Ces dernières années, est apparue avec une force inhabituelle en Espagne une soif croissante de connaissance pour tout ce qui concerne l’histoire espagnole, et qui se reflète dans le succès extraordinaire de la production et la vente d’une large gamme de produits culturels historiques ou pseudo-historiques de toutes sortes. La demande populaire, en particulier pour les produits du domaine audiovisuel, et notamment ceux offerts dans les domaines de la musique, du cinéma et de la télévision, est évidemment très forte. Mais elle est surtout nouvelle si l’on tient compte du profond mépris de l’histoire que l’Espagne nationale-catholique a porté à la modernité.

En tout cas, et bien que la plupart des produits sur le marché de l’histoire y parviennent grâce à leur fort investissement du discours nostalgique, il est certain que le grand intérêt actuel pour les événements passés et récents permet aux archives historiques de l’État espagnol, qui étaient récemment sous-alimentées, de se renforcer sans cesse. Il ne fait aucun doute que la poussée vers la récupération de l’histoire est là, dans l’air, et qu’elle est vécue comme un droit. Elle devient un divertissement nostalgique et sentimental (comme le montrent par exemple le remplacement et/ou la réadaptation d’anciens programmes de télévision comme Carta de ajuste 1, ou dans la production de nouveaux comme Cuéntame cómo pasó 2 ou Temps de silenci 3), soit d’une exécution historico-disciplinaire stricte et rigoureuse, soit de la pratique (comme celle exercée par le mouvement pour retrouver et récupérer les corps des personnes abattues et disparues pendant la guerre civile), soit de la théorie (comme c’est le cas des nombreux et excellents livres d’histoire qui sont publiés, ou du nombre croissant d’expositions thématiques ouvertes dans les salles et musées).

Le mouvement de récupération de l’histoire en Espagne, avec l’éventail de micro et macro-récits qui l’accompagne nécessairement, est un processus impliqué dans le flux généralisé de phénomènes mis en avant ou provoqués par la mondialisation du capital et des marchés. Pourtant, malgré le lien évident entre l’historiographie locale et un système d’ordre mondialisé, ce n’est que très récemment que les recherches actuelles ont commencé à les questionner théoriquement dans le cadre de processus qui s’inscrivent dans les paramètres ouverts par la mondialisation.

« Le mouvement de récupération de l’histoire en Espagne, avec l’éventail de micro et macro-récits qui l’accompagne nécessairement, est un processus impliqué dans le flux généralisé de phénomènes mis en avant ou provoqués par la mondialisation du capital et des marchés. »

Teresa M. Vilarós

Cette situation s’explique en partie par la précarité de la tradition historiographique en Espagne. L’écrasante désertification historiographique espagnole dans les années de la modernité, qui en Occident témoigne précisément de la naissance de l’histoire et des sciences sociales comme disciplines scientifiques, a été le résultat d’une incompatibilité manifeste et radicale des dispositions politiques et des raisons et modèles de l’État. La modernité occidentale a en effet émergé en opposition fondamentale au modèle impérial espagnol. D’après le flux d’expériences impactées par la Révolution française, il y a un désaccord radical sur les modèles et les systèmes de circulation culturelle, scientifique et économique entre un Occident principalement consacré aux modèles de souveraineté sécularisée et une Espagne de tradition impériale incapable de se passer de son héritage historique sacro-catholique. L’Espagne, dans sa volonté de maintenir sa tradition d’héritière du Saint Empire, non seulement reconnaît la mort de Dieu, mais la contredit. Une Espagne nationale-catholique qui refusera d’opérer la séparation entre l’Église et l’État qui constitue précisément la marque de la seconde phase de la modernité.

La résistance de l’Espagne hégémonique impériale à sa transformation d’un État confessionnel à un État séculier, a produit, entre autres effets, sa fermeture partielle décisive au capital industrialisé et corrélativement son progressif isolement social, politique, économique et culturel. Cela implique donc aussi la fragilité et la faiblesse des disciplines scientifiques et de recherche tout au long des XVIIIe et XIXe siècles et pendant une grande partie du XXe siècle. La faiblesse de ces disciplines a donc pour conséquence que l’étude de l’histoire espagnole, tout au long de la modernité, s’est faite la plupart du temps seule et isolée, y compris les modèles comparatistes ou internationalistes du premier tiers du XXe siècle. Même en tenant compte de l’intérêt pour l’histoire, en particulier l’histoire médiévale, nourrie par le romantisme et repris par la suite à différentes époques et moments, ou le récit réussi de la diffusion populaire produit par Benito Pérez Galdós au XIXe siècle avec ses Episodios Nacionales, par exemple ; prenant également note de la contribution de l’école catalane de l’histoire promue dès le XIXe siècle et tronquée par la guerre civile ; et sans négliger non plus la forte importance que le phalangisme éclairé a donné au substrat historique du siècle d’Or de l’Espagne impériale nationale-catholique, jusqu’au moment de l’établissement de la démocratie, l’absence longue et continue de récits historiques sur l’État espagnol peut être vérifiée sans difficulté.

Patricia Espejo
© Patricia Espejo

Cependant, c’est précisément cette fragilité historiographique et cette fragilité de l’Espagne des deux cents dernières années conjuguée à l’apogée de la modernité occidentale qui sont souvent présentées comme causes de l’abondance des récits historiques actuels. L’empressement contemporain à récupérer ce que, au sens large, on a appelé « mémoire historique », tend à être contextualisé et expliqué comme une action locale nécessaire, comme un geste compensatoire et toujours insuffisant face à la pénurie passée. Notre contemporanéité apparaîtrait ainsi comme une période de pleine historiographie, puisque, même si nous nous plongeons dans ce qui est le plus douloureux pour nous, même si nous fouillons dans l’archéologie des lieux de la mort, comme le font par exemple les mouvements qui demandent à récupérer les corps des disparus de la guerre civile, notre époque semble s’installer et se composer grâce à la lente reconstruction d’un passé dont presque tout était inconnu.

« C’est précisément cette fragilité historiographique et cette fragilité de l’Espagne des deux cents dernières années conjuguée à l’apogée de la modernité occidentale qui sont souvent présentées comme causes de l’abondance des récits historiques actuels. »

Teresa M. Vilarós

Dans cette logique, et en gardant à l’esprit que le franquisme a été la dernière grande réincarnation du modèle impérial national-catholique, ce phénomène de retour à l’histoire se développe comme un geste de suture, comme un acte en dernier ressort de consensus sur ce que la transition politique de la dictature à la démocratie a laissé non résolu. Mouvement constructiviste, donc, au moins apparemment, et en tant que tel, un mouvement vers l’histoire quelque peu surprenant. Tout ceci explique que l’intérêt actuel et marqué pour le passé historique de l’Espagne se produise à un seul moment, le nôtre, qui a été régulièrement qualifié depuis les années 1960 et par des sphères de production intellectuelle très différentes, de période postmoderne, caractérisée non par une narrativisation historique, mais par une dénarrativisation. Non pas à cause de sa cohésion grammaticale, mais à cause de sa fissure (Michel de Certeau). Non pas à cause de la cohésion et de la logique des grands récits, mais à cause de leur fragmentation (Jean-François Lyotard). Non pas à cause de la suite de l’histoire, mais à cause de sa fin (Francis Fukuyama). De la spectacularisation (Guy Debord) au situationnisme (Alain Badiou) ; de la spectralité lacanienne (Slavoj Zizeck) à la déconstruction (Jacques Derrida) ; de la déconstruction à la subalternance (Alberto Moreiras, Rajanit Guja, Gayatri Spivack) ; des rhizomes (Gilles Deleuze, Felix Guatari) à l’empire du capital financier (Toni Negri et Michael Hardt), notre présent, que nous appellerons brièvement postmoderne, a été intellectuellement marqué comme le moment d’érosion des récits historiques et méta-narratifs. Cette érosion, fortement liée à une logique politique et culturelle, s’est traduite par un effondrement, et était conceptuellement inhérente ou liée aux modes sauvages du capitalisme contemporain lorsqu’il a dépassé sa deuxième phase de développement, celle du capital industrialisé, familial et commercial, pour entrer dans sa troisième phase. En ce sens, par exemple, Cristina Moreiras-Menor insiste pour affirmer que, pour l’Espagne de la démocratie, « les niveaux résiduels, les restes que la mémoire a jetés, échappent à l’historicisation ».

Cependant, à l’heure de célébrer le trentième anniversaire de la fin de la dictature de Francisco Franco, le processus politique caractérisé dans sa majorité par le dialogue et le consensus mené pendant la transition continue de se présenter comme un récit complet qui souligne le succès du saut pacifique d’un État totalitaire dictatorial – fermé, répressif et anachronique – à une politique démocratique ouverte et représentative, commune aux États occidentaux.

« À l’heure de célébrer le trentième anniversaire de la fin de la dictature de Francisco Franco, le processus politique caractérisé dans sa majorité par le dialogue et le consensus mené pendant la transition continue de se présenter comme un récit complet qui souligne le succès du saut pacifique d’un État totalitaire dictatorial – fermé, répressif et anachronique – à une politique démocratique ouverte et représentative, commune aux États occidentaux. »

Teresa M. Vilarós

La transition, comme on l’appelle communément, a été décrite normalement et avec peu de divergences comme un processus politique et culturel qui se serait développé au long d’une ou deux décennies selon les auteurs. Mais la transition est déjà un processus entamé au moment de l’assassinat de l’amiral Luis Carrero Blanco en décembre 1973, au plus tard par la mort de Franco le 20 novembre 1975 ; et ce processus serait achevé dès 1981, une fois que l’État démocratique fut réaffirmée par Juan Carlos après l’échec du coup d’État du lieutenant-colonel Antonio Tejero, ou alors après les élections démocratiques de 1982, ou encore après la signature du traité de Maastricht en 1993, confirmant l’entrée de l’État espagnol dans le cercle économique de l’Union Européenne. Dans l’imaginaire symbolique du peuple espagnol, c’est sans hésitation la réalité de la mort du dictateur qui marque la fin et le début de deux paradigmes historiques opposés : l’un, antimoderne, non industrialisé, non sécularisé, à laquelle la dictature appartiendrait, et avec elle toute la tradition nationale-catholique-impériale espagnole. Et l’autre qui serait compris comme la modernité étatico-juridique séculaire de l’Occident industrialisé, modèle d’État et de société qui s’ouvrirait à l’État espagnol à la fin du franquisme, et dans laquelle l’Espagne de tradition ou de raison impériale serait inscrite d’une manière ratée, insuffisante ou intermittente.

