Nous retrouvons Hervé Le Bras, auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur la démographie et l’histoire des populations et du meilleur livre d’analyse du vote lepeniste, Le pari du FN, au Select vers Vavin. Quand nous lui demandons pourquoi il n’a pas souhaité imiter Sartre et de Beauvoir en donnant rendez-vous à La Coupole il nous explique que le Select est « plus près ».
Nous nous sommes intéressés cette semaine aux engagements du Front National dans la campagne présidentielle : parmi les propositions les plus importantes figure celle de supprimer les régions afin d’encourager la simplification territoriale (proposition numéro 6). Que pensez-vous du découpage actuel (fait-on vraiment face à un « millefeuille territorial » ?) et de la proposition du FN ?
Il y a une comparaison intéressante entre le découpage territorial français tel que réalisé après la Révolution et celui issu de la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République). Au moment de créer les départements, en 1791, les propositions faites allaient toutes dans le sens d’un quadrillage du territoire français parce que c’était la façon la plus neutre et la plus simple d’assurer le maillage territorial. Ce n’est que par la suite que des ajustements ont été réalisés afin de respecter une certaine cohérence historique et économique. Pour la loi NOTRe, le nouveau découpage régional a lui aussi été effectué sur un coin de table par François Hollande, sans même prendre le temps de consulter les présidents de région ou la DATAR. A voir donc si de futurs ajustements adouciront ce découpage un peu brutal.
Quant au FN, le département reste pour moi l’unité de référence, je ne suis donc pas particulièrement opposé à cette proposition. Les discussions actuelles sur une possible suppression du département me chagrinent : lorsque j’avais participé à la Commission Attali, tous les membres souhaitaient le voir disparaître et j’y étais le seul opposé. Il y a souvent une opposition de l’élite administrative au niveau départemental, perçu comme échelon intermédiaire et relativement inefficace. En revanche, on a pu remarquer un soutien populaire au département, notamment lorsqu’il s’est agi de supprimer le numéro des plaques d’immatriculation. Après tout, c’est encore ce qui permet de se retrouver ensemble au camping pour l’apéritif.
On croit remarquer un jeu d’échelle dans le programme du FN, une forme de tension jacobine visant à supprimer des échelons infranationaux mais aussi supranationaux pour se rapprocher du « centre » français. Cependant le poids politique caractérisant l’Union européenne reste très teinté d’économie et on pourrait difficilement parler d’un véritable fédéralisme européen. Au-delà des stratégies électorales, comment comprendre que l’UE, dans certains discours politiques, se fasse plus fédéraliste qu’elle ne l’est en réalité ?
Et encore, l’Union n’exerce pas un véritable monopole économique et fiscal et reste très critiquée pour cela. Elle est, au fond, toujours limitée quant à la portée de ses actions. Il en va ainsi des régimes d’imposition qui restent encore la compétence quasi-exclusive des Etats-membres. Il y a un impensé économique européen puisque beaucoup sont d’accord pour la présenter comme l’échelle la plus pertinente pour peser économiquement, ne serait-ce que comme « puissance normative » comme le disait Zaki Laïdi, alors qu’elle sert encore pour beaucoup les intérêts des multinationales, notamment via la question de l’impôt sur les sociétés.
Pour reprendre votre question, je crois qu’il y a un imaginaire de l’Union européenne qui la fait tendre vers ce modèle fédéraliste et qui n’est pas exclusivement la caractéristique des discours politiques mais aussi une image partagée par beaucoup hors de l’Europe. Il faut ici rappeler la question devenue presque un lieu commun mais qui m’a été posée lors d’un déplacement au Mexique : « La France… c’est en Europe — non ? ». Peut-être faut-il y voir la confirmation que la bonne échelle est celle continentale.
Et pourtant, force est de constater le retour d’une forme de nationalisme et l’affirmation d’une identité française contre une autre supposée européenne ou même bretonne ou basque.
La question de l’identité m’intéresse tout particulièrement et j’ai souhaité réunir mes idées dans un petit livre paru très récemment et intitulé Malaise dans l’identité. L’idée m’est venue après une interview donnée au magazine Bretons dans laquelle j’ai tenté d’expliquer l’impossibilité de penser de la même manière l’identité française et celle bretonne.
L’identité bretonne n’existe que culturellement (au même titre d’ailleurs que la Bretagne comprise hors de sa dimension régionale) : on est breton parce qu’on se sent breton. Par opposition, l’identité française procède par exclusion, en écartant un certain nombre de personnes par des dispositifs et matérialisations institutionnels (tels que la carte d’identité), il faut donc s’en méfier. L’identité européenne est intéressante parce que, subtilement, elle se détache des institutions et mécanismes européens : elle est, selon l’article 9 du TUE, simplement « additive ».