« Malgré les différences d’époques et d’objectifs, la représentation du pouvoir est restée hantée par la monarchie »
Michel Foucault
La royauté en général
La royauté est une des formes les plus persistantes de gouvernement humain 1. Bien que nous ne puissions lui assigner avec précision une origine historique dans le temps et l’espace, sa présence est attestée à toutes les époques sur tous les continents, et au cours de la plus grande partie de l’histoire humaine elle a eu tendance à se diffuser plutôt qu’à se perdre.
Mais il y a plus. Une fois les rois au pouvoir, il est remarquablement difficile de se débarrasser d’eux. Il fallut des pirouettes juridiques extraordinaires pour se donner la possibilité d’exécuter Charles Ier et Louis XVI ; et le simple acte d’éliminer une famille royale, comme celle des tsars, nous laisse (pour toujours, semble-t-il), des tsars de rechange sur les bras. Aujourd’hui même, ce n’est sans doute pas une coïncidence si les seuls régimes qui aient complètement échappé aux troubles des Printemps Arabes de 2011 sont les monarchies établies de longue date. Par-delà même la chute des rois, les structures juridiques et politiques de la monarchie persistent : ainsi dans les États modernes fondés sur le curieux et contradictoire principe de « souveraineté populaire », qui veut que le pouvoir autrefois détenu par les rois s’exerce encore, mais désormais transféré vers une entité qu’on appelle « le peuple ».
L’un des effets secondaires inattendus de l’effondrement des empires coloniaux européens fut de faire de la notion de souveraineté le principe des systèmes constitutionnels un peu partout — avec quelques exceptions partielles comme le Népal ou l’Arabie Saoudite, qui étaient déjà des monarchies. D’où il suit qu’une théorie politique, si elle ne prend pas cela en considération, ou si elle traite de la royauté comme un phénomène marginal, exceptionnel ou secondaire, n’est pas une très bonne théorie.
Ainsi dans cet ouvrage nous proposons quelques éléments pour une théorie de la royauté. Nos arguments sont nés de territoires déjà explorés : d’un côté dans les essais classiques sur l’étranger-roi, de l’autre dans une étude sur la royauté divine shilluk. Cet ensemble d’articles est spécifiquement centré sur ce qu’on a appelé royauté « divine » ou « sacrée », étant bien compris qu’un examen suivi de ses traits récurrents peut mettre au jour les structures profondes de la monarchie, et donc de la politique, en tout lieu.
On trouvera ci-dessous une série de thèses générales tirées des essais rassemblés ici. Certaines d’entre elles doivent sans doute plus à un des auteurs qu’à l’autre, mais nous croyons la tension dialogique fertile, et il est possible que les propositions qui s’ensuivent ouvrent de nouvelles pistes de recherche importantes.
Le régime cosmique
Depuis le ciel, le sous-sol, et la terre même, les sociétés humaines sont prises dans un régime cosmique hiérarchisé, peuplé d’être aux attributs humains et aux pouvoirs métahumains, qui dirigent le destin de tous. Ces métapersonnes, sous la forme de dieux, ancêtres, fantômes, démons, des esprits qui représentent les espèces ou qui habitent les créatures et les forces naturelles, peuvent exercer sur les hommes de vastes pouvoirs de vie et de mort, qui, associés à leur contrôle de l’état du cosmos, en font les arbitres incontestés de la fortune et de l’infortune humaine. Même de nombreux peuples de chasseurs cueilleurs à l’organisation souple sont ainsi placés sous la dépendance d’être apparentés à des dieux qui règnent sur de vastes domaines et la population humaine dans son entier. Le ciel est peuplé d’êtres royaux même là où la terre ne connaît pas de chefs.
C’est pourquoi l’état de nature est de la nature de l’État. Des autorités métapersonnelles aux pouvoirs de vie et de mort gouvernent les sociétés humaines, et de ce fait quelque chose qui ressemble à l’État est une condition humaine universelle.
C’est pourquoi aussi les rois sont plus des imitations des dieux que les dieux des rois —en dépit de l’idée répandue que le divin est une projection du social. Au cours de l’histoire humaine, c’est dans le pouvoir divin que s’est fondé le pouvoir royal. De fait, dans les sociétés sans État tout autant que dans les plus grands royaumes, les autorités humaines s’efforcent d’imiter les pouvoirs cosmiques en place — à leur échelle réduite. Les Chamans sont investis des mêmes pouvoirs miraculeux que les esprits, avec lesquels ils interagissent par ailleurs. Les aînés initiés ou les chefs de clan jouent au dieu, peut-être sous des masques, en commandant à la croissance humaine et naturelle. Les chefs sont honorés et traités comme des dieux. Les rois dominent la nature elle-même. Ce que l’on prend d’ordinaire pour une divinisation des dirigeants humains se comprend mieux, historiquement, comme une humanisation du dieu.
Le corollaire de cette thèse, c’est qu’il n’existe pas d’autorité séculière : le pouvoir humain est pouvoir spirituel —de quelque façon pratique qu’il s’exerce. Que l’autorité sur autrui s’acquière par l’avantage de la force, par une charge héréditaire, par la générosité matérielle ou d’autres moyens, tout cela dépend des ancêtres ou d’autres métapersonnes externes, sources de la vitalité et de la mortalité humaine. À l’intérieur de ce cadre culturel, la relation privilégiée avec les dirigeants métapersonnels de la destinée humaine est la raison d’être du pouvoir social terrestre. De plus, cet accès direct aux pouvoirs métahumains peut permettre, grâce à des exploits temporels, la sujétion de peuples au-delà des limites de l’action directe des détenteurs de l’autorité. C’est le « charisme » — dans son sens premier, imprégné de divin.
C’est en ce sens imprégné de divin que les Shilluk disent que le roi est Juok (le dieu), mais que Juok n’est pas le roi. La divinité du roi repose dans une espèce d’animisme intersubjectif. En tant que modalité de l’unification du multiple, la divinité elle-même peut se comprendre comme le représentant personnifié d’une classe de choses qui sont par là autant d’instances/instanciations du dieu — ce qui revient aussi à dire qu’en tant que personne multiple le dieu est immanent aux créatures et figures de son royaume.
Pour les Hawaïens, les plantes, animaux et personnes à valeur symbolique significative sont autant de « corps » (kino lau) du dieu : ce qui explique le fameux cas du Capitaine Cook, qui était le dieu Lono sans que ce dernier ne soit le Capitaine. Un tel animisme intersubjectif n’est pas si rare : les chamans sont possédés par leurs proches et des victimes par leurs sorcières. L’idolâtrie et la parenté sont toutes deux des formes d’une grande métaphysique de l’être intersubjectif.
Comparé avec le type de régimes cosmiques en vigueur parmi les chasseurs cueilleurs et bien d’autres, la royauté mortelle représente une limite imposée au pouvoir d’État. Quelles que soient ses prétentions, quel que soit l’appareillage social à sa disposition, jamais un mortel ne pourrait manier autant de pouvoir qu’un dieu. Et la plupart des rois, malgré leurs prétentions absolutistes, n’essayent jamais sérieusement.