Ainsi, et dans ses variantes, la transition est décrite dans la plupart des cas comme une histoire, comme une narration linéaire, faite de pauses et d’étapes, d’un début et d’une fin, d’un retour en somme vers le futur de la modernisation et du progrès. C’est peut-être le cas. Mais si l’on doit considérer la transition comme un moment d’entrée dans l’avenir, il faut aussi admettre que cette entrée se fait vers un nouvel ordre qui n’est plus celui de la modernité mais celui de sa postmodernité. La transition se lit avant tout comme un moment et un mouvement non de narrativisation, mais de dénarrativisation, voire de postnarrativisation.

« Ainsi, et dans ses variantes, la transition est décrite dans la plupart des cas comme une histoire, comme une narration linéaire, faite de pauses et d’étapes, d’un début et d’une fin, d’un retour en somme vers le futur de la modernisation et du progrès. »

Teresa M. Vilarós

Franco, dans son agonie, mettrait en évidence l’entrée dans un troisième temps, l’entrée dans l’ordre du monde, un nouveau nomos si on reprend le vocabulaire proposé par Carl Schmitt. Ce fut un moment de changement paradigmatique de l’ordre mondial poussé par une expansion capitaliste qui n’est plus de nature industrielle sinon postindustrielle, et qui affectera à la fois l’État et le citoyen. Le décès de Franco semble marquer à la fois la fin de l’érosion de l’État-nation et le début d’un État-nation néo-impérialiste, mondialisé et technologique, qui vit dans un monde post-narratif.

La figure agonisante de Franco devient dès lors l’icône d’un état virtuel à venir. Modèle presque cybernétique, le corps mort-vivant du caudillo est offert comme une voie de transition pour le capital dans son passage à son troisième stade de développement. Franco à l’hôpital de La Paz en tant que figure emblématique d’un état global de transition entre la modernité et son au-delà, et qui finalement annonce un chemin possible entre sécularisation et retour du religieux, entre pré-industrialisation et post-industrialisation. Pensée et lue dans le cadre d’un processus global, la mort de Franco ne s’écrit pas comme un récit linéaire, ni comme un lieu de mémoire situé dans des paramètres tridimensionnels, caractéristiques de la modernité. La figure cyborg de Franco est déjà produite dans la quatrième dimension du virtuel, devant le regard scopique de l’œil cybernétique, dans l’espace sans fond du paradigme virtuel de la postmodernité. Le corps décrépi et agonisant de Franco, inséré dans la machinerie technologique qui l’a artificiellement maintenu en vie durant ses derniers jours, est l’image fantomatique de la « réalité virtuelle » du réel au sens lacanien du terme. Un Réel qui, si l’on tient compte de la rupture en multiples fragments de l’Espagne unifiée, monolingue, catholique et dénuée de partis, chérie et préservée par l’idéologie du Mouvement régime franquiste, se reflète justement dans le corps de Franco, aujourd’hui divisé en une multitude de parties vitales, chacune insérée dans une machine-dieu qui le/les garde artificiellement en vie.

« Franco à l’hôpital de La Paz en tant que figure emblématique d’un état global de transition entre la modernité et son au-delà, et qui finalement annonce un chemin possible entre sécularisation et retour du religieux, entre pré-industrialisation et post-industrialisation. »

Teresa M. Vilarós

D’une manière poétique perverse, la politique devient poésie dans le corps de cyborg du dictateur. Poésie macabre, peut-être nouvelle, d’un œil de cyclope virtuel. Poésie de transition monstrueuse, mais poésie quand même, poésie cybernétique. Chanson funèbre et comptine, à la fois berceuse et commémoration, entonnées et trouvées non pas dans la fissure entre deux histoires, ou dans l’échec de deux paradigmes, mais de trois, et plus. Transition d’intersection entre les langues et en dehors de la langue. Mais surtout transition de la circulation biopolitique. Franco agonisant, Franco dans la machine, Franco mort sans le savoir, apparaît comme un moment de degré zéro. Un point zéro. Ou pour le dire plus justement, comme un punctum, un trou noir, une chute, un échec ou un abîme dans lequel tomberait la modernité dans son ensemble et qui absorberait la déformation simultanée et fugace de la fin d’une histoire et du début des autres à venir, un punctum qui, placé entre deux histoires, se forme hors de l’histoire. Hors de l’espace, donc, et hors du temps. Pointer un instant sans moment installé, dans son sens vide, non pas dans la fin de l’histoire mais dans son extérieur. Punctum intemporel et sans contenu. Punctum discontinu.

© Patricia Espejo

Si la réalité de la mort de Franco peut être pensée ou ressentie dans son échec, fissure ou oubli dans la syntaxe de l’histoire – dans le sens, par exemple, que lui a donné Michel de Certeau – ; si le Franco-comme-cyborg vit comme un temps mort, alors le degré zéro du moment de la transition descend dans l’ombre dans ce que l’on pourrait décrire comme sa « dé-contention » historique et politique. Contrairement au processus plein et matérialiste avec lequel Ernesto Laclau et Chantal Mouffe ont décrit les systèmes de contestation dans leur théorie politique du signifiant vide (un signifiant vide qui est conçu chez Laclau et Mouffe seulement dans son être rempli, seulement dans sa possibilité de soulager et de libérer le vide : d’atteinte, donc, d’une plénitude politique même si celle-ci est temporaire et successivement interchangeable), le Réel de Franco-cyborg, le réel de la transition devient présent/absent toujours comme « dé-contention » historique et toujours en transition vide. Le corps artificiellement vivant de Franco, son corps à la fois mort et vivant, habitant en permanence une transition indifférenciée vers la production technologique de la vie, s’offre comme une version postmoderne macabre du nouveau spectre qui habite maintenant le monde : l’humanité entre dans le dernier râle du siècle et du millénaire, cet antéchrist annoncé par Nietzche ou cet ange tombé de Paul Klee porté par Walter Benjamin, l’un et l’autre penseurs de la modernité, sont absorbées par le nouveau cyborg politico-technique.

Franquisme et latence transitive

Le jeudi 20 novembre 1975, à 5h40 du matin, le ministre de l’Information et du Tourisme, M. León Herrera y Esteban, a officiellement déclaré mort Francisco Franco Bahamonde, chef de l’État espagnol, généralissime des armées de terre, de mer et de l’air et dictateur absolu pour trente-six longues années de travail et de corvées espagnols. Bien qu’il soit déclaré médicalement mort jeudi matin à 3h20, ce n’est qu’à 4h58 que l’agence EuropaPress a transmis la nouvelle à la Radio Nacional de España. Pour sa part, le ministère de l’Information et du Tourisme n’a pas autorisé la publication du communiqué avant 5h40, le même ministre de l’Information et du Tourisme fixant à 5h25 du matin l’heure officielle du décès :

« C’est avec une profonde émotion que je lis le communiqué suivant », annonce León Herrera, « 20 novembre 1975. Les Maisons Civiles et Militaires informent à cinq heures vingt-cinq que, selon les médecins de garde, Son Excellence le Généralissime vient de mourir d’un arrêt cardiaque, comme le terme de son choc toxique dû à une péritonite. » (Radio Nationale d’Espagne)

Franco était mort. Point final. Fin d’un mouvement et début d’une nouvelle mélodie. Certains pleuraient. Les larmes coulaient, comme celles du président Carlos Arias Salgado. Comme celles de la famille. Comme celles des vieilles dames portant voile et missel, et apportant des biscuits et de l’anis au milieu de l’après-midi. Comme celles des innombrables et fidèles anonymes qui, l’un après l’autre, passent, chapeau à la main et ruban noir sur le bras, devant le corps installé dans la chapelle ardente du Pardo. Mais surtout des larmes de soulagement rapides et bien mal déguisées pour beaucoup, pour presque tous. Celles des héritiers autoproclamés du franquisme. Celles des futurs héritiers de l’opposition au franquisme. Comme ceux de tous ou presque tous ceux qui ont vécu en Espagne pendant plus d’une décennie dans un avenir antérieur, un avenir à crédit. Il y a peut-être aussi des larmes pour les réparations inachevées, celles de ceux qui ont été dépossédés de leurs êtres, de leurs biens et de leurs idéaux par la guerre. Et certains peuvent même verser des larmes de pénitence. Et peut-être que certains, bien peu, restent indifférents, ce qui paraît impossible.

D’autres, virils et masculins, ne pleurent pas. Ils pleurent (ou non) pour le temps perdu et pour le seigneur de guerre mort, le bras dressé et en chemise bleue. Ils conspirent des silences secrets, ils se manifestent en public en faveur de cette Espagne qui a été pour eux, un temps, unie, grande et libre mais qui est, bien qu’ils ne veulent pas le savoir, une parmi beaucoup, et pas si grande, quand bien même elle serait depuis une décennie ou deux une patrie du marché capitaliste libre. Ce sont intraitables hommes d’honneur, du moins c’est ce qu’ils proclament. Comme Blas Piñar. Comme Antonio Girónde Velasco. Comme d’autres arborant la croix et l’épée qui furent d’abord à l’attaque (Montejurra, 1976) avant de battre en retraite.

