Paris. On le savait déjà, sur le plan politique, Paris et Rome ne s’entendent plus depuis quelques mois. Lundi dernier encore, Édouard Philippe et le vice-premier ministre italien Matteo Salvini, ont eu des échanges très « francs et directs » dès le début du G6 à Lyon (1). Le début d’une très longue semaine pour les relations franco-italiennes, puisque, depuis lors, l’opposition a gagné le milieu de l’armement. En effet, selon des sources concordantes, Paris refuserait le principe d’une prise de participations croisées entre les groupes Fincantieri et Naval Group. Cet échange de participations était pourtant le cœur du projet industriel, appelé Poséidon, visant à constituer une entité européenne de défense spécialisée dans le domaine militaire naval.

En début de semaine, c’est l’annonce du rapprochement des deux groupes italiens Fincantieri et Leonardo, qui a porté un nouveau coup de semonce au projet. Ils annonçaient en effet de nouvelles lignes directrices pour renforcer leur coopération dans le domaine des navires de guerre, au sein de leur entreprise conjointe Orizzonte Sistemi Navali (OSN) (2). Avec OSN, Fincantieri se dote désormais d’un électronicien (Leonardo) avec qui travailler, ce que Naval Group possède déjà via ses contacts avec Thalès. Paris craint donc que le rapprochement entre Fincantieri (5 milliards de chiffre d’affaire) et Naval Group (3,7 milliards) ne se fasse au détriment de ce dernier et de Thalès. Mais pas seulement, car l’affaire se double de blocages politiques et de rivalités industrielles franco-françaises.

D’abord, l’activité sous-marine de Naval Group est un élément essentiel de la force de dissuasion française, dont il est hors de question de céder le contrôle. Ensuite, les sorties de Matteo Salvini sur l’ »hypocrite président » Macron, puis celles de la ministre italienne de la défense Elisabetta Trenta contre une France « en partie responsable du désastre » en Libye ont refroidi les relations entre les deux pays (5). Enfin, Thalès, qui a ses entrées dans les ministères, s’est toujours opposé à ce projet. Craignant que Leonardo ne vienne concurrencer ses produits, l’électronicien français se soucie aussi de trouver une place au sein des infrastructures de défense européennes. Ni dans les groupes franco-allemands (Nexter/Krauss Maffei Wegmann et Dassault/Airbus), ni dans le franco-italien (Naval Group/Fincantieri), ni même dans le franco-britannique (MBDA), Thalès n’a son nom sur le fronton (7).

Cet accrochage entre Rome et Paris n’est pas sans rappeler celui apparu en juin. La France et huit autres pays européens lançaient alors l’Initiative européenne d’intervention (IEI), complémentaire de la CSP et visant “à favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne et, en particulier, à renforcer la capacité des Européens à agir ensemble” (3). Une initiative à laquelle n’appartient pas l’Italie, qui a souhaité, pour le moment, se mettre en retrait. Or, la question du poids de l’Italie dans la future “Europe de la défense” est cruciale. Alors que le départ du Royaume-Uni laisse la France comme seule grande puissance militaire de l’Union, Paris ne peut compter sur un seul soutien militaire de la Bundeswehr, trop faible pour faire face aux enjeux internationaux, et la décision italienne de diminuer de 500 millions le budget alloué à ses armées ne devrait pas aider la France à résoudre l’équation (4).

Perspectives :

  • Cet esclandre est aussi symptomatique de l’hésitation qui règne au sein des cercles dirigeants français. Il faudrait sanctuariser à tout prix les industries et technologies cruciales à l’indépendance nationale, tout en construisant un régime européen de défense devenu nécessaire du fait des concurrences extérieures (6), mais un régime qui n’impacte pas lui-même le leadership militaire français sur l’Europe. En d’autres termes, la France doit-elle être un moteur capable de tirer l’Europe vers le haut ? Ou doit-elle trouver dans une intégration renforcée au niveau européen ce rôle de moteur ?
  • Le salon Euronaval aura lieu au Bourget du 23 au 26 octobre, et sera l’occasion d’en savoir un peu plus sur les intentions d’Emmanuel Macron pour le futur “Airbus du naval”.

Sources :

  1. G6 à Lyon : Tensions persistantes entre la France et l’Italie sur l’immigration, AFP & France 3 Régions, 9 octobre 2018.
  2. AOUDJHANE Sybille, Le géant naval européen menacé par l’alliance Fincantieri – Leonardo ?, Usine Nouvelle, 10 octobre 2018.
  3. Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), Ministère de la Défense Français, L’initiative européenne d’intervention, 30 août 2018.
  4. LAGNEAU Laurent, L’Italie pourrait supprimer au moins 500 millions d’euros de dépenses militaires, Opex360, 12 octobre 2018.
  5. LAMIGEON Vincent, L’Airbus du naval est-il en train de couler ?, Challenges, 10 octobre 2018.
  6. MERCHET Jean-Dominique, Hervé Guillou : quelle stratégie pour l’industrie navale française ?, L’Opinion, 19 mars 2018.
  7. MERCHET Jean-Dominique, Naval Group-Fincantieri : mer agitée dans le naval militaire entre la France et l’Italie, L’Opinion, 11 octobre 2018.

Matthieu Caillaud