Découvrons le stratège du Brexit, Dominic Cummings
« Certains eurosceptiques voulaient poser une bombe au cœur du gouvernement pour accélérer le Brexit. M. Cummings a voulu accélérer le Brexit pour pouvoir poser une bombe sous le siège du gouvernement »
- Auteur
- Marie Baléo •
- Trad.
- Marie Baléo
Qui est Dominic Cummings ? « Psychopathe de carrière » selon David Cameron, polymathe de génie pour d’autres, le conseiller spécial du Premier ministre britannique Boris Johnson est une figure atypique, qui voue une admiration quasi-obsessionnelle à Bismarck et Richard Feynman, reproche à Margaret Thatcher de n’avoir pas été « suffisamment révolutionnaire » et se propose de remodeler les institutions publiques britanniques à l’image de la DARPA, cette agence du Ministère américain de la défense spécialiste du développement de nouvelles technologies militaires. Qualifié par le Financial Times de « deuxième homme le plus puissant de Grande-Bretagne » 1, Dominic Cummings fut avant tout l’artisan incontesté du Brexit, à la tête de la campagne Vote Leave, qui a remporté 51,9 % des suffrages et a par la même occasion ouvert un chapitre nouveau de l’histoire européenne. Cette histoire s’écrit définitivement aujourd’hui — découvrir sa doctrine, sa stratégie paraît donc indispensable pour s’orienter dans les prochains passages mouvementés d’un divorce annoncé.
Des gestes mais pas de mouvement de la part des Hommes creux coincés dans leur bulle, et une idée simple et gratuite pour améliorer grandement les choses, qui pourrait être mise en œuvre en un jour (partie I)
16 juin 2014
Messa Kurtz – lui mort
Un sou pour le vieux type
I
Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.
Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée…
… Entre l’idée
Et la réalité
Entre le mouvement
Et l’acte
Tombe l’Ombre
Les Hommes creux, T.S. Elliot.
Au cours des derniers mois, lorsque je n’étais pas en train de patauger dans le béton (c’est l’état dans lequel je me trouve aujourd’hui — pas d’interviews, j’en ai peur), je me suis baladé dans tout le pays pour parler politique et réforme de l’éducation avec les gens. Le contraste entre l’observation des commentateurs et députés discutant « du sens de l’élection européenne » et les heures passées chaque jour à parler aux électeurs — deux mondes très différents — m’a conduit à jeter sur le papier quelques réflexions pendant mes déplacements. Quelque part près de Birmingham, en écoutant à la radio un débat sur l’élection et les réponses des trois leaders puis en entendant les nouvelles des drapeaux noirs fonçant vers le sud tandis que Hague prenait la pose avec Angelina, un vers du poème ci-dessus m’est venu à l’esprit et j’ai pensé creux, creux, creux. […]
Né en 1971 à Durham, Dominic Cummings étudie l’histoire antique et moderne à l’Exeter College de l’université d’Oxford. Ses résultats sont excellents, se souvient un de ses professeurs, qui évoque un élève au niveau bien supérieur à celui de Boris Johnson, passé sur les bancs de l’école quelques années auparavant. Un autre enseignant, cité par le New Statesman, se souvient de Cummings en ces termes :
« ‘Il regorgeait d’idées et n’était jamais convaincu par quelque ensemble de vues que ce soit’. Il avait ‘quelque chose de Robespierre — quelqu’un de déterminé à faire tomber ce qui ne fonctionne pas’ ». 2
Le long terme
À l’été 1862, tandis qu’il attendait d’être nommé Premier ministre de la Prusse, Otto von Bismarck passa un été merveilleux à flirter avec de belles princesses russes dans le sud de la France et à voyager à Londres. Là-bas, il dîna avec un grand nombre des hommes politiques britanniques de premier plan de l’époque. Après l’un de ces dîners, il écrivit à sa femme pour lui faire part du fait que nos dirigeants ne comprenaient pas grand-chose à la politique européenne : « [Palmerston] et, dans une moindre mesure, Lord Russell également se trouvaient dans un état d’ignorance totale… Les ministres britanniques en savent moins sur la Prusse que sur le Japon ou la Mongolie ». Peu de temps après ce dîner, le télégramme fatidique arriva : « Periculum in mora. Dépêchez-vous » — et une non-linéarité profonde frappa la politique mondiale.
Durant les 150 années qui suivirent, ceux qui se trouvent au sommet de la politique britannique enchaînèrent les erreurs colossales.
En 1870, huit ans après ce dîner, Bismarck avait isolé la France, et l’armée prussienne révolutionnaire (une force à la décentralisation sans précédent, à l’opposé de ce qu’en disent les stéréotypes britanniques) se préparait à écraser Napoléon III. Les archives montrent un Whitehall pétrifié, ne sachant que faire à propos des garanties de neutralité belges, et qui, stupéfait, regarda Bismarck changer le cours de l’histoire mondiale en unifiant l’Allemagne.
Quarante-quatre ans plus tard en 1914, la confusion autour des garanties faites à la Belgique, souvent exprimées dans des termes presque identiques à ceux de 1870, refit surface. Whitehall se trouva submergé par la crise, les dirigeants politiciens avaient ignoré la difficile question de savoir ce que nous ferions ou ne ferions pas dans des circonstances telles que l’invasion de la Belgique par l’Allemagne et nous basculâmes dans une guerre dont Asquith avait affirmé à sa maîtresse, quelques jours seulement auparavant, que nous l’éviterions. En dépit des 44 années que nous avions eues à disposition pour réfléchir à la crise de 1870, nous avons achoppé sur des questions très similaires. « Juge des Nations, épargne-nous encore un peu / De peur que nous n’oublions — de peur que nous n’oublions », avertissait Kipling en 1897 à l’occasion du Jubilé de diamant, mais Whitehall oublia 1870 et nous ne fûmes épargnés que de justesse.
Un quart de siècle plus tard, pour la troisième fois, nos dirigeants furent pris au dépourvus intellectuellement, psychologiquement et institutionnellement par la question de la dissuasion de l’Allemagne et nous basculâmes encore une fois dans une guerre mondiale à laquelle nous n’étions pas préparés.
Sur les conseils de son professeur Norman Stone, Cummings part pour la Russie post-communiste dès l’obtention de son diplôme, en 1994. Il y demeure trois ans, participant, entre autres entreprises, à la création d’une compagnie aérienne reliant Samara à Vienne, dont l’un des pilotes oublia un jour à terre… l’unique passager enregistré sur son vol ! Une expérience improbable, dont Dominic Cummings conserve un goût pour la langue russe et les œuvres de Dostoïevski. De retour au Royaume-Uni, il prend les rênes de Business for Sterling, organisme fondé à l’initiative de chefs d’entreprise britanniques opposés à l’adoption de la monnaie unique par le Royaume-Uni et qui financera à partir de 2000 la campagne « No » (slogan : « Europe Yes. Euro No »). En 2004 et 2005, Cummings s’illustre par son rôle dans un autre campagne, celle-ci contre la Constitution européenne ; il prend alors conscience de l’ampleur des angoisses que suscite, dans certaines franges de la société anglaise, le projet européen. En 2007, le conservateur Michael Gove, secrétaire à l’Éducation, le nomme conseiller spécial, poste auquel Cummings demeurera jusqu’en 2014.
Il s’attachera pendant sept ans à transformer un système éducatif britannique qu’il considère très largement sclérosé. Dans un manifeste intitulé Quelques réflexions sur les priorités en matière politique et d’éducation publié en 2013, Cummings décrit ce qui constitue à ses yeux la formation idéale d’un dirigeant politique : « nous avons besoin de décideurs qui comprennent Thucydide et la modélisation statistique, qui ont lu Les frères Karamazov et The Quark and the Jaguar, qui saisissent le Kim de Kipling et réussissent le Good Judgment Project de Tetlock ». Cet assortiment est représentatif de ce que Cummings baptise plus généralement « l’éducation odysséenne », par laquelle il sera possible de former les esprits britanniques à la résolution des grands problèmes de notre ère. Dans le même temps, il déplore l’inertie du système éducatif britannique et, plus largement, de Whitehall, la fonction publique britannique. Nous voici là aux fondements de la « doctrine Cummings » : une aversion marquée pour une bureaucratie jugée inefficace, que le conseiller décrie bientôt dans de longs billets postés sur son blog.
