Le 12 décembre 2015, 196 délégations ont approuvé l’Accord de Paris lors de la COP21. Les États participants ont alors confirmé l’importance de limiter l’augmentation de la température moyenne en-deçà de 2°C, afin de réduire les risques et les impacts du changement climatique. L’Union européenne s’est alors fixée comme objectif pour 2030 de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à 1990. Dès lors, les secteurs couverts par le système d’échange de quotas d’émissions de l’Union (SEQE-UE) – c’est-à-dire la production d’électricité, les réseaux de chaleur, les industries de l’acier, du ciment, du raffinage, du verre, du papier, etc., soit 45 % des émissions de l’Union – doivent réduire leurs émissions de 43 % (par rapport à 2005), et les secteurs non couverts de 30 %, sans que cet objectif soit contraignant pour les États membres1.

En France cependant, le 16 décembre 2018 quinze économistes, dont Maxime Combes, l’une des figures prééminentes du collectif Attac, ont publié la tribune « Appliquons la vraie taxe carbone » dans le Journal du Dimanche, remettant en cause l’implication de l’industrie française dans cet effort collectif. L’injonction est claire : « instaurer une taxe carbone complémentaire portant sur les émissions de gaz à effet de serre des 1400 sites industriels français les plus polluants  »2. Dans ce texte, ils rappellent les efforts déjà imposés aux ménages par la taxe carbone, rehaussée en 2016 sur proposition du Commissariat Général au Développement Durable3, et les multiples investissements de l’État français dont, entre autres, le Grand Plan d’Investissement pour 2018 – 2022 à hauteur de 57 milliards d’euros4.

Très souvent, l’argument avancé contre une régulation trop stricte des entreprises européennes est celui de l’impact important qu’elle pourrait avoir sur leurs coûts de production et donc sur leur compétitivité.

ALBANE JULIA ET JULIETTE ORTHOLAND

Dans ce contexte, la question de la participation de l’industrie se pose. Très souvent, l’argument avancé contre une régulation trop stricte des entreprises européennes est celui de l’impact important qu’elle pourrait avoir sur leurs coûts de production et donc sur leur compétitivité. Ce coût économique pourrait lui-même engendrer une nouvelle forme de délocalisation, théorisée sous le nom de « fuite de carbone » entendue au sens de « situation dans laquelle une entreprise, pour échapper aux coûts liés aux politiques climatiques, déplace sa production dans un autre pays appliquant des règles moins strictes en matière de limitation des émissions, risquant ainsi d’augmenter ses émissions totales. »5

Donner un coût aux émissions de gaz à effet de serre : le marché et la taxe ?

Pour aborder ce sujet, il faut d’abord comprendre les outils en vigueur de régulation des émissions de gaz à effet de serre. En mai 2018, selon la Banque mondiale, 51 initiatives de pricing du carbone existaient dans le monde : 25 marchés du carbone (Systèmes d’échange de quotas d’émissions (SEQE) ou Emission Trading Systems (ETS), généralement transnationaux, et 26 taxes carbone, le plus souvent nationales. Les prix de la tonne de dioxyde de carbone s’étendent alors de moins de 1 €/t CO2 au Mexique ou en Pologne à 127 €/t en Suède, avec néanmoins une majorité d’initiatives en-deçà de 27 €/t6. En France, on distingue deux principaux outils : le marché du carbone européen et la contribution climat énergie nationale, plus souvent appelée « taxe carbone ».

Les projets de monétisation des émissions de carbone ont émergé en Europe dans les années 1990. Plusieurs propositions ont alors été formulées au sein de la Commission européenne, sans qu’aucune n’obtienne l’unanimité des États membres. Le projet européen d’écotaxe échoue et « la tarification européenne du carbone [s’oriente finalement] vers un marché d’échange de quotas.  »7. Pour le sociologue Stefan Aykut, il s’agit avant tout d’un échec de la collaboration européenne, notamment car « contrairement à l’approche fiscale, l’outil « accords volontaires » [laisse] aux acteurs économiques le soin de définir les modalités concrètes de la mise en oeuvre de l’effort de réduction et les [met] dans une position de force vis-à-vis de l’Etat. »8

