Qui est Nick Fuentes ? L’antisémite qui veut faire basculer l’Amérique de Trump
Le podcasteur le plus populaire des États-Unis se revendique d’Adolf Hitler.
Depuis la mort de Charlie Kirk, l’audience de Nick Fuentes a doublé.
Antisémite assumé, raciste, sexiste — il pourrait signaler un virage radical durable de la politique américaine.
Son extrême dangerosité ne peut être comprise que si l’on prend le temps d’entrer dans la monstruosité digitale de ses propos, qui nourrissent aujourd’hui un charisme puissant aux États-Unis.
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- Le Grand Continent •
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Après Donald Trump, Nick Fuentes est sans doute la personnalité la plus influente de la jeunesse américaine, et l’une de celles qui marqueront le cycle politique qui s’ouvre aux États-Unis.
Depuis l’élection de Donald Trump — qu’il a refusé de soutenir notamment à cause de sa proximité avec le premier ministre d’Israël —, son audience ne fait que grandir. Selon le New York Times, au moins 40 % des jeunes cadres du Parti républicain suivent ses vidéos live, au style souvent ironique et à l’éloquence parfaitement maîtrisée.
Curtis Yarvin a écrit : « je pense que personne ne peut nier que N[ick] F[uentes] est un orateur de classe mondiale. Hitler l’était aussi, bien sûr. »
Ce rapprochement n’est pas anodin.
Ce jeune podcasteur politique américain exprime et diffuse quotidiennement à des millions de spectateurs une vision du monde essentiellement antisémite.
L’antisémitisme fonctionne comme une clef interprétative globale : il prétend expliquer l’histoire, l’économie, la politique et la géopolitique par un principe fantasmatique unique et simple.
En répondant à la complexité et à l’opacité du monde contemporain par une causalité prétendument linéaire et totalisante, Nick Fuentes élabore un nouveau grand récit complotiste diffusé de manière granulaire et sans filtre grâce aux réseaux sociaux et à l’impression d’intimité qu’ils produisent avec le public.
Marshall McLuhan soutenait que l’avantage compétitif d’Adolf Hitler par rapport aux autres hommes politiques de son temps se trouvait dans sa parfaite maîtrise du premier médium de masse, la radio.
« Hitler, disait-il, était un homme entièrement tourné vers la radio et un homme tribal. »
Nick Fuentes semble avoir aussi aujourd’hui un avantage compétitif sur les autres politiques : il comprend à la perfection le médium qu’une société et une génération de plus en plus friandes de contenus vidéo viraux recherchent et il compte bien faire de sa plateforme le levier pour transformer les États-Unis en une puissance raciste et misogyne.
Le Credo extrême de Nick Fuentes
Les Juifs dirigent la société, les femmes doivent fermer leur gueule et la plupart des Noirs doivent être mis en prison — et nous vivrions au paradis ; c’est aussi simple que ça.
Cet extrait, improvisé lors d’une vidéo en direct le 28 mars 2025, a contribué, malgré sa radicalité et l’expression d’un antisémitisme, d’une misogynie et d’un racisme décomplexés, à faire de Nick Fuentes l’une des personnalités les plus populaires sur Internet. Appris par cœur, moqué, relayé et cité, il a montré comment l’espace numérique peut faire de cette figure particulièrement extrême un point de référence du débat politique.
Né en 1998 à Chicago, Nick Fuentes grandit à La Grange Park, une communauté essentiellement blanche dans la banlieue de Chicago. Alors qu’il s’inscrit à l’Université de Boston en relations internationales et sciences politiques, il interrompt sa licence dès la première année d’études, disant avoir été harcelé en raison soutien à Trump.
Il se consacre ensuite entièrement à la création d’une plateforme politique en ligne centrée sur des monologues diffusés en streaming.
Ses chaînes Youtube, Facebook, Twitch, Reddit et autres réseaux sociaux étant désactivées pour incitation à la haine, il diffuse quotidiennement son émission nocturne « America First » sur des plateformes moins connues comme Podbay et Rumble — une plateforme conservatrice de streaming en partie financée par Peter Thiel, Vivek Ramaswamy et J. D. Vance 1.
Un temps suspendu sur Twitter, le streamer a pu revenir sur le réseau social à la faveur de son rachat par Elon Musk. Fuentes enregistre désormais sur son nouveau compte X — ouvert en mai 2024 — plus d’un million d’abonnés et des extraits de son émission sont toujours largement relayés par les utilisateurs de la plateforme. Le réseau social de Donald Trump, Truth Social, a également autorisé son compte.
