Londres. En temps ordinaires, les élections locales qui se tenaient au Royaume-Uni le jeudi 2 mai auraient permis de mesurer l’état de santé du parti au gouvernement et du parti d’opposition, quelle que soit la répartition des rôles entre le Parti Conservateur et le Parti Travailliste. Mais, depuis le Brexit, rien ne fonctionne plus normalement dans le pays, et c’est un sérieux avertissement aux deux partis que les électeurs ont lancé dans les urnes, sanctionnés pour la paralysie dans laquelle se trouve le pays trois ans après le référendum de juin 2016.

Le grand perdant, c’est le camp conservateur de Theresa May qui a perdu le contrôle de 45 exécutifs locaux, et plus de 1300 élus, soit plus d’un sur quatre, par rapport aux précédentes élections de 2015. Le camp travailliste a subi des pertes moindres en apparence (moins d’une centaine d’élus) mais en partant d’une base déjà très affaiblie par les résultats d’il y a quatre ans, et alors que certains dirigeants estimaient possible d’en conquérir 400. Le Labour recule notamment dans ses bastions populaires du nord de l’Angleterre. En temps ordinaires, cette élection aurait dû lui permettre de regagner du terrain sur le parti au gouvernement.

Alors que le parti indépendantiste, Ukip, est en recul lui aussi, ce sont les partis europhiles qui progressent fortement dans l’ensemble du pays. Notamment les Libéraux-Démocrates, qui doublent leurs sièges, sont les grands vainqueurs du scrutin, ainsi que le parti des Verts, jusqu’ici plutôt faible, et les candidats dits indépendants. « Le Parti Conservateur a été puni pour ne pas avoir accompli le Brexit, et le Parti Travailliste pour l’avoir esquivé. Ils doivent désormais trouver un accord », analysait vendredi The Times dans un éditorial expliquant qu’un tel accord (entre le projet de traité de retrait signé avec Bruxelles et la demande travailliste d’un maintien au sein de l’Union douanière) était en réalité possible1. « La vraie difficulté, après ces élections locales, est de savoir si Mme May et M. Corbyn ont l’autorité suffisante pour embarquer leur propre parti dans cette direction ».

L’autre considération évoquée par la presse britannique, est la perte d’influence des deux partis historiques de gouvernement. Le vote de jeudi les place à environ 28 % chacun, soit avec 56 % un minimum historique et un net recul par rapport aux 35 % d’il y a un an. « Si ce résultat devait se répéter aux élections législatives, cela aurait pour effet de produire un parlement sans majorité », estime The Guardian.2.

On retrouve là un phénomène très répandu désormais en Europe. Aux élections générales espagnoles, il y a une semaine, la fragmentation du parlement, avec cinq forces politiques au-dessus de la barre des 10 % des suffrages, n’a pas permis au parti arrivé en tête de pouvoir aisément disposer d’une majorité. Le Bundestag, depuis les élections allemandes de septembre 2017, est plus morcelé qu’il ne l’a jamais été depuis un demi-siècle. Le Royaume-Uni et l’Allemagne, symboles depuis la fin de la Seconde guerre de la pratique de l’alternance démocratique entre deux partis dominants, à gauche et à droite, sont désormais contraints à la recherche de coalitions de plus en plus difficiles à mettre sur pied3. Le système électoral britannique, the first pass the post, continue à privilégier les grands partis et à favoriser le bipartisme, mais la percée des Lib-Dems de jeudi laisse penser qu’en cas d’union des forces pro-Remain une brèche est ouverte.

En référence au Brexit, le Financial Times estime par ailleurs que le vote de jeudi est une revanche des Remainers (des électeurs favorables au maintien du Royaume-Uni dans l’Union)4. Elle relève également l’impact potentiel de ce résultat sur la conduite du processus de sortie du Royaume-Uni de l’Union. L’avertissement sévère adressé par les électeurs au parti de Theresa May va inciter de nombreux élus conservateurs à tout faire pour éviter de se présenter aux urnes le 23 mai pour des élections européennes qui risquent de répliquer la défaite. Les sondages affirment que le nouveau parti europhobe de Nigel Farage arriverait en tête. Les négociations entre le Labour de Jeremy Corbyn et les Tories de Theresa May pourraient donc dans les prochains jours trouver là une bonne raison de favoriser des concessions de part et d’autre.

Perspectives :

  • 6 mai : poursuite des négociations entre les Tories et le Labour sur un compromis pour le Brexit.
  • 7 mai : date limite d’inscription sur les listes électorales pour les élections européennes.
  • 23 mai : élections européennes (si l’accord de retrait n’est pas adopté à Westminster).
  • 31 octobre : date limite pour le Brexit accordée par le Conseil européen.
Sources
  1. The Times view on the local election results : The Voters’ Verdict, The Times, 4 mai 2019
  2. STEWART Heather, WINTOUR Patrick, Tories lose over 1,300 seats in local elections as major parties suffer, The Guardian, 3 mai 2019
  3. HUBLET François, SCHLEYER Johanna, L’ère des Très Grandes Coalitions et l’Allemagne ingouvernable, Le Grand Continent, 29 avril 2019
  4. BURN-MURDOCH John, UK local elections : what we learnt, Financial Times, 3 mai 2019.