Ce marché d’échange de quotas, nommé «  Cap and Trade », a pour vocation de distribuer – gratuitement ou via un système d’enchères – une quantité définie de permis de polluer, qui sont ensuite échangés entre les acteurs afin que les réductions d’émissions soient effectuées là où les coûts sont les plus bas. Depuis 2005, ce marché a connu trois phases. La première phase, de 2005 à 2007, a servi de pilote « d’apprentissage par la pratique » pour mettre en place l’infrastructure du marché et établir un prix du carbone. Seules les centrales électriques et les industries très consommatrices étaient concernées par ce mécanisme, et la quasi totalité des quotas distribuée gratuitement. En 2007, le nombre de quotas annuels, fixé à environ 2300 Mt/an pour cette phase, est devenu supérieur aux émissions et a donc entraîné une chute du prix du carbone à 0 €/t, premier symptôme de l’échec du système conçu jusqu’alors9.D’après les données de l’agence européenne pour l’environnement, en 2007, les émissions européennes liées à l’industrie et à la consommation finale d’énergie étaient de 2835 Mt, tous les secteurs considérés ici ne sont pas concernés par le marché du carbone.

La deuxième phase, de 2007 à 2013, a fixé le plafond de quotas à 2100 Mt/an. Le marché s’est alors étendu à d’autres secteurs fortement émetteurs comme l’aviation, et moins de quotas ont été distribués gratuitement ; les pénalités en cas de non respect ont substantiellement augmenté, de 40 €/t à 100 €/t. Le périmètre géographique du marché s’est alors étendu à l’Espace économique européen, à savoir les 28 membres de l’Union Européenne ainsi que la Norvège, l’Islande et le Lichtenstein. Lors de cette phase, d’importantes réductions d’émission ont été observées, en grande partie du fait de la crise économique de 2008 ; cette chute brutale a entraîné un excédent de quotas et, consécutivement, une chute du prix de la tonne de carbone10.

Depuis 2018, les acteurs anticipent la raréfaction de l’offre de quotas, qui conduirait à une hausse du prix du carbone.

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La troisième phase a commencé en 2013 et se terminera fin 2020. Le plafond de quotas, soit l’ensemble des émissions autorisées pour les secteurs concernés, est cette fois-ci fixé à 1950 Mt/an en 2013, avec une diminution de ce plafond prévue pour chaque année de 1,74 %. L’objectif, plus ambitieux, n’a néanmoins pas permis de faire passer le prix au-delà de 10 €/t avant mi-2018. Afin de remédier à l’excédent de quotas d’émissions qui s’accumulent depuis 2009 – notamment dû à une distribution trop généreuse par le passé et à la crise, qui a porté un coup à l’activité économique –, la Commission européenne met en place une « réserve de stabilité du marché » permettant de diminuer automatiquement les volumes de droits d’émission mis aux enchères en cas de surplus de quotas en circulation11. Cette réserve est calibrée pour réduire l’offre et devrait retirer des enchères près de 1 000 Mt CO2 d’ici 2025. Par conséquent, depuis 2018, les acteurs anticipent la raréfaction de l’offre de quotas, qui conduirait à une hausse du prix du carbone. En août 2019, ce prix atteint son record à plus de 29 €/t12.

Prix en €/tCO2 sur le marché européen du carbone entre octobre 2017 et septembre 2019 Source des données  : Carbon Price Viewer13

La phase 4 à venir, de 2021 à 2030, prévoit d’accroître à 2,2 % le rythme de réduction des émissions. Le taux de prélèvement pour la réserve stratégique devrait quant à lui doubler et passer à un prélèvement de 24 % des quotas en surplus jusqu’en 2023, année à partir de laquelle le taux reviendra à sa valeur initiale de 12 %14.

La crainte du risque de la délocalisation des émissions (ou fuites de carbone) est particulièrement prégnante dans les milieux politiques européens. En réponse, la Commission a dressé en octobre 2014 une liste de secteurs et de sous-secteurs à risque pour la troisième phase qui pourraient bénéficier d’une allocation gratuite de quotas. Pour la phase 3, la liste des secteurs se divise en trois catégories de secteurs à exonérer :

  • Les industries pour lesquelles l’implémentation de la directive européenne augmenterait d’au moins 5 % le coût de production, calculé en proportion de la valeur ajoutée brute, et dont l’intensité des échanges ((exports + imports) / PIB) avec des pays tiers serait supérieure à 10 % (catégorie A).
  • Les industries pour lesquelles le coût de production augmenterait d’au moins 30 % (catégorie B).
  • Et les industries pour lesquelles l’intensité des échanges avec des pays tiers serait supérieure à 30 % (catégorie C).

