Le Covid-19 nous place face à un défi sans précédent. L’épidémie ne connaît pas de frontières — elle touche à tous les aspects de nos vies et affecte tous les pays du monde. Ce virus nous met ainsi face à nos contradictions : les actions isolées et les réponses individuelles sont vouées à l’échec et pourtant nous partons en ordre dispersé.
Des structures qui ont fait leur preuve existent pourtant : la communauté internationale, au sortir de deux guerres mondiales dévastatrices, s’est dotée du système des Nations Unies, justement pour faire face à des situations de ce genre.
Depuis quelques années, cependant, le système multilatéral est critiqué. On lui reproche d’être trop lent, trop inadapté pour faire efficacement face aux problèmes qui se posent désormais, comme le changement climatique ou la hausse des inégalités.
Il faut entendre et prendre la mesure de ces critiques, comme le Secrétaire général, António Guterres, l’a d’ailleurs fait en juin dernier : « Le multilatéralisme contemporain n’est pas à la bonne échelle, il manque d’ambition et de mordant. » 1
Mais il ne faut pas pour autant ignorer les formidables atouts de la coopération internationale. L’ONU inspire par exemple davantage de confiance que bien des gouvernements, son fonctionnement unique lui conférant une légitimité particulière 2. Et elle semble être en mesure d’apporter des solutions : une consultation mondiale organisée par l’ONU à l’occasion de son 75e anniversaire, établit ainsi que 74 % des personnes interrogées estimaient que la coopération internationale était essentielle pour faire face aux défis qui se profilent 3. Le système multilatéral a en effet la particularité unique d’agir non seulement à l’échelle mondiale, ce dont aucun gouvernement ne peut se targuer, mais également sur le long, voire très long terme.
Aujourd’hui, toutefois, il nous faut apporter la preuve que le multilatéralisme n’est pas une simple tradition héritée de la Seconde guerre mondiale, mais qu’il est encore efficace.
La crise sanitaire que nous traversons est donc une période cruciale, pour démontrer l’efficacité de cette approche commune et défendre cet édifice unique.
La lutte contre le virus, si elle continue, est déjà une preuve tangible de l’efficacité qu’en matière scientifique, la coopération est un gage d’efficacité, là où la concurrence ralentit et cloisonne.
Jamais en effet on était allé aussi vite dans les étapes de compréhension et de connaissance de ce virus. Ce qui avait pris des années pour d’autres virus, comme la reconnaissance, le diagnostic, le séquençage et l’isolement s’est fait cette fois-ci en quelques semaines grâce à une coopération et une réciprocité exemplaires, fondées sur les principes d’une science ouverte, où sont mis en communs les résultats, les protocoles et les méthodes, sans rien dissimuler ou tronquer.
Ce potentiel immense constitue l’une des raisons pour lesquelles l’UNESCO et ses 193 États membres travaillent actuellement à une Recommandation sur la science ouverte, afin d’encourager les gouvernements à lever les restrictions légales sur la recherche scientifique et permettre ainsi aux scientifiques de travailler ensemble, au-delà des frontières.
Seule une instance internationale, qui a la légitimité du collectif et du consensus, peut entraîner l’ensemble de la communauté internationale à défendre ces « communs » que nous en avons en partage, comme les résultats des recherches scientifiques, le patrimoine, l’environnement ou la biodiversité.
Défendre ces communs, c’est aussi tout faire pour que les immenses progrès technologiques que nous connaissons se fassent à notre service, et non à nos dépens. C’est en particulier le cas de l’intelligence artificielle, qui a montré avec cette crise sanitaire à quel point elle était puissante et efficace, et à quel point aussi elle était déjà au cœur de notre quotidien.
Or, la seule façon de nous assurer que l’intelligence artificielle respecte nos valeurs, qu’elle serve le bien commun et ne reproduise pas des préjugés et des discriminations, c’est de l’encadrer en amont et à l’échelle internationale, car il s’agit fondamentalement d’un enjeu universel. C’est la raison pour laquelle l’UNESCO travaille à l’élaboration du premier instrument normatif mondial sur l’éthique de l’intelligence artificielle. Un projet de recommandation a été soumis aux 193 États membres de l’UNESCO, en vue de sa présentation lors de notre prochaine Conférence générale en novembre 2021.
Ces deux exemples montrent combien il est illusoire de croire que la réponse unilatérale puisse être efficace face aux grands défis de notre temps. À l’UNESCO, nous pensons que le multilatéralisme ne peut se contenter d’être incantatoire, mais qu’il doit être tangible, concret, qu’il doit être ouvert sur la société, l’inclure et lui apporter des résultats concrets.
Au-delà de la science ouverte et de l’éthique de l’intelligence artificielle, l’éducation, la culture ou l’information sont autant de sujets qui ne peuvent être efficacement traités à l’échelle seulement nationale. Tous ces sujets ont en commun de dépasser les frontières, d’être des biens publics que l’humanité a en partage.
Cette pandémie constitue donc une opportunité pour nos organisations multilatérales : celle de se montrer à la hauteur de ce malheur mondial et de démontrer qu’elles peuvent jouer un rôle crucial dans la vie de chacun.
Sources
- “Today’s multilateralism lacks scale, ambition and teeth.” Conférence de presse, 25 juin 2020 [date de consultation : 22 septembre 2020].
- Baromètre de confiance Edelman, 2020. Disponible sur : https://www.edelman.com/sites/g/files/aatuss191/files/2020-01/2020%20Edelman%20Trust%20Barometer%20Global%20Report_LIVE.pdf [date de consultation : 22 septembre 2020].
- « UN75 : The Future We Want, The UN We Need », communiqué de presse, 21 septembre 2020. Disponible sur : https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/un75_press_release_en_21.9.2020.pdf [date de consultation : 22 septembre 2020].