Pour la moitié de l’humanité, néanmoins, l’invention de la royauté mortelle est un coup majeur, puisque les rois sont, dans presque tous les cas connus, des mâles. De nos jours, les spécialistes ont pour habitude d’écarter les représentations néolithique ou paléolithique de figures féminines puissantes comme de simples représentations « mythologiques », de portée politique nulle, mais dans les régimes cosmiques d’alors il ne pouvait en être ainsi. Dans ce cas, la fixation d’un pouvoir politique d’ordre divin sur la tête masculine d’une famille royale a doublement promu le patriarcat : non seulement la manifestation humaine privilégiée du pouvoir divin était désormais masculine, mais de plus la production d’hommes puissants devint le but premier de la famille idéale.
La trajectoire historique précise du transfert de pouvoirs divins — la souveraineté à proprement parler — d’êtres métahumains aux êtres proprement humains, pour autant qu’elle puisse être reconstituée, prendra sans doute des tours inattendus. Par exemple : il est des sociétés (en Californie aborigène, en Terre de Feu) où l’on ne peut donner des ordres arbitraires qu’à l’occasion de rituels au cours desquels les hommes personnifient les dieux, et où cependant ceux qui donnent les ordres ne sont pas les dieux, seulement des clowns qui semblent représenter l’essence du pouvoir divin.
Dans des sociétés apparentées (les Kwakiutl), ceci se prolonge dans l’établissement d’une police de clowns qui exerce son emprise sur toute une saison rituelle. Dans d’autres sociétés encore, c’est à une police saisonnière plus conventionnelle que l’on a affaire. Dans de tels cas, la souveraineté est limitée dans le temps : hors du contexte rituel ou saisonnier particulier, la décentralisation reprend ses droits, et ceux à qui les pouvoirs souverains avaient été remis lors de la saison rituelle ne se distinguent plus de n’importe qui d’autre, et leur parole n’a pas plus de poids.
La royauté sacrée, en revanche, serait en grande partie une manière de limiter le pouvoir souverain dans l’espace. Comme cela est presque toujours affirmé, le roi possède un pouvoir total sur les vies et les biens de ses sujets, mais uniquement quand il est physiquement présent. D’où les innombrables stratégies employées pour restreindre la liberté de mouvement du roi. Pourtant, il y a en même temps une relation mutuellement constitutive entre le confinement du roi et son pouvoir : les tabous qui le contraignent sont ce qui fait de lui un métaêtre transcendant.
Formations à « roi-étranger »
Les royaumes à roi-étranger sont la forme la plus répandue, voire la forme originelle, d’État prémoderne de par le monde. Leurs rois sont étrangers par ascendance et par identité. La dynastie est généralement fondée par un prince héroïque venu d’un plus grand royaume extérieur : proche ou lointain, légendaire ou contemporain, céleste ou terrestre.
Ou bien, plutôt que des étrangers devenant rois, ce sont les dirigeants autochtones qui se parent de l’identité et de la souveraineté de grands rois d’autres contrées, et par là deviennent étrangers (comme dans les royaumes indiens de l’Asie du Sud-Est). Dans tous les cas, le régime est dual : il est divisé entre des gouvernants par nature étrangers — et il en est toujours ainsi, comme condition nécessaire de leur autorité — et les autochtones gouvernés, qui sont les « propriétaires » du pays. Récits et rituels répètent constamment cette constitution duale, qui s’inscrit aussi de manière continue dans les fonctions, talents et pouvoirs différenciés de l’aristocratie au pouvoir et des autochtones.
Le royaume n’est pas une formation endogène et ne se développe pas de manière autarcique, il dépend donc des relations au sein d’un champ historique où les sociétés sont hiérarchiquement ordonnées. La supériorité de l’aristocratie régnante n’est pas tant engendrée par le processus de formation de l’État, que celui-ci ne l’est par la supériorité inconditionnelle d’une aristocratie venue d’ailleurs — investie par nature d’une certaine libido dominandi. La classe dirigeante est antérieure à la classe dominée et est sa cause.
En chemin vers son royaume, le fondateur de dynastie fait parler de lui par ses hauts faits en matière d’inceste, fratricide, parricide, ou autres crimes contre la parenté et la morale établie ; parfois, il se rend célèbre par ses victoires sur de dangereux adversaires humains ou naturels. Le héros est d’une nature supérieure à celle de ses futurs sujets — d’où son pouvoir.
La monstruosité et la violence du roi, aussi importantes que soient les inhibitions et les sublimations qu’elles subissent au sein du royaume une fois établi, restent une condition essentielle de sa souveraineté. De fait, la force, en tant que signe des sources métahumaines du pouvoir royal, bien mises en évidence par ses victoires, peut servir aussi bien de moyen positif d’attraction que d’instrument physique de domination.
Pour autant, en dépit de toute la violence transgressive du fondateur, son royaume est la plupart du temps fondé de manière pacifique. On surestime la conquête comme origine de la « formation de l’État ». Au vu de leurs conditions d’existence — y compris les conflits internes et externes au champ historique —, les peuples autochtones ont souvent leurs raisons pour réclamer un « roi qui [les] guide, marche à [leur] tête et conduit [leurs] guerres » (1 Samuel 8:20). Même dans des royaumes majeurs, comme le Bénin ou celui des Aztèques, il se peut que ce soient les populations indigènes qui prennent l’initiative de faire appel à un prince d’un puissant royaume extérieur. Ce qu’on prend pour des « conquêtes » dans la tradition ou la littérature savante se ramène à une usurpation du régime antérieur, sans impliquer forcément violence contre la population.
Alors qu’il y a rarement une tradition de conquête, il y a toujours une tradition du contrat : notamment sous la forme d’un mariage entre le prince-étranger et une femme indigène d’un certain rang — la plupart du temps, une fille du chef. La souveraineté est incarnée et transmise par la femme autochtone, celle-ci faisant le lien entre les intrus venus de l’étranger et la population locale. L’héritier de l’union originelle (souvent considéré comme le héros-fondateur de la dynastie) renferme et combine ainsi en sa personne les composantes essentielles du royaume, étrangères et autochtones. Père du pays d’un côté, comme il est aussi rendu manifeste par ses exploits polygynes et sexuels, le roi est, d’un autre, l’enfant-chef du peuple indigène, dont il descend par son ascendance maternelle.
Et même quand il y a conquête, elle est réciproque en vertu du contrat originel : le roi-étranger et le peuple s’absorbent mutuellement.
La domestication de l’étranger turbulent est rejouée dans les cérémonies d’intronisation du roi : il meurt, renaît et est nourri et élevé entre les mains des chefs locaux. Sa sauvagerie ou violence innée n’est pas tant effacée que sublimée et en principe utilisée dans l’intérêt de tous : en interne comme garantie de la justice et de l’ordre, et à l’extérieur pour protéger le royaume contre des ennemis humains et naturels. Mais en même temps que le roi est apprivoisé, le peuple devient civilisé. La royauté est une mission civilisatrice. Souvent, l’avènement du roi étranger est présenté comme permettant au peuple de s’extraire d’un état primitif, en lui apportant des choses telles que l’agriculture, du bétail, des outils et des armes, du métal — même le feu et la cuisine, le faisant donc passer de la nature à la culture (au sens de Lévi-Strauss). Comme cela a été dit à propos de sociétés africaines : il n’est pas civilisé d’être sans roi.
