Addis Abeba. Le 8 janvier dernier, Ahmad Ahmad, président de la Confédération africaine de football (CAF), a annoncé que l’Egypte avait été choisie pour accueillir l’édition 2019 de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), du 15 juin au 13 juillet prochains (4). Quelques heures après, le joueur égyptien de Liverpool Mohamed Salah, véritable star dans son pays, était consacré joueur africain de l’année pour la deuxième fois consécutive. Mais ce n’est pas uniquement sur le terrain sportif du continent africain que le pays des pharaons ambitionne de développer son influence.
En effet, du 9 au 11 février prochain, lors du 32ème Sommet de l’Union africaine (UA), le raïs égyptien Abdel Fattah Al-Sissi prendra la place du président rwandais Paul Kagame à la tête de l’organisation. Alors que le continent africain avait été globalement délaissé par Le Caire sous l’ère Moubarak, Al-Sissi ne cache pas son souhait de donner une impulsion nouvelle aux relations entretenues par l’Égypte avec le reste de l’Afrique, comme l’illustre ses visites régulières dans les capitales du continent (selon l’organisme général de l’information égyptien, 30 % des voyages présidentiels ont eu lieu en Afrique en 2018) (3), et l’organisation d’évènements tels que le sommet “Business for Africa, Egypt and the World” à Sharm-El-Sheikh les 8 et 9 décembre dernier. Cette présidence d’un an constitue donc une occasion pour le pouvoir égyptien de faire avancer les dossiers qui lui tiennent à cœur.
L’influence conférée par la présidence de l’UA, certes limitée, n’est néanmoins pas négligeable, comme en témoigne le déplacement récent en Égypte du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, venu sonder son homologue égyptien Sameh Shoukry quant aux futures positions du Caire sur le dossier du Sahara occidental (3). Cette influence est de surcroît renforcée par la présence de l’Égypte parmi les cinq plus gros contributeurs africains au budget de l’UA (1).
Dès la fin du mois de décembre, Shoukry a dévoilé les grands axes qui constitueront la stratégie égyptienne à la tête de l’Union africaine : développement des échanges commerciaux et des opportunités d’investissements intra-africains et avancées sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) (2). Dans la même logique, le ministre égyptien du Commerce et de l’Industrie a annoncé vouloir porter le volume des échanges commerciaux du pays avec l’Afriques à 2 %, contre 1 % aujourd’hui (6).
Cependant, en dehors de cette rhétorique purement économique, la priorité réelle en Afrique pour Le Caire est la situation libyenne, susceptible d’impacter directement sa propre sécurité. Dans cette optique, le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’Est libyen et rival politique de Fayez al-Sarraj, demeure aux yeux des Égyptiens la meilleure option pour la mise en place, à terme, d’un pouvoir fort opposé aux factions proches des Frères musulmans, et capable de garantir la stabilité. Or, jusqu’à présent, l’UA a bien davantage donné voix au chapitre à al-Sarraj qu’à Haftar (5).
Au-delà du dossier libyen, Le Caire perçoit ses intérêts sur le continent à travers le prisme du Nil, véritable enjeu de sécurité hydrique pour le pays, en particulier depuis la construction par Addis-Abeba du Grand Barrage éthiopien de la Renaissance, que nous relations dans l’édition 37 de cette Lettre. Dès lors, le renforcement des liens avec le Soudan et l’Érythrée, riverains du Nil, constitue une priorité. Par ailleurs, l’Égypte tient à garantir la sécurité dans la région de la Corne de l’Afrique, essentielle pour les transits par le canal de Suez.
Enfin, Le Caire commence à s’intéresser à la force conjointe G5 Sahel, mise en place dans la bande sahélo-saharienne, et souhaite renforcer ses liens avec le Tchad afin de combattre la contrebande d’armes (3). De manière globale, les autorités égyptiennes mettront l’accent, lors de cette présidence, sur la lutte antiterroriste, de manière notamment à continuer d’apparaître aux yeux des Européens comme un vecteur de stabilité dans la région, et par conséquent de justifier leur politique sécuritaire et répressive.
Perspectives :
- Cette année de présidence égyptienne devra être suivie avec attention, même si les initiatives et les réformes seront sans doute bien moindres par rapport au rythme effréné de la présidence de Kagame, d’autant que Le Caire ne souhaite pas voir les pouvoirs de l’UA trop renforcés.
- La capacité de l’Égypte à faire avancer ses dossiers dépendra notamment de sa capacité à faire oublier son attitude condescendante à l’égard de ses homologues subsahariens, et à apparaître comme un pays pleinement africain. Quoi qu’il en soit, davantage que des évolutions propres à l’UA, c’est l’accroissement de sa propre influence au sein de l’organisation que Le Caire cherche à obtenir avant tout.
- Il faudra observer si le président égyptien contribue activement à la recherche d’une solution au conflit du Sahara occidental. Rien n’est moins sûr, vu le peu de bonne volonté égyptienne démontrée jusqu’ici en la matière.
Sources :
- BASSINE Mar, Union africaine. Abdel Fattah Al-Sissi : les questions soulevées par sa future présidence, Le360, 29 janvier 2018.
- DIOP Moussa, Union africaine : voici les priorités de la future présidence du raïs égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, Le360, 10 décembre 2018.
- LE BRAS Jenna, Sissi, africain mais pas trop, Jeune Afrique, 29 novembre 2018.
- La CAN 2019 est attribuée à l’Egypte, Le Monde, 8 janvier 2019.
- L’Union africaine veut peser dans la résolution de la crise libyenne, RFI Afrique, 11 septembre 2017.
- L’Egypte veut doubler son volume d’échange commercial avec l’Afrique, Tustex, 15 janvier 2019.
- Sahara : Bourita au Caire pour sonder la position du prochain président de l’UA, Yabiladi, 8 janvier 2019.
Marilou Jeandel