Religion

Fragments de la doctrine d’un pape global

Le pape François paraphait le 3 octobre 2020 à Assise sa troisième encyclique, intitulée « Tous frères ». Pour mieux saisir l’ampleur de cette publication, nous avons demandé à notre vaticaniste de sélectionner et commenter brièvement et d’une manière acccessible les sept pièces de doctrines qui organisent l’enseignement et la mission du pape argentin.

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1Laudato Si’ (18 juin 2015)

« Laudato si’, mi’ Signore »– « Loué sois-tu, mon Seigneur », chantait saint François d’Assise. Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe ». (…) Lire plus

L’encyclique Laudato Si’ (« Loué sois-tu », reprenant les premiers mots du cantique des créatures de François d’Assise) est incontestablement le texte le plus marquant du pontificat. Publiée à dessein l’année de la COP 21, elle représente bien le tournant écologique de la doctrine sociale de l’Église, amorcé par les pontificats précédents. Certains, avec un peu d’emphase, y voient le document magistériel le plus important depuis les actes du concile Vatican II (1962-1965), qui ont représenté l’aggiornamento de l’Église, son ouverture à la modernité. 

Pour la première fois, le Vatican prend acte du réchauffement climatique d’origine anthropique comme réalité indéniable. La Terre y est caractérisée comme une « Maison commune », dont l’humanité devrait avoir la sauvegarde. Le consumérisme est fustigé, de même que la « globalisation du paradigme technocratique ». Il en résulte une critique du libéralisme économique plus vigoureuse que celle en vigueur sous Paul VI (encyclique Populorum progressio) et Jean-Paul II (encyclique Centesimus Annus). 

2 – Evangelii Gaudium (24 novembre 2013)

La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours. Dans cette Exhortation je désire m’adresser aux fidèles chrétiens, pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années. (…) Lire plus

Il ne s’agit pas cette fois d’une encyclique, mais d’une exhortation apostolique, texte pontifical de nature différente, plus tourné ad intra. Publiée en novembre 2013, certains commentateurs ont voulu y voir la charte du pontificat, en particulier son insistance sur la pastorale et la mission dans le monde actuel  (d’où son titre « la joie de l’Évangile ») : l’évangélisation doit aller de pair avec un « style de vie sobre ».

On peut lui rattacher la plus récente exhortation Gaudete et exsultate (« Réjouissez-vous et exultez ! », du 19 mars 2018) sur l’appel à la sainteté dans le monde moderne, texte plus spirituel et pédagogique, consacré notamment au discernement vocationnel.

3Amoris Laetitia (19 mars 2016) 

La joie de l’amour qui est vécue dans les familles est aussi la joie de l’Église. Comme l’ont indiqué les Pères synodaux, malgré les nombreux signes de crise du mariage, «  le désir de famille reste vif, spécialement chez les jeunes, et motive l’Église  ». Comme réponse à cette aspiration, «  l’annonce chrétienne qui concerne la famille est vraiment une bonne nouvelle  ». (…) Lire plus

C’est encore une exhortation apostolique, qui cette fois fait suite au synode (réunion d’évêque du monde entier) sur la famille, au cours duquel a notamment été débattue la question de l’admission aux sacrements des divorcés remariés. Tout en réaffirmant la discipline traditionnelle à ce sujet, le pape François entrouvre une porte en appelant les prêtres à faire preuve de discernement dans l’examen des situations objectives et subjectives des couples ; dans une note de bas de page, il précise que ce discernement peut aller jusqu’à la communion sacramentelle… 

C’est assez pour déclencher la fronde des prélats les plus conservateurs, attachés aux enseignements du pape Jean-Paul II sur le sujet, pour lequel les divorcés remariés, pour recevoir l’absolution et communier, devaient promettre de vivre dans l’abstinence. Il s’agit sans aucun doute du document le plus novateur, donc controversé, du pontificat : 4 cardinaux conservateurs ont émis publiquement des dubia (« doutes »), soit des demandes de clarification au pape, concernant des points en contradiction apparente avec le magistère traditionnel. En août 2017, un pas supplémentaire est franchi avec la proposition de correctio filialis (correction filiale) émise par des prélats de divers horizons, qui entendent corriger les « erreurs » d’Amoris laetitia. Mais certaines conférences épiscopales, dont celle d’Argentine, ont pris le parti d’interpréter ce document dans un sens résolument progressiste ; c’est cette approbation qui a reçu l’aval du Saint-Siège, dans une lettre écrite qui a par la suite été intégrée au recueil des Actes officiels du Vatican. 

4 – La charte d’Abu Dhabi

La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. De la foi en Dieu, qui a créé l’univers, les créatures et tous les êtres humains – égaux par Sa Miséricorde –, le croyant est appelé à exprimer cette fraternité humaine, en sauvegardant la création et tout l’univers et en soutenant chaque personne, spécialement celles qui sont le plus dans le besoin et les plus pauvres. (…) Lire plus

Ce « document sur la fraternité humaine » est historique en raison de son contexte : c’est en effet la première fois qu’un pape se rendait dans la péninsule Arabique, lors d’un voyage aux Emirats Arabes Unis du 3 au 5 février 2019 ; François y a signé une charte défendant notamment la liberté religieuse comme droit inaliénable ; pour lui, la pluralité de religions est une volonté divine, et est donc inaliénable. Cela consacre le rapprochement de François avec certaines grandes institutions de l’islam sunnite, comme l’université Al-Azhar (au Caire), avec qui les relations étaient gelées sous le pontificat de Benoît XVI, du fait du discours de Ratisbonne (2007) du pape émérite, qui semblait lier islam et violence dans une citation, aux yeux de certains observateurs. 

