Stockholm. Depuis la publication de la lettre du président français Emmanuel Macron sur l’avenir de l’Union Européenne (UE) dans le Dagens Nyheter du lundi 4 mars, les éditorialistes de la presse suédoise s’en donnent à coeur joie. Nous avons décidé ici de vous faire un tour d’horizon des réactions des éditorialistes à partir de quatre des principales publications suédoises : Aftonbladet (grand quotidien national, social-démocrate) (4), Dagens Industri (journal économique, libéral) (5), Göteborgs-Posten (journal généraliste, libéral) (1) et FOKUS (magazine indépendant) (3).
Les éditorialistes des quatre rédactions s’accordent tous sur un point : le président français souhaite assurer le leadership européen et reprendre la place qui sera prochainement laissée vacante par Angela Merkel. Pour Aftonbladet, il n’y a pas de concurrent à M. Macron : Theresa May est trop affaiblie et le Royaume-Uni quitte l’Union, tandis que l’Italie est gouvernée par une coalition eurosceptique. Tous s’accordent sur le fait que M. Macron incarne aujourd’hui le dernier leader possible pour les libéraux et les démocrates européens. Une domination française qui n’est pas du goût de tous : le journal de Göteborg met ainsi en garde contre « le rêve de l’impérialisme français ». Les observateurs restent aussi circonspects face à la forme même de la lettre du président français. Si le Dagens Industri ou le Göteborgs-Posten ne remettent pas en cause la forme même de la lettre, FOKUS et Aftonbladet déplorent ce choix. Le magazine de Stockholm titre son éditorial : « Macron : « L’UE, c’est moi » », et attaque frontalement la manière de communiquer choisie par le président. Le quotidien social-démocrate préfère quant à lui la métaphore napoléonienne.
Les éditorialistes se montrent en revanche plus divisés sur les propositions du président français. On décèle dans la ligne d’Aftonbladet une volonté de se montrer neutre. Mais l’absence de commentaires sur les propositions d’actions communes ne suffit pas à masquer une certaine approbation. Les quotidiens libéraux se montrent en revanche bien plus critiques. Ils évoquent tous les trois la question épineuse du Brexit. Comme l’explique le Göteborgs-Posten, le Royaume-Uni était le principal allié de la Suède contre les « tendances centralisatrices » de Bruxelles. Les trois journalistes critiquent ainsi le président français pour ne pas tenir compte de l’avertissement lancé par le peuple britannique à l’occasion du Brexit. Fokus explique ainsi que la tradition centralisatrice de la France conduit le président Macron à faire des propositions fédérales contraignantes aux autres pays européens. Il lui reproche notamment le fait que la présidence française ne réfléchit que par des initiatives centralisées. Les propositions, comme la création d’une agence européenne ou la mise en place d’une législation sur les fake news, ne provoquent que de l’hostilité chez les observateurs scandinaves. Le Dagens Industri pointe du doigt la « batterie d’efforts supranationaux, d’interdictions, de réglementations et de surveillance en Europe » voulue par le président français. Cette critique est d’ailleurs l’occasion pour les éditorialistes libéraux de renvoyer au président français ses critiques sur les gouvernements hongrois et polonais. L’éditorial du Göteborgs-Posten explique ainsi que la volonté de réglementer du Français ne vaut guère mieux que les politiques illibérales à l’oeuvre dans ces pays, et que le programme français pour l’Europe n’est pas libéral. Pour le Dagens Industri, les accusations françaises contre les gouvernements polonais et hongrois sont même une faute, car elles risquent d’accroître les tensions entre les pays européens.
Ces réactions ne doivent pas étonner, car elles se trouvent prises dans une longue suite de propositions françaises reçues sans enthousiasme par l’opinion publique suédoise. La lettre a été publiée la même semaine que la visite à Stockholm du ministre des Finances français Bruno Le Maire pour convaincre son homologue suédoise, Magdalena Andersson, d’introduire une taxe européenne sur les géants du numérique. À la tête de l’opposition à la proposition française, la Suède a renouvelé son refus (2).
Perspectives :
- Il faut dire que le royaume craint que l’une de ses principales entreprises, le site de diffusion de musique en ligne Spotify, soit touché par la taxe. De plus, les États-Unis jouent un rôle diplomatique en sous-main pour dissuader le royaume d’introduire cette taxe en brandissant la menace de taxation sur des produits comme les automobiles, une menace prise très au sérieux au pays de Volvo.
Sources :
- BOSTRÖM Hâkan, Varning för franska imperiedrömmar, Göteborgs-Posten, 6 mars 2019.
- FAUX Frédéric, Pourquoi la Suède refuse une « taxe Gafa » européenne, 6 mars 2019.
- HAKELIUS Johan, EU, det är jag, FOKUS, 6 mars 2019.
- HANSSON Wolfgang, Macron vill ta över som Europas starke man, Aftonbladet, 5 mars 2019.
- NILSSON P. M., Macron har oväntat svaga liberala reflexer, Dagens Industri, 5 mars 2019.
Thomas Gauchet