Dans l’union originelle qui fonctionne comme une allégorie, est réalisée la synthèse des pouvoirs étrangers et autochtones — le masculin et le féminin, le céleste et le terrestre, le violent et le pacifique, le mouvant et le fixe, l’étranger et l’indigène, etc. — qui fixe un système cosmique de viabilité sociale. Dans une configuration analogue, l’accès de la population autochtone aux sources spirituelles de la fertilité de la terre est renforcé par le pouvoir que possède le roi de canaliser les forces productrices de la vie, tels la pluie ou le soleil qui fécondent la terre. Le peuple autochtone et les dirigeants étrangers, chacun en eux-mêmes incomplets, forment ensemble une totalité viable — permettant au royaume de se maintenir, en dépit des tensions dues aux différences ethniques, de sang ou de classe.
Ayant renoncé au pouvoir au profit du roi-étranger, la population autochtone conserve néanmoins une part de souveraineté résiduelle. En vertu de leur relation unique aux pouvoirs de la terre, les descendants des rois indigènes d’autrefois deviennent les grands prêtres du nouveau régime. Leur contrôle sur la succession du roi, y compris les cérémonies d’intronisation, garantit la légitimité du roi venu de l’étranger. De même, les chefs autochtones détiennent généralement le pouvoir temporel, en tant que conseillers du roi, son « premier-ministre » étant parfois choisi dans leurs rangs. Le principe selon lequel la souveraineté du roi est déléguée par le peuple, à qui elle revient de droit et par origine, est dans une large mesure inscrit dans les formations à roi-étranger, et donc bien connu en des temps et des lieux antérieurs à ses premières expressions européennes modernes.
L’aristocratie au pouvoir, bien qu’elle soit supérieure et d’une ethnie toujours étrangère, n’est pas souvent dominante culturellement ou linguistiquement parlant, mais est assimilée par la population locale de ces points de vue. Corrélativement, l’identité du royaume reste d’ordinaire définie par le peuple autochtone. La colonisation européenne, bien souvent et dans des proportions significatives, n’est qu’une forme historique tardive des traditions indigènes de l’« étranger-roi » : le Capitaine Cook, Rajah Brooke et Hernando Cortés, par exemple.
Politique de la royauté
La lutte politique autour du pouvoir du roi prend généralement la forme de l’affrontement entre deux principes : la royauté divine et la royauté sacrée. En pratique, la royauté divine est l’essence de la souveraineté : c’est la capacité d’agir comme si on était un dieu ; d’outrepasser les limites de l’humain et d’y revenir pour semer impunément et arbitrairement faveur ou destruction. Parfois, on considère que ces actes du roi prouvent qu’il est une incarnation réelle d’un être métahumain préexistant. Mais ce n’est pas toujours le cas ; en agissant ainsi, le roi peut tout aussi bien devenir de lui-même un être métahumain. Les shoguns japonais (en tout cas certains d’entre eux), les empereurs romains ou les kabaka de Ganda pouvaient tous d’eux-mêmes devenir des dieux.
Être « sacré », au contraire, c’est être mis à part, enserré par les coutumes et les tabous ; les restrictions qui entourent les rois sacrés – « ne pas toucher la terre, ne pas voir le soleil » selon la célèbre maxime de Frazer – sont certes des manières de reconnaître la présence d’un pouvoir divin inexplicable, mais aussi, et cela est crucial, de confiner, de contrôler et de limiter celui-ci. On pourrait voir ces deux principes comme le reflet de différents moments de l’histoire de l’étranger-roi : le premier principe correspond à la puissance terrible du roi à son arrivée ; le second principe sa défaite, encerclé par ses sujets. Mais en un sens plus large, ils sont toujours présents tous deux simultanément.
Toutes les énigmes classiques de la royauté divine – le roi étalant son pouvoir arbitraire ou transformé en bouc-émissaire, le régicide (à l’issue d’un duel ou d’un sacrifice), l’usage d’effigies royales, le rôle oraculaire des monarques morts – tout cela se comprend mieux comme différents coups dans une continuelle partie d’échecs entre le roi et le peuple, dans lequel le roi et ses partisans cherchent à accroître la divinité du roi alors que les factions populaires cherchent à le sacraliser autant que possible. La royauté-étrangère permet de dégager les fondements structurels profonds d’une politique vernaculaire où les représentants de l’humanité se sont battus avec leurs dieux, et parfois l’ont emporté.
L’arme principale aux mains de ceux qui résistent à l’expansion du pouvoir royal pourrait être dénommée « sacralisation antagonique » – reconnaître le statut métahumain du monarque, « to keep the king divine » [que le roi reste divin] 2 requiert un appareil élaboré qui fait effectivement de lui une abstraction en cachant, en contenant ou en effaçant les caractères qui incarnent aux yeux de tous sa nature mortelle. Les rois deviennent invisibles, immatériels, coupés de leurs sujets ou de la matière et de la substance du monde – et, par conséquent, ils sont souvent enfermés dans leurs palais, hors d’état d’exercer leur pouvoir arbitraire (ou, bien souvent, le moindre pouvoir) d’une manière tangible.
Le régicide n’est que la forme ultime de cette sacralisation antagonique.
Lorsque les forces populaires l’emportent, le résultat peut donc prendre la forme de la royauté sacrée à la Frazer, ou de la réduction du monarque à une figure de proue de cérémonie, comme les derniers empereurs Zhou ou la reine d’Angleterre aujourd’hui.
Lorsque les rois gagnent définitivement (par exemple par une alliance avec une bureaucratie montante, civile ou militaire), s’ensuit une nouvelle série de conflits, notamment entre les vivants et les morts. Ayant outrepassé les frontières spatiales, les rois vont régulièrement chercher à franchir aussi les frontières temporelles, et à convertir leur statut métahumain en une forme d’immortalité véritable. Dans la mesure où ils y parviennent, ils suscitent une série de dilemmes pour leurs successeurs, dont la légitimité dérive de celle de leurs ancêtres, mais qui se trouvent en même temps nécessairement placés en rivalité avec eux.
Les anthropologues ont depuis longtemps disserté sur le phénomène de l’étiolement du statut. Avec le temps, les personnes et les branches cadettes s’éloignent de la ligne principale de succession et c’est une source endémique de conflits dans les lignages royaux, qui mène souvent à la violence fratricide – notamment entre les enfants d’un même père mais de mères différentes, chacun soutenu par ses parents maternels 3.
Les chances des jeunes princes d’accéder à la succession s’amincissent à chaque génération, à moins qu’ils ne s’emparent par la force et par la ruse de la royauté à laquelle ils ont un droit de plus en plus ténu. Outre la violence des interrègnes, cela a souvent pour effet une dispersion centrifuge de la famille royale – ceux qui renoncent ou sont vaincus – dans les régions reculées du royaume ou même au-delà, où ils peuvent prendre le pouvoir dans leur propre petit royaume. C’est une des origines fréquentes des formations à étranger-roi et des configurations régionales centre-périphérie (régime galactique). Cela peut aussi jouer un rôle dans la formation de ce qu’on appelle les « empires ».
Le problème se complique encore plus à cause d’une contradiction centrale entre deux formes d’étiolement du statut : horizontal et vertical. D’un côté, chaque branche parallèle issue de la lignée principale voit son statut descendre de plus en plus bas à mesure qu’elle se multiplie, à moins qu’une autopromotion par des moyens radicaux parvienne au moins temporairement à renverser leur déclin. D’autre part, la lignée centrale elle-même voit en général son statut décliner constamment tandis que le dirigeant actuel s’éloigne toujours plus du fondateur, que ce soit un héros, un dieu ou un roi-étranger. Par conséquent, la branche de la lignée royale identifiée à l’ancêtre de plus haut rang (le plus ancien) est aussi la branche de rang le plus bas.
