Fondations géopolitiques

« L’O.E.C.E », un inédit d’Alexandre Kojève

En septembre 1949, alors que les décisions unilatérales du Royaume-Uni semblent menacer la possibilité d'une coopération économique véritable entre Européens, le philosophe devenu conseiller signe un plaidoyer anonyme en faveur de l'ancêtre de l'OCDE.

Alors que le Groupe d’études géopolitiques participe ces jeudi 7 et vendredi 8 juin à des Rencontres européennes autour du parcours et de l’œuvre d’Alexandre Kojève, Le Grand Continent inaugure sa section «  Archives et discours  » en publiant une transcription du manuscrit inédit et original qui servit de base à un article paru non signé dans France-Illustration le 24 septembre 1949. 1

Les origines, le but, la situation actuelle et les perspectives d’avenir de l’Organisation Européenne de Coopération Économique

I. Les origines

Dès avant la fin des hostilités l’Administration du Président Roosevelt s’est préoccupée de la situation économique mondiale d’après guerre. Le but qu’on se proposait d’atteindre était l’établissement ou le rétablissement, à l’échelon mondial, d’une économie conforme à la théorie économique « classique » ou « libérale » : stabilité des taux de change, convertibilité des monnaies, liberté des échanges commerciaux et donc de la concurrence, abaissement des barrières douanières et élimination des tarifs préférentiels, suppression du dumping, des monopoles et des cartels internationaux, etc. Somme toute, il s’agissait d’éliminer l’ « étatisme » non pas seulement du domaine proprement politique, mais encore de celui des relations économiques : l’État devait se mêler le moins possibles des affaires « privées », y compris les affaires industrielles, commerciales et financières.
Toutefois, par la force des choses, le libéralisme économique préconisé par l’Administration rooseveltienne revêtait un caractère « dirigiste », voire « autoritaire ». Ce libéralisme n’était pas censé pouvoir s’établir « de lui-même ».

Présentant dans ce manuscrit « les origines, le but, la situation actuelle et les perspectives d’avenir de l’Organisation Européenne de Coopération Économique », Alexandre Kojève livre un plaidoyer optimiste en faveur de cette organisation apparue le 16 avril 1948. Il y défend avec vigueur « les thèses dites ‘’françaises’’ » sur l’OECE, à savoir que cette structure permanente, au-delà de sa fonction immédiate d’allocation des aides du Plan Marshall, a les capacités et le devoir de devenir un véritable instrument de coopération économique pour les entités qui la composent.

En dépit de l’expression « Europe des Seize » passée à la postérité, l’OECE compte au moment de sa fondation 18 membres. En plus de l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, et la Turquie, se trouvent la bizone groupant les zones d’occupation américaine et britannique, la zone française (la trizone n’est une réalité qu’après le 20 juin 1948) et le Territoire libre de Trieste (il est intégré à la République italienne en 1954).

Du moment que certains Gouvernements étaient engagés dans une politique économique antilibérale, seule une action gouvernementale pouvait rétablir et maintenir le libéralisme commercial et financier dans le monde. C’est pourquoi il était nécessaire de constituer des puissants organismes internationaux gouvernementaux, au sein desquels les États souverains se mettraient d’accord sur une politique économique libérale qu’ils s’engageraient à appliquer par tous les moyens à leur disposition, sous le contrôle permanent desdits organismes, où les questions seraient tranchées par la majorité (simple ou « qualifiée ») des États membres5.

En réalité, l’OECE était dirigée par un Conseil réunissant tous les États membres prenant toutes les décisions à l’unanimité

Au fond, les Gouvernements nationaux devaient se mettre d’accord entre eux pour réduire au minimum leurs ingérences dans les affaires économiques (à l’exception de certaines ententes intergouvernementales relatives aux grandes matières premières).

Le système rooseveltien du libéralisme économique mondial devait reposer sur deux piliers. D’une part, le Fonds Monétaire International (F.M.I.) devait rétablir et maintenir les principes « classiques » dans les finances mondiales. D’autre part, l’Organisation Internationale du Commerce (O.I.C.) devait introduire et préserver le « libéralisme » dans le domaine industriel et commercial (en collaboration avec une organisation internationale spéciale consacrée à la production agricole : O.A.A.).