Et beaucoup, beaucoup d’autres ont simplement continué leur vie de toujours. Ils ont suivi le système, encadré et bien encadré depuis les 1960 par Franco et son gouvernement de technocrates développementaliste – ou plutôt depuis 1950, depuis la guerre entre les États-Unis et la Corée du Nord – a progressé dans la transition sans trop de frayeurs et de chocs. Seuls les morts, eux, n’ont pas pu, bien sûr. Morts du GRAPO et par le GRAPO. De l’ETA et par l’ETA. De Terra Lliure et par Terre Lliure. Du FRAP et par le FRAP. Morts pour le Christ Roi. Pour les avocats spécialisés en droit du travail. Les gardes militaires et civils. Et les civils tout court.

Excepté aussi l’échec du coup d’état du 23 février 1981 4, si subit, et qui heureusement s’est conclu sans effusion de sang. Ce 23-F 5, si inadéquat et si hors du temps et du lieu, spectacle pré-formatif d’un théâtre de corral postmoderne. Ou le meilleur du théâtre de marionnettes espagnol avec son mauvais, très mauvais, très mauvais, tricorne verni. Scénario tronqué, véritable saynète, qui devint une réalité devant un public ahuri dans l’un des moments télévisés les plus scrutés de l’histoire. Le 23-F comme une émission de télé-réalité conçue avant que le concept n’existe, vécu avec la peur à l’âme par tous sauf quelques-uns.

Antonio Tejero lors de la tentative de coup d’État du 23-F (23 février 1981)

« Scénario tronqué, véritable saynète, qui devint une réalité devant un public ahuri dans l’un des moments télévisés les plus scrutés de l’histoire. Le 23-F comme une émission de télé-réalité conçue avant que le concept n’existe, vécu avec la peur à l’âme par tous sauf quelques-uns. »

Teresa M. Vilarós

Ce sont des cris et des gestes dans le vent, cependant, ceux de la section de Tejero. Un spectacle creux offert par ceux qui ne savent pas, ceux-là même qui n’ont jamais rien su, par ceux qui s’en vont quand tout le monde revient ; l’Irak était encore loin, et le Chili et l’Argentine, devenues des dictatures, s’effaçaient dans le temps intemporel de l’apolitique. Tout le monde pouvait en rire, mais cela n’arriva que plus tard, seulement quand le Roi se souvint de ce dont il fallait se souvenir. Ces soldats naïfs, venus sans être invités, ne convenaient pas au processus démocratique et consensuel qu’était la transition, lorsque Tejero et son groupe croyaient qu’ils allaient tirer le franquisme de sa tombe. Lui, viril et courageux, comprenait les idées simples et le vacarme, pistolet en l’air et criant : « Assieds-toi, [sic] nom de dieu » (bien qu’Adolfo Suárez et le Général Manuel Gutiérrez Mellado ne fussent pas assis ni dégonflés, malgré ce coup de semonce). Tejero, obéissant aux ordres, allait restaurer le franquisme, remettre les choses à leur place d’avant le 20-N de 1975… Le caudillo est mort, vive le caudillo, pensait-il ! Mais, fidèle serviteur de ses commanditaires, Tejero ne comprenait cependant pas ce qu’il se passait. Il ne comprenait pas qu’après la mort de Franco, le pays entrait joyeusement dans le nouvel ordre global du capital mondialisé auquel le franquisme lui-même avait servi de pont et de transition depuis les années soixante. Formé à la discipline et à la punition, Tejero, déjà vu à la télévision, appartenait au groupe du « arrêtez ou je tire ». Ce groupe de bourreaux et de tortionnaires excellant dans l’art sinistre d’enlever la vie qui grouillait dans la triste Espagne de la guerre et de l’après-guerre.

© Patricia Espejo

Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, tout comme ce ne l’était plus au milieu et à la fin du franquisme des années soixante et soixante-dix ; et ce, malgré le fait que la période d’essor et d’installation de l’État providence pour l’Espagnol moyen, obtenue grâce au tourisme et à l’émigration, est ponctuée de coups de matraque et encadrée par deux exécutions : celle de Juan Grimau en 1963 6 et celle de Salvador Puig Antich 7 en 1975. Dans la première année des années 80, Tejero n’a plus sa place. Il n’y a pas de place pour les gardes bruyants, mais plutôt pour les gardiens silencieux et efficaces qui ont déjà envahi la scène panoramique et touristique dans les années soixante, comme Luis García Berlanga l’avait montré en 1964 avec son film El verdugo 8.

En 1981 Tejero ne s’était pas rendu compte que l’État franquiste, depuis les années soixante, n’avait plus besoin pour survivre, et bien que les exécutions fussent maintenues jusqu’à la mort du dictateur, d’une technologie de mort primaire pour maintenir l’ordre. Au contraire, le franquisme des années soixante, pleinement intégré dans le modèle économique du capital financier promu par les États-Unis, a opté pour un modèle d’État capitaliste et post-industriel plus intéressé par la production de formes de vie que par leur suppression. Un modèle organique d’État qui, recyclé de la tradition impériale espagnole, cherche l’incorporation toujours organique, et donc biopolitique, du sujet. C’est un modèle de l’État qui n’opte pas, bien qu’il les utilise sans modestie, pour des systèmes primaires de répression idéologique et technologique – ceux qui se consacrent avant tout à prendre la vie, mais plutôt des systèmes secondaires : ceux qui se consacrent à la production et à la consommation des formes de vie qui la soutiennent.

« Le franquisme des années soixante, pleinement intégré dans le modèle économique du capital financier promu par les États-Unis, a opté pour un modèle d’État capitaliste et post-industriel plus intéressé par la production de formes de vie que par leur suppression. Un modèle organique d’État qui, recyclé de la tradition impériale espagnole, cherche l’incorporation toujours organique, et donc biopolitique, du sujet. »

Teresa M. Vilarós

Tejero ne comprend pas, au moment de faire son coup d’État, que depuis les années soixante le franquisme, sans abandonner sa vocation impériale et nationale-catholique, explique la souveraineté espagnole comme un modèle organique d’État qui agira désormais à partir des systèmes informatiques et de communication. Une technologie secondaire qui, comme le souligne sans encombre l’Annuaire de la Radio et de la Télévision espagnole de 1969, est celle qui s’affirme comme la seule capable, non seulement d’assurer la formation et l’intégration organique d’une caste de nouveaux Espagnols, mais aussi de soutenir l’État sous toutes ses formes :

« L’État [espagnol], jaloux comme tous les États du monde du plein exercice d’une souveraineté nationale qui, comme dans tant d’autres activités publiques, se manifeste dans l’utilisation de la radio et de la télévision, signifie dès le premier instant la tâche de diffuser […]. Ainsi, la monarchie constitutionnelle, par décret du 27 février 1923 ; la République, par loi du 26 juin 1934, et le Nouvel État issu de la guerre de 1936-1939, maintiennent le même principe. » (Anuario de la Radiotelevisión Española, Ministerio de Información y Turismo, 1969)

En 1981, Tejero ne comprend pas que les vieux chefs et seigneurs de guerre à l’origine de son coup d’État, ces militaires avant tout, comme le général de corps d’armée Jaime Miláns del Bosch, unis dans les idéaux nationaux catholiques des premiers moments du soulèvement national de 1936, ont été écartés depuis vingt ans par les nouveaux dauphins du système. Princes des technologies de l’information et de la communication, technocrates d’un État qui fonde sa souveraineté sur les Principes organiques du Mouvement et sur le principe de l’évitement. Les nouveaux « Anti-Machiavel », comme le voulait Manuel Fraga 9, leader incontesté du nouvel ordre technologique. Ayant grandi, sans avoir renoncé à leurs origines impériales et nationale-catholiques, dans le sein du capitalisme de développement et du capitalisme technologique. Des gens comme Laureano López Rodó et surtout Fraga Iribarne lui-même qui, représentant dans les années soixante de deux versions du développementalisme, savaient – comme le savaient beaucoup de ceux qui se cachaient sous les sièges du Parlement devant le fusil menaçant des rebelles – que Franco, dans son agonie, était déjà mort depuis quelque temps sans le savoir. Des personnages qui, d’abord provisoirement et à partir du cabinet du gouvernement de 1962, avaient accéléré la déformation, ont permis que la modalité capitaliste créée par le franquisme dès la signature des accords avec les États-Unis devienne une réalité : sous la forme initiale du premier Plan de Développement de 1953 et dans sa phase de consolidation avec le second Plan de 1959. Ces protagonistes du développementalisme technocratique ont sûrement et inexorablement fait la transition du premier État dictatorial des années 1940, pensé comme anticapitaliste et antimoderne de la tradition impériale catholique nationale, vers le modèle capitaliste mondialisé, postmoderne et néo-impérialiste conduit par les États-Unis.