L’étiolement du statut au fil du temps est inévitable, ce qui pose le dilemme de la gestion des défunts royaux. Les membres disparus de la dynastie ont toutes les chances de voir leur présence dans la vie politique attestée par des sanctuaires, des momies, des reliques, des tombes ou même des palais ; de communiquer leur volonté et leurs points de vue par l’intermédiaire de médiums, d’oracles ou autres moyens similaires. Du fait même que les ancêtres les plus anciens ont un rang plus élevé, leurs descendants ont un rang plus bas : ce paradoxe de l’étiolement horizontal et vertical du statut devient d’autant plus aigu que les morts prennent un rôle plus actif dans la politique du moment.
Et ce rôle peut en effet être très actif : les momies royales inca continuaient à posséder le même palais, les mêmes terres et les mêmes cortèges de serviteurs qu’au cours de leur vie, contraignant chaque nouveau dirigeant à conquérir de nouveaux territoires pour subvenir aux nécessités de sa propre cour. Dans tous les systèmes de ce type, si on laissait trop longtemps les choses suivre leur propre cours, les rois vivants seraient évincés et submergés par des légions de morts. Les morts devaient donc être contrôlés, limités, contenus – et même purgés. Comme les rois vivants, il fallait les sacraliser d’autant plus, imposer davantage de restrictions à leur pouvoir – même si ces restrictions, en fin de compte, étaient également constitutives de ce pouvoir.
C’est une loi sociologique générale : plus on voit les ancêtres comme des êtres essentiellement différents des mortels d’aujourd’hui, plus il est probable qu’ils soient considérés comme une source de pouvoir ; plus on les juge similaires, plus ils apparaissent comme des rivaux et des sources de contrainte. Si l’ancêtre totémique est une baleine tueuse ou une larve blanche, il ne représente en aucun cas un fardeau pour les vivants. Au contraire, un homme remémoré et vénéré est très clairement un rival pour tout descendant dont l’ambition est de s’assurer la même postérité.
Seul un nombre limité d’ancêtres a droit à la postérité. Pour autant, il y a toujours un équilibre à trouver : si les ancêtres sont entièrement effacés, leurs descendants perdent tout statut ; s’ils ont trop de pouvoir, on considère qu’ils étouffent l’épanouissement de ces mêmes descendants. La résultante de cet équilibre est souvent une autre variante de la politique du subterfuge rituel qui est si classique lorsque l’on a affaire à des dieux donneurs de vie : ils doivent être contenus, éloignés voire détruits, tout cela sous couvert de les honorer.
Ce problème ne se pose pas forcément au commun des mortels (tout dépend de la manière dont ils se représentent eux-mêmes dans le temps et dans l’histoire), mais aux rois toujours, car leur légitimité se fonde au moins en partie sur leurs liens de filiation avec d’autres rois. Fuir son domaine et devenir ailleurs un roi-étranger est en fait l’une des possibilités d’échapper aux défunts qui le prennent en étau, mais les descendants d’un roi-étranger connaîtront le même problème et celui-ci ne fera que s’aggraver avec le temps.
Les comportements les plus extravagants des dirigeants de puissants royaumes ou d’« États archaïques » peuvent être en grande partie interprétés comme des tentatives d’échapper à cet étau, c’est-à-dire comme des manières d’entrer en concurrence avec les morts. Ils ont pu chercher à les éliminer, ou à mourir eux-mêmes symboliquement, mais il est rare que cela soit entièrement efficace. Ils ont pu entrer dans une concurrence frontale par la construction de monuments éternels, par la conquête ou par le sacrifice rituel de sujets toujours plus nombreux, dans l’espoir de manifester un pouvoir souverain arbitraire toujours plus grand. Ils ont même pu – cela arrive parfois – tenter de renverser entièrement le sens de l’histoire et inventer un mythe de progrès. Mais chacun de ces expédients suscite de nouveaux problèmes.
L’équilibre ordinaire des pouvoirs entre le roi et le peuple est souvent maintenu par des investissements émotionnels intenses : amour, haine, ou une combinaison des deux. Ils prennent souvent la forme d’inversions paradoxales du résultat normalement attendu : les rois Shilluk ou Swazi prirent un statut divin au moment où le peuple s’unissait dans une haine commune à leur égard ; l’amour nourricier des Mérina envers leurs dirigeants infantilisés pouvait alterner entre l’indulgence pour des actes qui seraient considérés en temps normal comme des atrocités, et des punitions sévères lorsqu’on jugeait qu’ils avaient dépassé les bornes.
La perfection du roi, sa cour, son palais, sa capitale ou ses environs immédiats ne forment pas exactement un modèle de l’univers ; c’est un modèle de l’univers restauré à un état de perfection platonicienne abstraite qui ne se présente pas dans l’expérience ordinaire. Peut-être l’univers s’est-il autrefois trouvé dans cet état. Peut-être pressent-on, ressent-on qu’il y retournera un jour. Dans la ville royale nouvellement fondée, projection de la vision d’un seul homme sur le monde matériel, on peut donc voir le prototype de toutes les utopies futures : la tentative d’imposer un modèle de perfection, non seulement au monde physique, mais aussi aux vies des hommes mortels qui y résident. Au bout du compte, cela se révèle évidemment impossible.
Les hommes ne peuvent être réduits à des Idées platoniciennes, et il est impossible de décréter la dissolution des dilemmes fondamentaux de la vie humaine qui tournent particulièrement autour de la reproduction et de la mort ; de tels états de perfection transcendante peuvent peut-être être atteints lors de performances rituelles, mais personne ne peut prolonger un tel moment pour sa vie entière, ni même pour une durée significative. Certaines capitales royales tentent d’exclure entièrement du territoire royal les naissances, l’infirmité et la mort (naturelle). Il est rare d’aller aussi loin, mais on observe toujours quelque chose de cet ordre. Au grand minimum, les cours royales se donneront des codes d’étiquette très élaborés qui exigent de faire, jusque dans les interactions quotidiennes, comme si ces choses n’existaient pas. Ces codes définissent des normes de comportement qui sont ensuite appliqués avec de moins en moins de rigueur à mesure qu’on s’éloigne (socialement ou physiquement) de la cour royale.
De cette manière, alors que les prophètes annoncent la résolution totale à venir des contradictions et et des dilemmes de la condition humaine, les rois incarnent leur résolution partielle dans le temps présent.
L’arbitraire des rois-étrangers est, si paradoxal que ce soit, ce par quoi ils arrivent à s’établir comme représentants de la justice. Leur capacité à s’emparer de toute chose ou à la détruire, même s’ils ne la déploient que très rarement, est structurellement analogue à la propriété de toute chose ; c’est une relation indifférenciée du monarque à tout ce qui n’est pas lui. Cette indifférence est aussi une impartialité puisqu’un tel monarque absolu n’a aucun intérêt particulier – en principe du moins – qui pourrait biaiser son jugement dans les querelles entre ses sujets. De son point de vue, ils sont tous identiques. Pour cette raison, les rois prétendront toujours à une sorte de pouvoir despotique absolu, même lorsque tout le monde sait que ces prétentions sont quasiment vaines en pratique – car autrement, ils ne seraient pas rois. En même temps, le caractère englobant de telles prétentions fait du pouvoir même du roi un élément de potentielle subversion des rapports sociaux existants.