Comme il fallait s’y attendre, l’U.R.S.S. et ses satellites refusèrent presque immédiatement de collaborer au système préconisé par le Président Roosevelt. Mais le Gouvernement américain passa outre et, à quelques rares exceptions près, tous les autres pays répondirent à l’appel.
Dans le domaine financier l’accord put se faire sans grandes difficultés apparentes, et le F. M.I. fut créé à Bretton-Woods avant même la fin de la guerre. Mais les négociations menées en vue de constituer l’O.I.C. s’avérèrent fort laborieuses.

Note de Kojève : La Charte de La Havane qui établit les statuts de l’O.I.C. ne fut élaborée qu’au début de l’année 1948. Elle n’est encore ratifiée par aucun Gouvernement. Mais le Président TRUMAN a déclaré récemment que l’O.I.C. est à ses yeux l’un des éléments fondamentaux de sa politique économique générale.

Le « libéralisme classique » du projet présenté par l’Administration rooseveltienne se heurta de la part des autres pays à trois objections principales. D’une part, les pays dits « neufs » ou « techniquement arriérés » (Chine, Indes, Amérique latine, etc.) ont fait valoir qu’ils ne pouvaient pas renoncer au protectionnisme et affronter la libre concurrence mondiale tant que leur industrialisation n’aura pas atteint un niveau comparable à celui de la moyenne des autres pays. D’autre part, les vieux pays industriels particulièrement éprouvés par la guerre (c’est-à-dire avant tout, les pays de l’Europe occidentale, futurs membres de l’O.E.C.E.) ont fait remarquer qu’un contrôle gouvernemental de leurs importations (« restrictions quantitatives » et « accords bilatéraux ») étaient absolument indispensables tant qu’ils n’auraient pas reconstruit leurs économies et atteint un équilibre de leurs balances de paiements.

Enfin, certains pays ont insisté sur le fait que leurs marchés nationaux était trop étroits pour leur permettre de produire à des prix de revient comparables à ceux qu’on observe aux Etats-Unis, de sorte que leur participation à la libre concurrence sur le marché mondial devait être précédé par des ententes avec leurs voisins en vue de constituer des unités économiques plus vastes (« unions douanières » et « intégration économique »).

Au prime abord, les représentants américains ont essayé de s’opposer à ces tendances provisoirement « antilibérales ». Mais petit à petit ils reconnurent le bien fondé de certaines des objections qui leur étaient faites, au point qu’on peut parler sans exagération d’un revirement total de leur position initiale. C’est grâce à cette attitude compréhensive des Américains que l’accord a pu finalement se faire sur un texte de compromis, connu sous le nom de Charte de La Havane.

Certes le Congrès américain n’a pas encore ratifié la Charte7. Mais le Président TRUMAN n’a pas attendu cette ratification pour mettre en pratique les enseignements qu’il sut tirer des négociations qui aboutirent au texte de La Havane.

Instituant « une Organisation international du commerce », la charte du 24 mars 1948 signée à la Havane par les États-Unis ne fut jamais ratifiée par le Sénat américain, du fait d’un changement de majorité. C’est donc l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) qui sert de cadre pour la promotion du commerce multilatéral à l’échelle mondiale, jusqu’à la création de l’actuelle Organisation mondiale du commerce en 1994.

D’une part, dans le fameux « quatrième point » de son discours inaugural, le Président TRUMAN reconnaît la nécessité de venir en aide aux pays techniquement arriérés et voit la solution du problème mondial dans l’élévation du niveau de vie et donc du pouvoir d’achat dans ces pays8.

Le 20 janvier 1949, lors de son discours d’inauguration, Harry Truman affirme que le quatrième objectif de sa politique extérieur à venir est d’apporter une assistance technique au développement « régions sous-développées ». C’est le point de départ du Point Four Program, premier plan international d’aide au développement des Etats-Unis.

D’autre part, le Président s’est rendu compte qu’une économie mondiale libérale ne pourrait être instaurée que lorsque les pays industriels éprouvés par la guerre auront rétabli leur situation économique et financière, et il a compris qu’aucun pays ne peut rétablir cette situation par des mesures purement nationales prises dans le seul cadre de ses frontières politiques.
La première de ces deux considérations n’est à l’heure actuelle qu’un projet encore vague (bien que destiné, sans nul doute, à un grand avenir). Mais la deuxième considération a déjà pris corps et compte au nombre des réalités : elle a donné naissance à l’O.E.C.E.