Ces industries reçoivent la totalité des permis dont elles ont besoin gratuitement. Ces exonérations concernent de nombreux secteurs, allant de la fabrication de sucre à l’extraction de houille15.

En 2017, La France était le deuxième pays avec les compensations les plus élevées (140 millions d’euros) après l’Allemagne (289 million d’euros), suivie par l’Espagne (84 millions d’euros).

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Notons que l’Union européenne permet aux États de mettre en place des mesures financières compensatoires additionnelles en faveur des secteurs exposés à un risque significatif de fuite de carbone dans le contexte du Système d’Échange de Quotas d’Émission (SEQE). Ce mécanisme, plus connu sous le nom de compensation des coûts indirects du CO2, vise à compenser financièrement les secteurs concernés de l’augmentation des prix européens de l’électricité, elle-même liée à l’augmentation du coût du CO2. L’électricité d’origine fossile détermine en effet encore majoritairement le prix de l’électricité en Europe. À l’heure actuelle, onze pays de l’Union européenne versent ces aides. En 2017, La France était le deuxième pays avec les compensations les plus élevées (140 millions d’euros) après l’Allemagne (289 million d’euros), suivie par l’Espagne (84 millions d’euros). Ces montants ont vocation à aller croissant avec l’augmentation du prix du CO2, mais jusqu’où ?16

Ces modalités changeront lors de la phase 4, dès 2021. Le système d’allocations gratuites est reconduit pour 10 ans mais seuls les secteurs les plus à risque recevront 100 % de leurs quotas à titre gratuit. Les secteurs moins exposés, verront leur allocation progressivement supprimée après 2026, passant d’un maximum de 30 % à zéro à la fin de la phase 4 (2030). De plus, un grand nombre de quotas gratuits sera destiné aux installations nouvelles et en pleine croissance17.

Une question demeure quant à la classification de ces secteurs dits « à risque ». Leurs avantages sont-ils liés à un vrai risque économique ou à leur pouvoir de négociation ?

Cohabitation du marché européen avec les démarches nationales

En plus de ce marché du carbone, il existe dans certains pays comme le Danemark, la Suède, l’Irlande, la Finlande et la France, des réglementations nationales d’ordre fiscal. En France, il s’agit de la contribution climat énergie (CCE), qui n’est pas à proprement parler une « taxe carbone », mais une modalité de calcul des taxes intérieures de consommations (TIC), comme la TICPE sur les produits énergétiques ou la TICGN sur le gaz naturel.

Au niveau européen, les premières tentatives de taxation du carbone remontent aux années 1980. En France, depuis les années 2000, plusieurs projets de loi ont tenté d’introduire une taxe environnementale sur les émissions de gaz à effet de serre. Mais à chaque fois, ces projets de loi ont été censurés par le Conseil constitutionnel pour rupture d’égalité devant l’impôt. Le Conseil constitutionnel exige en effet qu’il y ait adéquation entre les lois et leurs objectifs. Or, dans le cas des propositions de taxe carbone, les nombreuses exonérations prévues pour limiter l’impact de cette fiscalité sur l’économie nationale ont été successivement «  jugées contraires à l’objectif de réduction des émissions de CO2 ». C’est seulement en 2013 que le projet de loi de finances pour l’année 2014 a introduit la CCE, permettant de contourner la question constitutionnelle, ne s’agissant plus d’une mesure environnementale mais d’une contribution qui ne requiert alors pas l’égalité de traitement des acteurs taxés et permet d’exonérer certains gros pollueurs. En 2019, la contribution climat énergie s’élève à 47,5 €/tCO2 après avoir été plusieurs fois rehaussée depuis son introduction, l’objectif étant d’atteindre 100 €/tCO2 en 2030. Afin d’éviter une double taxation, les secteurs concernés par le marché du carbone européen ne sont pas concernés par la CCE. Comme pour le marché européen du carbone, et toujours dans l’objectif de préserver santé économique et compétitivité des entreprises, un certain nombre de secteurs sont donc exemptés ou remboursés partiellement de la CCE.

