Bruxelles. La Commission européenne a publié le 1er avril dernier les émissions de gaz à effet de serre vérifiées pour 2018 au sein de l’Union. Le rapport indique l’entrée de la compagnie aérienne irlandaise Ryanair au sein du club des 10 plus gros pollueurs et interroge sur l’efficacité des politiques carbone à destination du secteur aérien jusqu’à aujourd’hui, qui représente 3 % des émissions totales de l’Union.

Il y a deux moyens principaux de donner un coût au carbone  : soit au travers d’un marché du carbone, où s’échangent des droits à polluer, soit au travers d’une taxe appliqué sur des produits polluants.

Le Système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) est la réalisation du premier au sein de l’Espace Economique Européen (EEE), couvrant environ 45 % des émissions réalisées dans cet espace. L’aviation y est incluse, mais uniquement pour les vols domestiques à l’EEE. Ce qui n’était pas l’intention initiale de la Commission qui souhaitait aussi couvrir les vols internationaux partant ou arrivant au sein de l’EEE ; une décision ayant déclenché l’ire du secteur, obligeant l’Union à exempter temporairement ces vols pour un an en 2012, exemption qui depuis a été prolongée à 2024 1. En outre, sur l’ensemble des droits à polluer de cette catégorie, 82 % sont donnés gratuitement aux opérateurs : le coût du carbone qu’ils s’acquittent via le SEQE ne correspond ainsi qu’à une partie mineure de leurs émissions totales.

Reste la taxation. L’article 24 de la Convention de Chicago de 1944 est souvent cité pour justifier l’impossibilité de taxer le kérosène (via une taxe d’accise ou sur la valeur ajoutée, par exemple) sur les vols internationaux. Pour autant, cet article pose une interdiction seulement sur le carburant encore présent dans les réservoirs au moment de l’arrivée dans un pays étranger, et non le carburant chargé dans l’aéroport de ce pays 2. Ce sont les « Air Services Agreements », accords bilatéraux ayant fleuri à la conclusion de la Convention, qui interdisent toute taxation quelle que soit l’historique du carburant : il n’est donc pas impossible que les pays renégocient entre eux ces accords sans violer leurs engagements internationaux.

Autre fait intéressant, l’Union, par la directive sur la taxation des produits énergétiques, fixe un taux minimum autorisé de taxation sauf pour une famille de produits, dont les énergies renouvelables et…les combustibles pour la navigation maritime et aérienne. La directive permet néanmoins de dépasser cette exonération : les États membres sont autorisés à signer des accords bilatéraux pour la suspendre 3. Mais cette suspension ne s’appliquerait pas aux compagnies enregistrées ailleurs que dans les deux pays parties des accords, pouvant créer des distorsions de marché.

Pour les vols domestiques nationaux, la Convention n’interdit pas la taxation. Mais peu de pays l’ont mis en place, notamment par peur de voir leurs hubs aériens perdre en compétitivité par une taxation trop élevée des carburants. La France par exemple exonère les compagnies aériennes de la fameuse TICPE 4, tandis que les automobilistes s’en acquittent à chaque « plein » de leur voiture 5. La crise des gilets jaunes est un symptôme de cette différence.

À ce stade, il n’y a donc pas d’obstacle légal à la mise en place de taxation du kérosène pour les vols domestiques, ni pour les vols internationaux, pour les pays souhaitant renégocier leurs accords bilatéraux 6. Néanmoins, seule une action communautaire ambitieuse des tous les Etats membres permettra de limiter au mieux les distorsions de compétitivité naissant de telles mesures entre États et/ou opérateurs.

Sources
  1. Commission Européenne, Réduire les émissions du secteur aérien, consulté le 11 avril 2019
  2. Organisation de l’Aviation Civile Internationale, Convention on the International Civil Aviation, 7 décembre 1944
  3. Journal Officiel de l’Union Européenne, directive 2003/96 sur la taxation des produits énergétiques, 27 octobre 2003
  4. Code des Douanes, Article 265 bis sur l’exonération de certaines produits de la TICPE.
  5. Ministère français de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes Publics, La taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques .
  6. Transport & Environment, Legal obstacles no barrier to introducing aviation fuel tax in Europe, say experts, 3 février 2019