Avant chacune de ces deux guerres, nos mécanismes de préparation militaire et politique furent de lamentables échecs. Après août 1911, le Comité de la défense impériale échoua à mener avec le Premier ministre des discussions sérieuses autour des principaux enjeux jusqu’à ce que la guerre éclate — un épouvantable échec de la part d’Asquith et d’autres. Durant les deux guerres, les dirigeants politiques allemands commirent des erreurs plus importantes encore que les nôtres, qui pesèrent in fine plus lourd que la supériorité tactique et opérationnelle de leurs forces militaires. Par chance, Hitler se refusa à nommer quelqu’un comme von Manstein au poste de commandant en chef.
Après 1945, le Foreign Office « Rolls Royce » commît une erreur de jugement historique à propos de la formation de la Communauté européenne du charbon et de l’acier et ignora Monnet avec arrogance, même si ce dernier comprenait mieux qu’eux comment changer le monde.
« En 2013, 20 ans après Oxford, et ayant annoncé son départ du Ministère de l’éducation, Cummings commence à documenter tout ce qui ne ‘fonctionne pas’. Il publie sur son blog un manifeste de 237 pages, à la fois traité et vaste recueil d’annotations, intitulé ‘l‘éducation odysséenne’. Un an plus tard, il canalise ses efforts et rédige un récit dévastateur de son expérience au pouvoir. Ses critiques sont virulentes. Les catastrophes sont fréquentes au sein du gouvernement, dit-il, sans que personne en soit tenu responsable. Quiconque est familier des rouages de Westminster trouvera des résonances. Cummings qualifie la négociation de contrats par le gouvernement de ‘consternante’ et affirme que Whitehall travaille sur le fondement d’une ‘comptabilité douteuse’. La gestion de projets y est épouvantable. Comme il le dit, ‘pour des gens comme Cameron et Blair, l’annonce EST la seule réalité et la ‘gestion’ est un gros mot réservé aux moins expérimentés’ » 3
Notre économie balbutia, notre empire s’atrophia. Nous échouâmes à formuler une nouvelle politique nationale — une réponse à la célèbre raillerie d’Acheson qui voulait que nous ayons perdu un empire mais échoué à trouver un nouveau rôle. Dans chaque domaine, nous avons soit consciemment choisi d’arrêter d’essayer d’être des acteurs sérieux (par exemple, les satellites et l’espace) ou nous sommes gamelés et avons gaspillé nos avantages majeurs (par exemple, dans l’aérospatiale ou l’informatique). (Mon essai est une tentative de réponse au défi d’Acheson).
Après notre désastre suivant — Suez — le Parti conservateur commit encore une erreur magistrale d’ampleur historique : il supplia de rejoindre la Communauté européenne, cherchant dans cette appartenance un moyen d’éviter de réfléchir aux vrais problèmes. Après avoir bâclé nos tentatives d’adhésion, nous avons donné à la France les droits d’entrée qu’elle désirait puis avons passé les trente années suivantes à abandonner de plus en plus de notre pouvoir parce que nos dirigeants ne voyaient pas quoi faire d’autre. Thatcher aussi échoua dans ce domaine, et quand elle se réveilla, elle fut décapitée.
Après avoir dirigé le système monétaire mondial jusqu’en 1914, nous passâmes la période 1945-1992 à bâcler notre politique monétaire (à l’inverse de l’Allemagne et de la Suisse), vacillant de crise en crise et nous jetant finalement dans le Mécanisme de taux de change européen seulement pour en être éjectés, couverts d’ignominie, peu de temps après. Puis, on nous dit qu’il nous faudrait rejoindre l’euro sous peine d’être ruinés.
Thatcher a géré quelques-uns des pires excès produits par l’accumulation d’erreurs et de faiblesses. Mais elle a échoué sur les plans de la politique monétaire, de l’Europe, de la santé, de l’éducation et des affaires sociales. Le livre de John Hoskyns, Just in Time, explique brillamment les raisons de ces échecs, analysant les problèmes interconnectés des qualités des députés et des dynamiques de Whitehall. (Le peu de discussion autour dont fait l’objet cet ouvrage à Westminster est révélateur). Si elle avait suivi ses conseils et réformé le service public en profondeur avec des services du Premier ministre adaptés et différentes personnes à leur tête, comme Hoskyns le lui avait conseillé — c’est-à-dire, si elle s’était montrée bien plus révolutionnaire — elle aurait pu faire bien plus (même si une telle décision serait un pari de type « tout ou rien » pour n’importe quel premier ministre qui s’y serait essayé et on comprend aisément pourquoi elle n’a pas osé). Elle trouvait le plan de Hoskyns trop radical et, tentant de s’en sortir tant bien que mal, elle est tombée. Ses successeurs se sont débattus avec les mêmes problèmes en tentant de tirer ce qui semblait être les « leviers » de 10 Downing Street avant de comprendre qu’ils étaient connectés à la mauvaise chose ou même pas connectés du tout (voir plus bas).
Quelle que soit votre opinion à propos de la réponse à apporter au 11 septembre et au terrorisme international, il est évident que nos dirigeants et institutions s’en sont encore une fois mal sortis et n’ont pas appris les leçons de leurs récents échecs. Notre approche actuelle de l’Union européenne — geignarde, impolie, malhonnête, déplaisante, puérilement belliqueuse en public mais pathétiquement servile en privé et, dans l’ensemble, creuse — s’inscrit dans ce modèle et la « renégociation » supposée sera le prochain item sur cette liste (si on s’y essaie effectivement), tout comme la prochaine soi-disant Stratégie de sécurité nationale et la prochaine Defence Review. Maintenant, tandis que flottent les drapeaux noirs de Daesh et que Poutine s’attache à défaire l’OTAN, Hague pose pour les caméras avec Angelina et les deux plus proches conseillers de Cameron se cantonnent à la seule chose qu’ils savent faire — un plan à dix jours d’horizon (au mieux) visant à (mal) alimenter le lobby et à virer de bord pour se plier au babillage des commentateurs (tout en rejetant leurs propres fautes sur les plus jeunes).
Creux, creux, creux…
L’eurosceptique Dominic Cummings émet à l’égard de l’Union européenne des griefs semblables à ceux qu’il formule à propos de la fonction publique britannique :
« [Cummings] voit un monde confronté à l’automatisation, au changement climatique, au risque de guerre nucléaire, et pense que l’Union est complètement incapable de répondre à ces menaces. À ses yeux, Bruxelles est une bureaucratie dysfonctionnelle qui ‘régule pour aider la pire espèce de pilleurs corporate à défendre leur position contre les entrepreneurs’. Sans comptes à rendre à ses citoyens et plus occupée à remplir les poches de ses gestionnaires qu’à réformer, l’UE abandonne selon lui le contrôle du XXIème siècle aux États-Unis et à la Chine. […] Et il est convaincu que l’échec de l’UE en la matière a apporté un souffle nouveau aux opportunistes populistes et mis le futur de la coopération internationale en danger ». 4
Les conséquences de notre incapacité à développer des institutions politiques capables de réfléchir intelligemment aux grands défis pour prévenir certaines crises — « gagner sans combattre », comme disait Sun Tzu — sont plus grandes encore car le progrès amène également des possibilités de destruction toujours plus importantes. Quelqu’un croit-il encore que notre système actuel réfléchit intelligemment aux équivalents possibles de l’essor de l’Allemagne après 1870, comme la robotique autonome, la biologie de synthèse, la montée de la Chine ou la collision de l’islam avec la modernité ?