Fuentes devient de plus en plus influent parmi les nationalistes américains en faveur de l’isolationnisme, que Trump et le mouvement MAGA auraient échoué à mettre en place.
En 2020, il crée la conférence annuelle America First Political Action Conference ; en janvier 2021, il fait activement partie de l’organisation de l’attaque du Capitole.
America First 🇺🇸 / Christ is King 👑
L’Amérique d’abord 🇺🇸 / Le Christ est roi 👑
Cette devise, que Nick Fuentes met en avant sur son compte X particulièrement suivi — plus de 1,2 million d’abonnés —, est une référence explicite au courant catholique traditionaliste, auquel s’associe une vision intégraliste de la nation américaine. Pour Fuentes, le religieux doit structurer directement le politique.
Cette position le conduit à se définir comme un nationaliste chrétien, hostile à toute séparation entre religion et gouvernement.
Dans cette logique, Fuentes adopte un discours exclusiviste et conflictuel, allant jusqu’à formuler une alternative binaire : « Soit tu es avec le Christ, soit tu es avec les Juifs. » — une structure qui exprime à la fois son antisémitisme explicite (voir infra la section suivante) et sa conception du catholicisme comme identité politique totalisante, incompatible avec le pluralisme religieux ou civique.
Le complot juif
Hitler est génial. Hitler avait raison. Et l’Holocauste n’a pas eu lieu.
Nick Fuentes professe de manière répétée et explicite des positions antisémites, tout en niant la réalité historique de la Shoah. Il a à plusieurs reprises loué Adolf Hitler, allant jusqu’à déclarer dans son émission America First le 1er novembre 2025 : « Hitler is awesome. Hitler was right. And the Holocaust didn’t happen ».
Ces propos cumulent trois dimensions centrales de l’antisémitisme radical contemporain : l’éloge du nazisme, le négationnisme, et la légitimation morale du génocide. Ils inscrivent Fuentes dans une tradition idéologique qui ne se contente pas de relativiser ou de détourner l’histoire, mais qui en rejette frontalement les faits établis pour réhabiliter devant un public de millions de spectateurs une figure centrale du totalitarisme du XXe siècle.
Le principal défi à relever, un défi de taille, est celui posé par la communauté juive organisée aux États-Unis.
Nick Fuentes mobilise d’une manière obsessionnelle la théorie du complot antisémite selon laquelle « les Juifs » — souvent considérés comme un bloc unique — contrôleraient secrètement l’État et l’économie américaine. C’est exactement le registre de la théorie dite « Zionist Occupation Government » (ZOG), décrite dans la littérature sur l’extrémisme comme l’idée que le gouvernement serait « occupé »/télécommandé par des acteurs juifs.
Je veux que [ce] pays ait des médias catholiques, un Hollywood catholique, un gouvernement catholique… et non un gouvernement occupé par les juifs.
À l’instar de Curtis Yarvin et des néoréactionnaires, Fuentes rejette frontalement la démocratie. Il parle d’un « Jewish-occupied government » (gouvernement occupé par les Juifs), reprenant un vocabulaire conspirationniste classique de l’extrême droite antisémite. À la place de la démocratie libérale, il défend l’idée d’une théocratie chrétienne, fondée sur une autorité religieuse assumée et sur la subordination du politique au dogme.
Se définissant lui-même comme réactionnaire, Fuentes revendique un ensemble de références historiques et doctrinales qui le placent en rupture ouverte avec la modernité politique : il affirme son soutien à l’autocratie, à toute monarchie absolue de matrice catholique, à la doctrine de la guerre juste, ainsi qu’aux Croisades et à l’Inquisition, qu’il ne considère pas comme des dérives, mais comme des expressions légitimes de l’ordre chrétien.
En grande partie en opposition avec la doctrine de l’Église de Rome — en prise à ce que Blandine Chelini-Pont a appelé une nouvelle crise de l’américanisme —, ce corpus idéologique radical compose une vision du monde antimoderne, antidémocratique et théologico-politique, dans laquelle la foi catholique est érigée en principe exclusif de légitimité. L’histoire, la violence religieuse et l’autorité y sont réinterprétées comme des modèles à restaurer pour réorganiser la politique de la première puissance mondiale.
Si je mets une heure pour cuire une fournée de biscuits et que Cookie Monster dispose de 15 fours fonctionnant 24 heures sur 24 pendant cinq ans, combien de temps faudra-t-il pour cuire 6 millions de biscuits ?
En 2019, lors d’un échange en direct avec les spectateurs de son émission, Fuentes reprenait l’un des procédés rhétoriques classiques du négationnisme.
