N’Djamena. Le 20 janvier, le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou a atterri au Tchad pour rencontrer le Président Idriss Déby, en réponse à sa visite surprise de novembre dernier. À cette occasion, le président africain avait expliqué que, malgré la rupture des relations diplomatiques, les deux pays continuaient à entretenir officieusement de bonnes relations. Le voyage avait donné un premier signal de dégel, aujourd’hui officiellement effectué avec le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, interrompues depuis 1972 sous la pression du dirigeant libyen de l’époque, Mouammar Kadhafi (3).

Cette visite a une valeur stratégique très large, peut-être plus pour Israël que pour le Tchad. Comme l’explique le journal israélien Haaretz, les négociations entre Netanyahu et Déby ont porté principalement sur le renforcement de la coopération, qui existe désormais depuis dix ans, principalement sur les questions de sécurité. En effet, comme l’ont réitéré les deux dirigeants lors d’une conférence de presse, Israël et le Tchad partagent la même lutte contre le terrorisme islamiste, N’Djamena combattant Boko Haram dans la zone frontalière avec les autres États riverains du Lac Tchad depuis plus de quatre ans. Netanyahou a également souligné l’importance des relations entre les deux pays, notamment parce que le Tchad a des frontières communes avec la Libye et le Soudan, frontières qui ont récemment joué un rôle important dans le trafic illégal d’armes et d’êtres humains et dans le passage des djihadistes entre l’Afrique et le Moyen-Orient (6).

Les deux dirigeants ont également affirmé avoir signé plusieurs accords de coopération (vraisemblablement dans le domaine de la sécurité et de la défense), sans toutefois préciser leur portée, leur domaine et leur objet. Quoi qu’il en soit, si dans le passé le Tchad a acheté des systèmes, des technologies et du matériel militaire à Israël, aujourd’hui le pays africain voudrait exploiter ses bonnes relations avec Tel Aviv pour obtenir un canal diplomatique favorable avec Washington, ce qui lui permettrait ainsi de faire partie d’un programme d’aide humanitaire et/ou militaire des États-Unis. Le Tchad entend également exploiter le savoir-faire technologique israélien sur des questions cruciales telles que l’eau, les énergies non conventionnelles et l’agriculture, facteurs qui ont un impact majeur sur l’amélioration de l’économie de l’un des États les plus pauvres du continent africain (5).

Du côté israélien, le voyage de Netanyahou au Tchad répond à trois exigences spécifiques : premièrement, aux besoins de la politique intérieure ; deuxièmement, aux problèmes diplomatiques de Tel-Aviv ; et, enfin, aux enjeux de sécurité du contexte géopolitique stratégique du Moyen-Orient africain. En ce qui concerne la politique intérieure, Israël fait face à une campagne électorale aux tons très durs (le vote anticipé a été confirmé le 9 avril), avec un éventuel affrontement interne des forces parlementaires de droite. Il est donc important pour Netanyahou de montrer à son électorat conservateur les aspects les plus positifs de sa politique étrangère, ce afin de s’emparer des voix allant au camp national-religieux de Naftali Bennett et HaBayit HaYehudi (« Maison juive »), pour renforcer son parti, le Likoud (4).

D’autre part, le nouveau rôle international d’Israël est une source de fierté pour Netanyahou. Le Premier ministre a souligné à plusieurs reprises les relations solides qu’Israël a noué ces dernières années avec la Chine, la Russie, l’Inde, l’Amérique latine et l’Afrique. Cette-ci est l’un des territoires dans lesquels Israël a le plus investi ces dernières années. Netanyahou lui-même s’est engagé dans le passé à renforcer les liens avec le continent, faisant de l’Afrique une priorité stratégique pour Israël. À ce jour, Tel-Aviv a maintenu des relations diplomatiques avec 32 des 54 pays africains. En juillet 2016, Netanyahou a conclu une importante tournée en Afrique de l’Est (en visitant l’Ouganda, l’Ethiopie, le Kenya et le Rwanda), devenant ainsi le premier dirigeant israélien à visiter le continent depuis 1987. Un an plus tard, il a participé à une réunion des chefs d’État de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) au Libéria.

