Shenzhen, Hong-Kong. Mâtinée d’une compétition des chiffres désuète l’annonce du maire de Shenzhen le 27 février a résonné comme une bonne nouvelle, largement relayée par les médias chinois : le PIB de la ville a crû de 7,5 % en 2018, soit près de 3 points de plus que sa voisine et concurrente, la très libérale Hong Kong. Ainsi, pour la première fois, le PIB total de la ville chinoise a dépassé celui de sa voisine. Au-delà d’un taux de croissance spectaculaire, auquel la ville est habitué, la performance est plutôt dans le fait qu’une bourgade rurale a, en 40 ans, dépassé la production de richesse de l’économie la plus libérale du monde.

Il faut cependant rappeler que si le PIB global de la municipalité de Shenzhen est supérieur à celui de Hong Kong – 2422 milliards de yuan contre 2400 –, objet de la réjouissance chinoise, le PIB par tête reste largement supérieur dans la ville côtière – 322 mille yuan, contre 200 mille à Shenzhen, même s’il faut préciser que les prix hongkongais sont bien plus élevés, tirés par ceux de l’immobilier. De fait, Shenzhen compte 12,5 millions d’habitants, contre 7,4 à Hong-Kong.

Ce fait inédit donne du crédit au modèle chinois, dont Shenzhen est le pur produit, et qui tente de s’imposer dans l’ordre mondial au moment où la guerre commerciale avec les États-Unis constitue une épreuve sévère.

En effet, depuis la rétrocession de la cité-région en 1997, les deux villes sont explicitement en concurrence de part et d’autre du delta du Zhu Jiang, la « Rivière des perles » qui s’ouvre sur la Mer de Chine. Cette compétition rejoue localement une lutte plus globale entre deux visions du monde. Hong Kong, longtemps vitrine du libéralisme occidental en Asie de l’Est, tournée vers le Pacifique et le monde, dominait largement le modèle chinois qui prévalait à Shenzhen, ancienne ville rurale et pauvre, tournée vers les terres, et développée à marches forcées depuis les réformes de Deng Xiaoping et la décision du gouvernement central d’en faire une ZES (Zone Economique Spéciale) en 1979. Depuis, Shenzhen est devenue un hub technologique décisif pour le pays, alors que Hong-Kong reste plutôt dépendant des secteurs financiers et immobiliers1. Et il n’est pas anodin que la tendance se soit inversée ce mois-ci.

De fait, la politique de compétition commerciale de Trump commence à essouffler le pays, d’autant qu’à la hausse des tarifs douaniers américains s’ajoute une considérable baisse de la demande intérieure. Ainsi, alors que les exportations ont chuté drastiquement2, la croissance de la production industrielle chinoise en est aussi à son point le plus bas ce mois-ci.

De là à penser que les deux modèles sont face-à-face et non plus côte-à-côte, comme le voulait Deng Xiaoping en proposant le modèle « un État, deux systèmes » qui a prévalu depuis les années 1980, il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, les inquiétudes récentes à propos de la dégradation des droits civiques à Hong-Kong montrent bien la fin du statu quo à cet égard3.

Ting Lu, chef économiste de l’antenne hongkongaise de Nomura, déclarait justement à propos de la baisse de l’activité chinoise : « Nous attendons de Pékin une montée en puissance des politiques de soutien dans les mois à venir, et croyons toujours que la dérégulation du marché immobilier dans les grandes villes est essentiel pour relancer la croissance »4 — preuve s’il en fallait que les différences de performances sont perçues comme le résultat de choix institutionnels, de modèle, sur lesquels portent la compétition sous-jacente.

Perspectives :

  • Les priorités chinoises se recentreront-elles vers l’intérieur du pays ? En effet, de plus en plus en voix s’élèvent en Chine pour contester la politique d’extension de l’influence du modèle chinois via les routes de la soie, entre autres, affirmant que cette politique se fait au prix d’une négligence des intérêts domestiques, comme le développement d’un système de protection sociale.
  • L’annonce des chiffres de la croissance de Shenzen montre l’importance pour le pays de montrer que ses forces sont désormais ailleurs que dans la simple capacité à exporter à bas coûts, et notamment dans des secteurs à forte croissance, comme la technologie. L’idée d’une transition ou plutôt d’une pérennisation du modèle est en jeu, pour montrer que même si la part des exportations dans sa croissance est amené à diminuer (ce qui est de fait une tendance de long terme), la Chine continuera de tirer très fortement la croissance mondiale5.
  • Nous assistons donc à un moment charnière, puisqu’il s’agit là d’une lutte pour l’ordre mondial, et le tout est de savoir si les États-Unis ont fait le bon pari en pensant que viser la part — décroissante — de la croissance chinoise dépendant de ses exportations suffira à la faire plier.

Thomas Belaich

Sources
  1. DUHALDE Marcelo, A tale of two cities : Shenzhen vs Hong Kong, South China Morning Post, 4 décembre 2018.
  2. TOOZE Adam, Notes on the global condition : the rise of china, Blog personnel, juillet 2018.
  3. TAN Huileng, China’s exports fall more than 20 % in February ; overall trade data come in much weaker, CNBC, 7 mars 2019.
  4. WOODHOUSE Alice, LIU Nicolle, Shenzhen’s economy surpasses Hong Kong for the first time, 27 février 2019.

  5. WILDAU Gabriel, Chinese factory-output growth slows to weakest on record, Financial Times, 14 mars 2019.