« Ces protagonistes du développementalisme technocratique ont sûrement et inexorablement fait la transition du premier État dictatorial des années 1940, pensé comme anticapitaliste et antimoderne de la tradition impériale catholique nationale, vers le modèle capitaliste mondialisé, postmoderne et néo-impérialiste conduit par les États-Unis. »

Teresa M. Vilarós
Signature de l’accord entre l’Espagne et les États-Unis pour le Plan de développement, Madrid, 26 septembre 1953

Ils sont les architectes du décollage espagnol vers l’économie néolibérale, ceux qui connaissent la latence transitive du franquisme, surtout dans la période comprise entre 1962 et 1978. La période et l’état des flux biopolitiques et de la technologie entièrement secondaire, ont ainsi été ironiquement et macabrement matérialisés dans la longue agonie du Caudillo. Franco hiberne dans un sanatorium de l’hôpital de La Paz, avec ses constantes vitales maintenues à 33 degrés celsius, température interne adéquate pour la conservation. Un corps pas complètement mort mais pas tout à fait vivant, branché et connecté aux machines qui le maintiennent pour permettre la circulation et la conservation biopolitique afin de réaliser un transfert de pouvoirs crucial à la volonté hégémonique des États-Unis en faveur d’un nouvel ordre mondial. Franco comme cyborg. Franco comme figure cybernétique, permettant la transition de la biopolitique du franquisme dictatorial vers la biopolitique de l’ère démocratique post-industrielle. C’est précisément la clé politique, ou mieux dit, post-politique, qui caractérise la transition espagnole. Franco-mort-sans-le-savoir, apparaissant en 1975 dans son lit d’hôpital devant le monde comme le premier, le plus récent et le plus approprié des nouveaux États post-industriels d’une mondialisation qui n’est plus naissante. États fantomatiques, États virtuels. Des États qui sont déjà des lieux incorporés au capital financier et qui, écartant les vieilles dames que devenaient les vénérables États-nations de la modernité, apparaissent dans le monde au début de l’ère post-industrielle. Franco comme Caudillo-cyborg, figure semi-virtuelle et fantasmatique, spectre du nouvel ordre du monde, du nouvel état des choses poussé par le capital mondialisé et sauvage venu des États-Unis que le franquisme a joyeusement accueilli depuis les années 50.

« Franco comme Caudillo-cyborg, figure semi-virtuelle et fantasmatique, spectre du nouvel ordre du monde, du nouvel état des choses poussé par le capital mondialisé et sauvage venu des États-Unis que le franquisme a joyeusement accueilli depuis les années 50. »

Teresa M. Vilarós

Pour cette raison, la pantalonnade militaire, transformée en baroud d’honneur du vieux monde, mise en scène au Congrès des députés le 23 février dernier, est devenue inutile. Inutile parce que les héritiers du régime franquiste savaient déjà que ce temps intemporel était celui de la simple accommodation et réorganisation de la zone déjà active de l’Espagne post-franquiste et presque déjà démocratique. Pas le moment du « les mains en l’air ou je tire », mais celui du « les mains en l’air et attendez », comme les vingt jours symboliques que Franco a passés à agoniser. Un moment devenu moment d’attente pour permettre à l’ambassadeur Manuel Fraga, magicien de la circulation biopolitique et qui a fourni les circuits de banalisation nécessaires à cette circulation, d’arriver de Londres. Grand Maître du développementalisme, de la communication et du spectacle, de l’Information (en majuscules) et du Tourisme (également en majuscules). Successeur volontaire de Franco, mais qui n’a pas réussi à l’être. D’abord à cause de l’art combiné de l’Opus Dei, également développementaliste et technocrate, puis du télévisuel Adolfo Suárez et du jeune roi et son équipe ; et enfin, en 1982, à cause de la volonté expresse du peuple, confirmée dans son désir de porte-malheur par Fraga et ses néoconservateurs d’Alianza Popular 10 ainsi que les néocentristes de l’UCD 11, qui ne pouvaient plus compter sur Suárez comme leader.

© Patricia Espejo

Fraga, anti-Machiavel parfait, comme aimait à le dire son ami Carl Schmitt, apparaît comme la figure essentielle de la transition. C’est Manuel Fraga qui, à partir des années soixante, articule la technologie de la banalité en Espagne et qui, avec son équipe et à partir du travail du ministère de l’Information et du Tourisme, intègre organiquement l’État espagnol dans l’ordre financier post-industriel inhérent au macro-État total capitaliste issu de la mondialisation. C’est le groupe de Fraga des années 60, et non celui de Tejero des années 80, qui comprend la tâche technologique des flux biopolitiques du nouvel ordre d’un monde globalisé.

« Fraga, anti-Machiavel parfait, comme aimait à le dire son ami Carl Schmitt, apparaît comme la figure essentielle de la transition. C’est Manuel Fraga qui, à partir des années soixante, articule la technologie de la banalité en Espagne et qui, avec son équipe et à partir du travail du ministère de l’Information et du Tourisme, intègre organiquement l’État espagnol dans l’ordre financier post-industriel inhérent au macro-État total capitaliste issu de la mondialisation. »

Teresa M. Vilarós

Ces figures politiques emblématiques d’un État déjà post-politique, Fraga et le groupe technocratique et développementaliste des années 60 ont très vite réalisé le passage du capital de son deuxième à son troisième stade de développement ; c’est-à-dire du mode industriel à la période post-industriel. Ils ont bien compris que, dans la volonté d’ordre imposée par le capital mondialisé, le contrôle de l’Etat s’exerce à travers le contrôle d’un appareil technologique médiatique capable de produire de nouvelles formes de vie. Dans la transition d’un ordre mondial à l’autre, l’exercice de la banalité a trouvé dans l’État franquiste de décennie Fraga un des meilleurs espaces de transition biopolitique.

Les années soixante espagnoles, ce moment fondamental de la transition du capital de sa deuxième à sa troisième étape, ont médiatisé l’avenir de l’État démocratique en Espagne dans la latence transitive incarnée par la figure du Franco-cyborg. Franco à l’hôpital de La Paz représente, de par son corps-machine, un exercice technologique sublime : exercice initié avec l’embrassement du capitalisme dans les années soixante et qui confirmera la banalité comme mode de circulation biopolitique de l’ère postmoderne. La circulation biopolitique de la banalité a conduit à l’industrie touristique (post-industrie) et à celle de son compagnon ineffable, la promotion immobilière (post-industrie). Tous deux soutenus par les flux de devises étrangères provenant de l’émigration espagnole vers la France, l’Allemagne et la Suisse ; mais tous deux, avant tout, poussés au dernier terme par un paiement à la fois symbolique et réel : celui donné par les États-Unis à l’État Franco, pour sa valeur géopolitique et stratégique, en échange du consentement de Franco à sa volonté de gestion et contrôle capitaliste mondial du nucléaire.

Le bain de Fraga : Palomares, 1966

Le 3 mai 1995, les funérailles d’Angier Biddle Duke, ancien ambassadeur des États-Unis en Espagne de 1965 à 1968, ont eu lieu à la cathédrale St. John the Divine à New York. Lors de la cérémonie, le secrétaire de l’ambassade de l’époque, Timothy Towell, a raconté en hommage à Duke une anecdote amusante de ces années qui avaient ce dernier comme protagoniste. L’histoire de Towell, expliquée avec élégance, n’est pas si légère si l’on comprend qu’elle fait partie d’un épisode compliqué de la guerre froide qui aurait pu avoir l’une des conséquences les plus graves de cette période. L’épisode en question est celui du largage accidentel de quatre bombes à hydrogène sur la côte d’Almeria, à Palomares, le 17 janvier 1966, à la suite de la collision entre un avion-cargo nucléaire B-52 et l’avion-mère qui l’avait relâché. L’anecdote, quant à elle, fait allusion au bain pris le 7 mars 1966 par l’ambassadeur américain Duke et le ministre espagnol Fraga sur la plage de Mojácar, et qui, selon Towell, a eu lieu comme suit :

« Le 17 janvier 1966, à la base militaire de Torrejón, un bombardier B-52 explose lors du ravitaillement en vol et quatre bombes à hydrogène tombent sur la ville de Palomares. L’U.S. Military Air Force s’est vite rendu compte que l’événement avait un caractère militaire. Le génie diplomatique d’Angie [Angier Biddle Duke] a fait que l’ambassadeur a immédiatement pris en considération la question de la souveraineté espagnole car c’était l’accident d’un vol nucléaire au-dessus du territoire européen, problématique en pleine guerre froide. […]

Les États-Unis ont rapidement récupéré les trois bombes larguées sur terre, mais une quatrième bombe, larguée en Méditerranée, était déjà dans les profondeurs. Ce n’est que grâce aux grands efforts des Navy Seals de la marine américaine, aidés par la technologie la plus avancée de l’époque et des sous-marins d’eaux profondes, qu’il a été possible de récupérer la bombe. Les Espagnols craignaient qu’un éventuel rayonnement atomique de la bombe tombée dans la mer n’endommage leur industrie touristique florissante, qui était à la base du boom économique des années 1960 en Espagne. Angie [Duke] eut la grande idée d’utiliser l’inauguration imminente [le 17 mars] du Parador Nacional 12 [de Mojácar] […] pour montrer au monde que la crainte de pollution nucléaire était sans fondement. Angie a invité le ministre espagnol de l’Information et du Tourisme, Manuel Fraga, à se baigner avec lui en Méditerranée avant l’ouverture du Parador et devant la presse mondiale.