À une question formulée comme un « problème de maths » — une métaphore macabre assimilant les fours crématoires à des fours de cuisine — il répondait en suggérant que les chiffres de la Shoah seraient matériellement impossibles. La question utilisait un langage codé très répandu dans les cercles négationnistes, et particulièrement insoutenable : « Si je mets une heure pour cuire une fournée de biscuits et que Cookie Monster dispose de 15 fours fonctionnant 24 heures sur 24 pendant cinq ans, combien de temps faudra-t-il pour cuire 6 millions de biscuits ? »
En déclarant que « le calcul ne tenait pas la route », Fuentes reprenait un argument central des thèses négationnistes : l’idée fallacieuse que l’extermination industrielle des Juifs pendant la Shoah n’aurait pas été techniquement réalisable. Ce type d’argumentaire, qui feint de s’appuyer sur des calculs « techniques » — ici sous couvert de memes et d’humour — est l’un des ressorts les plus employés du négationnisme contemporain.
Des Américains vont mourir pour le bien d’Israël. Point final. Fin de l’histoire.
Quelle conclusion faut-il en tirer ? Israël n’est pas notre allié. C’est probablement plutôt notre ennemi. Si nous décidions de l’isoler, il nuirait à notre pays et nous serions incapables de l’en empêcher. Nous sommes totalement infiltrés. Vous ne comprenez pas que non seulement ils ne sont pas nos alliés, mais que, dès l’instant où nous tenterions de rompre nos liens ou de réduire leur influence, ils n’hésiteraient pas à nous faire du mal, voire à assassiner notre président ?
Pour aller jusqu’au bout, ils seraient prêts à larguer une bombe nucléaire sur nous.
C’est ce qu’on appelle l’option Samson. Ils ne sont pas nos amis et ils ne devraient exercer aucune influence dans notre pays.
S’agissant des Juifs, on ne peut tout simplement pas leur faire confiance aux plus hauts niveaux du pouvoir, dans la mesure où ils seraient loyaux envers un autre régime, qu’il s’agisse d’Israël ou de la communauté juive mondiale dans son ensemble.
Évidemment, personne ne veut en parler [expliquer les problèmes des États-Unis par un complot juif].
Les gens préfèrent évoquer les néoconservateurs, l’État profond, la CIA, les ONG, le département d’État, USAID, l’Église catholique, Gladio et toutes ces absurdités, uniquement pour éviter ce qui est évident. Le problème est beaucoup plus simple : c’est la politique étrangère d’Israël.
Des Américains vont mourir pour Israël, et tout cela parce que les Juifs exercent un pouvoir immense sur l’Amérique. Nous sommes un État vassal. Nous n’avons aucune souveraineté, aucune indépendance.
Nick Fuentes ne critique pas tant la politique étrangère d’Israël et sa proximité avec la nouvelle administration américaine qu’il essentialise « les Juifs » en un groupe homogène, intrinsèquement déloyal, conspirateur et dangereux. L’affirmation selon laquelle « on ne peut pas faire confiance aux Juifs aux plus hauts échelons du pouvoir » reprend directement le stéréotype de la double allégeance, largement documenté par les historiens de l’antisémitisme — d’Hannah Arendt à Pierre-André Taguieff — qui en font un pilier de l’antisémitisme moderne : les Juifs seraient incapables de loyauté nationale car ils obéiraient à une entité extérieure, réelle ou fantasmée (« Israël », « la communauté juive mondiale »). À cela s’ajoute une logique conspirationniste totale, analysée notamment par Michael Barkun et Norman Cohn, dans laquelle un groupe caché expliquerait à lui seul la perte de souveraineté, les décisions de l’État, voire la mort de citoyens.
Les références à des théories du complot sur l’assassinat de JFK ou à « l’option Samson » renforcent cette matrice antisémite en lui donnant une apparence de profondeur historique et stratégique. La théorie selon laquelle Israël ou des « sionistes » auraient fait assassiner Kennedy est largement étudiée comme une variante contemporaine des mythes du pouvoir juif occulte. Elle recycle l’idée que les Juifs seraient capables d’éliminer un président américain s’il menaçait leurs intérêts. De même, l’« option Samson », concept débattu dans la littérature stratégique comme une hypothèse de dissuasion nucléaire de dernier recours, est détournée ici en preuve d’une volonté juive de destruction illimitée allant jusqu’à la nucléarisation des États-Unis. Dans les deux cas, Fuentes se sert d’outils narratifs typiques du conspirationnisme antisémite lui permettant de construire un cadre simple pour comprendre la complexité de la géopolitique trumpiste.
Les juifs de gauche s’en prennent aux Blancs, ceux de droite s’en prennent aux Noirs.