II. Le but

Lorsque, pour de multiples raisons, le Gouvernement américain a décidé de venir en aide à l’Europe occidentale, c’est au remède classique des prêts accordés aux Gouvernements nationaux qu’on a d’abord pensé. Mais l’échec rapide de quelques mesures prises dans cet ordre d’idée a incité le Président TRUMAN à appliquer une méthode radicalement nouvelle, que l’on peut qualifier sans exagération de révolutionnaire. C’est la méthode qu’on a baptisée du nom de « Plan Marshall » et qui est censée devoir être mise en pratique par l’O.E.C.E.

Cette défense de l’OECE et de la vision qu’en propose « le Gouvernement français » à ses partenaires s’explique d’autant mieux qu’en cette fin d’été 1949 Kojève est largement impliqué dans le fonctionnement de cette jeune structure économique en tant que représentant d’un service ministériel français, la direction des Relations économiques extérieures. Après la Seconde Guerre mondiale, Alexandre Kojève renonce à l’enseignement philosophique. Il est recruté en 1945 à la DREE du Ministère de l’Économie et des Finances, notamment pour ses compétences linguistiques. Il y devient rapidement bien plus qu’un interprète et exerce un rôle important de conseiller comme de négociateur, notamment à la Conférence de la Havane en 1948. Il est intéressant de constater que Kojève fut recruté par Robert Marjolin, devenu en 1948 le premier secrétaire général de l’OECE. À partir de 1948, il siège notamment dans le Comité des Échanges de l’OECE dont la principale mission est la répartition, entre les différents pays bénéficiaires, des dollars mis à disposition de « l’Europe des Seize » par le Plan Marshall.

Même si elles n’atteignent pas le niveau (13,2 milliards de dollars, dont 12 de dons) ni le systématisme du Plan Marshall, les aides économiques des Etats-Unis en faveur de l’Europe sont loin d’être négligeables au cours de la période 1945 – 1947. Dès juillet 1945, les Etats-Unis et le Canada prêtent 5 milliards de dollars au Royaume-Uni. L’UNRRA, agence de l’ONU spécialisée dans le secours et la reconstruction essentiellement financée par les Etats-Unis a fourni en deux ans près de 4 milliards d’aide. Plus que par l’inefficacité intrinsèque des prêts, le changement des modalités de l’aide financière américaine s’explique par l’existence de conditions extraordinaires en Europe, sur le plan climatique (hiver rigoureux et très mauvaise récolte) comme politique (montée en puissance sans précédent des partis communistes).

Il s’agissait de rétablir l’économie et les finances des pays de l’Europe occidentale, en vue d’incorporer plus tard ces pays dans le système mondial (moins l’U.R.S.S.) d’une économie libérale conforme aux principes énoncés dans la Charte de La Havane. Il s’agissait, à cette fin, d’accorder à ces pays pendant plusieurs années une aide financière substantielle sous forme de dons et de prêts. Mais cette aide devait être accordée à l’ensemble de ces pays, groupés dans un organisme international autonome, appelé Organisation Européenne de la Coopération Économique.

En partant de l’idée que les efforts isolés, voire contradictoire des pays de l’Occident européen ne pouvait pas résoudre leurs problèmes économiques et financiers nationaux, l’O.E.C.E. devait élaborer un plan quinquennal commun de relèvement européen, financé par l’aide américaine dans la mesure où ce plan prévoyait un déficit global vis-à-vis des Etats-Unis (l’Aide pouvant être parfois utilisée pour des achats en-dehors du marché américain : « Achats off shore »). Les programmes nationaux annuels devaient être élaborés en fonction du programme commun à long terme, et l’aide américaine globale devait être partagée par l’O.E.C.E. entre les pays participants afin de leur permettre d’exécuter leurs programmes annuels respectifs, entérinés par l’Organisation et ajustés par elle de façon à constituer dans leur somme un programme cohérent d’ensemble.

Lorsque Kojève rédige ce texte, l’OECE est, selon certains, une institution menacée et connaissant une « crise d’unité » (Gérard Bossuat) puisque, plus d’un an après sa création, elle apparaît comme une déception pour ses promoteurs américains. Depuis avril 1948, le processus de répartition de l’aide américaine entre États bénéficiaires s’est révélé particulièrement accidenté. Le 22 juillet 1949, le Royaume-Uni demande officiellement de bénéficier de près de 40 % des aides américaines disponibles pour la période 1949-1950, ce qui crée le mécontentement des autres membres de l’OECE (à l’exception de la Belgique). En août 1949, il faut plus de dix jours à Robert Marjolin et au baron Snoy (chef de la délégation du Benelux) pour trouver un accord qui est accepté par Londres, par l’OECE et l’agence américaine en charge du Plan Marshall, sans pleinement satisfaire aucune des parties en présence.

