L’attentat de Christchurch et le suprématisme blanc transnational

Christchurch. L’attentat terroriste de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, le vendredi 15 mars, qui a entraîné la mort de 49 fidèles musulmans lors de la prière du vendredi dans deux mosquées de la ville, ouvre une fenêtre particulièrement inquiétante sur le fonctionnement des réseaux alt-right au niveau international¹.

Si la modalité de l’attaque – annoncé sur 4chan et diffusé en direct sur Twitter via GoPro – est déjà particulièrement brutale, la violence est exacerbée par les révélations qui sont apparues quelques heures après les attentats : le compte Twitter à partir duquel la vidéo du massacre était partagée, lié à Brenton Tarrant, un Australien de 28 ans considéré par la police néozélandaise comme le principal suspect, avait publié un « manifeste » de 74 pages pour justifier son geste avant les attaques. Le texte, intitulé « Le Grand Remplacement« , présente un enchevêtrement de thèses proches de l’extrémisme de droite et du suprématisme blanc, avec des références au « génocide des Blancs » et à l’appel à la résistance, ainsi qu’une revendication de l’identité blanche et une obsession pour l’Islam, contre lequel il appelle à la révolte violente. Dans une partie du document, Tarrant dit qu’il apprécie Trump comme un « symbole de l’identité blanche », mais pas comme un leader politique, et qu’il a planifié l’attaque depuis deux ans (5). Le choix de l’image de couverture de l’affiche est également révélateur : le soleil noir, comme le soutient l’historien Nicolas Lebourg sur Mediapart, est le symbole du « néonazisme international »².

La dimension internationale de Tarrant apparaît également dans ses références : dans le manifeste, il dit soutenir « ceux qui se sont lancés contre le génocide ethnique et culturel », citant entre autres les noms de Luca Traini, Dylan Roof, et Anders Breivik – avec qui il dit avoir été en contact et avoir reçu une bénédiction de ses « frères chevaliers »³ pour son geste. Des paroles de Tarrant émerge un suprématisme transnational inquiétant, fondé sur la race, dans lequel la nation transcende les frontières pour devenir une « nation blanche ». Dans le manifeste, l’Australien Tarrant se définit comme « européen », indiquant l’Europe comme « terre des Blancs » menacée par l’invasion de l’Islam. « C’est un signe supplémentaire », selon Baptiste Roger Lacan, expert en matière, « que le nationalisme ethnique est une idéologie sans frontières qui passe de la Russie aux États-Unis, d’Amérique latine à l’Australie, qui partage un objectif, des références, un but commun, une haine pour un ennemi bien défini, l’Islam ».

Cela est encore plus troublant, dans un contexte où ces idées émergent de forums sur 4chan et de mèmes et risquent de se retrouver dans des discours politiques traditionnels. Cette situation est souvent le fait de politiciens complaisants : Donald Trump, par exemple, semblait dans certains cas flirter plus ou moins consciemment avec les cercles suprémacistes⁴. Luca Traini – l’une des sources d’inspirations de Tarrant qui, le 3 février 2018, a blessé 6 migrants à Macerata – avait ainsi été candidat pour la Ligue de Matteo Salvini, bien qu’il n’ait pas été élu. Une coïncidence que Salvini balaie d’un geste de la main, lui qui dans son tweet de condamnation accusait encore l’immigration incontrôlée de créer des problèmes sociaux⁵. « Ce nationalisme ethnique », explique Baptiste Roger Lacan, « exhumé après la Seconde Guerre mondiale dans les pays européens, s’est lentement structuré dans les milieux intellectuels comme la Nouvelle Droite. Le plus troublant aujourd’hui est la fusion violente de ce nationalisme ethnique européen avec les formes particulières de suprématisme blanc qui existent depuis cent ans aux États-Unis (mais aussi en Australie ou en Afrique du Sud) ».

Sources :

1. DROGO Giovanni, Salvini pensa di liquidare il legame tra Luca Traini e Brenton Tarrant con un tweet ?, Next Quotidiano, 15 mars 2019.
2. LEBOURG Nicolas, Christchurch : retour historique sur le « grand remplacement », Mediapart, 15 mars 2019.
3. PACE Julie, PEOPLES Steve, MILLER Zeke, Analysis : Trump still flirts with racially tinged rhetoric, AP News, 13 août 2018.
4. REGAN Helen, 49 killed in mass shooting at two mosques in Christchurch, New Zealand, CNN, 15 mars 2019.
5. SMITH Alexander, RADNOFSKY Caroline, GIVETASH Linda, BANIC Vladimir, New Zealand mosque shooting : Attacker’s apparent manifesto probed, NBC News, 15 mars 2019.

Giovanni Collot