Mais le seul groupe qui échappe totalement à toute critique et toute responsabilité, ce sont les juifs eux-mêmes. Si vous parlez de leur organisation, de leur comportement, vous êtes licencié, vous perdez votre emploi. C’est ce dont Ye parlait.
Nick Fuentes dénonce le soi-disant « échec de la politique Trump à ramener un climat sans cancel culture, où chacun pourrait s’exprimer comme il le souhaite, quitte à se montrer cruel ou offensant ». Selon lui, les juifs et Israël sont les seuls à être protégés de cette manière.
La haine d’Israël est un point de tension entre Fuentes et le Parti républicain, qu’il accuse d’avoir fait taire les critiques de l’État hébreu — en réalité des théories du complot antisémites 2.
Le rappeur Ye, ou Kanye West, avait déclaré le 1er décembre 2022 être un « fan d’Hitler » 3. Le 8 mai 2025, ce chanteur extrêmement populaire, suivi par une immense communauté de personnes sortait un nouveau single intitulé « Heil Hitler », que Nick Fuentes prévoyait être le « tube de l’été » 4.
Huit figures, huit formes, huit macro-crises marqueront l’année qui vient — un calendrier à ouvrir chaque jour pour s’y préparer sans tarder.
Les groypers : le débordement de Donald Trump par la droite
« Une crise viendra » : la tirade complotiste du 13 novembre
Trump a été élu parce qu’il incarnait quelque chose de radical, hors des sentiers battus, différent, non conventionnel, direct et politiquement incorrect.
Il a été élu parce que nous pensions qu’il allait bouleverser Washington.
Que devons-nous faire et à qui devons-nous nous confier pour obtenir un véritable changement dans la politique américaine ?
Vous élisez Bush, vous avez une guerre. Vous élisez Obama, vous avez une guerre. Vous élisez Trump, vous avez une guerre. Biden, une guerre. Que faire ? Qui devons-nous élire pour que les choses changent enfin ?
Les gens se demandent pourquoi Nick Fuentes est populaire.
Pourquoi les gens disent-ils que je devrais me présenter à la présidence ?
Je ne me présenterai pas — notamment parce que je suis trop jeune. Mais pourquoi pensez-vous qu’autant de gens suivent cette émission ? Parce qu’ils préfèrent un provocateur à un criminel sexuel. Ils tolèrent un raciste. Ils tolèrent quelqu’un qu’ils jugent odieux plutôt que quelqu’un qui viole ce pays, le vend, se compromet avec les pires personnes du monde pour nous mener à la guerre.
C’est la chose la plus diabolique qu’on puisse imaginer : couvrir un réseau de trafic sexuel d’enfants parce qu’on y est impliqué soi-même. Et la conséquence, c’est de devoir fournir à Israël des missiles pour assassiner des millions d’enfants et entraîner son propre pays dans une nouvelle guerre. Il y a ici plusieurs couches de mal : des crimes sexuels, des meurtres, des complots, des trahisons et des mensonges.
Nick Fuentes fait ici une allusion claire à l’affaire Epstein, mais il transforme un crime réel en un complot antisémite, attribuant à un réseau juif ou pro-israélien la couverture de crimes sexuels en vue de définir et orienter la politique étrangère américaine.
Cette ligne narrative a réellement affaibli l’administration Trump — qui l’avait d’abord fait prospérer dans son propre écosystème politique en nourrissant la défiance envers l’État et les élites — en associant durablement la présidence à des théories du complot et en donnant l’impression que Donald Trump perdait le contrôle de la narration.
Les gens sont profondément dégoûtés et furieux.
Vous pensez que je suis en colère ? Pas du tout. Moi, je ressens presque une forme de soulagement.
Mais les gens de ce pays, eux, sont hors d’eux-mêmes.
Combien de temps, et combien de nouvelles horreurs, pensez-vous qu’ils vont encore tolérer ? Combien de nouvelles choses accepteront-ils ? Combien d’autres fusillades dans les écoles, combien de tentatives d’assassinat étranges, combien de réseaux de trafic sexuel, combien de guerres ?
Combien d’autres Charlie Kirk vont mourir ?
Depuis la mort de Charlie Kirk le 10 septembre, l’audience de Fuentes a connu un pic : les recherches Google de son nom du 7 au 13 septembre 5 ont doublé — tout comme son audience sur Rumble.