La question palestinienne est également au cœur du nouveau discours africain. En effet, la plupart de ces États, arabophones et musulmans, n’ont pas de relations officielles avec Israël en raison du conflit palestinien non résolu. Ce n’est pas un hasard si un sommet israélo-africain qui devait se tenir au Togo en octobre 2017 a été annulé en raison de l’opposition de certains pays. Tel-Aviv recherche activement des alliés pour tenter d’alléger la pression internationale pensant sur elle. Pour sa part, le Premier ministre israélien tente de séparer le processus de paix avec les Palestiniens de ses relations avec les pays à majorité musulmane. L’Autorité nationale palestinienne accuse Israël de vouloir exercer des pressions politiques sur eux afin d’obtenir un siège d’observateur à l’Union africaine (2).

Une dernière étape est le renforcement de l’axe israélo-arabe dans une perspective anti-iranienne. Netanyahou a fixé le changement de cap avec le Tchad comme exemple de la nouvelle phase de rapports avec les communautés arabo-sunnites d’Afrique et du Moyen Orient. Le maintien de bonnes relations avec N’Djamena donne à Israël un double avantage stratégique : une plus grande projection vers l’Afrique centrale et un meilleur ancrage dans la Mer Rouge. Depuis des années, les deux théâtres géopolitiques ont trouvé dans les monarchies du Golfe de potentiels alliés dans une perspective anti-iranienne. L’attention d’Israël se portera principalement sur le Soudan. Dans le passé, grâce aux bons offices du président soudanais Omar Bashir auprès des hautes hiérarchies iraniennes, Téhéran a fourni des armes à la résistance palestinienne et aux groupes armés violents à Gaza. Du matériel arrivait également d’Iran au Soudan, via la mer Rouge et le détroit de Bab al-Mandeb. À partir de 2016, Khartoum a rompu avec l’Iran et s’est approché d’abord de Riyad, puis du duo Turquie – Qatar. Ainsi, l’initiative israélienne vise à consolider les relations avec les acteurs les plus importants de la région, tout en permettant à Tel-Aviv de protéger sa projection stratégique et de sauvegarder les réseaux de sécurité commerciale dans la zone située entre l’Afrique de l’Est et la mer Rouge (1).

Perspectives :

  • La stratégie d’Israël en Afrique vise non seulement à renforcer les relations bilatérales avec les pays du continent, mais aussi à créer un isolement diplomatique et stratégique de la cause palestinienne et de l’Iran.
  • La normalisation des relations entre Israël et le Tchad pourrait également être une sorte de verrou pour les autres Etats subsahariens à majorité musulmane qui ont boycotté Tel Aviv dans le passé. Une telle ouverture ouvrirait d’importantes parts de marché, cruciales en Afrique, où pourrait s’immiscer la compétence des start-up israéliennes.
  • Enfin, l’étape tchadienne montre comment la diplomatie parallèle fait pression pour que les relations entre les Israéliens et les pays arabo-musulmans du Moyen-Orient et de l’Afrique soient toujours plus étroites, allant au-delà du dossier iranien.

Sources :

  1. AHREN Raphael, PM : Renewal of Chad ties is proof of Israel’s ‘rising standing’ in Muslim world, The Times of Israel, 20 janvier 2019 ; CORDA Tiziana, DENTICE Giuseppe, PROCOPIO Maddalena, Corsa al Corno d’Africa : interessi globali e competizione regionale, rédigé par l’ISPI pour l’Observatoir de la Politique Internationale du Parlement Italian et de MAECI, n. 141, ottobre 2018, pp. 24-25.
  2. BAGAINI Anna e DENTICE Giuseppe, Israele e i tanti fronti aperti di instabilità, rédigé par l’ISPI pour l’Observatoir de la Politique Internationale du Parlement Italian et de MAECI, n. 130, mai 2017, pp. 38-39.
  3. BARMA Aboubacar Yacouba, Tchad-Israël : Netanyahu en visite chez Déby, La Tribune Afrique, 19 janvier 2019.
  4. EICHNER Itamar, Benjamin Netanyahu’s diplomatic front, Yedioth Ahronoth, n. 130, 12 janvier 2019.
  5. KEINON Herb, Netanyahu is back from Chad but what has Israel gained from his visit ?, The Jerusalem Post, 20 janvier 2019.
  6. LANDAU Noa, Netanyahu to Leave Saturday for First Official Visit to Chad by an Israeli Prime Minister, Haaretz, 17 janvier 2019.

Giuseppe Dentice