Angie et son équipe sont arrivées à l’heure prévue, mais Fraga n’a donné aucun signe de vie. Après l’avoir attendu un moment, et comme il n’arrivait pas, nous avons décidé de nager sans lui et Angie s’est photographié et a été interviewé par la presse. Puis nous nous sommes habillés et sommes montés sur la terrasse du Parador, prêts pour les cérémonies d’ouverture dès l’arrivée de Fraga. Au bout d’un moment, Fraga n’était toujours pas apparu, quand soudain nous l’avons vu en bas sur la plage, habillé d’un grand maillot de bain [Meyba], entouré par la presse et marchant vers l’eau. L’idée d’Angie d’organiser un bain symbolique entre les États-Unis et l’Espagne risquait de devenir en un rien de temps un événement 100 % espagnol. Heureusement pour nous, j’ai vu qu’à environ vingt-cinq mètres de l’eau se trouvait une demi-douzaine de marines américains se reposant au soleil dans leurs hamacs. Angie a frénétiquement enlevé son costume fait sur mesure à Bond Street à Londres, emprunté un maillot de bain mouillé à l’un des Navy Seals, l’a mis et a couru comme un fou pour essayer de rattraper le ministre Fraga et son nuage de journalistes. Ils se sont tous les deux rencontrés au bord de l’eau – je n’oublierai jamais le visage dégoûté de Fraga – et le lendemain, la Une des journaux du monde montrait Angie et Fraga se baignant ensemble en Méditerranée et montrant à tous que la belle côte espagnole n’était pas radioactive. »

Le bain de Palomares du 7 mars 1966 peut être considéré comme un épisode excentrique et quelque peu bouffon. Cependant, il n’en est rien si l’on considère la situation d’urgence mondiale qu’a provoqué la chute des bombes à hydrogène, à la fois en raison de la terrible possibilité de fuite radioactive et parce que l’accident est intrinsèque au contexte du confinement nucléaire entre les États-Unis et l’Union soviétique. Dans un moment aussi délicat, une décision politique devait être prise rapidement, et le bain conjoint du ministre et de l’ambassadeur fut le résultat d’une telle décision.

La décision a eu dans sa projection médiatique calculée un caractère nouveau et spectaculaire, faisant passer inaperçue son importance fondamentale d’ordre biopolitique. Le bain, malgré sa légèreté ou précisément à cause d’elle, et en tant que production technologique de médias et de divertissement, est présenté comme un épisode particulièrement cohérent avec l’observation proposée par Carl Schmitt, dans l’édition 1963 de sa critique de la politique libérale de 1932, que la guerre froide était présentée comme « une nouvelle façon de faire la guerre. » Si l’on se souvient également que Towell a décidé de qualifier l’accident de Palomares en 1995 d’« acte de guerre », le spectacle médiatique du bain du ministre et de l’ambassadeur s’est reconfiguré en une décision biopolitique d’un nouvel ordre. Faisant partie d’une Guerre Froide qui, selon Schmitt, « se moque de toutes les distinctions classiques entre guerre, paix et neutralité, entre politique et économie, entre militaire et civil, entre combattant et non-combattant », la mise en scène du bain reflète clairement non seulement la dédifférenciation croissante, schmittienne, entre les domaines politiques, économiques et militaires modernes traditionnels, ainsi que culturels, mais également l’interaction progressive et la dépendance organique entre eux, de nature biopolitique.

« Profitant du fait que les médias et l’information technologique de l’Espagne franquiste étaient presque entièrement contrôlés par l’État, Duke et Fraga ont montré de manière spectaculaire au monde que la côte méditerranéenne espagnole était non seulement exempte de contamination radioactive mais qu’un capital financier était disponible pour le projet de reconversion touristico-immobilier espagnol. »

Teresa M. Vilarós

En tant que décision biopolitique prise face à un événement nucléaire qui fait lui-même partie de la guerre froide, le spectacle médiatique de Palomares peut être interprété comme un moyen d’administrer le terrorisme. Si la terreur, comme l’indique Miguel Ángel Ramos, est une forme de prévoyance, l’épisode de guerre froide du bain du jour de l’inauguration du Parador de Mojácar apparaît comme un geste de prévoyance capitaliste dans un scénario qui, impliqué dans l’économie mondialisée des années 1960 et la course à l’hégémonie nucléaire entre les États-Unis et l’Union soviétique, pointe résolument vers la préservation biopolitique d’une forme de vie alors émergente : le tourisme de masse.

On peut cependant souligner à juste titre que la guerre et la technologie médiatiques ne sont pas étrangères l’une de l’autre, et que la maîtrise cinématographique de Thomas Edison, par exemple, avait déjà permis à la fin du XIXe siècle de produire et de diffuser massivement des rapports fictifs sur la guerre hispano-américaine de 1898. Cependant, contrairement au mode politique d’Edison, moderne dans sa portée ou « première technologie » si l’on utilise la terminologie utilisée par Michel Foucault à la fin de sa vie, le spectacle de Palomares, épisode né de la guerre froide et faisant partie de la course au nucléaire et de l’industrie touristique florissante des années 60, est proposé comme un mode post-moderne et biopolitique de gestion du terrorisme. Un mode qui appartient déjà au paradigme du capitalisme mondialisé et qui s’implique, en tant que « seconde technologie » toujours selon Foucault, dans la production de formes de vie.

© Patricia Espejo

C’est précisément ce qui est rendu explicite dans la réponse donnée par le secrétaire américain à la Défense au producteur Samuel Bronston, lorsque ce dernier a demandé l’autorisation de produire un film basé sur l’épisode de Palomares. Un mois après le bain au Parador de Mojácar, dans une lettre datée du 14 avril 1966, Donald E. Baruch, directeur de l’Office de production et de gestion des services d’information, dit à Bronston : « Vos intentions patriotiques de produire un film qui, selon vous, sera bénéfique aux relations entre l’Espagne et les États-Unis sont très appréciées. Cependant, nous pensons qu’une représentation de l’accident avec les problèmes qui en découlent peut avoir un effet négatif sur le marché mondial. »

Le mode de vie particulier qui se déroulait alors en Espagne, celui du touriste, basé sur l’aide économique et la technologie nucléaire militaire des États-Unis, s’était déjà révélé au milieu des années soixante comme extrêmement bénéfique pour le marché mondial que Baruch était chargé de défendre. Et avec l’épisode du largage du bombardier, cette économie aurait sans doute été sérieusement endommagée si certaines décisions préventives sur la façon de gérer la terreur pendant la situation exceptionnelle créée par l’accident n’avaient pas été prises. Mais elles ont été prises. Profitant du fait que les médias et l’information technologique de l’Espagne franquiste étaient presque entièrement contrôlés par l’État, Duke et Fraga ont montré de manière spectaculaire au monde que la côte méditerranéenne espagnole était non seulement exempte de contamination radioactive mais qu’un capital financier était disponible pour le projet de reconversion touristico-immobilier espagnol.

Banalité et biopolitique

Puisque l’industrie du tourisme de masse était impliquée dans une économie mondialisée qui, à son tour, doit être comprise comme faisant partie de la guerre froide, la situation d’urgence mondiale générée de manière latente par l’accident du Palomares dépasse, même s’il faut en tenir compte, le fait de la souveraineté espagnole. Si, comme le propose Schmitt, c’est précisément « le pouvoir de décision en cas d’état d’urgence qui détermine la question de la souveraineté » ; et si ce qui importe « ce n’est pas la fin, mais les moyens », la décision sur ces moyens aurait été prise par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément après la guerre de Corée, dans ce que l’on peut décrire comme leur première tentative explicite de développement impérial. Dans l’épisode de Palomares, la capacité immédiate d’action militaire et d’intervention médiatique au niveau mondial de la part des États-Unis n’est pas surprenante, mais la sérénité avec laquelle l’État franquiste a agi dans cette situation exceptionnelle l’est peut-être. Cependant, dans les années 1950, une étroite collaboration économico-militaire s’établit entre les deux pays, avec la cession de territoires espagnols comme toile de fond pour l’établissement de bases militaires américaines, prévues avant tout comme entrepôts d’approvisionnement et pour la circulation aérienne des armes nucléaires. Le contexte des premières années de la guerre froide fait apparaître l’Espagne franquiste, isolée de l’Europe, comme une parfaite enclave militaire pour les États-Unis, parfaitement adéquate aussi à être un lieu de progression du capitalisme et d’expansion biopolitique.

« Le contexte des premières années de la guerre froide fait apparaître l’Espagne franquiste, isolée de l’Europe, comme une parfaite enclave militaire pour les États-Unis, parfaitement adéquate aussi à être un lieu de progression du capitalisme et d’expansion biopolitique. »

Teresa M. Vilarós

En 1966, pratiquement quinze ans après la signature du premier accord avec les États-Unis, la position géopolitique de l’Espagne dans la sphère transnationale de la circulation biopolitique était déjà garantie et établie. Les choses avaient rapidement changé en Espagne, le régime franquiste passant d’un modèle d’État autarcique à un modèle technocratique à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Si l’on accepte pour les années 1960 l’avertissement schmittien de 1932 selon lequel le sens définitif de notre époque deviendrait évident lorsqu’il deviendrait clair quel type de politique (ou même d’État ?) acquerrerait une force suffisante pour s’approprier la nouvelle technique, le gouvernement technocratique formé le 10 juillet 1962 fut ainsi le premier à être explicitement constitué en Espagne franquiste selon un modèle développementaliste en accord avec une volonté croissante des États-Unis de caractère impérial et visant l’appropriation totale des technologies nucléaires militaires et de l’information médiatique. C’est à partir de ce premier cabinet en 1962, et des gouvernements « technocratiques » ou « développementalistes » qui en ont résulté tout au long de la décennie, que la reconversion de l’économie espagnole vers le mode post-industriel ou postmoderne initiée dans les années 1950 avec le premier plan de développement est devenue explicite. Une telle reconversion, cependant, ne pouvait pas être soutenue dans le modèle impérial de l’air fasciste poussé par le franquisme dans sa première période. Ayant besoin d’un modèle social différent, le franquisme technocratique des années soixante s’écarte du mode d’exposition publique disciplinaire exercé notamment dans les années quarante et une partie des années cinquante (en insistant par exemple sur la notion de croisade plus ou moins fasciste). D’autre part, il parie sur une pratique étatique basée sur l’exposition spectaculaire et médiatique d’un État providence capitaliste organiquement indistinct et indiscernable d’un état sécuritaire. Ce modèle est alors devenu explicite avec la promulgation de la loi organique de l’État. Et d’une manière quelque peu surprenante, si l’on tient compte de l’intervention déficiente et insuffisante de l’Espagne dans le paradigme industriel de la modernité, le couple État sécuritaire/État providence, de nature entièrement biopolitique et basé sur une conception technologico-organique, est effectivement géré par l’État franquiste comme une forme sans équivoque de consommation et de consommation capitaliste.

