New Delhi. En 2014, les indiens ont choisi Narendra Modi pour poursuivre l’émergence économique de l’Inde. L’ancien Chief Minister de l’État du Gujarat promettait alors de « libérer » la croissance indienne à travers un ensemble de réformes libérales surnommées « Modinomics » 1. Il lançait très vite de nombreux programmes : « Make in India » pour attirer les capitaux en Inde, « Smart Cities » pour construire des villes globales, « Skill India » pour développer une main d’œuvre qualifiée et « Startup India » afin d’encourager la création d’entreprises innovantes.

Cinq ans après, l’économie indienne a bien pris la place de la France au 5e rang mondial. Mais malgré une population d’un milliard 339 millions d’habitants en 2019, elle se situe toujours très loin d’économies comme l’Union européenne, dont le PIB par habitant reste huit fois plus élevé. La croissance économique sous Modi n’a pas non plus participé à l’amélioration du bien-être général, comme le montre un Indice de Développement Humain en stagnation, plaçant toujours l’Inde à la 130e place 2.

Pas de retard sur un agenda libéral chargé

La politique économique de Narendra Modi lui a pourtant valu les honneurs de mener la conférence inaugurale du forum de Davos en 2018. Il en a alors profité pour souligner ses mesures afin d’ouvrir l’Inde aux échanges, se targuant d’avoir « aboli environ 1 400 lois archaïques », « éliminé les formalités administratives », et « déroulé le tapis rouge » aux capitaux étrangers. Il est vrai que le pays a grimpé dans le classement « Doing Business » de la Banque Mondiale. Alors que, en 2014, l’Inde se plaçait au 142e rang des 189 pays où il est le plus facile de faire des affaires, elle a sauté 65 places pour se classer en 77e position en 2019 3.

Cette progression vient récompenser la mise en place de réformes réclamées de longue date. C’est le cas de la Goods and Services Tax (GST), qui est parvenue à unifier un système de taxation des entreprises auparavant complexe et disparate. Une douzaine de secteurs ont également été ouverts à des prises de participation par des groupes étrangers, notamment dans le commerce, la défense, l’aviation civile ou encore la pharmacie.

Effets d’annonce, irréalisme budgétaire, et mesures hasardeuses

Lors de son lancement, le programme « Make in India » prévoyait de faire remonter la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de 16 % à 25 % en 2022, tout en créant 100 millions d’emploi. L’initiative a bien attiré certaines entreprises étrangères comme Huawei, qui a lancé la production d’un de ses modèles de smartphones à Chennai. Pourtant l’investissement accuse une forte baisse : alors qu’il représentait 31,2 % du PIB en 2014, elle n’en représentait plus que 26,3 % en 2017.

Les dépenses publiques tardent en fait à suivre les annonces gouvernementales. Si le gouvernement a prévu en 2016 la création d’un fonds de de 1,5 milliards de dollars pour financer l’innovation en Inde dans le cadre du plan « Startup India », on ne dénombre pas plus d’une centaine de startups à en avoir bénéficié en 2019. Pour bénéficier du fonds, les jeunes entreprises doivent être certifiées comme innovantes par le gouvernement, ce qui ralentit fortement l’efficacité du programme. Le plan de privatisations d’entreprises publiques n’a d’ailleurs permis de dégager suffisamment de fonds, leurs actifs étant si déficitaires qu’elles ne trouvent pas de repreneurs : la compagnie aérienne Air India est officiellement à vendre depuis mai 2018.

Les possibilités financières du gouvernement central restent donc limitées. La dette publique de l’Inde à la fin de l’année 2018 atteignait 70 % du PIB. Cette situation a contraint le gouvernement central à confier plus d’autonomie aux États fédérés : leur endettement a ainsi explosé sous le mandat de Narendra Modi. La démonétisation de la roupie, dont un des objectifs annoncés était d’accroitre les recettes fiscales de l’État, est d’ailleurs loin d’avoir rempli ses objectifs, quand 99,3 % des billets concernés furent finalement déposés dans les banques.

Capitalisme de connivence, croissance sans emplois et montée des inégalités

La démonétisation aura toutefois heurté les petites et moyennes entreprises, en particulier dans le secteur informel qui emploie près de 93 % des travailleurs indiens, qui ont été empêchées d’effectuer des transactions en espèces pendant plusieurs semaines. Les PME sont pourtant déjà marginalisées par un système bancaire qui favorise les grands groupes, qui ont profité de 41 visites de Modi dans 52 pays différents signer de juteux contrats 4. En même temps, le gouvernement s’est refusé à augmenter la taxation des Indiens les plus riches : seuls 2,3 % des recettes fiscales proviennent de l’impôt sur les revenus et la richesse.

Ces exemples illustrent la montée d’une forme de « crony capitalism » (« capitalisme de connivence ») sous le gouvernement Modi, illustrée par l’opacité du contrat des Rafales donné à Reliance, un conglomérat indien sans aucune expérience dans l’aviation militaire 5. Ces contrats ne semblent en tout cas pas avoir encouragé la création d’emplois en Inde. Début février, l’exécutif tentait même de cacher les chiffres du chômage, des statistiques records témoignant d’une situation de sous-emploi grandissant 6. Cette «  jobless growth  » (« croissance sans emploi ») est probablement une des conséquences d’une vision gouvernementale court-termiste peinant à résoudre de graves problèmes structuraux, qui font de l’Inde l’un des pays les plus inégalitaires au monde 7.

Le monde paysan se retrouve ainsi englué dans une crise profonde liée à la hausse des coûts de production, au morcellement des parcelles et au dérèglement climatique, encourageant un mouvement social sans précédent des travailleurs agricoles 8. Le premier ministre, qui avait promis aux paysans le doublement de leurs revenus d’ici 2022 à travers le prix minimal d’achat de certaines denrées agricoles, a dû revoir cette promesse à la baisse en juillet dernier.

Les plus défavorisés peinent à se retrouver dans les Modinomics, qui semblent plus favorables aux classes moyennes urbaines 9. Cependant, à l’approche des élections générales, les classes moyennes ne sont plus le cœur de cibles des politiques publiques. 10 En Inde, les pauvres votent plus que les riches, et la grande majorité d’entre eux se trouvent dans les zones rurales. Le dernier budget prévoit ainsi une allocation de 6 000 roupies (73 euros) pour 120 millions de paysans, pour un montant total de 9,3 milliards d’euros 11. Reste à savoir si cette mesure sera à même de convaincre le monde rural de continuer à croire en Modi. Mais quand on sait que dans les quatre premières années de son mandat, l’administration Modi avait dépensé en communication gouvernementale autant que le Parti du Congrès lors de ses deux quinquennats précédents, il est permis de le croire 12.

Carte qui répresente la croissance du PIB en Inde par térritoire (en %)
GEG | Cartographie pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • 11 avril – 19 mai : Élections générales indiennes pour constituer la XVIIe législature de la Lok Sabha (Chambre basse du Parlement). Le principal rival du premier ministre sortant, Narendra Modi (BNP), candidat à sa propre succession, est Rahul Gandhi, de l’Indian National Congress (INC).