Pour autant, Dominic Cummings ne perd jamais de vue sa cible initiale, comme le rappelle éloquemment The Economist :
« Certains eurosceptiques veulent poser une bombe à Whitehall pour accélérer le Brexit. M. Cummings veut accélérer le Brexit pour pouvoir poser une bombe sous Whitehall ». 5
C’est donc sans surprise que l’on retrouve Cummings parmi les instigateurs de Vote Leave en octobre 2015. Sous ses ordres, les préceptes de la campagne seront : « Do talk about immigration », « Do talk about business », « Don’t make the referendum final » ; c’est également à lui que l’on devra le slogan « Take Back Control », témoin d’une compréhension lumineuse du zeitgeist et des ressorts psychiques des électeurs britanniques.
« La formule résume les angoisses identitaires, la peur de la mondialisation, la défiance à l’égard des élites, et ce sentiment très anglais d’une dépossession par Bruxelles. ‘Parlez de ce que nous coûte l’Europe’, inscrit M. Cummings dans le petit vade-mecum à destination des militants. A son instigation, des bus rouges sillonnent le pays avec ce raccourci saisissant peint sur la carrosserie : ‘We send the EU £350 millions a week. Let’s fund our NHS instead’ (« nous envoyons 350 millions de livres chaque semaine à l’Europe. Finançons plutôt notre NHS », le système de santé gratuit auquel les Britanniques sont attachés). Qu’importe que la somme affichée ne tienne compte ni du rabais consenti au Royaume-Uni depuis Thatcher ni des aides européennes perçues. Pour M. Cummings, cette campagne de 2016 est l’aboutissement de ses obsessions et la mise en pratique de ses compétences ». 6
Les marchés et la science montrent que certains domaines de l’activité humaine fonctionnent bien mieux que la prise de décisions politiques. Je pense que nous pourrions faire bien mieux si nous faisions face à nos problèmes avec honnêteté…
Les Hommes creux II : quelques réflexions sur les dysfonctionnements de Westminster et Whitehall
30 octobre 2014
[…]
« Un jour, vous arriverez à la croisée des chemins », dit-il. « Et vous devrez prendre une décision sur la direction que vous souhaitez prendre ». Il leva sa main et montra du doigt. « Si vous allez de ce côté, vous pourrez devenir quelqu’un. Vous devrez faire des compromis et abandonner vos amis. Mais vous serez accepté dans le club, vous serez promu, on vous donnera de bonnes missions ». Puis Boyd leva l’autre main et montra du doigt la deuxième direction. « Ou bien vous pouvez aller de ce côté et faire quelque chose – quelque chose pour votre pays, pour l’armée de l’air et pour vous-même. Si vous décidez de faire quelque chose, vous ne serez peut-être pas promu, on ne vous donnera peut-être pas les meilleures missions et vous ne serez certainement pas le favori de vos supérieurs. Mais vous n’aurez pas à vous compromettre. Vous resterez fidèle à vos amis et à vous-même. Et votre travail changera les choses ». Il s’interrompit et examina le regard et le cœur de l’officier. ‘Être quelqu’un ou faire quelque chose. Souvent, dans la vie, on fait l’appel. C’est à ce moment-là qu’il faudra prendre une décision. Être ou faire – que choisirez-vous ? »
– le colonel Boyd.
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« Vous êtes un virus en mutation, je suis le système immunitaire et c’est mon job de vous expulser de l’organisme »
– un responsable du Ministère de l’éducation à propos de l’équipe de Gove
*
En avez-vous marre des Hommes creux qui décident de tout et voulez-vous changer les choses plus que ne le font nos trois dirigeants de partis ? Pour ma part, la réponse est : oui et oui.
[…]
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Partie I : « Un mélange inflammable d’ignorance et de pouvoir »
1. La complexité rend toute prédiction difficile.
Notre monde est fondé sur des réseaux (physiques, mentaux, sociaux) extrêmement complexes, non linéaires et interdépendants. Des propriétés émergent des boucles de rétroaction entre un grand nombre d’interactions : par exemple, la guerre entre colonies de fourmis, les défenses du système immunitaires, les prix de marché et les réflexions abstraites naissent tous de l’interaction de millions d’agents individuels. L’interdépendance, les boucles de rétroaction et la non-linéarité signifient que les systèmes sont fragiles et vulnérables aux chocs non linéaires : « de petits débuts naissent de grandes choses » et les problèmes arrivent en cascade, « ils ne viennent pas en éclaireurs solitaires, mais en bataillons ». La prévision est extrêmement difficile, même à court terme. L’action efficace et le contrôle (même lâche) sont très difficiles et la plupart des tentatives échouent.
Au début de From Russia With Love (le film, pas le livre), Kronsteen, un champion d’échecs russe et stratège de SPECTRE, est convoqué au repaire de Blofeld pour discuter de son projet de voler le « décodeur Lektor » top secret et d’assassiner Bond. Kronsteen détaille à Blofeld son plan, qui vise à piéger Bond de façon à qu’il vole la machine pour SPECTRE.
Blofeld : Kronsteen, vous êtes sûr que ce plan est infaillible ?
Kronsteen : Oui, car j’ai anticipé les réponses et variations possibles.
L’analyse politique regorge de métaphores tirées des échecs, dans la lignée de la tradition qui voit dans les jeux des modèles de la réalité physique et sociale. Un jeu de deux tours avec dix actions possibles à chaque tour peut être joué de 102 façons ; à 50 tours, il peut être joué de 1050 façons, « un nombre qui dépasse significativement le nombre total d’atomes sur la planète Terre » (Holland) ; à 80 tours, il peut être joué de 1080 façons, ce qui est environ le nombre estimé d’atomes dans l’univers. Les échecs ne sont guère que 32 pièces placées sur un plateau de 8×8 cases avec une poignée de règles simples mais le nombre de jeux possibles est bien plus grand que 1080.
L’aplomb de Kronsteen, que l’on voit souvent en politique, est donc mal placé, même aux échecs, alors que les échecs sont simples en comparaison avec les systèmes que les politiciens et scientifiques doivent s’efforcer de comprendre, prédire et contrôler. Ces thèmes de l’incertitude, de la non-linéarité, de la complexité et de la prédiction sont des motifs omniprésents dans l’art, la philosophie et la politique. On les voit dans Homère, où le don d’une pomme est à l’origine de la guerre de Troie ; dans la tragédie athénienne, où une rencontre fortuite à un croisement scelle le destin d’Œdipe ; dans le mouchoir tombé à terre d’Othello ; et dans Guerre et Paix, avec Nikolai Rostov, jouant aux cartes avec Dolohov et priant qu’une carte le sauve de la ruine et lui permette de rentrer tranquillement chez lui pour retrouver Natasha.