Dans ses écrits posthumes, Michel Foucault décrit la circulation biopolitique de la postmodernité comme une « seconde technologie », circulation qui s’éloigne radicalement du modèle biopolitique disciplinaire et punitif décrit précédemment par Foucault lui-même lorsqu’il évoquait la modernité occidentale. En Espagne, la circulation de la biopolitique ou de la seconde technologie émerge fortement pendant la période du franquisme développementaliste et trouve son expression maximale dans la création du Ministère de l’Information et du Tourisme, qui, déjà en son nom, témoigne de cette relation étroite des domaines technologiques soulignée par Schmitt en 1932 et beaucoup plus tard, en 1976, par Foucault. Le ministère, fils de la politique développementaliste, a eu Manuel Fraga comme deuxième ministre. Lui et son équipe ont été en charge du changement d’image du régime franquiste, l’information et le tourisme étant des éléments clés de l’ouverture effective de l’économie espagnole à l’heure de l’émergence du capitalisme mondialisé.

Manuel Fraga Iribarne
Manuel Fraga Iribarne

Sous la baguette de Fraga Iribarne, l’État technocratique franquiste se pressera de protéger le citoyen d’éventuels dangers internes selon un modèle capitaliste néolibéral basé sur le couple État sécuritaire/État providence. Le lien profond entre le capitalisme financier et la technologie médiatique est clairement présent dans toute la production de divertissement et d’information culturelle du ministère, depuis les slogans publicitaires des « Vingt-cinq ans de paix », et le « Vote Oui » du référendum de 1966 13, tous deux créés par Fraga, ou le documentaire Franco, ese hombre, par José Luis Sáenz de Heredia, également tourné en vue du référendum, jusqu’à la série entière des films de la dite « espagnolade ». Le caractère néolibéral (ou néoconservateur) du franquisme développementalisme des années soixante en général et du ministère de l’Information et du Tourisme en particulier a rapidement été remarqué par les partis de gauche, et surtout par Santiago Carrillo, alors président du parti communiste espagnol, qui, exilé, a averti que les nouveaux technocrates du gouvernement devaient être pris très au sérieux politiquement. Carrillo identifie correctement le spectacle médiatique que Fraga a mis à tous les niveaux en mouvement à travers l’Information et le Tourisme comme la preuve du changement de direction du franquisme vers un nouveau paradigme capitaliste. Et depuis España independiente, dans un article archivé par l’ambassadeur Duke en traduction anglaise, Carrillo écrit : « En Espagne, il y a un mouvement en développement qui veut abandonner les structures fascistes pour aller vers une sorte de néolibéralisme ».

Le rôle de l’Espagne dans l’économie capitaliste néolibérale alors en émergence est dû en partie à la reconnaissance par les administrateurs de l’État franquiste d’une volonté impériale de faire progresser les États-Unis vers des formes d’hégémonie et/ou de domination mondiale. Comme Schmitt l’avait également reconnu – qui, ce n’est pas par hasard, était un très bon ami de Fraga –, à partir de 1945 et à cause du bombardement nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki, un espace s’est ouvert dans le monde pour le règlement possible d’une nouvelle souveraineté mondiale. Les États-Unis et l’URSS savent que l’hégémonie et/ou la domination politique dépendent de l’appropriation des technologies nucléaires et informatiques. En 1957, Schmitt écrit dans un essai sur les solutions possibles à la guerre froide, qui a commencé cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale :

« Il y a trois possibilités. La première (…) serait que l’un des deux adversaires dans la situation mondiale antithétique actuelle [les États-Unis ou l’URSS] se déclare vainqueur. Le dualisme Est-Ouest ne serait alors que le dernier scénario avant ce qui apparaîtrait comme l’ultime et complète unité du monde, la dernière étape, le dernier pas, pour ainsi dire, dans les cercles terribles vers un nouveau nomos sur terre. Le prétendant victorieux serait le seul souverain. Il s’approprierait le globe entier – la terre, la mer, l’air [et l’espace] – et diviserait et administrerait le monde selon ses plans et ses idées. » (Carl Schmitt, “Der neue Nomos der Erde”, 1955)

Sachant que, dans ce scénario inquiétant, Schmitt offre la victoire des États-Unis comme deuxième possibilité et qu’il présente la troisième, fondée sur le dialogue, comme très improbable lorsqu’il affirme que « la pensée purement technique ne connaît aujourd’hui aucune autre solution que la souveraineté absolue » et que « l’efficacité des technologies modernes fait apparaître l’unité complète du monde comme une conclusion inévitable », l’avancée impériale américaine latente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et explicitement depuis la guerre en Irak de 2003, semble confirmer la domination de son appropriation technologique nucléaire, et donc aussi sa domination militaire et économique, ainsi que la circulation biopolitique qui l’accompagne.

« Le rôle de l’Espagne dans l’économie capitaliste néolibérale alors en émergence est dû en partie à la reconnaissance par les administrateurs de l’État franquiste d’une volonté impériale de faire progresser les États-Unis vers des formes d’hégémonie et/ou de domination mondiale. »

Teresa M. Vilarós

Vue depuis l’ordre du nomos proposé par Schmitt, la période entre 1945 et 1989 (année du démantèlement de l’Etat communiste soviétique), ou plus précisément, la période entre 1945 et 2003 (année du premier acte d’une guerre impériale mondiale menée explicitement et pour la première fois préventivement par les États-Unis) serait vue comme une période de latence. En considérant l’arbitrage souverain entre les États-Unis et l’URSS, la seconde moitié du XXe siècle se comprendrait comme un interrègne de décisions provisoires et donc comme un moment intermédiaire de souveraineté. Dans ce moment où le geste américain de progression vers la souveraineté absolue n’a pas encore été exécuté, la période de la guerre froide oscille entre le mode impérial explicite mis en marche de nos jours par l’administration de George W. Bush avec sa doctrine de sécurité nationale et les gestes provisoires d’accumulation capitaliste impérialiste des États-Unis des cinq dernières décennies du XXe siècle.

«  Todo por la Patria  » © Patricia Espejo

Dans ce contexte, la compétition pour l’occupation médiatique scénarisée dans l’anecdote du bain entre l’ambassadeur américain et le ministre espagnol de l’épisode de Palomares prend une signification particulière. D’une part, l’accident nucléaire exige clairement qu’une décision soit prise dans une situation exceptionnelle. D’autre part, cette situation exceptionnelle ne constituait pas en soi l’état d’urgence nécessaire à la constitution de la décision souveraine, selon les paramètres schmittiens. L’industrie du tourisme de masse en Espagne dans les années 1960 émerge de la période de l’interrègne mondialisé, que Schmitt présente déjà en 1963 comme un temps sans État, ou en tout cas comme un temps qui attend un nouvel ordre mondial à venir :

« L’ère de l’État touche à sa fin. Cela ne vaut pas la peine de gaspiller plus de mots à ce sujet. Ainsi s’achève toute une superstructure de concepts se référant à l’État, érigée au cours d’un travail intellectuel de quatre siècles par l’unité du droit international et de l’État « eurocentrique ». Le résultat est que l’État en tant que modèle d’unité politique, l’État en tant que détenteur du plus étonnant de tous les monopoles, celui de la décision politique [s’achève]… et est détrôné. Cependant, ses concepts demeurent, et se conservent comme concepts classiques. Il est vrai qu’aujourd’hui, le terme classique est généralement quelque peu équivoque et ambivalent, pour ne pas dire ironique. » (Carl Schmitt, “Der neue Nomos der Erde”, 1955)

Selon son raisonnement, l’ère de l’État serait alors liée au système juridique éclairé qui rendait possible le flux biopolitique qui lui est inhérent comme figure juridique du citoyen. C’est aussi le point de départ de Giorgio Agamben dans son développement de la notion de vie nue (bare life14 et de la notion biopolitique schmittienne. Fondamentalisant la possibilité de s’écarter de ces deux notions à partir de la notion d’habeas corpus présente dans le système juridique européen depuis 1679, Agamben insiste pour lier la biopolitique et la vie nue à l’histoire juridique de la modernité depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais si l’on revient à l’émergence de la sphère biopolitique et de la vie nue, au paradigme de la civilisation juridique de la modernité et à la rédaction de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« les droits ne sont attribués à l’être humain que dans la mesure où cela est présupposé dans la figure du citoyen »), il semblerait que, dans la postmodernité, les modes démocratiques encore en usage (ou l’utilisation contemporaine de modes démocratiques instrumentalisés seulement comme « concepts classiques » selon Schmitt) fonctionneraient en fait de manière réactionnaire. Le paradigme postmoderne contemporain devient alors : une époque sans État si l’on prolonge l’avertissement de Schmitt à nos jours ; ou une époque marquée par un mode impérial délocalisé et transnational « dans lequel les fonctions de régulation de l’État seraient désormais établies dans une série d’organes nationaux et supranationaux réunis sous une même logique réglementaire », comme le proposent Toni Negri et Michael Hardt, serait caractérisé dans son biopolitisme par sa volonté de préserver tant les modes de production de vie que l’administration de la vie nue.

Mais si le paradigme juridique de la modernité est proposé comme le champ moteur de la production biopolitique ; si la modernité est impliquée dans la modernisation, l’industrialisation, la sécularisation et l’émergence de l’État ; et si notre époque contemporaine cherche d’abord et avant tout à préserver et à faire progresser la possibilité d’une production biopolitique en principe inhérente à la modernité politico-juridique, il faut avancer que l’ère postmoderne contemporaine marquée par l’érosion de l’État-nation, par l’émergence des mouvements fondamentalistes de rejet de l’État laïc et par le déplacement du capital de son second stade de développement, industriel, au troisième ou postindustriel, se présente comme une formation réactionnaire à la circulation biopolitique.

