Une fuite explosive révèle la profondeur du rapprochement Trump – Poutine (texte intégral)
Dans la nuit, Bloomberg a publié la transcription d'un échange confidentiel entre l’émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, et Youri Ouchakov, l'un des principaux conseillers diplomatiques de Vladimir Poutine.
Nous traduisons et commentons ce document important, qui révèle la portée du rapprochement entre la Maison-Blanche et le Kremlin — aux dépens de l'Ukraine.
- Auteur
- Le Grand Continent
L’organisation interne du cabinet du second mandat de Donald Trump se distinguait, jusqu’ici, nettement du premier, sur deux points : peu de fuites dans la presse, et quasiment aucun départ. Avec l’accélération du rapprochement avec la Russie, les premières grandes révélations ont commencé à émerger dans les médias.
Ils discutent également d’un éventuel plan de paix : Witkoff évoque un modèle en « 20 points » qui semble avoir inspiré le cadre du traité — largement défavorable à l’Ukraine — que la Maison-Blanche tente actuellement de faire accepter. Il laisse entendre que la position américaine serait favorable à des concessions territoriales substantielles de la part de l’Ukraine à condition de pouvoir les présenter sous une lumière plus “positive” et propose même au conseiller du président russe que Vladimir Poutine flatte le président américain en le traitant d’homme de paix.
Dans cet enregistrement daté du 14 octobre, les deux conseillers se félicitent des avancées diplomatiques récentes et envisagent d’organiser un appel direct entre leurs dirigeants, afin de préparer la rencontre prévue à la Maison-Blanche avec le président Zelensky, quelques jours plus tard.
Ils discutent également d’un éventuel plan de paix : Witkoff évoque un modèle en « 20 points » qui semble avoir inspiré le cadre du traité — largement défavorable à l’Ukraine — que la Maison-Blanche tente actuellement de faire accepter. Il laisse entendre que la position américaine serait favorable à des concessions territoriales substantielles de la part de l’Ukraine, à condition de pouvoir les présenter sous une lumière plus « positive », et propose même au conseiller du président russe que Vladimir Poutine flatte le président américain en le traitant d’homme de paix.
Par son ton, sa forme et son contenu, l’échange révèle une proximité inédite entre la Maison-Blanche et un régime qui, à ce jour, reste engagé dans une guerre d’agression sur le sol européen, contre un allié des États-Unis. Cette coordination informelle, de plus en plus assumée, même dans des positions officielles, ne laisse plus beaucoup de doutes sur la position politique de l’administration Trump.
Reste désormais à savoir quelle sera la position au sein du Parti républicain, que ce soit au Congrès ou au Sénat. Ce qui se joue, à cet égard, relève à la fois de la dynamique géopolitique et de la politique interne : le Parti se rangera-t-il, sans réserve, derrière la ligne de convergence avec Moscou imposée par la Maison-Blanche, ou ces révélations, suggérant une compromission qui aurait pu provoquer un scandale d’État, suffiront-elles à susciter une résistance ?
14 octobre 2025
Steve Witkoff : Salut, Yuri.
Youri Ouchakov : Oui, Steve, salut, comment vas-tu ?
Steve Witkoff : Bien, Yuri. Comment vas-tu ?
Youri Ouchakov : Ça va. Félicitations, mon ami.
Steve Witkoff : Merci.
Youri Ouchakov : Tu as fait un excellent travail. Vraiment, un excellent travail. Merci beaucoup. Merci, merci.
La veille de cet appel, le 13 octobre 2025, s’était tenu un sommet international pour la paix à Gaza — le Gaza Peace Summit — à Sharm-el-Sheikh (Égypte), organisé dans le cadre de la trêve annoncée le 9 octobre. Ce sommet, largement médiatisé, a permis de mettre en scène le rôle prépondérant du président américain dans le processus de cessez-le-feu et de négociation d’un plan de paix. Steve Witkoff, en tant qu’envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, avait joué un rôle clef dans cette négociation, aux côtés du gendre du président américain, Jared Kushner.
Steve Witkoff : Merci, Yuri, merci pour ton soutien. Je sais que ton pays l’a soutenu, et je t’en remercie.