« Je sais que c’est dans un certain état d’esprit que l’on convainc les hommes de partir en guerre et dans un autre qu’on les convainc d’agir, le moment venu… Le mouvement des événements est souvent aussi capricieux et incompréhensible que le flot des pensées humaines ; c’est pourquoi nous attribuons au hasard tout ce qui infirme nos calculs »
— Périclès aux Athéniens
2. La science et les marchés ont des mécanismes fiables de gestion de la complexité.
Dans deux précédents posts (Complexité et prédiction, ICI), j’ai exploré certaines des raisons qui font que la science et les marchés ont développé des mécanismes institutionnels de correction des erreurs qui permettent la construction de connaissances fiables et un certain contrôle de la complexité. Les institutions de marché permettent l’expérimentation décentralisée dans le contexte d’une complexité astronomique, tandis que les processus évolutionnaires permettent l’apprentissage comme le font les systèmes immunitaires biologiques. La science a construit une architecture qui aide à corriger les erreurs et défaillances humaines normales. Par exemple, après Newton le système de publication libre et d’examen collégial s’est développé, encourageant les scientifiques à rendre leurs savoirs publics, confiants qu’ils étaient de s’en voir attribuer le crédit. Les expériences doivent être reproduites et on attend des scientifiques qu’ils fournissent leurs données avec honnêteté afin que d’autres puissent éprouver leurs affirmations, quels que soient leur célébrité, leur prestige ou leur pouvoir. Le légendaire physicien Richard Feynman a dit de ce processus, en physique, qu’il impliquait, au mieux, « un genre d’honnêteté complète… Vous devez rapporter tout ce qui peut, selon vous, rendre (votre expérimentation ou votre idée) invalide… Vous devez également noter tous les faits qui l’infirment, ainsi que ceux qui le confirment… La façon la plus simple d’expliquer cette idée est de l’opposer à… la publicité ».
Pour aussi arrêtées qu’elles semblent, les thèses de Cummings ne sont pas dénuées de contradictions, que la presse britannique ne se prive pas de pointer du doigt.
« Lorsqu’il dirigeait son think tank, la NewFrontiers Foundation, dont l’existence fut de courte durée, il parlait la langue du néolibéralisme. ‘Les preuves empiriques sont claires’, écrivait-il en 2004 : ‘les pays avec le moins de régulation, des impôts faibles, et une plus grande ouverture au commerce et aux capitaux étrangers, ont des revenus plus de sept fois supérieurs à ceux des pays où l’interférence gouvernementale est la plus forte’. Et pourtant, une décennie plus tard, avant le référendum de 2016, il fit la déclaration suivante : ‘notre campagne ne vise pas du tout, néanmoins, à réduire la taille de l’État ; ça n’a rien à voir avec les bénéfices de la dérégulation, etc.’. Peu après, il décrivit les marchés financiers comme ‘épouvantablement régulés’, et déclara que la Grande-Bretagne aurait dû emprisonner les banquiers après la crise financière. Avec le temps, ses idées en matière économique semblent s’être muées de néolibérales en populistes, même s’il ne veut pas le reconnaître. ‘Je demande depuis 2001 de grands changements en matière de rémunération des dirigeants’, écrivait-il en 2017. Si tel est le cas, il voulut à un moment que l’État dicte la rémunération des individus tout en se montrant moins intrusif. Peut-être que ses idées ont du sens, du moment qu’on les envisage séparément’ ». 7
Quand les architectures institutionnelles de la science et des marchés fonctionnent normalement, elles donnent à voir de l’autocorrection aux confins du réseau — elles ne requièrent pas des sages dirigeants à sa tête qu’ils décident de tout réparer. En détectant les erreurs, nous sommes un peu plus près de nous « jucher sur des épaules de géants », comme le disait Newton.
3. La politique manque de mécanismes fiables de gestion de la complexité.
Ce progrès des sciences et des marchés contraste avec les « experts politiques » et leurs prédictions telles qu’explorées par les travaux de recherche de premier plan menés par Tetlock, tristement ignorés par Westminster, et les échecs de nos prévisions en matière économique (voir ce post). Il y a un gouffre patent entre a) notre capacité à résoudre certains problèmes scientifiques étroitement définis et la capacité des marchés à résoudre certains types de problèmes et b) notre capacité à émettre des prédictions politiques justes et résoudre des problèmes sociaux. Le progrès extraordinaire des premiers s’est fait largement sans affecter les problèmes ancestraux du second. Les processus présidant à la sélection, l’éducation et la formation de ceux qui sont au sommet de la classe politique sont inadaptés et désastreux, et les institutions politiques souffrent de problèmes qui sont bien connus mais difficiles à résoudre — ce sont là des cercles vicieux entremêlés qui sont à l’origine d’échecs prévisibles et répétés.
A) Les personnes au sommet du pouvoir politique (élues ou non) sont loin d’être les meilleures au monde en termes d’objectifs, d’intelligence, d’éthique ou de compétence ;
B) Leur éducation et leur formation sont telles que presque personne n’a les compétences requises pour gérer la complexité ou même comprendre les outils (à l’instar de Palantir) qui pourraient les aider. Les « experts » politiques sont généralement sans espoir face aux prévisions et reproduisent régulièrement les mêmes erreurs sans qu’on les force à en tirer des leçons. Alors que nos ancêtres chefs comprenaient les arcs, les chevaux, l’agriculture, nos dirigeants contemporains (et ceux qui, dans les médias, sont responsables de contrôler leurs décisions) ne comprennent généralement pas leurs équivalents et ont souvent moins d’expérience dans la gestion d’organisations complexes que leurs prédécesseurs.
C) Les institutions gouvernementales (nationales et internationales) dans lesquels ils opèrent, et qui sélectionnent des individus pour des postes de haut niveau, tendent à présenter des performances médiocres, comparées à ce que nous savons que les humains sont capables de faire. Westminster et Whitehall forment les gens à l’échec, de façon prévisible et répétée. L’UE et l’ONU n’ont pas l’efficacité ou la légitimité dont nous avons besoin pour la coopération internationale.
Dans Les Hommes creux I, j’ai tenté de donner une vision de long terme des échecs de la prise de décision des élites britanniques depuis les années 1860. En 2014, il me semble particulièrement approprié de se rappeler que pendant toute la période allant de 1906 à 1914, le Premier ministre, le Ministre des affaires étrangères et les dirigeants militaires britanniques se sont rencontrés une fois (le 23 août 1911) pour évoquer l’interaction des politiques étrangère et militaire, et plus particulièrement ce que ferait la Grande-Bretagne dans différents scénarios impliquant une invasion de la France par l’Allemagne via la Belgique, et les problèmes irrésolus durant cette rencontre furent laissés sans solution jusqu’à ce que le désastre advienne en juillet 1914.
Cet échec fait écho à un échec similaire à gérer ces problèmes de façon appropriée en 1970 et a trouvé un autre écho encore à la fin des années 1930. Étant donné les effets calamiteux de la Première Guerre mondiale sur la civilisation, la façon dont la plupart des dirigeants prirent des décisions durant les crises précédentes semble maintenant défier l’entendement, notamment si on se penche sur les détails.
Leurs équivalents contemporains commettent des erreurs similaires. Tous les partis et médias sont enfermés dans un jeu qui, vu de l’extérieur, est manifestement cassé — un ensemble de règles implicites sur la conduite de la politique, et des définitions de ce qui constitue une action efficace, qui les enchaîne à un comportement que le public juge terrible, manifestement voué à l’échec, mais dont ils ne peuvent se libérer. Parce que le système est coincé dans un cercle vicieux — maintenu en place par des boucles de rétroaction entre personnes, idées et institutions — quel que soit le résultat de la prochaine élection, les grands problèmes resteront, 10 Downing Street continuera de sauter de crise en crise sans priorités et sans comprendre comment procéder, le service public échouera encore et encore et gaspillera des milliards, les médias continueront d’être obsédés par la nouveauté plutôt que par le plus important, et le public continuera d’enrager.
