Tallinn. Depuis le début de l’année 2013, Tallinn est la première capitale de l’Union européenne à proposer les transports en commun gratuits à ses habitants. La gratuité des transports en commun est le fait que tout ou partie des usagers bénéficient du service sans le payer. Le service est alors financé en totalité par des moyens autres que le paiement par les usagers (par le biais des entreprises, des politiques tarifaires..). Ainsi, la « gratuité » n’en est pas réellement une, et constitue plutôt un report des coûts sur d’autres entités que les usagers.

Tallinn s’inscrit initialement dans cette démarche innovante pour des raisons économiques et sociales. En effet, suite à la crise économique de 2008, de nombreux habitants ne sont plus en mesure de payer les transports en commun, devenant parfois captifs de leur territoire. Ainsi, un référendum a été organisé en janvier 2013 par la municipalité sur la gratuité des transports, adopté par la population à 75,5 %. Cette mesure permet donc d’étendre la mobilité des plus précaires ou la possibilité de recherche d’emploi, par une meilleure intégration du territoire. Celle-ci permet aussi aux populations d’accéder plus aisément à la consommation, aux services de la ville : en bref, le transport gratuit devient média de justice sociale1. Il faut dire que pour une famille avec deux enfants, la gratuité représente une économie de 50 euros par mois, quand le salaire moyen d’un Estonien est deux fois moins élevé que celui d’un Français.

Depuis la mise en place de la gratuité des transports publics, on observe une augmentation significative du nombre d’habitants inscrits à ce service. Le maire de la capitale, Taavi Aas, insiste sur le succès du projet, notamment dans un contexte d’augmentation du nombre de voitures entre 2010 et 2013. La ville a effectivement connu une hausse, sur trois ans seulement, de 30 % environ du nombre de véhicules sur son territoire, et de 35 % environ pour le comté de Harju.

Dans un tel contexte, la mesure prise par la municipalité s’est trouvée fructueuse sur de multiples points. Tout d’abord, d’après Alan Alakula – représentant de la ville de Tallinn à l’Union européenne et en charge du dossier – la fréquentation des transports en commun entre 2012 et 2013 est passée de 53 % à 64 % (+11 points), quand, parallèlement, l’usage de la voiture s’est trouvé réduit de 32 % à 23 % (-9 points). Sans oublier la plus-value environnementale avec une réduction d’émission de gaz à effets de serre2, la gratuité a donc permis de rééquilibrer les modes de transport et développer le report modal. Par ailleurs, d’un point de vue économique, si les transports en commun de Tallinn ont perdu 12 millions d’euros de recettes par an (qui correspondaient aux ventes de tickets sur une année), la municipalité assure que cette perte est largement compensée par des rentrée fiscales en nette hausse3. Ainsi, la gratuité permet d’une part une redistribution des richesses par une hausse du pouvoir d’achat des usagers. D’autre part, la mesure renforce l’attractivité des centres villes et du territoire : la capitale estonienne a  ainsi attiré de nouveaux habitants (environ 30.000 de plus), dont une bonne part était alléchée par la gratuité.

A présent, force est de remarquer qu’un véritable réseau européen de promotion du transport gratuit s’est développé depuis 2013 suite à l’initiative estonienne. En effet, après Bruxelles, Grenoble, Dunkerque, Rakvere en Estonie, Erkner en Allemagne, Zory en Pologne, ou encore Avesta en Suède, le Luxembourg s’est engagé depuis novembre 2018 à appliquer cette mesure à l’ensemble de son territoire. L’accroissement des rencontres et initiatives a permis de développer un premier réseau de partages d’expériences entre des villes appliquant déjà la gratuité des transports en commun, et d’autres intriguées par la démarche. Ces mesures préfigurent une création systémique de ce nouveau rapport à la mobilité, à l’espace, et à la consommation à l’échelle européenne. En effet, d’après le politologue Paul Ariès4, « Chaque fois que l’on prend une initiative dans le domaine de la gratuité, on fait revenir les gens à la politique, y compris lorsque c’est un échec […] Émancipatrice, la gratuité constitue un hymne au « plus à jouir ». On peut formuler mille reproches à la société de consommation ; elle parvient toutefois à séduire en invitant à consommer toujours plus. Rompre avec cette « jouissance de l’avoir » implique de lui en opposer une autre : celle de l’être. ».

Perspectives :

  • Dans un entretien au Parisien mi-mars 2019, Anne Hidalgo a réaffirmé sa volonté de rendre les transports en commun gratuits pour tous dans la capitale, à l’horizon 2020. Relever ce défi politique, économique, et logistique pour un réseau d’une telle taille constituerait un véritable modèle pour les villes plus petites- inspirées mais dubitatives- comme Caen.
Sources
  1. MIGNOT Dominique, Transport et justice sociale, 2004
  2. PAUL DUBOIS TAINE Olivier, Transports, écologie et territoires, Etudes, 2006
  3. LECLERCQ Axel, Tallinn a voulu des transports publics gratuits. Depuis, elle gagne des sous, Positivr, 18 octobre 2016
  4. ARIES Paul, Éloge de la gratuité, Le Monde Diplomatique, 25 novembre 2018