Certes, en général les rois se présentent comme l’incarnation et le bastion de toutes les hiérarchies et structures d’autorité existantes – par exemple en soutenant qu’il est le « Père de son Peuple », le monarque renforce avant tout l’autorité des pères réels sur leurs femmes, leurs enfants et tous ceux qui dépendent d’eux. Mais la nature de leur pouvoir qui est, en dernière instance, indifférencié, signifie aussi que tous les sujets sont, en dernière instance, les mêmes – c’est-à-dire égaux. Comme le philosophe des Lumières écossaises Henry Home (Lord Kames) a peut-être été le premier à le relever, la différence entre le despotisme absolu, où tous sont égaux sauf un, et la démocratie absolue, n’est que d’un homme. Il y a donc une affinité structurelle profonde entre l’idée contemporaine que tous les citoyens sont « égaux devant la loi » et le principe monarchique selon lequel ils sont égaux en tant que victimes potentielles d’une déprédation royale purement arbitraire.
Dans la vie politique, cette tension peut prendre de nombreuses formes. Les gens du peuple peuvent en appeler au roi contre ses « méchants conseillers ». Les rois ou les empereurs peuvent se présenter eux-mêmes comme les champions du peuple contre les intérêts de l’aristocratie. Ou alors tout le monde, indépendamment de son rang, peut s’unifier contre le roi.
Par conséquent, même quand les rois disparaissent – même lorsqu’ils sont renversés par des soulèvements populaires –, il est probable que leurs fantômes continuent de rôder dans les parages, justement en tant que principe unifiant. Le rôle des esprits royaux dans les rites médiumniques, dans la plus grande partie de l’Afrique et de Madagascar, et la notion moderne de « souveraineté du peuple » sont deux exemples contemporains de ce principe.
Relations centre-périphérie (régimes galactiques)
La dissémination centrifuge des formes politiques, rituelles et matérielles influentes à partir de royaumes centraux suscite souvent une attraction centripète et des mouvements de population depuis l’arrière-pays. Les sociétés périphériques ont été subordonnées culturellement tout en restant indépendantes politiquement. Tous les grands royaumes ont été marginaux un jour ; c’est probablement une loi de la science politique. D’abord situés en périphérie d’un centre puissant, ils parviennent par un certain avantage, par exemple commercial ou militaire, à remplacer ceux qui les dominaient autrefois.
En effet, dans ces configurations centre-périphérie organisées autour d’un royaume dominant, l’ambition de rehausser son rang joue à tous les étages de la hiérarchie entre les sociétés. Même au sommet de celle-ci, les royaumes sont pris dans un champ géopolitique concurrentiel plus étendu qu’ils cherchent à dominer en universalisant leurs titres de pouvoir. D’un côté, ils pratiquent ce que nous appelons ici une « politique utopique », ou « la Realpolitik du merveilleux » en faisant remonter leurs origines à un héros de l’histoire mondiale (comme Alexandre le Grand), un dieu-roi légendaire (comme Quetzalcoatl), une cité fabuleuse (comme Troie ou La Mecque), une puissance mondiale antique ou contemporaine (comme les empires romain ou chinois), et/ou de grands dieux (comme Shiva). En même temps, ils font preuve de leur universalité en acquérant – par le tribut, le commerce ou le pillage – et en domestiquant les puissances animistes sauvages qui habitent les objets exotiques de l’arrière-pays barbare.
Un cas ethnographique célèbre, transmis par Edmund Leach 4, rapporte que les chefs des Kachin, une tribu des collines de Birmanie, étaient « devenus Shan », c’est-à-dire qu’ils s’étaient alliés aux princes Shan et avaient adopté leur mode de vie. Les princes Shan, à leur tour, adoptèrent les us politiques et rituels des rois birmans ou chinois – certains retournant parfois jusqu’aux peuples des collines. Ce phénomène de « mimèsis galactique », par lequel des chefs de rang inférieur s’approprient les formes politiques de leur supérieur immédiat, est une des dynamiques cruciales des systèmes centre-périphérie, suscitée par la concurrence entre les entités politiques et en leur sein, à travers toute la hiérarchie entre les sociétés.
Cette concurrence peut prendre deux formes générales. Dans un processus de « schismogenèse complémentaire », les individus qui se disputent le pouvoir dans une communauté (ou les communautés qui se le disputent dans un champ galactique plus étendu) peuvent tenter de s’élever au-dessus de leurs adversaires en s’affiliant à un chef plus haut placé ; ils élèvent alors leur statut dans la hiérarchie régionale. Ou bien inversement, dans un processus d’« acculturation antagoniste », un groupe moins important peut chercher à résister à un voisin envahissant en faisant sien l’appareil politique même de celui-ci, rétablissant ainsi un équilibre dans l’antagonisme – c’est ainsi que les Vietnamiens ont longtemps prétendu être mandatés par le ciel pour former un « empire du Sud », au même titre que l’« empire du Nord » chinois. On remarquera que dans tous les cas, ce qui permet d’atteindre un statut politique supérieur, dont la royauté, a tendance à se disséminer, et cela passe par un processus mimétique à l’initiative des peuples les moins puissants.
Combinée aux forces d’acculturation qui émanent des royaumes centraux vers l’extérieur, la mimèsis galactique donne naissance à des sociétés hybrides, fondées sur des formes politiques et cosmologiques qu’elles n’ont pas elles-mêmes conçues, et qui débordent donc toute « détermination par la base économique ». Ce type de relations centre-périphérie est très répandu autour du monde, même dans des parties de la « zone tribale », et cette sorte d’hybridité, ou de développement inégal, est donc plus souvent la norme de l’ordre socioculturel que l’exception. La « superstructure » excède l’« infrastructure ».
L’économie politique de la royauté traditionnelle
Les rapports de propriété dans la royauté sont complexes. D’une part, le pays est divisé en propriétés locales dont les « véritables propriétaires » sont les ancêtres des habitants ou les esprits des lieux avec lesquels les ancêtres ont fait un pacte – et ce sont eux également qui décident de la fertilité de l’endroit. Par contrecoup, les sujets qui habitent les lieux, ayant accès à ces autorités métapersonnelles par l’intermédiaire des Anciens initiés ou de chefs religieux, sont à leur tour désignés comme les « propriétaires », voire le « sol » ou la « terre » eux-mêmes, ou par toute autre référence aux droits qu’ils détiennent sur la terre en tant que fondateurs, face à l’aristocratie au pouvoir – notamment dans les régimes à roi-étranger où les aristocrates en question sont étrangers par leur origine et leur identité ethnique.
Les droits des locaux face aux dirigeants sont des droits de possession, mais ils ne sont que d’usufruit vis-à-vis des habitants spirituels, qui doivent être reconnus par les occupants actuels comme les propriétaires en dernière instance (on remarquera que ces relations entre la population locale et les esprits autochtones sont elles-mêmes analogues à la structure plus vaste du régime à roi étranger). D’autre part, l’aristocratie au pouvoir et le roi – qui, selon la tradition, peuvent avoir été à l’origine pauvres et sans terre jusqu’à ce que les indigènes leur en lèguent – peuvent aussi être « propriétaires » ; mais cette fois dans le sens où ils sont seigneurs de vastes domaines et de leurs habitants, par où ils ont des droits tributaires sur une part de la production et de la main d’œuvre générées par la population sujette.