D’après l’Institute for Climate Economics (I4CE), les exonérations françaises génèrent des dépenses publiques importantes et croissantes, incohérentes avec les objectifs climatiques français. En 2018, elles représentaient 6,9 milliards d’euros, soit 15 % de plus qu’en 2017. Selon ce même institut, réduire le nombre d’exonérations est nécessaire pour mettre en place une fiscalité énergétique cohérente sur le plan environnemental comme sur celui de l’équilibre budgétaire. Pour cela, il est recommandé de supprimer ces exonérations progressivement tout en accompagnant les structures concernées.

Réduire le nombre d’exonérations est nécessaire pour mettre en place une fiscalité énergétique cohérente sur le plan environnemental comme sur celui de l’équilibre budgétaire.

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Aujourd’hui, les exonérations en France sont principalement basées sur le rapport de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (MEEDDAT) de 2009. Ce rapport étudie l’impact sur les transports et l’agriculture qu’aurait l’introduction d’une contribution carbone de 32 €/tCO2 s’ajoutant aux TIC existantes. Une recommandation générale de ce rapport est donc de privilégier les approches de compensation plutôt que d’exonérations, afin de conserver le signal-prix. Par compensation, on entend un remboursement total ou partiel a posteriori, ce mécanisme oblige donc l’entreprise concernée à prendre en compte ce coût dans son budget. Une exonération rend quant à elle le mécanisme complètement transparent pour l’entreprise concernée. Cependant, cette recommandation n’est pas toujours respectée. Parmi les secteurs exemptés au niveau communautaire, on recense notamment le transport aérien et maritime international ou le bois de chauffage. Parmi les exonérations définies au niveau national figurent le transport routier et les professionnels agricoles.

En Allemagne, l’introduction d’une nouvelle loi sur le climat fait l’objet de discussions gouvernementales : pour l’instant, le pays possède seulement une taxe sur l’énergie s’appliquant sur le pétrole, le gaz naturel, le charbon et le coke (combustible utilisé en métallurgie) avec des taux de taxation différents selon qu’il s’agisse de taxe pour le chauffage ou le transport. Au début de l’année, l’introduction d’une taxe carbone en Allemagne avant la fin de l’année 2019 était en discussion ; depuis, elle a été jugée trop défavorable pour les ménages les moins aisés et a été écartée au profit d’une autre réglementation possible, qui consisterait à étendre le marché des certificats d’émission aux secteurs du bâtiment, de l’agriculture et à certaines industries et transports jusque là non concernés. L’expérience française des contestations sociales liées à la mise en place ou à la hausse de taxes carbone pourrait bien avoir eu raison de l’ambition allemande en la matière, rappelant la difficulté pour les gouvernements à articuler ambition climatique et justice sociale.

Les raisons supposées de possibles fuites

Selon un raisonnement économique simple, on peut considérer que les États agissent sans raisonnement stratégique d’interdépendance, et que chaque pays fixe sa réglementation nationale indépendamment des autres ; une entreprise polluante cherchant où s’implanter choisira logiquement le pays où la réglementation est la plus souple. Il est dans l’intérêt d’un État voulant accueillir la dite entreprise d’abaisser ses normes environnementales de façon à rester plus compétitif que ses voisins. Il existe donc un potentiel réel de concurrence entre les États, et l’entreprise s’implantera là où la législation est la moins contraignante. Cependant, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre demeure une lutte collective. Les acteurs sont de fait interdépendants car les émissions de l’un ont indifféremment un impact sur le climat des autres. Cette situation, modélisée par un équilibre dit « de Nash », veut qu’aucun pays n’ait intérêt à prendre des mesures contraignantes unilatéralement, car à cause des fuites de carbone, le coût environnemental à supporter par tous serait supérieur aux effets positifs récoltés par chacun. L’équilibre économique stable mais inefficace réside donc dans l’inaction collective. Si ce raisonnement ne prend en compte ni la résilience des écosystèmes, ni la santé des citoyens, ni la sécurité alimentaire, etc, il illustre malgré tout un état de fait durable en Europe, et c’est précisément lui que les réglementations environnementales comme le marché du carbone européen essaient de déplacer. C’est bien parce que le CO2 est un élément global qu’il est important de s’appuyer sur des études d’impact des règlements européens en vigueur et de ne pas considérer que chaque réglementation étatique est optimale.