Nick Fuentes était critique de Charlie Kirk — qu’il ne jugeait pas suffisamment radical au sujet de l’immigration et de la communauté LGBT et pas suffisamment opposé à Israël. Les rumeurs qu’un membre de la communauté de Fuentes, un Groyper, soit impliqué dans l’assassinat de Kirk a contribué à placer son nom au centre du débat public et à amplifier encore davantage sa visibilité.
Il se passe des choses étranges.
Combien de temps pensez-vous que les gens vont encore supporter cela avant d’être prêts à voter pour quelque chose de véritablement radical ? Pour quelque chose de déstabilisant ?
Car c’est vers cela que tout converge. Nous voulons un putain de pays. Nous ne voulons pas être envahis par dix millions de clandestins en quatre ans. Nous ne voulons pas entrer en guerre avec l’Iran à cause de fausses armes nucléaires. Nous ne voulons pas d’un gouvernement qui semble de connivence avec des réseaux de trafic sexuel d’enfants.
Est-ce trop demander ? Ces exigences sont-elles déraisonnables ? Suis-je un nazi parce que je dis cela ?
Sérieusement : dix millions de clandestins en quatre ans, ou une guerre avec l’Iran pour des armes nucléaires qui n’existent même pas — c’est une plaisanterie ?
Les dossiers Epstein sont enterrés. Et Trump était censé être celui qui mettrait fin à tout cela ?
Trump, c’est comme si Bill Clinton et George Bush s’étaient alliés. Nous avons élu Trump pour rejeter l’héritage de tous ces présidents. Et pourtant, il les incarne tous à la fois. Il est belliciste comme Bush. Il est un criminel sexuel comme Bill Clinton. Il est dément comme Joe Biden.
Nous l’avons élu pour rompre avec ces figures, mais il est leur synthèse. Et nous ne sommes même pas capables d’expulser les étrangers en situation irrégulière. À la place, nous expulsons les soi-disant antisémites.
L’Amérique est un géant endormi. Voilà pourquoi nous voulons réveiller le pays. Le pays est furieux. Il y a de la colère, et une immense énergie potentielle.
Une crise viendra.
Ce sera peut-être un événement causant de nombreuses victimes, un effondrement économique ou une troisième guerre mondiale — que ce soit dans le détroit de Taïwan, en Iran ou ailleurs.
La guerre approche.
Toutes ces dynamiques convergent vers nous ; elles finiront par exploser, et le géant endormi se réveillera. L’Amérique se réveillera.
J’espère simplement qu’à ce moment-là nous aurons un tyran bienveillant. Quel qu’il soit — de gauche ou de droite — j’espère qu’il sera bienveillant, car c’est, d’une certaine manière, la dernière carte qu’il nous reste à jouer.
Et si tout explosait, et qu’un chef de guerre autoritaire s’emparait du pouvoir ? Nous atteindrions alors un niveau de chaos et de dysfonctionnement comparable à la Révolution française ou aux derniers mois de la Russie tsariste. C’est clairement vers cela que nous nous dirigeons.
Je ne dis pas cela parce que je souhaite que cela arrive. Je ne dis pas cela parce que je pense que ce serait une bonne chose. Je pense au contraire que ce serait horrible, et que cela peut encore être évité.
Trump était l’occasion d’arrêter cette dynamique, et rien ne s’est produit.
Je dis donc cela avec beaucoup de tristesse et de méfiance. Mais j’ai le sentiment que nous nous dirigeons vers une telle situation.
Je vous l’ai toujours dit.
Dans cette tirade devenu virale, Nick Fuentes exprimait sa déception concernant le deuxième mandat de Trump et son absence de radicalité notamment à partir de sa vision antisémite et nationaliste chrétienne.
Sa relation avec les politiques a toujours été complexe. Au cours d’un long entretien accordé à Tucker Carlson, il avait expliqué avoir nourri des réserves à l’égard de Donald Trump dès la campagne du printemps 2015.
À cette époque, il avait soutenu Ted Cruz, sénateur républicain du Texas, lui aussi candidat aux primaires républicaines en vue de l’élection présidentielle de 2016.
Se définissant comme libertarien, Fuentes affirmait avoir craint, dès 2015, que Trump ne soit partisan d’une forme d’étatisme. Après l’échec de Ted Cruz aux primaires, il a déclaré avoir connu un « réveil idéologique » qui l’a conduit à se rallier à Trump. Il en est alors venu à considérer ce dernier comme le seul capable de « détruire » les deux principaux obstacles à la victoire électorale des conservateurs : le monopole des médias libéraux et l’électorat issu de l’immigration.
C’est durant ses études à l’université de Boston, réputée très libérale, que Fuentes a porté pour la première fois une casquette rouge « MAGA ».
