Caracas. L’agence de presse Reuters a rapporté que, selon différentes sources, des mercenaires de l’agence Wagner sont présents au Venezuela pour protéger Nicolas Maduro (5). Les données de suivi de vol révèlent qu’un avion russe Ilyuchin Il-96 a atterri à Caracas après des escales à Dakar, au Paraguay et à la Havane (6). Environ 400 hommes auraient été déployés ces derniers jours. Les miliciens employés par la société militaire privée ont été utilisés dans le passé en Ukraine, Centrafrique, Libye et plus récemment au Soudan. Plusieurs d’entre eux sont morts en Syrie en février dernier après des frappes de la coalition contre des forces du régime syrien.
Le dirigeant de l’agence paramilitaire, Evgueni Prigozhin, est un proche de Vladimir Poutine. Prigozhin a rencontré le président russe au début des années 2000 alors qu’il était restaurateur à St-Pétersbourg. Il a pris une place de plus en plus importante dans les sphères du Kremlin au fil des années, prenant la tête de l’Internet Research Agency, l’entreprise de désinformation accusée d’ingérence dans les élections américaines, pour aboutir à la tête du groupe paramilitaire Wagner en 2014.
Le Ministre français des Affaires Étrangères Jean-Yves Le Drian s’était adressé à l’oligarque russe fin janvier en réponse aux actions des mercenaires en Centrafrique : « Si M. Prigozhin m’entend au-delà de cette salle, qu’il sache qu’on le connaît bien » (4). Les liens directs entre le gouvernement et l’agence paramilitaire sont indubitables : le site internet d’investigation Bellingcat a révélé cette semaine que les passeports des mercenaires sont issus du même bureau que ceux des agents du GRU, le service de renseignement militaire russe (1). Le Kremlin non seulement tolère mais est également impliqué dans l’organisation des opérations secrètes conduites par les mercenaires.
Les intérêts géopolitiques et commerciaux du Kremlin sont assurés par les hommes de Evgueni Prigozhin. Ces mercenaires ont été employés ces dernières années afin d’assurer la stabilité des « zones grises » lorsque la légitimité d’un gouvernement est mise en cause. Cela permet à Moscou de nier la présence russe dans une zone de conflit tout en s’assurant que ses intérêts soient préservés.
Au Soudan, alors que des manifestations appellent au départ du président Omar el-Béchir, des mercenaires ont été déployés contre la permission d’exploiter des gisements d’or et l’autorisation de construire une base militaire au bord de la mer Rouge (3). Le mercenariat est illégal en Russie, ce groupe n’a donc aucune existence légale : pour cette raison Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin a réfuté l’arrivée de ces mercenaires russes au Venezuela. Vladimir Poutine a cependant ouvertement apporté son soutien à Nicolas Maduro après que Juan Guaido a revendiqué la présidence.
Plusieurs raisons justifient l’envoi par le Kremlin de mercenaires russes au Venezuela.
La Russie a tissé des liens forts avec le pays ces dernières années. Hugo Chavez a visité Moscou huit fois, Maduro s’est rendu en Russie quatre fois ces cinq dernières années. Le Venezuela a soutenu la Russie en reconnaissant l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie et en supportant les actions de la Russie en Ukraine. En décembre, deux Topolev Tu- 160 Blackjack ont été aperçus à Caracas alors que les appareils participaient à des vols d’entraînement avec l’armée vénézuélienne.
Deuxièmement, le soutien de la Russie à Nicolas Maduro est une question de principe pour le dirigeant du Kremlin. Le président russe s’est érigé en défenseur des chefs d’États en position instable. Le départ forcé d’un leader autoritaire par sa population à l’étranger est perçu comme un danger potentiel au niveau domestique pour Vladimir Poutine. L’anti-interventionnisme est un pilier de sa politique étrangère. Un conflit « gelé » qui permettrait à Nicolas Maduro de garder la main serait une manière pour le Kremlin de prouver l’échec de la stratégie américaine et occidentale visant à un changement de régime au Venezuela.
Enfin, le départ de Maduro serait un échec économique cinglant pour la Russie. Le Venezuela est le premier importateur d’armes russe sur le continent sud-américain. La Russie a investi massivement dans le pays, acceptant un rééchelonnement de la dette de 3.15 milliards de dollars après que les sanctions américaines ont affaibli l’économie vénézuélienne.
Rosneft, la compagnie étatique russe, a investi plus de cinq milliards de dollars dans l’industrie pétrolière au Venezuela en menant des projets conjoints avec PDVSA, Petroleos de Venezuela S.A. (PDVSA) (2). Le président de Rosneft, Igor Setchine, est le fer de lance de la politique russe au Venezuela. En 2014, il exprimait sa volonté de « réaliser les rêves de Chavez avec le président Nicolas Maduro » avant de terminer son discours par le cri de ralliement du Che Guevara : « Hasta la victoria siempre ! »
Perspectives :
- La Russie est volontaire pour servir de médiateur entre le gouvernement et l’opposition. Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a indiqué être en contact avec les dirigeants chinois, des pays frontalier au Venezuela et des leaders européens pour organiser un dialogue entre les deux partis.
- Bien que cela semble pour l’instant improbable, dans le cas d’une escalade de la crise, les mercenaires de l’agence Wagner pourraient permettre le départ de Nicolas Maduro vers la Russie. Viktor Ianoukovitch, l’ancien président ukrainien avait pu de cette manière trouver exil sur le territoire russe après la révolution de Maïdan en 2014.
Sources :
- Wagner Mercenaries with GRU-issued Passports : Validating SBU’s Allegation, Bellingcat, 30 janvier 30 2019.
- FARCHY Jack, TANAS Olga, Trump’s Venezuela Sanctions Put Russian Billions at Risk, Bloomberg, 30 janvier 2019.
- FLANAGAN Jane ; Russian mercenaries help put down Sudan protests, The Times, 10 janvier 2019.
- NEXON Marc, Du Venezuela à la Centrafrique, les mercenaires de Wagner sur tout les fronts, Le Point, 30 janvier 2019.
- TSVETKOV Maria, ZVEREV Anton ; Kremlin-linked contractors help guard Venezuela’s Maduro, Reuters, 25 janvier 2019.
- VOROBYIVA Vera ; Митя Алешковский нашел самолет, который мог перевести наемников ЧВК « Вагнер » в Венесуэлу, Znak, 25 janvier 2019.
Milàn Czerny