Plus dommageable encore aux yeux de Washington, aucun effort substantiel ne semble avoir été entrepris par l’Europe des Seize en faveur d’une véritable harmonisation ou intégration de leurs différentes politiques économiques nationales. Pour preuve, le plan de rétablissement européen attendu outre-Atlantique n’a jamais dépassé le stade de la juxtaposition de plans élaborés à l’échelon national. Plusieurs chancelleries européennes s’inquiètent, car les autorités américaines commencent à manifester un certain agacement devant des Européens apparemment plus avides de consommer des dollars que de s’entendre mutuellement.

Dès le début, le Gouvernement français a fait sienne cette façon de voir les choses. Les représentants français ont toujours insisté sur la nécessité de présenter leur programme commun de relèvement européen, permettant d’établir un schéma efficace de coopération économique entre tous les pays participants. Ceux-ci coordonneraient leurs investissements et se spécialiseraient dans certaines branches de production, les produits circulant librement sur un marché européen unique. L’augmentation du volume de la production et la diminution correspondante des prix de revient permettraient alors d’intensifier les exportations de l’Europe vers le monde extérieur, de façon à équilibrer, en 1952, la balance des paiements globale des pays participants.

On ne peut pas dire que ces idées n’étaient pas partagées par les autres pays participants, dont plusieurs ont énergiquement appuyé les thèses dites « françaises », d’ailleurs en tous points conformes aux intentions des initiateurs américains de l’O.E.C.E. Et pourtant, à l’heure actuelle, rien ou presque n’a encore été fait pour réaliser une véritable coopération économique.

À la fin de l’été 1949, la crise de la livre sterling conduit en outre à un rapprochement diplomatique entre Royaume-Uni et Etats-Unis. Les Européens « continentaux » craignent un repli américain vers une alliance et un système d’aides plus strictement atlantiques ou anglo-saxons. On comprend d’autant mieux l’enjeu de réaffirmer, comme Kojève dans le texte qui suit, que l’OECE est, bien plus qu’une « fiction » (dans « La Grande-Bretagne et l’Europe », un article paru dans Le Rassemblement le même 24 septembre 1949, Robert Aron qualifie l’OECE de « fiction » et affirme que la dévaluation de la livre sterling sans prise en considération des partenaires de l’OECE achève de démontrer que la coopération européenne à l’échelle continentale est une illusion) ou une structure ad hoc, le point de départ d’une véritable coopération continentale.

III. La situation actuelle

Non seulement, le programme commun à long terme n’est pas encore élaboré par l’O.E.C.E., mais les travaux d’approche eux-mêmes ont été interrompus. Des tentatives pour coordonner les investissements n’ont été faites que dans quelques cas isolés, pour lesquels on n’est pas parvenu à des résultats satisfaisants. Dans le sens de la spécialisation des productions, rien n’a été fait ni tenté. Même carence pour l’exploitation en commun des Territoires d’Outre-Mer1, la coopération dans le domaine de l’exportation, etc.

Afin de promouvoir la libération des échanges à l’échelle de l’OECE, Alexandre Kojève défend à la même époque, dans ses notes, l’ouverture des T.O.M. français au commerce européen.

D’une manière générale et en exagérant quelque peu, on peut dire que l’O.E.C.E. s’est pratiquement bornée à répartir l’Aide américaine, tant directe qu’indirecte (c’est-à-dire transmise par les « droits de tirage » que les pays participants créditeurs accordent à leurs débiteurs). Mais même cette division de l’Aide s’est révélée laborieuse.

N’ayant pas à sa disposition de programme européen commun, l’O.E.C.E. n’a pas pu soumettre à une critique technique pertinente les programmes nationaux des pays participants, qui furent élaborés d’un point de vue purement national et sans tenir compte de l’intérêt réel de l’ensemble, sur lequel on ne s’était pas encore mis d’accord.