[…]
4. La politique traditionnelle entre en collision avec les marchés et la technologie : « un mélange inflammable d’ignorance et de pouvoir »
Nous faisons donc face à un décalage profond entre l’ampleur des menaces et la nature de nos institutions.
a) L’expansion des marchés et de la science augmente la portée de la technologie et est à l’origine d’une série de transitions économiques, culturelles, politiques et intellectuelles profondes, comme le développement de l’intelligence artificielle, l’accroissement massif du besoin en ressources, l’arrivée de deux milliards d’Asiatiques dans l’économie globale, renforcée de deux milliards supplémentaires qui naîtront bientôt et vivront principalement dans de nouvelles villes (tout en étant très mobiles), l’Internet des objets et ses capteurs connectés omniprésents, l’Internet mobile, les drones, l’ingénierie génétique et ainsi de suite. Ces transitions transforment déjà et continueront de transformer toutes les institutions et croyances traditionnelles.
b) Pendant les six millions d’années d’évolution des hominidés, la politique traditionnelle impliquait de tenter d’assurer la cohésion, la prospérité et la force du groupe interne pour dominer ou détruire des groupes externes en compétition pour des ressources rares.
c) Notre civilisation dépend maintenant du soubassement scientifique et technologique de réseaux interdépendants complexes dans les domaines de l’économie, de l’alimentation, de la médecine, du transport, des communications, etc. La structure (la topologie) de ces réseaux les rend fragiles et donc vulnérables aux chocs non linéaires.
d) Les marchés et la technologie accroissent la capacité des individus et des petits groupes (ainsi que des armées et services de renseignement traditionnels) à infliger ce type de chocs dans l’environnement physique, virtuel ou psychologique. La technologie peut infliger des destructions physiques majeures et contribuer à la manipulation des émotions et idées de nombreuses personnes (et notamment, parfois spécifiquement, des plus instruits) au travers d’opérations d’information. En outre, la technologie facilite la conduite de ces opérations potentiellement sans détection aucune, ce qui pourrait rendre caduque la dissuasion traditionnelle.
Il y a donc un décalage entre a) la portée grandissante de la technologie et la fragilité de la civilisation, et b) la qualité des décideurs de l’élite et la capacité des institutions à gérer ces technologies et vulnérabilités. Carl Sagan a qualifié ce décalage de « mélange inflammable d’ignorance et de pouvoir ». Si ce décalage se confirme, si nous continuons de faire de la « politique traditionnelle » dans cette civilisation contemporaine, cela nous explosera à la figure tôt ou tard. Nous ne connaîtrons plus de coups de chance comme le sabotage du programme nucléaire nazi par Hitler ou notre évitement maladroit de la crise des missiles de Cuba.
A. Q. Khan a contribué à la vaste dissémination de la technologie nucléaire et nombre de ceux qui ont travaillé sur le programme de guerre biologique soviétique (qui a tant choqué lorsqu’il est devenu public) ont disparu après 1991 (*voir note de fin). […]
5. Nous avons besoins de nouvelles institutions, formations, éducations semblables aux « systèmes immunitaires artificiels ».
Nous avons besoin (A) de sélectionner, d’instruire et de former les gens différemment. J’ai notamment émis l’idée que nous avons besoin de ce que Murray Gell Mann, le découvreur du quark, a appelé une « éducation odysséenne » qui intègre des savoirs tirés des mathématiques et des sciences dures, humaines et sociales ainsi qu’une formation à l’action efficace. […]
Nous avons besoin (B) de nouvelles institutions, semblables à des systèmes immunitaires artificiels, qui rendent possible une coordination décentralisée permettant de gérer des problèmes complexes beaucoup plus efficacement que ne le peuvent les institutions existantes. Nous avons besoin d’institutions qui I) aident les marchés et la science à continuer d’apporter des améliorations considérables et II) nous aident à prendre de meilleures décisions de façon à 1) mieux prévoir et éviter certains désastres, 2) transformer certains désastres et problèmes que nous ne pouvons éviter. L’existence d’alternatives à l’UE et l’ONU est vitale si nous entendons développer la coopération internationale dont nous avons besoin face aux grands défis.
Nous avons également besoin d’un changement institutionnel pour permettre une réorientation de l’attention des experts vers les problèmes importants. La sphère universitaire et les marchés ne positionnent pas les personnes les plus capables sur la résolution de nos plus grands défis.
Par exemple, le fait d’allouer une proportion considérable des individus les plus intelligents et à la formation la plus onéreuse au trading algorithmique à haute fréquence (domaine dans lequel, par exemple, la physique avancée est utilisée pour calculer les effets relativistes du trading à la nanoseconde) est un exemple d’inadéquation extrême et manifeste entre talents et priorités. Michael Nielsen a brillamment évoqué la façon dont les changements technologiques et d’incitations peuvent transformer cette situation. Lorsqu’il se débattait avec la relativité générale, Einstein a eu un coup de chance — son ami Grossman lui a transmis des connaissances issues des géométries non euclidiennes, dont il avait besoin pour sa théorie de la relativité. La restructuration de l’attention des experts — « une toile sociale scientifique qui dirige l’attention des scientifiques vers là où elle est la plus utile » (Nielsen) et les informations tirées des données permettront d’entamer la transition de ces heureux hasards aléatoires « à la Grossman » vers des « heureux hasards préconçus ».
Sous-tendant les points A et B, j’ai suggéré C) un nouvel objectif national et principe d’organisation. Après 1945, Dean Acheson déclara dans une phrase restée célèbre que la Grande-Bretagne avait perdu son empire et échoué à trouver un nouveau rôle. Je propose que ce rôle se concentre sur l’objectif de faire de notre pays le leader mondial en matière d’éducation et de sciences. Périclès qualifiait Athènes d’ « école de la Grèce », nous pourrions être l’école du monde. Cela nous donnerait un principe organisationnel qui présiderait à un nouvel agenda politique et à une nouvelle allocation de nos ressources. Cela nous donnerait un rôle central dans la construction des nouvelles institutions internationales dont nous avons besoin. Cela nécessiterait et ouvrirait la voie à des changements fondamentaux dans le fonctionnement de la Constitution, du Parlement et de Whitehall (par exemple, en intégrant la preuve au processus d’élaboration des politiques). Parce qu’il s’agit d’un objectif noble qui donne à voir le meilleur de la nature humaine, cela peut aider à transcender les différences et mobiliser plus largement (même si ce n’est pas une panacée et que l’éducation accroît certains problèmes). Nous manquons de concentration, peut-être la chose la plus difficile à conserver en politique.
Cela pourrait nous aider à progresser en opérant la transition nécessaire depuis (I) des décideurs politiques largement incompétents commettant sans cesse les mêmes erreurs et gaspillant d’immenses ressources tout en tentant de « gérer » des choses qu’ils ne peuvent et ne devraient pas tenter de « gérer », vers (II) des décideurs politiques largement compétents qui ont la capacité de le faire raisonnablement bien tout en déléguant d’autres choses et en s’adaptant régulièrement face à des erreurs inévitables.
Il existe un exemple révélateur de changement institutionnel. À partir du milieu du 19ème siècle, l’armée prussienne a mis en place un « État-major général » et un nouveau système de formation, intégrant des jeux de guerre et des « red teams » chargées d’analyser la performance. Malheureusement pour le monde, cela a coïncidé avec la nomination au pouvoir par Roon de quelqu’un dont les compétences en politique étaient équivalentes à celles de Newton ou d’Einstein en sciences — le génie diabolique Otto von Bismarck. Le monde changea très rapidement. Les institutions britanniques et françaises ne purent pas encaisser le choc. Par chance, en 1914-1918 comme en 1939-1945 la supériorité opérationnelle de cet appareil fut mise à mal par les profondes erreurs des successeurs de Bismarck.
Cela montre les dangers auxquels nous faisons face. (Voulons-nous que la version chinoise de l’État-major général nous domine ?). Cela montre également comment nous pourrions améliorer le monde si nous construisions des systèmes de formation aussi efficaces mais au service d’objectifs et d’une éthique différents.
J’y reviendrai également : que faut-il faire et comment ? Peut-on changer de cap ? Il y a un défaitisme abasourdi et généralisé qui voudrait que rien ne puisse changer à Westminster ; la plupart des membres du système Whitehall pensent que tout changement majeur, quand bien même il serait nécessaire, est impossible. C’est faux. Le changement est possible. Nous n’avons pas à vivre avec les ruines générales auxquelles nous nous sommes acclimatés. Monnet a créé l’Union européenne en exploitant des crises — parfois rien ne se passe pendant des décennies, et parfois des décennies s’écoulent en quelques semaines. Des changements majeurs sont possibles si les gens y sont préparés.