C’est bien parce que le CO2 est un élément global qu’il est important de s’appuyer sur des études d’impact des règlements européens en vigueur et de ne pas considérer que chaque réglementation étatique est optimale.

ALBANE JULIA ET JULIETTE ORTHOLAND

En 2015, la Commission européenne a publié un rapport de l’impact du marché du carbone européen sur les entreprises. Selon ce rapport, les investissements des entreprises sur les années précédentes auraient été davantage motivés par la volonté de réduire les coûts énergétiques que les émissions de CO2. Il soulève les impacts positifs qu’a eu la mise en place du marché sur des gains de compétitivité, dus notamment à l’installation de structures plus efficaces et plus sobres énergétiquement. Le rapport note également qu’au sein d’un même secteur d’activité, les écarts de politique d’investissement se creusent, d’une entreprise à l’autre, en fonction de celles qui seront le plus à même de s’adapter. Le rapport n’est cependant pas alarmiste sur d’éventuelles pertes de compétitivité ou fuites de carbone18. L’industrie du ciment, concernée par le marché du carbone, en est un bon exemple : les importations de ciment allemandes et européennes, soit la différence entre la consommation et la production, n’ont pas augmenté à partir de la mise en place du marché du carbone, au contraire. Les évolutions de la production et de la consommation de ciment en Allemagne et en Europe sont davantage liées aux évolutions du PIB et aux effets de la crise économique sur tous les secteurs, parmi lesquels celui du ciment.

Évolution de l’industrie du ciment et du PIB en Allemagne et dans l’UE (Source19)

Plus récemment, en novembre 2018, un papier publié par Stefano F. Verde pour l’European University Institute (EUI) conclut : « By far, the most frequently encountered conclusion is that no evidence was found of negative statistically significant effects of the EU ETS on firms’ competitiveness (nor, therefore, on carbon leakage).  »20. Cette conclusion est à nuancer, car le nombre d’études reste faible, l’obtention de données délicate et surtout le prix de la tonne de carbone toujours très faible. Finalement l’article pointe du doigt le vrai risque : les reports d’investissements, c’est-à-dire des investissements qui n’auraient pas lieu à cause de ce marché21. D’autres études jugent insuffisantes les politiques en vigueur pour produire un quelconque effet. Les plafonds de quota fixés au début de chaque phase sont jugés trop faibles et les allocations gratuites insuffisamment contraignantes pour permettre un prix du carbone élevé et dissuasif qui, lui, pourrait avoir un impact sur la compétitivité des entreprises. Étant données les évolutions prévues lors de la phase 4 du SEQE européen, cela pourrait être amené à changer.

Le vrai périmètre du carbone européen

À la nécessité d’imposer aux industries des objectifs ambitieux de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, on oppose souvent le risque de perte de compétitivité, de fuites de carbone et les conséquences économiques et environnementales qui en découleraient. En dépit de preuves de l’impact négatif des outils existants sur la compétitivité des entreprises touchées, les impacts environnementaux des outils restent faibles. Pour autant, ce constat ne permet pas de remettre en question ces outils, mais plutôt leur application.

La mise en place du marché des quotas d’émission résulte initialement d’une ambition politique faible, d’un compromis en faveur des industries conservant les termes de la mise en application de la politique climatique européenne. Un marché est de facto plus souple qu’une norme ou une taxe fixée dans la mise en oeuvre et les termes de la réduction des niveaux d’émissions.

Albane Julia et Juliette Ortholand

Si le marché des quotas d’émission a pendant longtemps échoué à fixer un prix contraignant des émissions c’est que l’ambition politique initiale, faible, a engendré un marché mal construit et avec une distribution bien trop large de droits à polluer. La mise en place du marché des quotas d’émission résulte initialement d’une ambition politique faible, d’un compromis en faveur des industries conservant les termes de la mise en application de la politique climatique européenne. Un marché est de facto plus souple qu’une norme ou une taxe fixée dans la mise en oeuvre et les termes de la réduction des niveaux d’émissions. Il aura ensuite fallu plus de 10 ans avant qu’un prix significatif (au-delà de 20 euros la tonne de CO2) apparaisse. Aujourd’hui, l’expérience cumulée a permis de définir une phase 4 avec une allocation réduite de quotas gratuits et un mécanisme de stabilité de marché plus puissant pour éponger le surplus en allocation, ce même surplus ayant longtemps permis un prix bas. Ces nouveautés arrivant, il se pourrait que des effets significatifs soient constatés sur les émissions et potentiellement sur les fuites de carbone. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas en préjuger.