Alors que les sujets participent activement au processus de production par leur contrôle des ressources primaires, les dirigeants se rapportent à ce processus de manière extractive, par leur domination des producteurs. Comme il est dit parmi le peuple Nyoro, en Afrique de l’Est : « Le Mukama [le roi] est le maître du peuple ; les clans sont les maîtres de la terre 5 ».
Par conséquent, l’économie du royaume a une structure duale, caractérisée par des différences fondamentales entre l’économie de l’oikos chez la population sujette et l’économie expressément politique du palais et de l’aristocratie, déployée en vue de soutenir matériellement leur pouvoir. Centré sur la production de moyens de subsistance ordinaires, le secteur primaire est organisé par les relations de parenté et communautaires des sujets. La classe dominante est avant tout intéressée par le produit fini, en biens et en main d’œuvre, du travail de la population. Elle y prélève un impôt qui aide à financer une sphère d’élite dans l’accumulation de richesse, dont la finalité est tout particulièrement politique et consiste dans le renforcement et l’extension de sa sphère de domination. Ici, le travail est organisé par des relations de corvée, d’esclavage et/ou de clientèle.
Il est employé à subvenir aux besoins d’une imposante élite de palais, mais surtout à l’accumulation de richesses venant de l’extérieur des frontières, c’est-à-dire de pillages, du commerce et/ou de tributs. Cette richesse, consommée de manière ostentatoire, utilisée pour la construction de monuments et pour une réorganisation stratégique – et éventuellement en vue de nouveaux exploits militaires –, a des effets assujetissants, à la fois directement, en tant qu’elle bénéficie à certains, et indirectement, en impressionnant d’autres. De plus, la réussite matérielle du roi prouve qu’il a accès aux sources divines de la prospérité terrestre, redoublant ainsi les effets politiques de sa richesse par la démonstration de ses pouvoirs divins.
L’économie politique de la royauté est faite d’assujettissement social plutôt que de coercition matérielle. Le pouvoir royal ne repose pas tant, dans son fonctionnement, sur le contrôle privé des moyens d’existence des sujets que sur les effets bénéfiques ou terrifiques des largesses, du faste et de la prospérité du roi. Le but de cette économie politique est d’accroître le nombre et la loyauté des sujets – ce qui la distingue de l’entreprise capitaliste qui vise l’accroissement de la richesse sous forme de capital.
Pour paraphraser une formule de Marx, le projet essentiel de l’économie de la royauté est P – R – P’ (où le contrôle politique de la population génère une accumulation de richesse qui permet un plus grand contrôle), par contraste avec la formule capitaliste classique R – P – R’, où le contrôle privé de la richesse productive (le capital) permet le contrôle de la population (le travail) en vue d’accroître la richesse productive.
On pourrait dire à juste titre que « les esprits possèdent les moyens de production », sauf que sous la forme de plantes, d’animaux, d’objets particuliers ou même de la terre et des forces naturelles de croissance, ces prétendus « esprits », qu’on appellera de préférence « métapersonnes », sont les moyens de production. Dotés de leurs propres dispositions et de leurs propres intentions, ils sont en effet leurs propres personnes et, avec les divinités, les ancêtres et d’autres puissances métapersonnelles semblables, sont reconnus comme responsables du succès ou de l’échec du travail humain. Par conséquent les rites (en particulier sacrificiels), en tant que moment essentiel du travail, font partie des « moyens de production » – comme dans le célèbre « travail des dieux » de l’île de Tikopia.
Il en découle également que les bénéfices politiques des réussites matérielles – les rémunérations en statut et en influence – reviennent aux shamans, aux prêtres, aux aînés, aux chefs de lignée, aux big-men, aux chefs ou aux rois, c’est-à-dire à tous ceux qui ont obtenu d’une manière ou d’une autre un accès privilégié aux sources métahumaines de la prospérité humaine — mais pas nécessairement, ou alors dans une moindre mesure, aux chasseurs, aux cultivateurs ou à ceux qui ont fait le travail. Le travailleur est aliéné de sa production : c’était une situation généralisée bien avant qu’elle n’accède à la notoriété sous le capitalisme. Dans la mesure où le crédit social revient à la place aux autorités politico-religieuses régnantes, on peut dire que le pouvoir politique a une « base économique » – bien que cette « base économique » ne soit pas économique.
Par ailleurs et en passant, le cannibalisme est très répandu, même dans de nombreuses sociétés qui prétendent l’abhorrer. Le cannibalisme est la malédiction du chasseur ou cultivateur animiste qui doit vivre en consommant des animaux ou des plantes qui sont eux-mêmes essentiellement des personnes. D’où les tabous et autres rituels qui entourent ces espèces et leurs maîtres métapersonnels – il s’agit à nouveau d’une condition nécessaire de la « production ».
Sur des concepts éculés qui ont perdu toute utilité
Le « relativisme culturel » bien compris n’a pas perdu son utilité. Ce qui est inutile est le relativisme vulgaire selon lequel les valeurs de n’importe quelle société seraient aussi bonnes, sinon meilleures, que celles de n’importe quelle autre, y compris la nôtre. S’il est bien compris, le relativisme culturel est une technique anthropologique pour comprendre les différences culturelles, non une manière charitable de délivrer une absolution morale. Elle consiste à suspendre provisoirement son propre jugement moral sur les pratiques d’autrui pour mieux les replacer comme valeurs positionnelles dans le contexte culturel et historique où elles sont apparues. L’enjeu est la compréhension du sens de ces pratiques, comment elles sont venues à l’existence et quels sont leurs effets pour les gens concernés, et non ce qu’elles sont pour nous ou ce qu’elles valent pour nous.
Dans cette approche relativiste, l’ontologie des indigènes, leur conception de ce qu’il y a, doit de même être considérée en elle-même et pour elle-même, sans être déformée par des concepts analytiques qui substituent nos certitudes sur la « réalité » aux leurs. Prenons par exemple la catégorie de « mythe ». Dans notre langage, qualifier un énoncé de « mythe » revient à dire qu’il n’est pas vrai. Par conséquent, en parlant des « mythes » d’autrui, nous affirmons sans ambiguité que ce qu’ils considèrent comme une vérité sacrée, et sur quoi ils fondent leur existence est fictif et invraisemblable – pour nous.
Ayant ainsi discrédité la base constitutionnelle de leur société – comme dans l’oxymore ethnologique de la « charte mythique » –, nous avons toute liberté de l’écarter comme essentiellement irréelle pour eux aussi : comme une mystification en surface de leur pratique sociopolitique réelle. Alors, le travail scientifique se réduit à une quête plus ou moins vaine d’un « noyau de vérité historique » dans un récit criblé de fantaisies superflues – tandis que les concepts qu’on vient de disqualifier ainsi sont le cœur de l’histoire qui nous occupe. Car le prétendu « mythe », pris dans son potentiel de vérité par les individus concernés, organise vraiment leur action historique.