Youri Ouchakov : Oui, oui, oui. Oui. Tu sais, c’est pour cela que nous avons suspendu l’organisation du premier sommet russo-arabe.
En mai 2025, le président russe, Vladimir Poutine, avait officiellement annoncé qu’un premier sommet Russie-Monde arabe serait organisé le 15 octobre 2025. Plusieurs dirigeants de pays arabes avaient été invités. À l’approche de la date prévue, le sommet a été reporté : selon le Kremlin, de nombreux chefs d’État arabes n’avaient pas confirmé leur présence. Selon Yuri Ouchakov, ce report permettrait de laisser le champ libre aux efforts diplomatiques américains pour la mise en œuvre du plan de paix au Moyen-Orient, notamment autour de Gaza.
Steve Witkoff : Oui.
Youri Ouchakov : Oui, parce que nous pensons que tu fais le vrai travail, là-bas, dans la région.
Steve Witkoff : Eh bien, écoute. Je vais te dire quelque chose. Je pense, je pense que si nous pouvons résoudre l’affaire Russie-Ukraine, tout le monde sautera de joie.
Youri Ouchakov : Oui, oui, oui. Oui, tu n’as qu’un seul problème à résoudre. [Rires]
Steve Witkoff : Lequel ?
Youri Ouchakov : La guerre russo-ukrainienne.
Steve Witkoff : Je sais ! Comment on règle ça ?
Youri Ouchakov : Mon ami, je voudrais juste ton avis. Penses-tu que ce serait utile, si nos chefs parlaient au téléphone ?
Steve Witkoff : Oui, je pense que oui.
Youri Ouchakov : Tu penses que oui. Et quand penses-tu que ce serait possible ?
Steve Witkoff : Je pense que dès que vous le proposerez, mon gars est prêt à le faire.
Youri Ouchakov : D’accord, d’accord.
Steve Witkoff : Yuri, Yuri, voici ce que je ferais. Ma recommandation.
Youri Ouchakov : Oui, s’il te plaît.
Steve Witkoff : J’appellerais pour simplement réitérer que vous félicitez le président pour cet accomplissement, que vous l’avez soutenu, que vous l’avez soutenu, que vous respectez le fait qu’il soit un homme de paix et que vous êtes vraiment heureux d’avoir vu cela arriver. Je dirais ça. Je pense qu’à partir de là, l’appel sera très bon.
L’insistance sur l’image de Donald Trump comme « homme de paix » est devenue un véritable mantra de la diplomatie mondiale. Loin d’être anecdotique ou grotesque, plusieurs chefs d’État et de gouvernement s’appuient sur cet élément pour obtenir des concessions ou des arbitrages favorables, allant avant le 10 octobre — date de l’annonce du Prix Nobel à l’activiste vénézuélienne María Corina Machado — jusqu’à appuyer la candidature du président américain à cette reconnaissance.
Parce que — laisse-moi te dire ce que j’ai dit au Président. J’ai dit au Président que vous — que la Fédération de Russie a toujours voulu un accord de paix. C’est ma conviction. Je lui ai dit que je le croyais.
L’idée selon laquelle la Russie « a toujours voulu un accord de paix » semble être une déclaration sortie de la plus simple propagande poutinienne. Elle est évidemment largement contredite par les actions et les prises de position officielles du Kremlin. Depuis le début de l’invasion à grande échelle, en février 2022, la Russie mène une guerre d’agression pour conquérir et contrôler des territoires ukrainiens. Les conditions posées pour tout cessez-le-feu ou toute négociation sont punitives et inacceptables pour Kiev, témoignant d’un objectif maximaliste, de capitulation et de perte de souveraineté de l’Ukraine. Les bombardements d’infrastructures civiles et les crimes commis contre les populations témoignent d’une stratégie de terreur, incompatible avec une volonté de paix.