« L’ère postmoderne contemporaine marquée par l’érosion de l’État-nation, par l’émergence des mouvements fondamentalistes de rejet de l’État laïc et par le déplacement du capital de son second stade de développement, industriel, au troisième ou postindustriel, se présente comme une formation réactionnaire à la circulation biopolitique. »

Teresa M. Vilarós

Dès lors, comment penser alors la contradiction apparente de la nature réactionnaire de la raison postmoderne ? Une possibilité est, comme le propose Alberto Moreiras, de « pouvoir penser le réactionnaire dans le progressisme ou son indifférent vice versa ». L’ « indifférence réciproque de la nature réactionnaire et de la pensée du politique », pour reprendre les termes de Moreiras, rendrait évident que l’avancée néocapitaliste de l’Espagne technocratique des années soixante s’articule, en fait, dans une logique de nature réactionnaire. Mais surtout il explique son contraire : que la raison réactionnaire du franquisme des années soixante rend possible l’avancée fluide du capital dans le troisième état de son développement. Et pour expliquer une telle contradiction apparente, il est nécessaire d’avancer que a) la reconversion économique de l’Espagne initiée avec les premier et second plans de développement (de 1953 et 1959) ne se fait pas dans les canons du paradigme industriel de la modernité, mais du paradigme post-industriel et du capital globalisé caractéristique de la postmodernité ; b) que depuis que cette reconversion est soutenue par l’industrie du tourisme de masse rendue possible par la guerre froide, la technologie nucléaire et la tentative de progression impériale des États-Unis, l’Espagne développementaliste des années soixante, où Manuel Fraga dirige l’information médiatique d’État, est déjà postmoderne ; et c) que ces paramètres supposent une intégration organique et technologique qui répond à une circulation biopolitique.

C’est précisément parce que la décision médiatico-technologico-militaire de la baignade est une décision conforme au paradigme postmoderne qu’elle n’agit en tant que telle que par l’épuisement de ce dernier, c’est-à-dire par l’érosion de la décision politique proprement dite, de ce « joyau de forme européenne et du racisme occidental » dont Schmitt a parlé et qui, selon lui, allait prendre fin en 1963. En ce sens, ce serait la décennie des années soixante, et non celle des années quatre-vingt-dix comme le croyait Agamben, qui s’exprimerait comme un moment d’indétermination relative à la décision et à la souveraineté :

« Parce que la vie biologique avec ses besoins est devenue le facteur politiquement décisif, on comprend la rapidité par ailleurs incompréhensible avec laquelle les démocraties parlementaires du XXe siècle deviennent des États totalitaires et ces derniers en démocraties. Dans les deux cas, ces transformations ont eu lieu dans un contexte où la politique était devenue depuis un certain temps de la biopolitique, et la seule question importante était de décider quel type d’organisation serait le mieux adapté pour assurer le contrôle et l’utilisation de la vie nue. Une fois que le référent fondamental est la vie nue, les distinctions politiques traditionnelles entre droite et gauche, entre libéralisme et totalitarisme, entre privé et public, perdent leur clarté et leur intelligibilité et entrent dans une zone d’indistinction. » (Carl Schmitt, La notion de politique, 1932)

On peut faire facilement remonter la zone d’indistinction à l’Espagne des années soixante, qui s’occupait déjà efficacement de la préservation et de la circulation des flux biopolitiques et de capitaux au moment de la transition mondiale massive de la modernité à la postmodernité. Mais si la période technocratique des années soixante se manifeste comme une sorte de laboratoire géopolitique capable de fonctionner en pleine harmonie avec les paramètres de la technologie néolibérale, nous devons nous demander si l’efficacité biopolitique démontrée par le franquisme développementaliste ne répondrait pas au caractère impérial du politique de l’histoire espagnole. Il ne faut pas oublier que les années 1960 en Espagne ont annoncé et exécuté avec une sagesse extraordinaire un exercice de biopouvoir qui ne circulait pas déjà dans un environnement moderne ou industriel, au sein duquel, d’autre part, l’État de nature impérial espagnol a toujours eu des difficultés à s’insérer. Au contraire, le franquisme développementaliste circule depuis le champ postmoderne ou post-industriel qui, poussé par les États-Unis, a aussi un caractère impérial. De l’indifférence réciproque d’un État franquiste parfaitement intégré dans la zone d’indétermination souveraine de la guerre froide, et malgré la vérité et la réalité des sentences et des exécutions, l’exercice du biopouvoir du franquisme technocratique et développementaliste ne s’intéresse pas tant au « droit spécifique d’ôter la vie », caractéristique de la modernité éclairée, qu’à « augmenter son droit d’intervention dans la production de vie », caractéristique de la postmodernité mais également de la tradition impériale espagnole. Foucault écrit :

«  Prenons, par exemple, la mort de Franco. (…) L’homme qui exerçait le pouvoir absolu sur la vie et la mort de centaines de milliers de personnes tomba sous l’influence d’un pouvoir qui gérait si bien la vie que (…) il ne réalisa même pas qu’il était mort et était maintenu en vie après sa mort. Je crois que cet événement (…) symbolise le choc entre deux systèmes de pouvoir : celui de la souveraineté sur la mort [pouvoir disciplinaire moderne] et cette nouvelle [pouvoir de deuxième technologie, postmoderne] qui régule et administre la vie.  » (Michel Foucault, Il faut défendre la société, 1975-76)

© Patricia Espejo

Mais contrairement à la croyance de Foucault, la régulation biopolitique de la vie n’a pas attendu les années de la mort de Franco pour se manifester. Déjà, la décennie technocratique et développementaliste du franquisme a fonctionné comme une forme d’État qui n’utilise pas principalement la technologie disciplinaire pour obtenir un contrôle social. L’Etat disciplinaire est l’État de modernité par excellence. S’en éloignant, et précisément parce que la légitimité de l’Etat franquiste était recherchée et protégée par la tradition nationale et catholico-impériale espagnole d’une grande efficacité biopolitique, le franquisme des années soixante s’est facilement couplé à un système-imperium de « seconde technologie » qui ne lui est pas étranger :

« La deuxième technologie est celle qui engendre la massification caractéristique de chaque population, celle qui tente de contrôler la série d’événements imprévus qui se produisent dans toute masse vivante, celle qui tente de prédire la possibilité d’occurrence de tels événements (et de les modifier), ou au moins de compenser leurs effets. Il s’agit d’une technologie qui tente d’établir un certain type d’homéostasie, mais pas des individus entraînés, sinon qui parvient à un équilibre général qui protège la sécurité de l’organisme tout entier des dangers internes. C’est-à-dire qu’il s’agirait d’une technologie de forage, à l’opposé d’une technologie de sécurité dont elle se distinguerait. » (Michel Foucault, Il faut défendre la société, 1975-76)

L’industrie du tourisme de masse et en général toute la culture de masse développée dans les années soixante en Espagne se définit comme cette « deuxième technologie » foucaldienne. Propulsée par la guerre froide et soutenue par son environnement nucléaire et informatique, elle se constitue comme une intervention biopolitique capable d’assurer l’administration et la régularisation des modes de vie dans une économie capitaliste en troisième phase de développement.

« Propulsée par la guerre froide et soutenue par son environnement nucléaire et informatique, la culture de masse espagnole se constitue comme une intervention biopolitique capable d’assurer l’administration et la régularisation des modes de vie dans une économie capitaliste en troisième phase de développement. »

Teresa M. Vilarós

Dans l’interrègne global des années soixante, et si, selon Alberto Moreiras, « le non-sujet est à chaque fois une indication de dénarrativisation historique », la dénarrativisation historique devient, sous la direction de Manuel Fraga, un projet d’État et le touriste de masse apparaît comme une figure gravitant provisoirement entre le trope de l’humain comme sujet citoyen et celui de l’humain comme non-sujet. Soutenu par le flux économique fourni par les bases nucléaires militaires, le ministère de Fraga a habilement lancé un programme de biorégulation homéostatique qui visait, d’une part, la rééducation du prolétariat urbain et de la population rurale, et d’autre part, de la population espagnole en général. Dans un déploiement d’efficacité, le couple Information et Tourisme utilise de manière précise et très efficace la technologie alors émergente de l’image, le plus souvent contrôlée par l’Etat, pour la production et le déploiement des nouveaux spectacles de massification. Dans la série établie par Foucault (population de masse/processus biologiques/mécanisme de confirmation de la sécurité), les spectacles pour les masses fournis par le cinéma de l’espagnolade, par exemple, ou le football et la télévision, sont dans les années 1960 une voie claire de circulation biopolitique.

Dans ce modèle, une sorte d’« éducation sentimentale » néolibérale précipitée de l’espagnol moyen de l’époque est mise en marche. Et en même temps que l’industrie du tourisme de masse, un nouveau type de sujet/sous-thème est né en Espagne avec elle et s’est lié à elle : celui magistralement incarné en 1959 par l’actrice Marisol dans Un rayo de luz 15(1959), le film de Luis Lucía qui la mettra en scène. Les nombreux films de ce type produits avec le soutien financier du Ministère de l’Information et du Tourisme dans les années soixante fonctionnent efficacement comme un organisme biotechnologique graissé dédié à éduquer/distraire les gens dans le cadre du nouveau paradigme de la consommation jusqu’alors situé hors de portée des espagnols. De l’exercice de la banalité, le cinéma développementaliste et technocratique des années 60 plonge sans rougir dans la sphère post-politique, qu’il s’agisse du patriotisme consumériste basé sur le football (Saeta rubia), de l’émigration espagnole à l’étranger (Vente a Alemania, Pepe), de la nécessité d’augmenter la natalité (La gran familia), de la collaboration avec la NASA (El astronauta).