« La vie, après tout, est autant une imitation de l’art que l’inverse. » C’est ainsi que Victor Turner commenta la manière dont les villageois Ndembu, en Afrique centrale, appliquaient à leurs relations sociales actuelles des principes issus des traditions royales Lunda qu’ils avaient apprises étant enfants 6.
Ou encore, c’est ainsi que les chefs politiques importants façonnent et structurent leurs propres actions publiques à partir des récits des épopées dynastiques. Le passé n’est pas seulement un prologue, mais comme le dit Turner, il est « paradigme ». Les traditions, en tant que causes historiques, n’ont aucune proximité temporelle ou physique à leurs effets : elles sont insérées dans la situation, mais elles n’en font pas partie. Enfoncer le présent dans un passé remémoré : cette forme de temporalité culturellement déterminée est une manière fondamentale de fabriquer l’histoire, du Temps du rêve des Aborigènes australiens jusqu’à la politique d’État des rois Kongo.
Ce qui veut dire que ce qui se passe réellement dans une situation donnée est toujours constitué par des significations culturelles qui transcendent les paramètres de l’événement lui-même : Bobby Thompson n’a pas simplement envoyé la balle au-delà de la clôture du champ gauche [au baseball – NdT], par là il a aussi remporté le titre de champion. La meilleure partie de l’histoire est atemporelle et culturelle : non pas découvrir ce qui s’est vraiment passé mais, supposant que cela s’est passé, comprendre en quoi cela consiste.
Cela ne signifie pas que, juste parce que les Nuer soutiennent aujourd’hui qu’ils descendent tous d’un homme nommé « Nuer » qui a vécu il y a dix générations, nous devrions ignorer les preuves documentaires de l’existence des Nuer avant 1750. Cela signifie, en revanche, que si nous ne nous intéressons pas à ce qu’« être Nuer » signifie pour les Nuer d’hier et d’aujourd’hui, alors cela n’a tout simplement aucun sens de parler des « Nuer ».
Concepts économiques éculés
Les « choses », par exemple. La distinction cartésienne entre res cogitans et res extensa, sujets et objets, n’est pas une description adéquate pour des ontologies constituées en bonne partie à partir d’attributs humains ou personnels. Comme nous l’avons déjà noté à de nombreuses reprises, dans les sociétés considérées ici, les éléments de leur environnement avec lesquels les gens interagissent, et même certains artefacts importants de leur propre fabrication, ont les caractères intimes et essentiels de personnes humaines. Pour nombre de ces sociétés, voire pour la plupart d’entre elles, le concept anthropologique conventionnel d’« unité psychique de l’humanité » doit être élargi à cet univers chargé de subjectivité.
Que le monde ne soit que néant, que l’esprit ou la subjectivité ne lui soient pas immanents, sont de vaines présomptions propres au judéo-christianisme — et car Adam mangea une pomme les hommes seraient condamnés à se tuer au travail sur une matière intraitable pleine d’épines et de chardons. Dans la plus grande partie du monde, les pratiques économiques ont toujours nécessité des relations intersubjectives avec les entités sur lesquelles, et avec lesquelles, ils travaillent, et qui déterminent le résultat du travail. Les plantes que cultivent les femmes Achuar d’Amazonie sont leurs enfants, même si elles ne doivent la réussite de leurs efforts qu’à la déesse de l’agriculture. Il ne s’agit plus seulement de dire dans ce cas que les compétences humaines sont la condition nécessaire mais non suffisante de la réussite, mais que les compétences humaines sont le signe de pouvoirs octroyés par les dieux. Quoi qu’en dise notre propre science économique étriquée, qui est la science d’un monde cartésien, à ce titre il n’y a pas de « choses » pures : les « objets » d’intérêt ont en même temps leurs propres désirs.
De même pour la « production » : on pense à un individu héroïque qui travaillerait avec créativité une matière inerte pour lui donner une utilité par son propre effort et conformément à son propre plan, mais cette idée ne décrit pas une pratique intersubjective où des entités métapersonnelles sont les agents primaires 7.
Il est plus précis de dire que les gens reçoivent le fruit de leurs efforts de ces sources plutôt que de dire qu’ils le créent 8. Les forces qui rendent les jardins plus grands, le gibier plus abondant, les femmes plus fertiles, qui font sortir intacts les poteries du four et les instruments de la forge — ces forces qu’on hypostasie sous les noms variés de mana, semangat, hasina, nawalak, orenda, etc. — ne sont pas d’origine humaine. Pour les nombreuses sociétés ontologiquement constituées de cette manière, il est vain de prétendre que les rapports de production exercent des « effets fonctionnels » sur les relations sociales au sens large, comme on le croit souvent.
Notre concept de « production » est lui-même la sécularisation d’un concept théologique, mais tiré d’une théologie très spéciale dans laquelle un Dieu omnipotent crée l’univers ex nihilo 9 — idée qui est maintenue dans notre cosmologie de multiples manières, même après que Dieu eut été officiellement rayé de la carte. Mais regardez le chasseur, le mineur ou le pêcheur. Produit-il quoi que ce soit ? À quel moment un poisson capturé ou un tubercule déraciné cessent-ils d’être un phénomène « naturel » et commencent-ils à être un « produit social » ?
Nous parlons d’actes de transformation, d’attaque, de conciliation, de soin, d’actes consistant à tuer, à désarticuler, à réagencer. Mais en dernière analyse, la même chose est vraie de la fabrication d’automobiles. Il n’est possible de dire que la « production » est le véritable fondement de la vie humaine que si l’on s’imagine l’usine comme une boîte noire, tel un homme qui, ne connaissant pas grand chose au déroulement de la grossesse d’une femme, pourrait imaginer que quelque chose d’achevé est « produit » (littéralement, « expulsé ») de ses entrailles, en une seule grande poussée de « travail ».
Des concepts éculés d’ordre socioculturel
Comme la discussion précédente l’implique — et comme le corps de ce volume le développe—, plusieurs dichotomies conceptuelles largement utilisées dans les sciences humaines ne peuvent pas être appliquées aux sociétés considérées ici, car ces couples binaires ne présentent pas pour elles de différence ou d’opposition significatives ni aucune autre pertinence ontologique. Il s’agit de projections ethnocentriques inappropriées appliquées à des cultures autres. Mais les peuples concernés ne distinguent pas :
- les « hommes » des « esprits ». Les prétendus « esprits » (les métapersonnes) ont toutes les qualités essentielles d’une personne.
- le « matériel » du « spirituel ». Ils sont fondamentalement semblables, sur le socle commun de l’humanité.
- le « surnaturel » du « naturel ». Le monde est peuplé et mis en activité par des personnes incarnées : il n’y a pas de monde « naturel » dépourvu de subjectivité, et a fortiori pas de royaume transcendant de l’« esprit ».
- par conséquent, « ce monde » d’un « autre monde ». L’autrui métapersonnel fait partie de l’expérience de chaque jour— et de chaque nuit, dans les rêves. On sait que les hommes communiquent avec les « esprits » et entretiennent avec eux des relations sociales ordinaires, sexe et mariage compris.
Il n’y a pas de sociétés humaines égalitaires. Même les chasseurs sont organisés et dominés par une myriade de pouvoirs métapersonnels effectifs, pouvoirs punitifs qui s’appuient sur des sanctions sévères en cas d’infraction. Les hommes terrestres sont des éléments dépendants et subordonnés dans un régime cosmique. Ils connaissent bien l’autorité supérieure, ils la craignent et parfois la défient. Il est presque universel que la société soit à la fois avec et contre l’État.