En novembre 2022, Donald Trump, qui n’était alors plus président, a organisé un dîner à Mar-a-Lago avec Nick Fuentes et Kanye West. Cette rencontre a suscité de vives critiques à l’encontre du milliardaire, qui s’est justifié en affirmant ne pas connaître l’idéologie de Fuentes : « Nous nous entendions très bien, il n’a exprimé aucun sentiment antisémite, et j’ai apprécié toutes les choses gentilles qu’il a dites à mon sujet dans l’émission de Tucker Carlson. Pourquoi n’aurais-je pas accepté de le rencontrer ? »
La haine de J. D. Vance ou la construction d’un clivage à droite
[J. D. Vance] est pris dans une tenaille.
D’un côté, les Groypers lui disent : « Écoute, sale obèse, nous voulons que l’Amérique passe en premier. Tu veux te présenter à la présidence ? Alors nous voulons t’entendre dire America First. »
De l’autre côté, il y a ses donateurs, qui lui disent : « Ce sont d’horribles antisémites. Tu dois t’en désolidariser. Tu dois les condamner fermement. Condamne Tucker. Condamne les Groypers. »
La fixation obsessionnelle sur le vice-président J. D. Vance est particulièrement révélatrice de la stratégie de Fuentes : faire de l’antisémitisme une nouvelle ligne de clivage politique et un marqueur fort. Ici le 30 octobre 2025, à la suite de l’entretien entre Tucker Carlson et Nick Fuentes ayant suscité un vif débat chez les conservateurs américains, ce dernier prend la défense de l’animateur. Dans un long entretien, Carlson et Fuentes avaient de concert dénoncé notamment les christian zionists — les républicains supportant Israël — et la « juiverie organisée », qui détruirait l’Amérique de l’intérieur.
Le choix par Carlson, ex-animateur star de Fox News « déplateformisé » après le 6 janvier mais toujours extrêmement populaire sur X — d’accueillir Fuentes, avait profondément divisé la droite américaine.
Kevin D. Roberts, président du puissant think tank conservateur Heritage Foundation, avait réagi par une vidéo sur les réseaux sociaux demandant à ne pas cesser d’écouter Tucker Carlson et demandant à ce que ses camarades conservateurs respectent son droit à la liberté d’expression (free speech), avant de se rétracter suites à de vives critiques 6. Roberts s’était justifié en expliquant qu’il n’avait pas réellement connaissance de qui était Nick Fuentes.
Donald Trump a publiquement défendu l’interview, ce pour quoi Fuentes l’a remercié 7.
Signal faible de l’efficacité du martelage antisémite de Fuentes : le vice-président des États-Unis s’est récemment fendu d’un tweet aux accents inhabituels par rapport à sa ligne politique et qui semble trancher avec la ligne politique de Donald Trump, affirmant : « il y a une différence entre ne pas aimer Israël (ou être en désaccord avec une politique israélienne donnée) et l’antisémitisme. »
[J. D. Vance] est littéralement un obèse, gay, traître à sa race qui s’est marié avec une jeet.
En réponse aux personnes qui l’accusent d’être payé pour diviser la nouvelle droite américaine, Fuentes pointe ce qu’il considère comme les « tares » de J. D. Vance — essentiellement son soutien à Israël — en notant qu’il est le protégé du milliardaire homosexuel Peter Thiel — qu’il surnomme « gay fed » en raison des contrats Palantir avec la CIA et le Pentagone.
L’accentuation sur des caractéristiques physiques visant à déshumaniser Vance rappellent les tropes du discours fasciste. Fuentes critique également Vance pour son mariage avec Usha Chilukuri, femme d’origine indienne et de confession hindoue — qu’il qualifie de « jeet », un mot dégradant envers les indiens dérivé de « pajeet » et une insulte utilisé contre les hindous sur le forum 4Chan. « Gay » est également régulièrement utilisé sur 4Chan comme insulte et le terme est sans cesse employé par Fuentes 8.
Café et humour noirs : la captatio par le monologue satirique
[Nick Fuentes montre une tasse hors-champ :] c’est un café Starbucks — moyennement torréfié.
Je mets trois sucres — et trois cuillères de crème.
Je verse juste beaucoup de crème — je ne sais même pas combien. Mais probablement environ trois cuillères de crème et trois cuillères de sucre. C’est comme ça que je l’aime — avec beaucoup de crème et beaucoup de sucre.
Je suis un gros bébé, j’aime ça.