Marisol dans le film Un rayo de luz (1959)

Contrairement au groupe de films aux racines historico-impérialistes caractéristiques des deux premières décennies de la dictature franquiste, les films parrainés par le ministère de l’Information et du Tourisme dans les années soixante n’ont pas été utilisés comme un instrument idéologique mais comme une technologie étatique de confirmation du couple sécurité/consommation. Les premiers films développementalistes visent à faire connaître à la population les masses de touristes qui se rendent sur les côtes espagnoles et le système complexe qui les rend possibles (Bahía de Palma, 1962, de Juan Bosch, ou Búsqueme a esa chica, 1964, de Fernando Palacios, par exemple, avec Marisol comme actrice principale). À partir d’eux, au milieu des années soixante, l’espagnolade s’occupe de l’exploration de l’auto-conversion progressive et célèbre du sujet national en un sujet touristique, et donc consommateur. Parmi beaucoup d’autres, les comédies trash perverses en sont des exemples. On peut citer Abuelo made in Spain de Pedro Lazaga, et la multitude de films réalisés par Pedro Masó, avec Verano setenta et El turismo es un gran invento, en 1970, et No desearás al vecino del quinto, en 1975, parmi les meilleures.

Dans ce contexte, le bain de Palomares se situe également en dehors de la sphère de la narrativisation, moderne, et tombe dans celle de la dénarrativisation, postmoderne et liée à la guerre froide. L’épisode du ministre et de l’ambassadeur au Parador de Mojácar, qui accompagne le monde réel des films de fiction de l’espagnolade, apparaît comme un exercice technologique pour l’administration des formes de vie et de la terreur nucléaire, comme un geste biopolitique préventif de seconde technologie.

Se nourrissant de la technologie de l’information poussée par Manuel Fraga grâce à l’aide économique consécutive à l’implantation des bases nucléaires militaires américaines en Espagne, grâce à l’industrie du tourisme, l’impérialisme néolibéral se détache du sujet prolétarien. Dans les années 1960, l’État franquiste espagnol a participé à la naissance d’un nouveau sujet postmoderne occidental : le simple sujet survivant. Un sujet qui consomme et se consomme, mais pas comme le sujet instrumentalisé proposé par Manuel Vázquez Montalbán quand il écrivait que « dans les années 1940 et 1950, les touristes forçaient le respect, un respect mythologique. Dans les années soixante, ce sont des êtres instrumentalisés ». Promue et produite par l’État à travers l’Information et le Tourisme, la décennie inaugure un mode d’exercice biopolitique qui, à terme, et à travers l’utilisation spectaculaire des technologies de divertissement de masse, semble capable d’effacer ou de brouiller la ligne qui séparerait le citoyen du trope du non-sujet comme configuration alternative du politique. Le résultat est la production d’une vie : celle du touriste. Dehors et au-delà de la modernité, et totalement enchevêtré dans la technologie nucléaire militaire enfouie implantée dans les bases, le nouveau (non)sujet postmoderne occidental est né dans les années 1960 en Espagne, grâce à la grande invention du tourisme.

« Promue et produite par l’État à travers l’Information et le Tourisme, la décennie inaugure un mode d’exercice biopolitique qui, à terme, et à travers l’utilisation spectaculaire des technologies de divertissement de masse, semble capable d’effacer ou de brouiller la ligne qui séparerait le citoyen du trope du non-sujet comme configuration alternative du politique. Le résultat est la production d’une vie : celle du touriste.  »

Teresa M. Vilarós

Ou bien grâce à l’excellent art développé par la biotechnologie dédiée à la recomposition et reconstruction continue du corps et de ses parties, comme l’évoque et le symbolise le corps-cyborg du Franco prostré à l’hôpital de La Paz. Fin du franquisme et entrée dans le paradigme de la production de vies et de corps pour la consommation. Tant qu’il tient bon, ou jusqu’à ce que la mort du chirurgien ou le néocapitalisme nous sépare. Composition-recomposition-décomposition infinie du corps pour la consommation, pour la paix et pour la guerre. Qu’il s’agisse des corps brisés et subalternes de l’Irak, de l’Afrique ou des Balkans. Ou les corps-masses de la nouvelle émigration poussée par le capitalisme mondialisé. Ou les corps occidentaux hégémoniques, recomposés et bronzés sur les plages. Bref, des corps jetables et réutilisables. Des corps fragmentés. Des corps brisés. Corps diffus et mécontents.

C’est ainsi que Pedro Almodóvar, qui dès ses premiers films et de manière lucide et festive compose, recompose et décompose encore et encore, lui aussi, des corps multiples et diffus, l’a compris. Des hématomes d’Eva Siva à Pepi, Luci, Bom au splendide corps recomposé par la chirurgie plastique d’Antonia San Juan dans Todo sobre mi madre ; des corps dans le coma de Hable con ella au paralysé Javier Bardem de Carne tremula ; de des ambiguïtés de La ley del deseo aux prédateurs de Matador ; et des corps en circulation de Laberinto de pasiones au détenu de Victora Abril dans Átame, Almodóvar produit avec sa filmographie un des voyages les plus fascinant à travers le corps et sa surface. Un voyage qui nous emmène de la police disciplinaire d’un paradigme de la première technologie au chirurgien plastique du paradigme de la technologie secondaire.

Une transition qui nous conduit à une nouvelle figure politique qui émerge comme un grand chaman de l’État providence : non pas la police de l’Etat industriel, mais la bio-police de la tentative d’État post-industriel. Une figure qui, par une intervention drastique dans une économie d’intensités, n’agit pas pour se demander « comment peut-on imaginer que l’être ne persévère pas dans son état pour toujours », mais au contraire, pour imaginer sinistrement comment l’État pourrait toujours préserver la circulation biopolitique non pas de l’être, que lui est indifférent, mais du corps.Économie superficielle donc, et non ontologique. Économie non pas de l’être, mais du corps et de son é/État. Économie toujours attentive à la génération perpétuelle et à la régénération biopolitique du corps dans un état diffus et post-politique. Un corps, cependant, qui apparaît également comme un écho du personnage du nom de Patty Diphusa, convoqué par Almodóvar au début des années 80 lors de ses incursions littéraires dans le magazine La Luna de Madrid. Corps banal et artificiel, splendide et indifférent à tout sauf à lui-même. Corps autosuffisant et de l’indifférence réciproque, masse corporelle immergée dans le cycle sans cycle de l’autoconsommation et de l’auto-régénération. Corps capricieux et volatil. Mais c’est aussi un corps qui, en raison de sa propre libération, échappe sans cesse au contrôle biopolitique du nouvel ordre mondial.

Sources
  1. Programme diffusé sur la télévision espagnole en 2004 qui invitait à se plonger dans l’Espagne des années 1960 et 1970 grâce à des interviews et aux archives de la télévision publique espagnole.
  2. Série télévisée espagnole diffusée depuis 2001 et qui a pour contexte les dernières années du franquisme et la transition démocratique.
  3. Série télévisée catalane diffusée entre 2001 et 2002, qui suit l’histoire d’une famille aisée depuis avant la guerre civile jusqu’à aujourd’hui.
  4. Le 23 février 1981, des officiers de l’armée espagnole ont été à l’origine d’une tentative de coup d’État marquée notamment par l’assaut du Congrès des députés par un groupe de gardes civiles
  5. 23-F : 23 février 1981, jour de la tentative de coup d’État.
  6. Dirigeant du parti communiste espagnol, ancien fonctionnaire du gouvernement républicain, exécuté par le régime franquiste en 1963.
  7. Anarchiste catalan, membre actif du MIL (Mouvement ibérique de libération) dans les années 1970, exécuté par le régime franquiste en 1975.
  8. Dans El Verdugo (Le Bourreau en français), José Luis, employé des pompes funèbres, rencontre Amadeo, bourreau en fin de carrière. Ce dernier lui présente sa fille, Carmen. Les jeunes gens se marient et s’installent dans l’appartement que l’Administration accorde à Amadeo. Craignant d’être expulsé, José Luis accepte, non sans mal, de succéder à son beau-père dans ses fonctions.
  9. Homme politique espagnol qui fut notamment ministre de l’Information et du Tourisme de Franco entre 1962 et 1969.
  10. Fédération de partis politiques d’idéologie conservatrice fondée au début de la transition démocratique espagnole.
  11. Union du Centre Démocratique, parti politique espagnol fondé en 1977.
  12. Complexe hôtelier
  13. Référendum sur la Loi Organique de l’Etat, gagné par le “Oui” avec 95 % des votes.
  14. Giorgio Agamben est un philosophe italien né en 1942. Il fait de la biopolitique le centre de sa pensée et développe notamment le concept de vie nue : certains États (Allemagne nazi par exemple) dans l’histoire ont cherché à agir sur les êtres humains et à réduire l’homme à une pure vie nue.
  15. Dans Un rayo de luz, Marisol interprète la fille d’Elena, veuve de Carlos, noble italien ayant péri dans l’accident de l’avion qui l’amenait à Rome annoncer à son père, le Comte d’Angelo, son mariage avec cette dernière. Le frère de Carlos, Pablo finit alors par découvrir la vérité. Des années plus tard, le beau-père d’Elena souhaitant voir Marisol, mais pas Elena, la fait venir en Italie pour l’été. La jeune fille est alors un rayon de soleil pour la famille, si bien le Comte décide de ne pas la laisser rentrer. Elena a alors peur que Marisol reste vivre avec eux.