« Deux mains, ça fait beaucoup » – nous cherchons des analystes de données, chefs de projets, experts en politiques publiques et tarés en tout genre…
Janvier 2020
« Voici peut-être le principal défaut de conception qui contribue à alimenter le mauvais équilibre de Nash dans lequel… de nombreux gouvernements sont coincés. Un individu compétent et performant sait qu’il ne changera pas les choses en demeurant un anonyme dans la foule »
– Eliezer Yudkowsky, experte de l’intelligence artificielle, LessWrong etc.
« La plupart de nos élites intellectuelles, qui pensent détenir ‘les solutions’, sont en fait devenues incapables de comprendre ce qui sous-tend l’essentiel des progrès humains les plus importants »
– Michael Nielsen, physicien et l’un des individus les plus intéressants avec lesquels je me sois entretenu.
« Les gens, les idées, les machines — dans cet ordre »
– Colonel Boyd.
« Il n’y a pas une seule idée neuve dans la façon dont est dirigé Berkshire [Hathaway]. Cela se limite à… exploiter des simplicités non reconnues »
– Charlie Munger, associé de Warren Buffett.
« Deux mains, ce n’est pas énorme vu l’immensité du monde. Mais en même temps, deux mains, c’est beaucoup »
– Alexander Grothendieck, grand mathématicien.
*
Il y a beaucoup d’individus brillants dans la fonction publique et en politique. Au cours des cinq derniers mois, l’équipe politique du 10 Downing Street a eu la chance de travailler avec des fonctionnaires formidables. Mais il y a également des problèmes profonds au cœur du processus de prise de décision de l’État britannique. En 2014, le monde des commentateurs considérait cette opinion comme excentrique ; tel n’est plus le cas aujourd’hui. La résolution ces problèmes de fond est désormais appuyée par des responsables, notamment les plus jeunes, même s’il y aura évidemment beaucoup d’appréhensions — certaines raisonnables, la plupart moins.
Nous sommes arrivés à une confluence : a) le Brexit requiert d’important changements dans les politiques et la structure des prises de décision ; b) certains individus au sein du gouvernement sont prêts à prendre des risques pour vraiment changer les choses ; c) un nouveau gouvernement disposant d’une majorité solide et qui n’a pas besoin de s’inquiéter de son impopularité au court terme tout en faisant de rapides progrès dans la résolution des problèmes de long terme.
À la confluence de son anti-européanisme, de son rejet de la bureaucratie et de ses vues sur l’éducation se trouve une autre idiosyncrasie cummingsienne : la conviction qu’il faut appliquer à la décision politique et à l’organisation de l’État et de la fonction publique des méthodes venues du monde scientifique et notamment des domaines de l’informatique et de la physique.
« Il a diffusé l’idée de recruter des ministres hors du Parlement. Il a également proposé de mettre en place des agences gouvernementales inspirées de DARPA, la branche de développement technologique du Ministère de la Défense américain, originellement fondé en réponse au lancement de Spoutnik ; de travailler sur une nouvelle base lunaire internationale au service de la diplomatie mondiale ; et de restructurer le Cabinet et le comité d’urgence COBRA afin qu’ils ressemblent davantage au centre de contrôle de la NASA » 8.
Il y a de nombreuses cibles faciles — des « billets d’un trillion de dollars jonchant les rues » — au croisement :
- de la sélection, l’éducation et la formation des individus visant à assurer une haute performance ;
- des frontières de la science prédictive ;
- de l’analyse des données, de l’IA et des technologies cognitives (par exemple, les Seeing Rooms, des outils d’édition conçus pour argumenter à partir de preuves, des tournois de prédiction de type Tetlock / IARPA qui pourraient facilement être étendus de façon à se pencher sur des « groupes » de problèmes autour de thèmes comme le Brexit pour améliorer les politiques et la gestion de projets)
- de la communication (par exemple, Cialdini)
- et des institutions de prise de décision au sommet du gouvernement.
Nous voulons recruter un groupe d’individus inhabituels aux compétences et expériences diverses pour travailler à Downing Street avec les meilleurs responsables, certains en tant que conseillers et peut-être quelques-uns à des postes à responsabilités. Si vous occupez déjà un tel poste, que vous lisez ce blog et vous reconnaissez dans l’une de ces catégories, contactez-nous.
Les catégories sont, approximativement :
- Data scientists et développeurs de logiciels
- Économistes
- Experts en politiques publiques
- Experts en communication
- Chercheurs juniors, dont l’un sera mon assistant personnel
- Tarés et marginaux aux compétences bizarres
Nous voulons améliorer notre performance et me rendre beaucoup moins important — et, en moins d’un an, largement inutile. À l’heure actuelle je dois prendre des décisions bien au-delà de ce que Charlie Munger appelle ma « sphère de compétence » et nous n’avons pas le type d’expertise requise pour soutenir le Premier ministre et son gouvernement. Cela doit changer très vite afin que nous puissions servir le public de façon appropriée.
« Que veut Dominic Cummings ? […] À en juger par son blog, son obsession au long cours est de reconstruire le Royaume-Uni sous la forme d’une forteresse de recherche scientifique et technologique. Un peu comme la noosphère de Teilhard de Chardin, mais avec le Brexit en prime) » 9.
A. Mathématiciens, physiciens, informaticiens, data scientists inhabituels
Vous devez avoir des qualifications académiques exceptionnelles acquises dans l’une des meilleures universités au monde ou avoir fait quelque chose qui atteste de compétences et talents équivalents. Pas besoin de doctorat – comme l’a dit Alan Kay, nous sommes également intéressés par les étudiants de master, « chercheurs de rang international qui n’ont pas encore de doctorat ».
Compétences requises :
- Doctorat ou master en maths ou physique.
- D’exceptionnelles compétences en mathématiques sont essentielles.
- Une expérience des langages de programmation, comme Python, SQL, R.
- Être familier des outils et technologies data comme Postgres, Scikit Learn, NEO4J.
Quelques exemples d’articles que vous devriez étudier :
- Cet article de Nature, Signaux d’alerte précoce pour les transitions critiques dans un système thermo-acoustique, qui examine les systèmes d’alerte précoce en physique qui pourraient être appliqués à d’autres domaines, de la finance aux épidémies.
- Méthodes de prévision statistiques et ML : préoccupations et voies à suivre, Spyros Makridakis, 2018. Il compare les méthodes statistiques et de machine-learning dans un tournoi de prévision (gagné par une approche hybride statistiques / machine-learning).
- Contagions complexes : une décennie en revue, 2017. Ce document examine un grand nombre d’études sur « ce qui devient viral et pourquoi ». Beaucoup d’études dans ce domaine sont douteuses (mauvais calculs, absence de réplicabilité, etc.), il est important de savoir lesquelles méritent d’être examinées.
- Prédiction sans modèle de grands systèmes spatio-temporellement chaotiques à partir de données : une approche de calcul de réservoir, 2018, qui utilise le machine-learning pour prédire les systèmes chaotiques.
- Les réseaux sans échelle sont rares, Nature, 2019. Cet article examine la question de savoir à quel point les réseaux sans échelle sont vraiment répandus et à quel point cette approche est utile pour émettre des prédictions dans divers domaines.
- Sur la fréquence et la gravité des guerres interétatiques, 2019. « Comment est-il possible que la fréquence et la gravité des guerres interétatiques soient si cohérentes avec un modèle stationnaire, malgré les énormes changements et les dynamiques manifestement non stationnaires de la population humaine, du nombre d’États reconnus, du commerce, de la communication, de la santé publique et de la technologie, et même des modes de guerre eux-mêmes ? Le fait que le nombre absolu et l’ampleur des guerres soient plausiblement stables face à ces changements est une énigme profonde que nous ne parvenons pas à expliquer ». Cette affirmation tient-elle ?
