Moscou. Le Premier ministre japonais Shinzō Abe s’est rendu mardi 22 janvier à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine afin de discuter d’un contentieux territorial vieux de 74 ans concernant une partie de l’archipel des Kouriles (2). Mais plus de trois heures d’entretien n’ont pas permis de résoudre ce litige qui remonte à la capitulation de l’empire nippon à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En effet, la Russie et le Japon n’ont toujours pas signé de traité de paix.
L’archipel des Kouriles est un chapelet d’îles s’étirant de la péninsule du Kamchatka à l’île d’Hokkaido au Nord du Japon. Historiquement, le traité Russo-Japonais de Shimoda en 1855 a défini la frontière entre la Russie et le Japon au niveau du chenal séparant les îles d’Ouroup et d’Itouroup (Etorofu en Japonais). Le Japon est devenu alors souverain sur les quatres îles les plus méridionales de l’archipel (Chitokan, Habomai, Kunashiri et Etorofu) qu’il appelle Territoires du Nord. Mais en 1945, Staline avait négocié l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon en échange de la totalité de l’archipel des Kouriles. À la suite de la capitulation nippone, l’ensemble de l’archipel est donc passé sous contrôle soviétique, sans que Tokyo n’en reconnaisse pour autant la souveraineté (3).
Ces îles volcaniques sont très peu peuplées, non-développées et particulièrement exposées au risque de séisme et de tsunami. Toutefois, la Russie et le Japon s’intéressent à elles car elles recèlent d’importantes richesses. Premièrement, les eaux des Territoires du Nord font partie des plus poissonneuses au monde. Or au Japon, le poisson est la principale source d’apport en protéine (3). On y trouve également d’importantes réserves d’hydrocarbures ainsi que des minerais stratégiques et rares, comme le rhénium.
Enfin, l’archipel des Kouriles est pour la Russie un atout stratégique fondamental, puisqu’il est un verrou naturel de la Mer d’Okhotsk et une ouverture directe sur le Pacifique. Dans ce contexte, Moscou a adopté un plan de développement en 2016, afin de développer l’archipel des Kouriles sur le plan civil et militaire. Le Kremlin a notamment déployé une garnison à Itouroup et envisage l’installation d’une base navale et de nouvelles batteries de missiles côtiers (4).
Aujourd’hui, ce différend empoisonne les relations nippo-russes. Malgré l’intensification des échanges diplomatiques depuis la fin de l’année 2018, les négociations sont au point mort. Abe, pour des raisons de politique intérieure, souhaiterait obtenir des concessions de la part des Russes (2). Mais Poutine, qui a toujours considéré l’intégrité territorial comme essentiel à la survie du pays, n’a aucune intention de céder les Territoires du Nord. De plus, Moscou est en position de force sur le plan énergétique face à un Japon dépourvu de ressources fossiles et nucléaires (3).
Autrement dit, Tokyo ne semble pas en mesure de faire fléchir la Russie. Et si la reprise des négociations est de bon augure, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov n’a pas manqué de rappeler que la signature d’un traité de paix est « un travail méticuleux et compliqué [où] personne ne va renoncer à ses intérêts nationaux » (1).
Sources :
- Quelles Sont Ces Quatre Îles Qui Empoisonnent Les Relations Nippo-Russes ?, 20 Minutes & AFP, 22 janvier 2019.
- IIZUKA Satoshi, Historic Deal on Russian-Held Islands Looks No Nearer after Abe and Putin’s Fruitless 25th Meeting, The Japan Times, 23 janvier 2019.
- MARTINET Xavier, Russie – Japon : L’autre Bataille Du Pacifique, France Culture, Les Enjeux Internationaux, 14 janvier 2019.
- PFLIMIN Édouard, La Question Des Îles Kouriles, Encore Un Obstacle à La Réconciliation Russo-Japonaise ?, IRIS, 11 mai 2016.
Hugo Alias