L’Aide globale étant insuffisante, les réductions des programmes nationaux proposés par l’O.E.C.E. se heurtèrent à l’opposition des Gouvernement intéressés, qui étaient certainement mieux placés que l’O.E.C.E. pour juger leurs programmes du point de vue purement national. Si à l’heure actuelle la division de l’Aide a néanmoins pu s’effectuer, c’est moins à cause des critiques techniques faites par l’O.E.C.E. qu’en raison de l’esprit de compromis et d’entente qui anime tous ses membres.

Le procès de l’O.E.C.E. a été plusieurs fois au cours de ces dernières semaines, et des remèdes ont été proposés. On a fait valoir le caractère « ésotérique » de cette Organisation, on a proposé d’y introduire un élément politique, de placer à sa tête une haute personnalité européenne, etc.
Ces critiques et ces suggestions impliquent, certes, une part de vérité. Mais il semble qu’une cause plus profonde soit à la base de l’insuccès, relatif et momentané, de l’O.E.C.E.

L’O.E.C.E. est, en principe, une Organisation de Coopération européenne. Or en fait, l’Aide américaine dont cette Organisation dispose est destinée à couvrir, en plus du déficit proprement européen, celui du Commonwealth britannique dans son ensemble. Ce dernier déficit est d’un ordre de grandeur nettement supérieur à celui des autres pays participants et il est extrêmement sensible aux variations des prix sur le marché mondial, notamment des prix des grandes matières premières, qui ont subi une réduction importante au cours de ces derniers mois. C’est ainsi que l’Aide globale dont disposera l’année prochaine l’O.E.C.E. peut paraître insuffisante et c’est pourquoi la division de cette Aide s’est révélée laborieuse et peu satisfaisante pour l’ensemble des pays participants.

En fait, si l’O.E.C.E. se charge de couvrir le déficit du Commonwealth britannique, elle ne coopère nullement avec celui-ci : ni dans le domaine financier, ni sur le plan industriel et commercial. Même les échanges d’informations font pratiquement défaut. Et rien ne peut être fait par l’O.E.C.E. pour coordonner les activités économiques du Commonwealth avec celles des pays continentaux de l’Europe de l’Ouest. Or la Grande Bretagne est à la fois membre du Commonwealth et pays participant de l’O.E.C.E. En l’absence d’une coopération réelle et effective entre ces deux entités économiques, l’Angleterre éprouve des difficultés évidentes lorsqu’il s’agit de participer, au sein de l’O.E.C.E., aux efforts de coopération tentés par les pays européens. L’attitude réservée et hésitante du Royaume-Uni conditionne et explique le manque apparent d’efficacité qui a caractérisé jusqu’ici les tentatives faites par l’O.E.C.E. en vue d’intégrer les économies nationales de ses membres en une seule entité économique.

IV. Les perspectives d’avenir

Étant donné que l’avenir de l’O.E.C.E. dépend en fait de la solution du problème posé par le déficit dollar du Commonwealth britannique, il est impossible, à l’heure actuelle, de faire des pronostics valables.
De toute évidence, le problème du Commonwealth, qui est aussi celui de l’Angleterre, dépasse les cadres et les moyens d’action de l’O.E.C.E. et ne peut être résolu qu’à l’échelon mondial, par un accord entre le Commonwealth et les Etats-Unis. Ce problème fait actuellement l’objet de négociations importantes et peut-être décisives, menées à Washington.
Nul ne saurait préjuger du résultat de ces négociations.

Tout ce qu’on peut dire, c’est que les Etats-Unis essaieront de résoudre le problème britannique de façon que soit résolu en même temps le problème de l’Europe occidentale continentale. Or il semble que ce dernier problème ne saurait être résolu en-dehors d’une coopération économique et financière efficace entre les pays européens, opération pour laquelle l’O.E.C.E. constitue un cadre et un instrument que rien ne pourrait remplacer. Rien ne justifierait donc en ce moment des prévisions pessimistes relatives à l’avenir de l’O.E.C.E.

Le jour où la situation économique mondiale sera telle que tous les pays participants pourront, sans hésitation et sans réserves, s’atteler à la tâche de l’intégration des économies européennes nationales, l’O.E.C.E., avec les hommes de haute valeur et de grande compétence qui la dirigent et y travaillent, leur permettra sans nul doute d’aboutir dans des délais qu’on serait en droit de juger utopiques, si l’on voulait se fonder sur la seule expérience de la première année de l’Organisation Européenne de Coopération Économique.

Sources
  1. Paru dans France-Illustration le 24 septembre 1949.
Le Grand Continent logo