Je ne suis pas comme ceux qui disent : « Ce sera juste un café noir pour moi. Juste un café noir et quelques balles de pistolet pour moi. »
Vous le voyez non ? [Prenant une voix rauque] « Juste un café noir pour moi. Non, non, pas de ces conneries de tapette comme le sucre et la crème. Juste un café noir. Et écrase un peu quelques cigarettes dedans, tu veux ? Tu peux écraser ta cigarette dans mon café noir et pisser dedans aussi. Pas de fioritures ici, pas de sucre ni de crème de démocrate efféminé et woke. »
Moi je veux beaucoup de crème dedans. […] . Je veux que ça ait le goût d’un milk-shake au café. […] Je veux que ce soit sucré et délicieux. Et pourquoi pas ?
Le café noir, franchement… — les gens sont tellement cons de nos jours.
Le café noir — va te faire foutre — « Non, pas de fioritures pour moi » — va te faire foutre.
Les gens sont tellement cons. Pourquoi boire du café noir, franchement ? Quel est l’intérêt ? C’est amer, ça n’a pas bon goût, ça a un goût d’eau qui a servi à rincer de la vaisselle.
« Oui, juste un café noir pour moi. »
[Il se met à crier] Hé tout le monde ! Clients du restaurant, votre attentio s’il vous plaît : quelqu’un a déclenché l’alarme. Ce putain de dur à cuire boit son café noir, sans crème, sans rien ! Que tout le monde s’assure de serrer la main de cet énorme taulier en sortant. Qu’est-ce que tu veux, une médaille ? un trophée ?
« Je prendrai mon café noir… » — et voyez la serveuse, elle fond littéralement de désir : « Oh, il a commandé un café noir. Je crois que je suis amoureuse. »
C’est une putain de boisson — rien de plus connard.
Moi je l’aime avec beaucoup de crème, beaucoup de sucre. Si vous l’aimez noir, très bien — mais je pense que vous mentez.
Je ne pense pas qu’on puisse vraiment préférer le café noir ; je pense que tout le monde préfère le café avec de la crème et du sucre. Les gens le boivent noir peut-être pour les calories — ce qui serait très bien — ou alors, ce que je pense plus probable, ils le font parce qu’ils veulent avoir l’air vraiment cool.
Je ne pense pas que quelqu’un le boive noir pour le goût.
Cet extrait sur les goûts de Fuentes en matière de café et de crème, partagé en pleine campagne présidentielle en septembre 2024, pourrait paraître totalement anecdotique.
Il est en réalité central car il permet de comprendre sur quoi repose la popularité du podcasteur. La plupart des livestream de Nick Fuentes sont ponctués d’éléments subjectifs sur sa propre vie. Au fil de ses monologues, dans des imitations ou des digressions qui reprennent les codes de la stand-up comedy des humoristes américains, il construit un personnage que ses spectateurs — y compris, peut-être, ceux qui ne partageaient pas forcément ses idées a priori — peuvent trouver drôle et attachant. Ici en l’occurrence, un jeune homme américain « normal » qui n’aime pas l’amertume du café noir et se moque de ceux qui prétendent aimer boire du café sans sucre.
Cette capacité à susciter de la sympathie par l’humour tout en maintenant un dehors sérieux — face caméra et lorsqu’il ne tient pas avec un mégaphone aux côtés des assaillants du Capitole, Fuentes arbore invariablement un costume-cravate qui le fait passer pour un commentateur légitime de l’actualité — est au cœur de la dangerosité du phénomène. Son audience toujours plus importante attire notamment de jeunes Américains.
« Votre corps, mon choix » : Nick Fuentes et la haine des femmes
Une misogynie calquée sur l’antisémitisme
Les femmes ont le contrôle ; elles dirigent nos vies alors qu’elles ne sont clairement pas à la hauteur
Il faut les remettre à leur place — comme les Juifs.
(…)
On vous dira toujours : « Non, ce ne sont pas les Juifs. Non, ce ne sont pas les femmes. Non, ce ne sont pas les Noirs. C’est plus compliqué que ça. »
Ce n’est pas compliqué du tout, de fait.
Les Juifs dirigent la société. Les femmes doivent fermer leur gueule. Les Noirs doivent être emprisonnés — et nous vivrions au paradis. C’est aussi simple que ça. Nous avons besoin que les hommes blancs dirigent tout : les hommes blancs doivent diriger le foyer, le pays, les entreprises. Ils doivent simplement tout diriger. C’est une assez bonne heuristique.
La violence extrémiste de la culture « incel »
Je ne veux pas de contact physique. Je ne veux pas de relation. Vous savez ce que je veux ? Je veux la victoire totale des Aryens.
Accusé par l’un de ses disciples, un Groyper, d’être un « fakecel » ou « faux incel », Nick Fuentes réplique dans cet extrait qu’il n’est absolument pas intéressé par les femmes.