- Les articles ci-dessous sur la rationalité informatique.
- Les travaux de Judea Pearl, spécialiste majeure de la causalité, qui a transformé le domaine.
Vous devez être capable d’expliquer à d’autres mathématiciens, physiciens et informaticiens les idées développées dans ces articles, de débattre sur ce qui pourrait être utile à nos projets, de synthétiser les idées pour d’autres analystes de données et de les appliquer à des problèmes pratiques. Pas besoin d’être un expert des mathématiques utilisées dans ces articles mais vous devez pouvoir être sûr de les comprendre si vous les étudiez.
Nous utiliserons du machine-learning et des outils associés ; il est donc important que vous sachiez programmer. Vous n’avez pas besoin d’un niveau de développeur de logiciels mais ce serait un plus.
Les candidats doivent regarder les interventions de Victor Bret et étudier Dynamic Land. Si cela vous enthousiasme, alors candidatez ; sinon, pas la peine. Ceux qui feront passer les entretiens et moi-même évoqueront ceci avec tous les candidats. Si vous voulez une idée du genre de sujets sur lesquels vous travaillerez, lisez mon post sur les Seeing Rooms, les technologies cognitives, etc.
B. Des développeurs de logiciels inhabituels
Nous sommes à la recherche d’excellents développeurs de logiciels qui souhaiteraient travailler sur ces idées : construire des outils et travailler avec des gens exceptionnels. Vous devriez également regarder certaines des interventions plus techniques de Victor sur les langages de programmation et l’histoire de l’informatique.
Vous travaillerez avec des data scientists, des designers et autres.
C. Des économistes inhabituels
Nous cherchons à recruter de jeunes diplômés en économie. Vous devez a) avoir d’excellentes notes d’une très bonne université ; b) comprendre des théories économiques conventionnelles ; c) être intéressés par les arguments des marges de ce champ — par exemple, les travaux de physiciens sur les modèles basés sur les agents ou par le hedge fund Bridgewater sur les échecs et limites des théories / prévisions macro conventionnelles et d) être très bon en maths et vouloir travailler avec des mathématiciens, physiciens et informaticiens.
Le candidat idéal aurait par exemple un diplôme de maths et d’économie ; il aurait passé un été à travailler sur le Grand collisionneur de hadrons, aurait travaillé un autre été pour un fonds d’investissement quant et programmé pour une startup Y-Combinator un troisième été !
Nous avons trouvé quelqu’un comme ça mais il nous en faut au moins un autre.
Un exemple de débat dans lequel vous pourriez vous retrouver plongé pourrait tourner autour de ces deux articles parus dans Science en 2015 :
(2015) : Rationalité informatique : un paradigme convergent pour l’intelligence dans les cerveaux, les esprits et les machines, Gershman et al., et Raisonnement économique et intelligence artificielle, Parkes & Wellman.
Vous trouverez dans ces articles l’intersection de :
- l’argumentaire de von Neumann sur la théorie des jeux et l’« utilité espérée »,
- des théories économiques mainstream,
- des théories modernes sur les enchères,
- de la théorie informatique (notamment des problèmes de type complexité d’une inférence probabilistique dans les réseaux bayésiens, ce qui relève de la catégorie de complexité NP)
- des idées sur la « rationalité informatique » et le méta-raisonnement de l’IA, la science cognitive, etc.
Si ce genre de choses vous intéresse, alors vous trouverez ce projet intéressant.
Savoir développer est un plus mais pas obligatoire.
D. D’excellents chefs de projets
Si vous pensez faire partie de cette petite minorité de personnes qui excellent vraiment en gestion de projets, nous voulons vous voir. Victoria Woodcock a dirigé Vote Leave — c’était une chef de projets vraiment excellente ; sans elle, Cameron aurait certainement gagné. Nous avons besoin de gens comme elle qui ont un niveau de compétences et un tempérament qu’on ne trouve que dans une personne sur 10 000.
Le guide Oxford des mégaprojets souligne qu’il est possible de quantifier les leçons tirées de l’échec de projets tels que les projets de ligne à grande vitesse car presque tous échouent ; l’échantillon est donc suffisamment important pour établir des comparaisons statistiques, alors que les succès sont si rares qu’on ne peut procéder à leur analyse statistique.
Il est très intéressant de constater que les leçons de Manhattan (années 1940), des missiles balistiques intercontinentaux (années 1950) et d’Apollo (années 1960) demeurent absolument avant-gardistes car il est extrêmement difficile de les appliquer et presque personne n’y a réussi. Le Pentagone s’est systématiquement déprogrammé, passant d’approches plutôt efficaces à des approches moins efficaces à partir du milieu des années 1960, justement au nom de l’efficacité. Doit-on en déduire que des gens comme le général Groves ou George Mueller sont plus rares que les médaillés Fields ?
Quoi qu’il en soit, il est évident que l’amélioration du gouvernement requiert d’immenses améliorations en matière de gestion de projets. Le premier projet consistera à faire monter en compétence les gens qui sont déjà là.
Si vous voulez un exemple du genre de personnes dont nous avons besoin en Grande-Bretagne, regardez ça, sur CC Myers – les constructeurs légendaires. LA VITESSE. Nous avons un besoin urgent de gens avec ce genre de compétences et d’attitude. (Si vous pensez que vous êtes une entreprise de ce genre et que vous pouvez emprunter la route à deux voies au nord de Newcastle en un temps record, contactez-nous !)
E. Des chercheurs juniors
Dans de nombreux domaines du gouvernement, comme dans le monde de la tech ou de l’investissement, le cerveau et le tempérament sont bien plus importants que l’expérience ou l’ancienneté.
Nous voulons embaucher quelques jeunes TRÈS intelligents sortant directement de l’université ou récemment diplômés et dotés d’une curiosité extrême et d’une vraie capacité de travail.
L’un de vous sera mon assistant personnel pendant un an — cela impliquera un mélange de tâches très intéressantes et d’une variété de broutilles inintéressantes destinées à me faciliter la vie, et dont vous ne retirerez aucun plaisir. Vous ne ferez pas de soirées en semaine, vous sacrifierez beaucoup de vos week-ends — honnêtement, ce sera compliqué pour vous d’avoir un copain ou une copine. Ce sera épuisant mais intéressant et si vous faites l’affaire vous serez impliqué à 21 ans dans des choses dont la plupart des gens ne feront jamais l’expérience.
Je ne veux pas de pros du bluff sortis des écoles publiques ; je veux des gens beaucoup plus intelligents que moi qui peuvent travailler dans des conditions extrêmes. Si vous pratiquez les intrigues de bureau, vous serez démasqué et immédiatement viré.
F. Communication
À SW1, la communication est généralement considérée comme synonyme de « discussion avec le lobby ». Voilà pourquoi la plupart des commentateurs ressassent des bruits de couloir.
Sans élection prévue dans les années à venir et avec d’immenses changements en cours dans le monde numérique, il y a une opportunité et un besoin de procéder tout à fait différemment.
Nous sommes particulièrement intéressés par les experts du numérique et de la télévision. Nous sommes aussi intéressés par ceux qui ont travaillé dans le cinéma ou sur des campagnes de publicité. Il y a des opportunités très intéressantes au croisement des technologies et du storytelling — si vous avez fait des choses bizarres, vous êtes peut-être au bon endroit.