Et je pense que la question — le problème — est que nous avons deux nations qui ont du mal à trouver un compromis, et quand elles y parviendront, nous aurons un accord de paix. Je pense même qu’on pourrait établir une sorte de plan de paix en 20 points, comme nous l’avons fait pour Gaza. Nous avons créé un plan Trump en 20 points pour la paix, et je me dis que nous pourrions faire la même chose avec vous. Mon point est le suivant…
Youri Ouchakov : D’accord, d’accord, mon ami. Je pense que ce point pourrait être discuté par nos dirigeants. Hé, Steve, je suis d’accord avec toi, qu’il le félicitera, qu’il dira que M. Trump est un véritable homme de paix, etc. Il le dira.
Steve Witkoff : Mais voici ce qui serait incroyable.
Youri Ouchakov : D’accord, d’accord.
Steve Witkoff : Et si, et si… écoute-moi bien…
Youri Ouchakov : Je vais en parler à mon patron, et je reviendrai vers toi. D’accord ?
Steve Witkoff : Oui, parce que écoute ce que je dis. Je veux juste que tu dises, peut-être simplement que tu dises cela au président Poutine, parce que tu sais que j’ai le plus grand respect pour le président Poutine.
Youri Ouchakov : Oui, oui.
Steve Witkoff : Peut-être qu’il dira au président Trump : « Tu sais, Steve et Yuri ont discuté d’un plan très similaire, un plan de paix en 20 points, et cela pourrait être quelque chose qui pourrait faire bouger un peu les choses ; nous sommes ouverts à ce genre d’idées — à explorer ce qu’il faudra pour parvenir à un accord de paix. »
Maintenant, entre toi et moi, je sais ce qu’il faudra pour obtenir un accord de paix : Donetsk, et peut-être un échange de territoires quelque part. Mais je dis, au lieu de parler comme ça, parlons de manière plus positive, car je pense que nous allons arriver à un accord. Et je pense, Yuri, que le président me laissera beaucoup d’espace et de latitude pour parvenir à un accord.
Par son impréparation, Steve Witkoff avait commis plusieurs erreurs majeures dans la préparation du sommet d’Anchorage. En sous-estimant l’ampleur des prétentions territoriales russes sur l’Ukraine, il semble ici envisager d’instaurer une logique de traité secret, dans laquelle le marketing de la paix permettrait de forcer l’Ukraine à se plier.
Youri Ouchakov : Je vois…
Steve Witkoff : Donc, si nous pouvons créer l’opportunité que, après cela, j’ai parlé à Yuri et que nous avons eu une conversation, je pense que cela pourrait mener à de grandes choses.
Youri Ouchakov : D’accord, ça sonne bien. Ça sonne bien.
Steve Witkoff : Et voici une autre chose : Zelenskyi vient à la Maison-Blanche vendredi.
Youri Ouchakov : Je le sais. [Ricané]
Vendredi 17 octobre, le président ukrainien Zelensky s’est en effet rendu à la Maison Blanche pour demander, sans succès, un soutien militaire accru, notamment des missiles Tomahawk à longue portée, fabriqués aux États-Unis.
Steve Witkoff : Je vais aller à cette réunion parce qu’ils veulent que j’y sois, mais je pense que, si possible, nous devrions avoir l’appel avec ton patron avant cette réunion de vendredi.
La prudence diplomatique semble complètement absente : Witkoff affirme sans ambiguïté que les États-Unis sont prêts à se coordonner au plus haut niveau pour préparer la visite d’un chef d’État allié avec un pays qui mène depuis plusieurs années une guerre dévastatrice contre son peuple et son sol.
Youri Ouchakov : Avant, avant — oui ?
Steve Witkoff : Correct.
Youri Ouchakov : D’accord, d’accord. J’ai compris ton conseil. Donc, j’en parle à mon patron, et ensuite, je reviens vers toi, d’accord ?
Le 16 octobre, un appel téléphonique de plus de deux heures a eu lieu entre Trump et Poutine. Les deux présidents avaient convenu d’un nouveau sommet, après celui d’Anchorage, à Budapest — sommet qui a été par la suite annulé en raison du manque d’intérêt russe et de l’absence de la moindre concession du Kremlin.
Steve Witkoff : D’accord, Yuri, je te parle bientôt.
Youri Ouchakov : Très bien, très bien. Merci beaucoup. Merci.
Steve Witkoff : Au revoir.
Youri Ouchakov : Au revoir.
[Fin de l’appel]