Bruxelles. Dans sa communication sur le Pacte vert, parue mi-décembre, la Commission Européenne promet une révision complète de nos systèmes de production alimentaire. Elle questionne par exemple la fin de la chaîne alimentaire et introduit la notion d’économie circulaire pour éviter le gaspillage alimentaire, qui s’élève aujourd’hui à 88 millions de tonnes de nourriture par an en Europe. Pourtant, même si les paragraphes du Green Deal consacrés à l’agriculture balaient un certain nombre de notions importantes, ils les effleurent ou manquent l’essentiel.

La Commission reste notamment très vague sur des points cruciaux et mis en exergue par le rapport du GIEC sur les terres paru cet été.1 Au-delà des émissions de CO2 du secteur agricole, le principal problème de ce secteur est en effet la mise en danger de notre sécurité alimentaire du fait de la détérioration des terres après plusieurs dizaines d’années de cultures intensives et d’utilisation de pesticides et d’herbicides, empêchant la revitalisation des sols et annihilant une petite biodiversité essentielle à la production alimentaire. Dès lors, il était raisonnable d’attendre du Green Deal de grandes annonces sur l’interdiction progressive des pesticides et la mise en oeuvre de financements de transition vers l’agroécologie. La Commission reste pourtant assez vague sur ces points : dans des documents de travail qui ont d’ailleurs fuité avant la parution du Green Deal, les objectifs de réduction de l’usage des pesticides restent insuffisants pour garantir la restauration des sols en parallèle d’un réchauffement climatique accusant de plus en leur détérioration. De plus, comment entreprendre une transition du secteur agricole suffisamment rapide et efficace alors que la Commission a d’ores et déjà précisé qu’elle ne reviendrait pas sur cadre de la Politique Agricole Commune post-2020 ?

Il est bienvenu que la Commission s’intéresse au bout de la chaîne de production, mais ces efforts resteront vains en termes de réduction des émissions de CO2 si l’amont de la chaîne alimentaire n’est pas remis en question. En effet, l’élevage animal est régulièrement pointé du doigt par différents rapports scientifiques, et nous savons aujourd’hui que les modes d’élevage et la quantité de viande que nous produisons et subventionnons dans le cadre de la PAC ne sont pas durables. Pourtant, le Green Deal n’apporte pas de précisions sur ce point, ni sur l’importance de renforcer le plan européen sur les protéines végétales, adopté en novembre 2018, pour renforcer la résilience alimentaire européenne.

Mix énergétique des pays membres de l'Union européenne et la part des énergie renouvelables

Derrière les mots de la Commission sur cette future stratégie agricole, se dessine la rhétorique des industriels pour une agriculture “de précision”, “digitalisée”, où le recours aux OGMs, aux drones et plus généralement aux nouvelles technologies seraient les solutions d’avenir d’un secteur aujourd’hui confronté à des défis de durabilité et de concurrence. Cependant, le recul scientifique et technologique dont nous disposons aujourd’hui ne garantit pas des niveaux suffisants de précision dans la pulvérisation de produits chimiques par les drones, et permet souvent plutôt d’en soutenir l’usage, présumément rationalisé. Les nouveaux OGMs présentent également des effets hors cibles importants, qui pourraient déstabiliser encore davantage la biodiversité. Ces innovations technologiques ne permettront pas de répondre au problème structurel qu’est la détérioration massive des sols, à laquelle peut remédier une transition vers l’agroécologie.

En ce qui concerne la lutte contre la pollution et la toxicité, l’objectif zéro pollution était très attendu dans le Green Deal. En effet, la garantie d’un environnement sain est une préoccupation importante des citoyens européens, et surtout dans la perspective de préserver les systèmes immunitaires des individus qui seront fortement mis à l’épreuve par le réchauffement climatique. Les associations de praticiens de santé à l’échelle européenne alertent à ce titre sur la nécessité de réduire les pollutions de l’air, de l’eau, des sols et des produits de consommation qui fragilisent notre santé. Comme pour le reste du Green Deal, des précisions demeurent encore nécessaires quant aux mesures qui seront mises en place pour y parvenir. Mais la Commission esquisse les contours d’une stratégie reprenant des demandes clés de la société civile : une stratégie sur les produits chimiques dangereux, sur les perturbateurs endocriniens, ou encore un système d’approbation des substances beaucoup plus transparent et clair.

Parmi les questions en suspens : les substances à caractère perturbateur endocrinien seront-elles régulées comme des substances mutagènes, carcinogènes ou toxiques pour la reproduction, comme que le demandait le Parlement européen ? Ces substances devraient ainsi être interdites d’après la réglementation européenne. De même, pour qu’une stratégie zéro pollution soit réellement cohérente, il reste à savoir si la Commission prévoit de mettre en lien son ambition zéro pollution inscrite dans le Green Deal avec d’autres stratégies comme celle sur l’économie circulaire. Sans cela, les cycles de recyclage des matériaux ne pourront pas être considérés comme non-toxiques. En effet aujourd’hui, beaucoup de matériaux recyclés contiennent des perturbateurs endocriniens ou des substances problématiques pour la santé en raison de normes insuffisamment contraignantes dans la phase de recyclage des produits.

Sources
  1. BUSTIN Alice, Rapport du GIEC sur les terres : notre sécurité alimentaire en danger, Le Grand Continent, 14 septembre 2019