Cela ne signifie pas que le célèbre ethos égalitaire de tant de sociétés de chasseurs ou autres, soit une illusion. De même qu’affirmer le pouvoir absolu du souverain, c’est aussi, tacitement, affirmer l’égalité absolue de ses sujets (au moins par rapport à lui), de même les affirmations du pouvoir métahumain sont du même coup des manières d’affirmer que les humains mortels sont tous identiques — sous tous les angles importants.
La différence, c’est qu’un Roi-Soleil en chair et en os a besoin d’un appareil de gouvernement (qui devient presque toujours le premier objet de la haine de ses sujets) ; mais si c’est le soleil lui-même qui est roi, alors les êtres humains sont tous égaux devant lui. Les premiers idéaux de l’égalité politique — notamment le refus de donner et de recevoir des ordres entre adultes, si bien documenté chez tant de sociétés avec des pouvoirs cosmiques particulièrement terrifiants —sont eux-mêmes un effet du régime cosmique qu’habitent ces hommes et ces femmes. Cela ne fait pas moins d’eux des pionniers de la liberté humaine.
Il faut noter la disproportion de structure et de pouvoir entre le régime cosmique qui gouverne la communauté humaine — y compris les êtres divins avec des pouvoirs de vie et de mort sur les hommes — et l’organisation de la société humaine elle-même. L’ordre social des hommes n’équivaut en rien, par sa forme et sa puissance, à celui des auteurs cosmiques de leur destinée. Les peuples d’Arctique, des hautes terres de Nouvelle-Guinée et d’Amazonie reconnaissent de grands dieux dont dépend la vie humaine : comme nous l’avons dit plus haut, le ciel est peuplé de rois même là où la terre ne connaît pas de chefs. Et les rois terrestres n’ont pas non plus l’ampleur et les pouvoirs hégémoniques des dieux qu’ils imitent.
Cette disproportion structurelle est l’une des raisons qui explique que le discours établi en sciences humaines, qui fait du « royaume surnaturel » une projection idéologique discursive de l’ordre sociopolitique humain, conçue pour apporter à celui-ci un soutien fonctionnel par mystification ou par réplication, est une pratique théorique aussi défectueuse que courante. Que cela plaise ou non à Durkheim.
Les sociétés humaines de toute sorte ne sont jamais seules, et cela se vérifie aussi en un autre sens. Engagées dans des champs régionaux avec des sociétés de cultures différentes, elles se constituent pour une grande part les unes par rapport aux autres. Comme nous l’avons dit plus haut, même hors des systèmes impériaux ou des régimes galactiques centrés sur un royaume dominant, on trouve des relations centre-périphérie dans toute la « zone tribale » — par exemple, dans les « aires culturelles » classiques des Indiens d’Amérique, avec leurs « foyers culturels » respectifs 10 —, de sorte que les structures et les pratiques de chaque société sont fondées sur celles d’autres sociétés.
Outre la diffusion et l’acculturation par domination, un éventail d’autres dynamiques interculturelles peut entrer en jeu : la schismogenèse complémentaire où des peuples en interaction adoptent des formes culturelles contraires, que ce soit sur le mode de la rivalité ou de l’interdépendance ; ou la mimèsis galactique déjà mentionnée, où les peuples des périphéries investissent les formes cosmopolitiques de leurs supérieurs hiérarchiques. Si les sociétés humaines ne sont donc jamais seules, les sciences humaines ont longtemps prétendu le contraire : là est le scandale. Mises à part de rares exceptions, comme les récentes théories du système-monde ou de la mondialisation, tous nos paradigmes majeurs d’interprétation de l’ordre et du changement culturels supposent que les sociétés sont des monades qui se façonnent d’elles-mêmes — par une action autonome et sui generis. La sociologie durkheimienne n’est pas la seule.
Il en va de même du fonctionnalisme de Malinowski ; du fonctionnalisme structurel de Radcliffe-Brown ; du marxisme de la base et de la superstructure ; de l’évolutionnisme de Herbert Spencer à Leslie White et Julian Steward ; des types de culture de Ruth Benedict ; et même des discours et des subjectivités post-structuralistes : tous supposent que les formes et les relations qu’ils expliquent sont situées dans un ordre socioculturel isolé et que ce qui compte le plus sont les articulations et les dynamiques internes à cet ordre. Le concept de culture a malheureusement été attaché à un nationalisme politique depuis Johann Gottfried von Herder, et c’est dans ce contexte qu’il a été élaboré par ses successeurs.
Nous voilà prêts à aborder, pour conclure, un fétiche intellectuel plus adoré encore aujourd’hui que celui de « la nation » — c’est son inséparable frère jumeau, « l’État ». Tel royaume est-il ou non un État ? Cette question ne nous enseigne que rarement la moindre chose sur sa politique ou sa constitution. Nous avons certainement appris tout ce qu’il y avait à apprendre des spéculations sans fin sur « les origines de l’État » et « le processus de formation de l’État » qui ont dominé les débats théoriques du vingtième siècle. Rétrospectivement, nous pourrions bien faire une découverte : et si « l’État » qui avait tant absorbé notre attention n’avait jamais existé ou n’avait été, au mieux, que le nom d’une conjonction fortuite d’éléments d’origines radicalement hétérogènes (la souveraineté, l’administration, un champ politique concurrentiel, etc.) qui ont été réunis à certaines époques et en certains lieux, mais qui sont, de nouveau aujourd’hui, en train de se dissocier les uns des autres ?
Sources
- Marshall Sahlins et David Graeber sont deux grands anthropologues contemporains. L’un est connu pour avoir autrefois réfuté le mythe de la pénurie économique des sociétés primitives (Âge de pierre, âge d’abondance, 1972) et toujours défendu une approche compréhensive de leurs cultures et de leurs mythes (La nature humaine, une illusion occidentale, 2008). Quant à Graeber, il a un don pour produire de monumentales synthèses théoriques sur les thèmes politiques qui définissent notre époque : la Dette (2011), la Bureaucratie (2015) – et il a frappé à nouveau par une interprétation anarchiste du Paléolithique.
Nous livrons ici, inédite en français, l’introduction de leur dernier livre On Kings, paru en décembre 2017 chez HAU Books/University of Chicago Press. - Audrey I. Richards, « Keeping the king divine », Proceedings of the Royal Anthropological Institute, 1968, p. 23–35.
- Cf. Hildred et Clifford Geertz, Kinship in Bali, University of Chicago Press, 1975.
- Edmund Leach, Political Systems of Highland Burma, Harvard University Press, 1954.
- John Beattie, The Nyoro State, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 167.
- Victor Turner, Schism and Continuity in an African Society : A study in Ndembu village life, Manchester University Press, 1957, p. 153
- Philippe Descola (2013), Beyond Nature and Culture, trad. ang. Janet Lloyd, University of Chicago Press, p. 321 sq. [dans l’original français Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005].
- Par exemple Simon Harrison (1990), Stealing people’s names : History and politics in a Sepik River cosmology, Cambridge University Press, p. 47 sq.
- Descola, op. cit., p. 312 sq.
- Alfred L. Kroeber, Cultural and Natural Areas of Native North America, University of California Press, 1947.