J’ai récemment remarqué, lors de la campagne, que le monde de la publicité en ligne a changé très rapidement depuis la dernière fois que je m’y suis plongé en 2016. Cela explique en partie pourquoi tant de journalistes ont regardé les statistiques Facebook de Corbyn et en ont déduit que le Labour s’en sortait mieux que nous — l’écosystème évolue rapidement alors que les journalistes politiques sont restés coincés à l’étape des technologies de 2016, ce qui explique que tant d’entre eux soient tombés dans le panneau des théories conspirationnistes de Carole. Les gens du numérique impliqués dans la dernière campagne savaient vraiment ce qu’ils faisaient, ce qui est extrêmement rare dans ce monde de charlatans et de clients qui ne savent pas ce qu’ils doivent acheter. Si vous êtes intéressés par les marges extrêmes de ce domaine, rejoignez-nous.
Nous avons des gens extrêmement capables mais nous devons également faire monter en compétence tout notre réseau de conseillers.
G. Des experts des politiques publiques
L’un des problèmes de la fonction publique est la façon dont les gens sont déplacés d’un poste à l’autre de sorte qu’ils n’acquièrent pas d’expertise ou sont écartés des domaines qu’ils connaissent vraiment pour faire autre chose. Un vendredi, X est responsable des difficultés d’apprentissage, la semaine suivante il est responsable des budgets.
Il y a, de toute évidence, des compétences générales. La gestion d’une grande organisation nécessite des compétences générales. Qu’il s’agisse de Coca Cola ou d’Apple, certains aspects sont très similaires — comment gérer les gens, comment construire des équipes fonctionnelles, etc. L’expérience est souvent surcotée. Quand Warren Buffett a eu besoin de quelqu’un pour transformer sa compagnie d’assurances, il n’a pas embauché quelqu’un d’expérimenté dans le domaine : « quand Ajit est entré dans le bureau de Berkshire un samedi de 1986, il n’avait jamais travaillé dans le business des assurances » (Buffett).
Déplacer des gens dont on attend qu’ils deviennent directeurs généraux est tout naturel, mais il est clair que Whitehall en abuse, tout en ne formant pas les directeurs généraux de façon appropriée. Il n’y a pas suffisamment de personnes avec une expertise approfondie dans un domaine spécifique.
Si vous voulez travailler au département des politiques publiques ou un autre département et que vous connaissez suffisamment vos sujets pour en débattre avec des experts de renommée mondiale, contactez-nous.
Il est également vrai que, où que l’on soit, la plupart des meilleurs cerveaux sont inévitablement ailleurs, ce qui signifie que les gouvernements doivent devenir bien meilleurs en chasse de tête. Des 20 personnes au monde qui comprennent le mieux le changement climatique ou pourraient nous conseiller quant à l’action à adopter par rapport à la COP 20, combien travaillent aujourd’hui comme conseillers ou fonctionnaires ou le deviendront dans les 5 prochaines années ?
H. Des gens bizarres et hyper talentueux
À SW1, les gens parlent beaucoup de « diversité » mais cela ne désigne que rarement une « vraie diversité cognitive ». Généralement, ils bavassent à propos de « la diversité des identités de genre, blablabla ». Ce dont SW1 a besoin, ce n’est pas d’imbécilités supplémentaires sur l’« identité » et la « diversité » de la part de diplômés en sciences humaines d’Oxbridge mais de davantage de réelle diversité cognitive.
Nous avons besoins de vrais jokers, d’artistes, de gens qui ne sont jamais allés à l’université et se sont battus pour sortir d’une situation abominable, de mecs bizarres sortis tout droit de romans de William Gibson, comme cette fille recrutée par Bigend au poste de devin des marques qui a la nausée quand elle voit Tommy Hilfiger, ou ce coureur sino-cubain venu d’une famille de criminels et engagé par le KGB. Si vous voulez comprendre ce que les personnes qui entourent Poutine sont susceptibles de faire, ou comment les gangs de criminels internationaux exploitent les failles de sécurité de nos frontières, vous ne voudrez pas de diplômés anglais d’Oxbridge qui discutent de Lacan à des dîners avec des producteurs télé et diffusent des fake news à propos des fake news.
Par définition je ne sais pas vraiment ce que je cherche mais je veux que les gens qui gravitent autour du 10 Downing Street soient à l’affut de ce type de profil.
Nous avons besoin de comprendre comment mieux utiliser ce type de personnes sans leur demander de se conformer aux horreurs des « Ressources humaines » (qui manifestement nécessiteraient aussi un bon feu de camp).
*
Envoyez une lettre de motivation d’une page maximum et un CV à [email protected], avec pour objet « job/ » et après le /, data, programmeur, éco, com, projets, recherche, politiques publiques ou atypique.
Je vais devoir passer du temps à vous aider alors ne postulez pas à moins de pouvoir vous engager pour au moins 2 ans.
Je vous virerai au bout de quelques semaines si vous n’êtes pas à votre place — pas besoin de vous plaindre plus tard, j’aurai été clair dès le départ. J’essaierai de répondre à autant de gens que possible mais la dernière fois que j’ai appelé publiquement des candidatures en 2015, j’ai été submergé de propositions et n’ai pas pu répondre à tous, donc je ne peux rien promettre. Si vous pensez que j’ai été fou de vous ignorer, persévérez un moment.
Je me servirai de ce blog pour proposer quelques idées. Il est important, quand on traite avec de grandes organisations, de jeter des idées à différents niveaux, de ne pas se laisser enfermer dans des hiérarchies formelles. Ça aura l’air chaotique et bien loin du « processus normal de 10 Downing Street » pour certains. Nous ne nous préoccupons pas d’essayer de « contrôler le récit » et toutes ces conneries New Labour et ce gouvernement ne sera pas dirigé par un réseau de communicants.
Comme l’ont dit Paul Graham et Peter Thiel, la plupart des idées qui ont l’air mauvaises sont mauvaises, mais d’excellentes idées peuvent aussi paraître mauvaises au premier abord — sinon quelqu’un les aurait déjà mises en œuvre. Les incitations et la culture poussent les membres de systèmes gouvernementaux normaux à rejeter toute « idée qui semble mauvaise ». L’idée derrière une équipe resserrée et atypique au 10 Downing Street est de trouver et d’exploiter, sans s’inquiéter du tapage médiatique, ce qu’Andy Grove appelait « des idées à très fort effet levier », qui sembleront inévitablement mauvaises à la plupart.
Dominic Cummings est-il fou ou visionnaire ? La question, posée par le New Statesman, demeure sans réponse. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun obstacle ne semble pour l’heure entraver la progression de celui que l’on surnomme « Deputy Prime Minister » et auquel Boris Johnson doit l’écrasante victoire électorale conservatrice du 12 décembre dernier.
« Dominic Cummings est-il un visionnaire ou un fou ? Ce qui est remarquable, c’est que le Parti conservateur a joué son avenir et celui du pays sur la réponse à cette question » 10.
Je posterai quelques éléments dans les semaines qui viennent et verrai ce qui prend — il n’y a que des avantages, du moment que l’on tolère un peu le bruit, et c’est une façon rapide et pas chère de trouver de bonnes idées…
Sources
- Dominic Cummings has ‘done’ Brexit. Now he plans to reinvent politics, The Financial Times, janvier 2020.
- Dominic Cummings : The Machiavel in Downing Street, New Statesman, septembre 2019.
- Dominic Cummings : The Machiavel in Downing Street, New Statesman, septembre 2019.
- Dominic Cummings Thinks Brexit Can End British Nativism, Foreign Policy, août 2019.
- Britain after Brexit – Dominic Cummings’s plan to reshape the state, The Economist, janvier 2020.
- Stratège génial ou mauvais génie ? Dominic Cummings, le « docteur No » du Brexit, Le Monde, 26 septembre 2019.
- Dominic Cummings : The Machiavel in Downing Street, New Statesman, septembre 2019.
- Inside the mind of Boris Johnson’s right-hand man, Politico.
- Can Dominic Cummings really run Britain like a startup ? Probably not, Wired, janvier 2020.
- Dominic Cummings : The Machiavel in Downing Street, New Statesman, septembre 2019.