Sri Jayawardenepura Kotte. Le Sri Lanka avait quelque peu disparu des actualités internationales depuis la fin de la guerre civile qui, pendant près de trois décennies (1983-2009), opposa la direction cinghalaise du pays aux séparatistes tamouls. Mais les tensions pourraient se raviver avec la décision prise le 26 octobre 2018 par le président Maithripala Sirisena de démettre le Premier ministre, Ranil Wickeremesinghe, ouvrant la voie à une crise institutionnelle. Siresena nomma alors à sa place Mahinda Rajapaksa, son prédécesseur à la tête du pays de 2006 à 2015. Sirisena avait remporté l’élection présidentielle de janvier 2015 en tant que candidat commun de l’opposition réunie au sein d’une coalition dominée par le Parti national uni de Wickeremesinghe, un ancien Premier ministre. Si les relations entre Sirisena et Wickeremesinghe s’étaient détériorées, le président avait probablement en tête sa réélection en 2019 dans le cadre d’un accord avec Rajapaksa dont le parti, le Parti du peuple du Sri Lanka (SLPP), a largement remporté des élections locales en février 2018 et se présente en position de force pour les élections législatives prévues en 2020. Rajapakse est constitutionnellement dans l’impossibilité de redevenir président depuis l’adoption en avril 2015 du 19e amendement limitant à deux le nombre de mandats présidentiels (3).

Le coup de force présidentiel s’est heurté au refus de Wickeremesinghe d’abandonner son poste de Premier ministre. En réaction, le président annonça le 9 novembre la dissolution du Parlement et la convocation de nouvelles élections législatives pour janvier 2019. Saisie par le Parti national uni, qui dispose d’une majorité relative avec 106 sièges, et l’Alliance nationale tamoule (16 sièges), la Cour suprême a non seulement jugé que le président a outrepassé ses pouvoirs mais a également décidé le 13 novembre d’ajourner la dissolution du Parlement et demandé à la Commission électorale de ne pas engager les préparatifs pour de nouvelles élections. Les 14 et 16 novembre, le Parlement a voté une motion de censure contre le nouveau Premier ministre (1). Le 23 novembre, 122 députés ont déposé une pétition remettant en cause le maintien en fonction de Rajapaksa et, le 3 décembre, la Cour d’appel a estimé que le Premier ministre et son cabinet ne sont pas en mesure d’exercer le pouvoir.

L’Union a d’ores et déjà exprimé sa consternation face à la volonté du président Sirisena de dissoudre le Parlement et aurait la possibilité de revenir sur l’accès préférentiel au marché européen accordé en mai 2017 aux marchandises sri lankaises dans le cadre du GSP +, conditionnel notamment au respect des droits de l’homme et à la bonne gouvernance (2). Sirisena avait été élu en promettant un renouveau démocratique après l’exercice autocratique et népotiste de Rajapaksa et une réconciliation nationale passant notamment par des poursuites contre les personnes ayant commis des crimes de guerre. La guerre civile aurait fait plus de 100.000 victimes, sans compter plus de 60.000 personnes dont la trace a été perdue pendant et après le conflit. Le chef d’état-major de l’armée, l’amiral Ravindra Wijeguneratne, a été arrêté fin novembre suite à des soupçons de complicité dans la disparition de 11 militants survenue durant les derniers mois particulièrement sanglants du conflit. Le parti de Rajapaksa s’est aussitôt offusqué du traitement réservé à un « héros de guerre ».

Si Rajapaksa et son entourage devaient à nouveau conduire les affaires du pays, le processus d’accommodement à l’intention des Tamouls pourrait en faire les frais. La présence pesante de forces armées dans les zones à majorité tamoule du nord et de l’est de l’île risquerait de perdurer. Le devenir du Bureau des personnes disparues et du Bureau des réparations en charge de dédommager les victimes de la guerre civile, pourrait perdre de son importance. Quant à l’émergence d’un extrémisme bouddhiste, notamment dirigé en mars 2018 contre la minorité musulmane, il est un autre exemple des tensions ethno-religieuses encore à vif.

Perspectives :

  • Élections présidentielles et législatives à venir : les dates peuvent évoluer en fonction des développements relatifs à la crise politique actuelle.

Sources :

  1. Sri Lanka : MPs criticise conduct of President Maithripala Sirisena in Parliament, All India Radio, 5 decembre 2018.
  2. Joint Statement by the Delegation of the European Union and the Ambassadors of Norway and Switzerland in Colombo, EEAS, 8 novembre 2018.
  3. Sri Lankan Crisis Will Be Solved In A Week, Says President Maithripala Sirisena, NDTV, 5 decembre 2018.

Gilles Boquérat