthèse qu’a représenté l’accord de Vienne entre 2015-2016 et 2018 relève davantage de l’exception, pour un pays qui s’est accoutumé à la marginalisation économique et industrielle. L’industrie pétrolière a démontré sa résilience, malgré ses difficultés à accéder à des matériaux et à des technologies de pointe pour sa production et son raffinage. Le vrai enjeu pour l’Iran se situe dans sa capacité à soutenir à long terme une économie fragilisée par la perte des revenus du pétrole. Selon Gilles Darmois, professeur à l’Institut Français du Pétrole et consultant en énergie, « la banque centrale iranienne a récemment changé son fusil d’épaule en acceptant de soutenir financièrement l’industrie pétrolière, contre sa position habituelle ».

L’abondance de pétrole américain sur le marché ne signifie cependant pas qu’il peut se substituer au pétrole iranien. La grande diversité des qualités de pétrole correspond à une toute aussi grande diversité de produits pétroliers et d’usages. A titre d’exemple, le pétrole vénézuélien est particulièrement lourd et soufré (15-16° API, i.e American Petroleum Institute index)3, correspond à un certain type de raffineries dont l’opération est plus coûteuse, et s’achète donc moins cher qu’un pétrole plus léger et moins soufré, comme le West Texas Intermediate (WTI, 39° API). De par sa densité, le pétrole vénézuélien se prête davantage à des produits pétroliers lourds, comme le fioul lourd, dont la demande mondiale diminue au profit de produits plus légers.

Le pétrole iranien est un pétrole de densité moyenne (30°-33° API) et soufré (1,5-1,7 %) par rapport au WTI (0,24 % de soufre). A ce titre, le pétrole américain répond mieux à la hausse de la demande mondiale de produits pétroliers légers que l’on retrouve dans la pétrochimie ; mais la plupart des raffineries dans le monde sont outillées pour raffiner du pétrole à 32° API, d’une densité proche de celle du pétrole iranien. Niel Atkinson précise d’ailleurs que « les exportations de pétrole américain vers la Chine ont substantiellement augmenté ces dernières années, car ses qualités correspondent à la nature de la demande chinoise, portée par le secteur de la pétrochimie ».

Les conséquences de l’attaque des navires dans le golfe d’Oman sur les marchés pétroliers sont donc à nuancer, à l’heure où le principal facteur d’impact sur les prix réside dans une demande en faible hausse. Si ces attaques étaient amenées à se multiplier, et leur ampleur à augmenter, il pourrait en être autrement. Néanmoins, c’est bien l’interprétation politique des événements, et la guerre d’influence qui voit s’affronter aujourd’hui les Etats-Unis et l’Iran qui porte la plus grande part de risque sur la stabilité générale de la région, 48 heures après les événements.

Perspectives :

  • L’interprétation politique des événements reste incertaine et tient les acteurs privés et publics dans l’expectative, alors que la fiabilité de la vidéo publiée par le gouvernement américain incriminant l’Iran dans l’attaque reste à prouver
  • Si l’attaque des deux navires du 13 juin a jusqu’à présent des conséquences minimes sur le cours du pétrole, une déstabilisation généralisée de la région pourrait représenter un risque tangible pour l’équilibre offre-demande sur les marchés
  • La nervosité récente des cours du pétrole montre que la géopolitique reste un facteur déterminant dans la fluctuation des prix
  • L’abondante production de pétrole aux Etats-Unis contribue à fragiliser la position de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). Le cartel peine à influencer durablement le prix du pétrole, malgré l’aboutissement de négociations entre Etats membres pour réduire la production