Bruxelles. L’intervention européenne au Sahel (principalement française, en particulier en dehors du Mali), visant à stabiliser la région et à lutter contre le terrorisme, pourrait être fragilisée par une réduction de l’appui des américains, qui recentrent leur stratégie de Défense autour de la compétition entre grandes puissances.
Cette nouvelle stratégie américaine, annoncée par Jim Mattis en janvier 2018, s’est récemment précisée, que ce soit au travers d’échanges sur le terrain (Sahel) entre officiers français et américains (1) ou de déclarations, officielles ou non, provenant du Pentagone (4). Les États-Unis réduiraient leurs effectifs en Afrique de l’ordre de 10 pour cent (700 sur 7200) et cesseraient d’apporter une assistance tactique, limitant ainsi leur activité en Afrique de l’Ouest au conseil et au partage de renseignement. Cette réduction concernerait en premier lieu les troupes déployées au Kenya, au Cameroun et au Mali.
L’armée française, très sollicitée depuis plusieurs années (opérations extérieures ou intérieures), apprécie particulièrement le soutien américain actuel, d’autant que la participation des autres États européens au Mali est limitée à la formation des armées et forces de l’ordre des pays du G5-Sahel (l’emploi de la force, et la possibilité de pertes humaines, étant politiquement plus sensibles dans ces États). Elle milite donc pour que Paris obtienne de Washington le maintien de l’appui américain en Afrique.
Le maintien de cet appui serait d’autant plus apprécié que la France, de la même façon que les États-Unis, réfléchit sur sa stratégie de Défense avec le retour de la perspective de conflits de haute intensité entre grandes puissances, comme l’ont montré les déclarations des généraux Lecointre (Chef d’Etat-Major des Armées) et Facon (Centre de doctrine et d’enseignement du commandement) devant la Commission de Défense de l’Assemblée Nationale française (3).
Si les États-puissances et les conflits de haute intensité ne sont jamais sortis des réflexions stratégiques occidentales, notamment à travers la problématique de la dissuasion (5) et en particulier sa composante nucléaire, leur retour au premier plan semble interprété par les pays de l’OTAN comme une nécessité d’opérer une remontée en puissance de leurs capacités conventionnelles et d’en faire la démonstration, par exemple au travers d’exercices comme, récemment, Trident Juncture.
Ces réflexions sont amenées à prendre une dimensions européenne, que ce soit dans le cadre de l’OTAN ou de la consolidation d’une défense, ou armée, européenne (2). Elles dépasseront nécessairement les dispositifs et initiatives actuels de coopération dans le domaine de l’armement, une stratégie de Défense s’appuyant sur des capacités (humaines et en termes de matériel) mais aussi sur une doctrine d’emploi et sur la crédibilité de cet emploi (volonté politique et plus largement acceptabilité par la société).
Perspectives :
- Les premiers dialogues dans le cadre de l’Initiative Européenne d’Intervention (Military European Strategic Talks), ayant pour but de créer une culture stratégique commune, ont eu lieu du 7 au 9 novembre dernier à Paris. Les participant ont été appelés à exprimer les priorités stratégiques de leurs pays. Le processus devrait aboutir à un Memorandum of Understanding avant la fin de l’année. La prochaine réunion MEST doit quant à elle avoir lieu aux Pays-Bas début 2019.
- Le EU Defence Industry Summit, qui va se tenir le 6 décembre prochain, devrait fournir une vision d’ensemble des différentes initiatives et pourrait être l’occasion d’annonces dans le domaine.
Sources :
- ANGELI Claude, Paris craint de voir les Américains quitter le Sahel, Le Canard Enchaîné, 24 octobre 2018
- CLAVEL Geoffroy, L’armée européenne de Macron vue d’un bon œil à Bruxelles, huffingtonpost.fr, 21 novembre 2018.
- LAGNEAU Laurent, Général Lecointre : « Aujourd’hui, je n’ai pas de scénario qui permette de faire face à un conflit de masse », opex360.com, 10 novembre 2018
- OLAPIDO Tomi, US to cut Africom troops amid focus on Russia and China, bbc.com, 16 novembre 2018
- ROCHE Nicolas, Pourquoi la dissuasion, PUF, 2017
Benoît de Laitre