Tallinn. Le 5 septembre les forces de l’ordre estoniennes ont arrêté deux personnes, soupçonnées des transferts de secrets d’État estoniens et d’informations confidentielles extérieures aux services du renseignement russes. L’événement rencontre un écho important au moment où l’Europe s’efforce de renforcer sa résilience et sa capacité à faire face aux menaces de type hybride. La notion n’est pas nouvelle dans le lexique sécuritaire, mais elle a ressurgi plus particulièrement après l’occupation de la Crimée en Ukraine par des soldats en uniformes non marqués au printemps 2014, qui ont ensuite été reconnus comme des forces armées russes.
D’autres types d’actions d’origine non-militaire, visant à déstabiliser les sociétés occidentales sont à l’ordre du jour : les fausses informations, l’interférence illicite dans les élections démocratiques, les attaques cybernétiques, mais aussi les plus classiques, comme l’espionnage ou les menaces terroristes. L’affaire dite “Skripal”, l’empoisonnement d’un ancien espion russe sur le territoire britannique, a provoqué ce printemps une forte réaction des pays occidentaux qui ont expulsé une centaine des diplomates russes, soupçonnés de travailler pour les services du renseignement russe.
L’Union a pris des mesures pour combattre ces menaces d’un nouveau genre. Parmi les actions entreprises figurent la mise en place d’une cellule de fusion contre les menaces hybrides au sein du Service européen pour l’action extérieure, dont le but est le partage et l’analyse des informations, et le développement d’une expertise dans les domaines des substances chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN), du contre-espionnage et du cyberespace (1).
Les pays baltes sont particulièrement concernés par l’action russe qui s’est intensifiée ces dernières années. Les actions hybrides de déstabilisation ont même été surnommées “doctrine Gerasimov”, du nom du général russe qui a développé cette approche, et l’a proposée pour les forces militaires de son pays, dans un article publié en 2013. Parmi les outils d’action proposés figurent les “moyens politiques, économiques, informationnels, humanitaires” ainsi que “des moyens militaires dissimulés” (3).
Il est difficile de mesurer l’ampleur de l’action dissimulée d’origine russe dans les pays baltes, mais les arrestations comme celle du 5 septembre en Estonie ne sont pas rares. En mai dernier la Lettonie a jugé un de ses ressortissants pour espionnage (2), un autre a été arrêté en février. Trois personnes sont en détention en Lituanie sous les mêmes chefs d’accusations depuis décembre dernier. Alors que l’ordre du jour de la diplomatie bilatérale régulière entre la Russie et les pays baltes reste maigre, ces pays de l’Union et de l’OTAN, situés aux frontières de la Russie et avec de larges populations russophones, restent une cible attirante pour les services de Moscou. Ce qui fait que les pays baltes sont parmi les plus engagés au sein de l’Union sur le sujet de la résilience des sociétés européennes aux menaces hybrides.
Perspectives :
- La sécurité intérieure de l’Union fera partie des sujets de discussion qui seront abordés lors de la rencontre informelle des chefs d’Etat et du Gouvernement à Salzburg (Autriche) le 20 Septembre 2018.
- Les services du renseignement des pays baltes publient des rapports annuels sur les menaces pour la sécurité nationale. Disponibles en anglais pour l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
Sources :
- Commission européenne, Une Europe qui protège : l’UE s’emploie à développer la résilience et à mieux lutter contre les menaces hybrides, 13 juin 2018.
- Former Latvian Railways employee sentenced for espionage, Lsm, 29 May 2018.
- MARANGÉ Céline, Les stratégies et les pratiques d’influence de la Russie, IRSEM, Études, 2017, no. 49.