Alors, que mettre en oeuvre pour permettre une réelle diminution des émissions de gaz à effet de serre en Europe ? Doit-on parler des émissions en Europe ou des émissions de l’Europe ? Dans ce cas, une prise en compte des émissions liées aux produits importés s’impose ; et avec cela, la prise en compte d’un coût du carbone de ces mêmes émissions. L’avantage est double : un intérêt économique par une limitation du risque de fuite de carbone, a minima sur le marché domestique, car les importateurs seraient soumis aux mêmes contraintes de coût que les producteurs européens ; un intérêt environnemental, car il permettrait de considérer notre empreinte carbone « totale » plutôt que nos seules émissions territoriales.

Sources
  1. Commission Européenne, « Cadre d’action en matière de climat et d’énergie d’ici à 2030 » : https://ec.europa.eu/clima/policies/strategies/2030_fr
  2. M. Combes, « Appliquons la vraie taxe carbone », Tribune dans Le Journal du Dimanche, le 16 décembre 2018 : https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-appliquons-la-vraie-taxe-carbone-3821795
  3. Commissariat général au développement durable, « L’impact, pour les ménages d’une composant carbone dans le prix des énergies fossiles », mars 2016 : https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-pt-vue/2016.03.impact_pour_les_menages_de_la_composante_carbone.pdf
  4. Gouvernement Français, « Le Grand Plan d’investissement » : https://www.gouvernement.fr/le-grand-plan-d-investissement
  5. Commission Européenne, « Fuite de carbone » : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/allowances/leakage_fr
  6. World Bank Group, « State and Trends of Carbon Pricing 2018 », 2018 : https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/29687/9781464812927.pdf
  7. L. Rogissart, S. Postic, J. Grimault, « La Contribution Climat Énergie en France : fonctionnement, revenus et exonérations », octobre 2018 : https://www.i4ce.org/wp-core/wp-content/uploads/2018/10/Contribution-Climat-Energie-en-France-_VF2-4.pdf
  8. S. C. Aykut, « L’histoire de la création du marché de carbon (ETS) »
  9. Commission Européenne, « Phases 1 et 2 (2005-2012) » : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/pre2013_fr
  10. Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, « Marché du carbone » : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/marches-du-carbone
  11. https://www.connaissancedesenergies.org/la-reforme-du-marche-europeen-du-carbone-en-5-questions-170303#notes
  12. Raphaël Trotignon, «  La réforme du marché européen du carbone en 5 questions », Connaissances des énergies, 3 mars 2017 : https://www.connaissancedesenergies.org/la-reforme-du-marche-europeen-du-carbone-en-5-questions-17030
  13. Carbon Price Viewer  : https://sandbag.org.uk/carbon-price-viewer
  14. Commission européenne, « Réexamen de la phase 4 (2021 – 2030) » : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/revision_fr
  15. C. Hedegaard, « Commission Decision of 27 October 2014 » : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=CELEX:32014D0746
  16. Commission Européenne, « Report on the functioning of the European carbon market », le 17 décembre 2018 : https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/ets/docs/com_2018_842_final_en.pdf
  17. Commission européenne, « Réexamen de la phase 4 (2021-2030) » : https://ec.europa.eu/clima/policies/ets/revision_fr
  18. Commission européenne, « Study on the Impacts on Low Carbon Actions and Investments of the Installations Falling Under the EU Emissions Trading System », Février 2015 : https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/ets/allowances/docs/report_low_carbon_actions20150623_en.pdf
  19. Commission européenne, «  Study on the Impacts on Low Carbon Actions and Investments of the Installations Falling Under the EU Emissions Trading System  », Février 2015  : https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/ets/allowances/docs/report_low_carbon_actions20150623_en.pdf
  20. S. F. Verde, « The impact of the EU Emissions Trading System on competitiveness and carbon leakage  », 2018 : https://poseidon01.ssrn.com/delivery.php?ID=9341150170260011120970881030670970870040000290320260500761200180060931101021051151001210560100471060170070640200790670790280640610050330480470680010701231261091210720860150010041011180880240290000060950130721030
  21. K. Schubert, « Pour la taxe Carbone : Politique Économique face à la Menace Climatique », 2019