Bruxelles. Avec 126 réacteurs en opération dans 14 États membres, l’énergie nucléaire est encore la première source d’électricité à faible émission de carbone en Europe. Selon le rapport de novembre 2018 EU Clean Energy Strategy, le nucléaire devrait représenter 12 à 15 % de la production d’électricité dans l’Union en 20501. La décision du Parlement européen de rayer le nucléaire de la liste des investissements bénéficiant du label européen d’investissement vert intervient à un moment où la capacité des politiques publiques européennes à réduire les émissions de carbone peut être remise en question.

Le financement de la transition énergétique est l’un des défis majeurs de notre siècle. Les estimations pour l’Europe prédisent qu’elle nécessitera un investissement total de 11,2 milliards d’euros par an pour la période 2021-20302. L’investissement de sommes si importantes suppose des incitations à long terme et des signaux politiques clairs afin d’attirer les investisseurs dans les différents secteurs qui seront à la pointe de la transition énergétique. Le secteur de l’électricité, responsable de 27,9 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union en 20163, est celui qui attire le plus l’attention, étant donné son inertie moins importante que dans d’autres secteurs.

En ce sens, le Parlement européen a voté jeudi 28 mars sur un projet de taxonomie de la finance verte. Son objectif devrait être, en principe, de fournir une bonne base pour le financement de la transition énergétique en identifiant les actifs qui favoriseront le plus efficacement cette transition (c’est-à-dire ceux qui ont le plus haut rapport de réduction des émissions de gaz à effet de serre par euro investi). Les actifs comme l’énergie solaire et l’éolien font partie de cette taxonomie. Cependant, l’énergie nucléaire en a été exclue, de même que les énergies fossiles et l’exploitation des gaz.

La classification dépend de la définition que l’on donne d’une énergie verte. Selon la US Environmental Protection Agency (EPA), l’énergie verte est un terme désignant les sources d’énergie renouvelables ainsi que les technologies qui offrent les plus grands avantages environnementaux4. Bien que l’électricité nucléaire soit une technologie à faible émission carbone, elle est considérée comme une ressource conventionnelle à cause des déchets radioactifs qu’elle génère, même si des solutions techniques déjà anciennes existent afin de contrôler et de réduire les risques radioactifs associés au nucléaire. Ces risques radioactifs, ainsi que l’opposition de larges pans de l’opinion publique, sont probablement la principale raison expliquant l’exclusion de l’énergie nucléaire de la taxonomie de la finance verte.

Les faibles émissions de carbone de l’énergie nucléaire sont souvent laissées de côté sur la base d’une appréciation politique. Le graphique 1 montre que la trajectoire des émissions de carbone par habitant a considérablement baissé avec l’expansion des programmes nucléaires en Suède et en France entre 1975 et 1990. Dans ces deux pays, la part du nucléaire dans la production d’électricité est aujourd’hui de respectivement 40,4 % et 72,6 %5. La plupart des scénarios proposés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C intègrent le nucléaire dans les mixes énergétiques6. De plus, le plan EU Clean Energy Strategy de novembre 2018 prévoit que la part du nucléaire dans le mixe énergétique sera de 12 à 15 % à horizon 20507. La taxonomie en cours semble être en contradiction avec ces tendances.

Graphique 1 u2013 Trajectoire des u00e9missions de CO2 per capita, 1965-2016 u2013 Source  : BP statistical review 2018 and World Bank

Selon Eurostat, l’énergie nucléaire reste la première source d’électricité à faible émission de carbone en Europe8. Les 126 rédacteurs européens produisent 25,7 % de l’électricité consommée sur le continent ; ils sont suivis par l’hydroélectricité qui représente 12,1 % de l’électricité produite sur le continent. L’incertitude des coûts et du calendrier politique des constructions de nouvelles centrales nucléaires dans les pays occidentaux contribue considérablement à l’accroissement de l’aversion au risque dans ce secteur. En ce début d’année, Hitachi s’est retiré du projet de centrale électrique de Wylfa au Pays de Galles, incapable de trouver un accord avec le gouvernement britannique sur la décision finale d’investissement. Cependant, les centrales nucléaires existantes présentent un profil de risque complètement différent, notamment lorsqu’il s’agit de projet de prolongation de leur durée de vie. Ce type de projets a déjà été réalisé dans de nombreux pays de l’OCDE comme les États-Unis, la Belgique, la Suède ou la Finlande, avec un investissement au jour le jour de l’ordre de 500 à 1 100 euros par KWe9. Avec de tels apports, les projections du coût actualisé de l’énergie réalisées par la Commission Européenne montrent que l’énergie nucléaire telle qu’elle existe actuellement sera l’énergie la moins chère à l’horizon 203010. L’énergie verte se doit d’être à la fois abordable, sûre et durable. Ces trois conditions doivent être respectées par tous les instruments financiers verts.

Exclure l’énergie nucléaire du label d’investissement vert n’est pas l’unique décision de la Commission européenne qui pourrait remettre en question l’efficacité de sa politique de décarbonisation de l’économie. Par exemple, dans sa nouvelle proposition pour réformer le fonctionnement du marché de l’électricité, le plafond des subventions à la capacité des centrales électriques est fixé à 550g de CO2 par KWh11. Parallèlement, le secteur de l’aviation reste sous-taxé, avec des compagnies comme Ryanair qui entrent dans le top 10 des entreprises européennes les plus polluantes12. Une politique énergétique efficace ne peut être mise en œuvre qu’au moyen d’approches plus intersectorielles qui mettent l’accent sur l’objectif principal de réduction des émissions et qui combinent harmonieusement toutes les technologies existantes après avoir évalué leurs avantages, leurs inconvénients et leurs limites. Le coût et la sécurité de l’approvisionnement devraient également être prise en compte afin d’assurer une transition énergétique qui soit économique et socialement viable.

À court terme, la taxonomie européenne verte aura un impact limité sur le marché. Les effets secondaires à long terme de l’exclusion de l’énergie nucléaire de cet instrument sont en revanche difficiles à prévoir. Ce qui est sûr, c’est que le renoncement à l’énergie nucléaire ajoutera un degré de difficulté supplémentaire à cette équation complexe qu’est la transition énergétique.

Perspectives :

  • L’énergie nucléaire a été exclue de la taxonomie européenne de la finance verte malgré son potentiel pour favoriser la transition énergétique.
  • Le plan EU Clean Energy Strategy prévoit que la part du nucléaire dans le mixe énergétique sera de 12 à 15 % d’ici 2050.
  • Au-delà des nouveaux instruments de financement, l’UE pourrait avoir besoin de nouvelles politiques publiques plus ambitieuses et intersectorielles afin d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de carbone dans la viabilité économique et sociale.