5 – Querida Amazonia  (2 février 2020)

L’Amazonie bien-aimée se présente au monde dans toute sa splendeur, son drame et son mystère. Dieu nous a fait la grâce de l’avoir tenue spécialement présente au cours du Synode qui s’est déroulé à Rome du 6 au 27 octobre, et qui s’est achevé par un texte ayant pour titre Amazonie : nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale. (…) Lire plus

Une nouvelle exhortation apostolique post-synodale,  cette fois après le synode consacré à l’Amazonie, en octobre 2019. Contrairement aux attentes des secteurs progressistes de l’Église, François n’y fait cette fois pas d’ouverture vers l’assouplissement du célibat sacerdotal. Ce dernier constituait une revendication de longue date de certains clercs et laïcs, spécialement pour les zones en manque de prêtres, comme l’Amazonie. Mais les autres spécificités de cette région ont également été traitées : la préoccupation climatique y est indissociable du respect des cultures indigènes ; la « mission » chrétienne est d’abord un devoir d’assistance spirituelle et matérielle, opposée à tout prosélytisme.        

Le pape appelle en effet au respect des spécificités de la culture indigène, contre des formes d’impérialisme culturel qui prendraient l’évangélisation pour prétexte. Si cette exhortation constitue bien sûr un appel à prendre en compte les spécificités de l’Amazonie, où l’encadrement clérical est souvent défaillant, elle dépasse de loin cette seule région, qui fait figure de laboratoire de l’engagement futur de l’Église, en un temps de crise des vocations, spécialement en Europe. Voilà pourquoi l’Église d’Allemagne en particulier, qui a engagé son propre processus synodal l’année dernière, y est si attentive. 

6 – Lumen Fidei

La lumière de la foi (Lumen Fidei) : Par cette expression, la tradition de l’Église a désigné le grand don apporté par Jésus, qui, dans l’Évangile de Jean, se présente ainsi : « Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12, 46). Saint Paul aussi s’exprime en ces termes : « Le Dieu qui a dit ‘Que des ténèbres resplendisse la lumière’, est Celui qui a resplendi dans nos cœurs » (2 Co 4, 6). Dans le monde païen, épris de lumière, s’était développé le culte au dieu Soleil, le Sol invictus, invoqué en son lever. Même si le soleil renaissait chaque jour, on comprenait bien qu’il était incapable d’irradier sa lumière sur l’existence de l’homme tout entière. En effet, le soleil n’éclaire pas tout le réel ; son rayon est incapable d’arriver jusqu’à l’ombre de la mort, là où l’œil humain se ferme à sa lumière. « S’est-il trouvé un seul homme qui voulût mourir en témoignage de sa foi au soleil ? » demande le martyr saint Justin. Conscients du grand horizon que la foi leur ouvrait, les chrétiens appelèrent le Christ le vrai soleil, « dont les rayons donnent la vie ». À Marthe qui pleure la mort de son frère Lazare, Jésus dit : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » (Jn 11, 40). Celui qui croit, voit ; il voit avec une lumière qui illumine tout le parcours de la route, parce qu’elle nous vient du Christ ressuscité, étoile du matin qui ne se couche pas. (…) Lire plus

La première encyclique du pape François, publiée 4 mois après son élection, a été signée et assumée par lui comme acte magistériel, mais n’est pas vraiment de sa main. Elle était en effet en cours de rédaction lorsque Benoît XVI a démissionné : cet exposé très didactique porte l’empreinte aisément reconnaissable du pape émérite, sur un des thèmes qui lui est le plus cher (« la Lumière de la foi », et le lien entre foi et raison). Elle vient clore la « trilogie » des encycliques de Benoît XVI sur les trois vertus théologales, après Deus caritas est sur la charité, et Spe salvi, sur l’espérance. Elle manifeste au niveau magistériel la continuité entre les deux papes, face aux critiques émanant du camp conservateur. 

7 – Politique et société (livre, août 2017)

Il y a une phrase que j’ai dite – et des enfants migrants la portaient sur leur tee-shirt : « Je ne suis pas un danger, je suis en danger. » Notre théologie est une théologie de migrants. Parce que nous le sommes tous depuis l’appel d’Abraham, avec toutes les migrations du peuple d’Israël, puis Jésus lui-même a été un réfugié, un immigrant. Et puis, existentiellement, de par la foi, nous sommes des migrants. La dignité humaine implique nécessairement « d’être en chemin ». Quand un homme ou une femme n’est pas en chemin, c’est une momie. C’est une pièce de musée. La personne n’est pas vivante. (…) Lire plus

Dans ce livre d’entretiens avec le sociologue français Dominique Wolton, Jorge Maria Bergoglio revient sur son expérience en tant que cardinal-archevêque de Buenos Aires. On y apprend notamment qu’il a suivi une psychanalyse, qu’il a eu une militante communiste parmi ses meilleures amies… Mais au-delà des anecdotes personnelles, ce livre offre un témoignage primordial sur la manière d’envisager le monde selon Jorge Maria Bergoglio.

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