Fuentes se dit au contraire très fier d’être un incel 9 (involuntary celibate, soit « célibataire involontaire »). Il interdit à ses fidèles de se masturber ou d’avoir des relations avec le sexe opposé. Il affirme dans la même vidéo être né misogyne et incel, sans avoir pu le choisir.
Face à cette accusation d’être un « fakecel », Fuentes répond que seule « la victoire totale des Aryens » occupe son esprit. Ce n’est pas là la première référence de Fuentes à l’idéologie nazie — qui a à de nombreuses reprises marqué son admiration pour Adolf Hitler 10 — mais il est frappant de constater que la haine des femmes est, dans son discours, souvent étroitement liée à celle des Juifs.
C’est : votre corps, mon choix. Pour toujours.
Détournant le slogan pro-avortement « my body, my choice » (mon corps, mon choix), ces mots lancés par Fuentes au soir de l’élection de Donald Trump sont devenus viraux et ont été réutilisés par de nombreux Groypers et membres de la manosphère pour s’attaquer à des femmes présentes sur les réseaux, notamment Tik Tok et X 11.
Par sa simplicité et sa répétition incessante sur les réseaux, cette menace contre l’intégrité physique des femmes a connu une très forte popularité chez les jeunes filles et les jeunes garçons à l’école primaire et dans les collèges : plusieurs parents américains ont rapporté avoir entendu leurs enfants la répéter en boucle.
Suite à la publication de cette phrase, l’adresse de Nick Fuentes a été divulguée sur les réseaux sociaux 12 et le podcasteur a été arrêté le 6 décembre 2024 après avoir supposément utilisé un gaz lacrymogène contre une femme l’ayant interpellé 13 — ne manquant pas de se présenter ensuite comme un martyre héroïque de la résistance contre les femmes.
Dès que le lait est bon, je veux commencer à le boire. (…) C’est la même chose avec les femmes. Je veux une fille de 16 ans qui soit intacte, pure, incorruptible et innocente. C’est ce que nous voulons tous.
Pour Nick Fuentes, la principale raison du déclin des mariages « traditionnels » est la libéralisation politique des femmes, dont le mouvement féministe serait en partie responsable.
Dans sa vision dystopique, la femme moderne ne plairait plus aux hommes, ce qui réduirait ainsi le nombre de mariages : ce déclin serait le fait d’hommes « mous », ne sachant plus traquer les mères de famille idéales.
Au-delà du caractère profondément inquiétant et violent du propos, on voit bien dans quel référentiel s’inscrit ici Fuentes : il assume de manière décomplexée un programme politique où les femmes — à qui il souhaite retirer sans exception le droit de vote — ne sont plus des sujets politiques mais des instruments de reproduction.
Sources
- Heike Buchter, « J. D. Vance : Der Thronfolger und seine Milliardäre », Die Zeit, 16 novembre 2024.
- Ali Breland, « The Nick Fuentes Spiral », The Atlantic, 15 novembre 2025.
- « Kanye West exprime son admiration pour Hitler, son compte Twitter suspendu », Le Monde, 1er décembre 2022.
- « Nick Fuentes thinks Ye’s ‘Heil Hitler’ will be song of the summer ». New York Daily News, 6 mai 2025.
- « Nick Fuentes », Google Trends.
- David A. Fahrenthold et Ken Bensinger, « Under Fire for Tucker Carlson Remarks, Think Tank Chief Pleads Ignorance », The New York Times, 13 novembre 2025.
- Chris Cameron, « Trump Defends Tucker Carlson After Nick Fuentes Interview », The New York Times, 16 novembre 2025 : « You can’t tell him who to interview. […] People have to decide. Ultimately people have to decide. »
- « Men Having Sex With Women Is Gay, Claims ‘Straight’ Right-Wing Podcaster Nick Fuentes », Star Observer, 16 mai 2022.
- Robert Downen, « What to know about Nick Fuentes, the white supremacist who was just hosted by a major Texas PAC leader », The Texas Tribune, 10 octobre 2023.
- Ali Breland, « The Nick Fuentes Spiral », The Atlantic, 15 novembre 2025.
- Dan Gooding, Women Report Increased Misogyny Online Post-Election, The Newsweek, 8 novembre 2024.
- Bruna Horvath, Nick Fuentes facing battery charge after ‘your body, my choice’ confrontation at his Illinois home, NBC News, 7 décembre 2024.
- Ramon Antonio Vargas, « White supremacist Nick Fuentes charged over Chicago pepper-spray incident », The Guardian, 7 décembre 2024.