Menlo Park et Redmond. Si ce n’était pas le cas il y a encore quelques années, il existe à présent un vaste consensus autour de l’idée qu’une diffusion incontrôlée de contenus en ligne n’est pas sans dangers.

La conjoncture actuelle contribue à placer ce sujet sur le devant de la scène : les craintes de manipulation pèsent sur les élections européennes, et la tragédie qui a secoué la Nouvelle-Zélande a pris un tour numérique avec la diffusion en temps réel puis le partage sur divers réseaux sociaux des images de cet attentat terroriste 1.

Dans ce contexte, deux figures du monde numérique ont pris la parole pour participer à la discussion sur les mesures à prendre à la hauteur des enjeux.

D’abord, dans un texte publié le 24 mars sur le blog officiel de Microsoft 2, son président Brad Smith a invité les acteurs du secteur à établir un niveau plus avancé de coordination entre eux, que ce soit pour prévenir la diffusion de contenus violents ou pour agir de concert, au sein d’une sorte de “centre virtuel de commande intégré”, lorsqu’il s’agit d’endiguer un mouvement massif de propositions de tels messages. Il s’agirait donc selon lui d’étendre à de nouveaux champs la logique du Forum Global de l’Internet pour Contrer le Terrorisme (GIFCT) 3, créé en 2017 et dont les résultats se sont révélés prometteurs.

La proposition de Smith a été tôt suivie par Mark Zuckerberg. Le PDG de Facebook a publié fin mars une tribune dans quatre journaux internationaux dans laquelle il souligne la nécessité de faire un pas en avant en matière de régulation d’Internet 4. Il a été bien inspiré de ne pas publier cette prise de position le premier avril, tant elle surprend de la part du chef d’une entreprise qui n’a jusqu’à présent pas ménagé ses efforts pour faire obstacle à des initiatives législatives, en particulier au niveau européen 5.

Prenant le contre-pied de ce qui était la pratique courante de son entreprise, le fondateur de Facebook réclame la création d’un cadre réglementaire “harmonisé” dans quatre domaines, dont les contenus violents et haineux ainsi que les campagnes électorales. En matière de vie privée, il n’hésite pas à invoquer le Règlement Général de Protection des Données, allant même jusqu’à affirmer « qu’il serait bon pour Internet que davantage de pays adoptent une réglementation telle que le RGPD comme cadre commun” et souhaiter l’application d’une telle norme “à l’échelle mondiale”. Enfin, M Zuckerberg soutient le principe de la portabilité des données, même s’il semble le concevoir comme une facilitation du transfert des informations personnelles d’une plateforme à l’autre – mécanisme sur lequel repose une bonne partie du succès de son réseau social – davantage qu’un droit que les utilisateurs pourraient exercer pour faire jouer une concurrence pour l’instant toute virtuelle.

Bien que les propositions de Smith et de Zuckerberg soient distinctes, elles n’en sont pas pour autant incompatibles. L’un appelle à une coordination des acteurs privés pour mettre en œuvre leurs moyens techniques et humains de façon plus efficace, l’autre à une coordination entre acteurs publics pour orienter cette action et la placer dans un cadre normatif cohérent. Dans les deux cas, la nécessité d’une collaboration soutenue entre pouvoirs publics, entreprises et représentants de la société civile est ouvertement soulignée. Une forme de gouvernance rendue indispensable par la nature même d’Internet, qui n’est pas sans rappeler les nombreuses initiatives développées au niveau de l’Union dans le domaine du numérique.

Perspectives :

  • Les négociations se poursuivent entre les institutions européennes autour du projet de règlement e-Privacy 6 , texte au sujet duquel le lobbyisme de Facebook est décrit comme intense : cette récente déclaration de la part de Zuckerberg aura-t-elle des répercussions pratiques ?
  • En 2020 entrera en vigueur une loi récemment adoptée en Californie sur le modèle du RGPD. Cette avancée souligne aussi la fragmentation normative qui existe à l’intérieur même des Etats-Unis dans le domaine du numérique. Les entreprises du numérique – Facebook en tête – changeront-elles de stratégie en abandonnant un lobbyisme d’opposition à de telles initiatives lorsqu’elles apparaissent au niveau local, pour embrasser une activité d’influence en faveur d’une loi fédérale sur le sujet ?