La présidente Claudia Sheinbaum a affirmé à plusieurs reprises que « le Mexique est le pays le plus démocratique du monde » car il serait le premier et le seul à élire tous les membres du pouvoir judiciaire — tant au niveau fédéral que local. Arguant que le pouvoir judiciaire était corrompu et ne représentait pas « la volonté du peuple », son gouvernement a maintenu la tenue d’élections nationales le 1er juin 1. Comme on pouvait s’y attendre, le résultat a suscité de vives inquiétudes quant à l’avenir d’une démocratie encore balbutiante.

Bien que Sheinbaum et le parti au pouvoir, Morena, considèrent cette expérience comme un succès 2, la légitimité du processus a été remise en question en raison du taux d’abstention élevé 3, des irrégularités constatées, des consignes de vote et d’autres tactiques utilisées par Morena pour garantir un résultat favorable.

Malgré les efforts de Morena pour mobiliser les électeurs, le taux d’abstention s’est élevé à 87 %, soit un taux de participation de 13 % : c’est la participation la plus faible depuis que le Mexique est une démocratie. Plus alarmant encore, plus de la moitié des électeurs ont mis un bulletin nul 4, dans ce qui semble être un geste de protestation contre un processus que les partis d’opposition et des millions de citoyens ont qualifié de farce antidémocratique.

Plus de 130 000 personnes s’étaient inscrites pour exercer la fonction d’observateur électoral.

Ce chiffre très élevé a conduit les autorités électorales à soupçonner Morena d’avoir envoyé des sympathisants du parti se faire passer pour des observateurs indépendants afin d’accéder aux urnes et de distribuer des consignes de vote ou d’exercer d’autres formes de pression.

Malgré les efforts du parti Morena pour mobiliser les électeurs, le taux d’abstention s’est élevé à 87 % : c’est la participation la plus faible depuis que le Mexique est une démocratie.

Denise Dresser

La participation dans la plupart des États a été inférieure à 15 %. Selon les données officielles, les votes blancs et nuls ont représenté 23 % du total des suffrages exprimés, soit le double de ceux obtenus par le candidat qui sera président de la Cour suprême de justice. Les organisations de la société civile et les observateurs indépendants ont documenté des irrégularités pendant la journée électorale : certains guides électoraux — des petits fiches expliquant comment voter — non conformes, ont été distribués dans une matière comestible afin de pouvoir être mangés pour éliminer toute preuve de leur existence 5.

Interrogée sur l’illégalité des tactiques du parti, la dirigeante de Morena, Luisa María Alcalde, a minimisé les critiques et affirmé que les Mexicains avaient fait preuve de « créativité ».

Ces élections constituent un coup dévastateur pour la jeune démocratie électorale mexicaine et marquent le retour d’un régime autoritaire « compétitif » au sens de Steven Levitsky : un autoritarisme qui s’appuie sur des processus électoraux fantoches pour se renforcer.

Le parti au pouvoir dominera désormais les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mettant fin à une ère de trente années caractérisée par la séparation des pouvoirs et l’existence de contre-pouvoirs. 

Un renforcement du contrôle du parti sur le pouvoir judiciaire

Pendant des mois, Morena a tenté de contrôler le processus électoral et de biaiser le résultat en sa faveur en créant des comités chargés d’évaluer des milliers de candidats, en sélectionnant les candidats fidèles au parti et en fixant des conditions minimales pour devenir juge fédéral, magistrat fédéral ou ministre de la Cour suprême — une mention bien à l’université, un diplôme en droit et cinq ans d’expérience dans un domaine connexe.

Les candidats n’ont pas concouru sur un pied d’égalité : ceux soutenus par le gouvernement ont eu accès à des ressources publiques pour faire leur promotion ; le parti au pouvoir a distribué des guides pour s’assurer que les électeurs de Morena votent pour les candidats choisis par le parti sur un bulletin de vote extrêmement complexe. Les électeurs devaient choisir 881 postes parmi une liste de 2 681 postes fédéraux et étatiques, avec peu d’informations disponibles sur les qualifications ou l’expérience des candidats.

Ces élections constituent un coup dévastateur pour la jeune démocratie électorale mexicaine et marquent le retour d’un régime autoritaire « compétitif ».

Denise Dresser

Les résultats constituent une victoire politique pour le parti, car les vainqueurs sont précisément les candidats qui figuraient dans les guides distribués par Morena.

Mais si le contrôle partisan des tribunaux est ainsi assuré, les élections ont également mis en évidence le manque de légitimité qui caractérise le processus depuis ses débuts.

Les conditions essentielles pour garantir des élections libres et équitables ont en effet été compromises avant même le jour du scrutin.

En raison des coupes budgétaires importantes imposées par l’ancien président Andrés Manuel López Obrador et par Sheinbaum à l’Institut national électoral (INE), moins de la moitié des bureaux étaient disponibles par rapport à ceux utilisés lors des élections présidentielles ou intermédiaires. En raison de leur complexité et de leur nombre, les bulletins de vote n’ont pas été comptés par les citoyens dans les bureaux de vote — comme cela a été le cas lors de toutes les élections organisées au Mexique depuis 1997, mais transférés aux bureaux locaux de l’INE, où le dépouillement a pris plusieurs jours et où aucune vérification indépendante n’aura lieu.

La popularité et la loyauté ont été les facteurs décisifs pour les candidats vainqueurs.

La présidence de la Cour suprême de justice a été remportée par un membre de Morena d’origine indigène, conduisant le parti au pouvoir à célébrer le pluralisme et la diversité, minimisant le manque d’expérience d’Hugo Aguilar Ortiz et son rôle dans l’organisation des « consultations populaires » en faveur des travaux publics massifs de López Obrador.

Trois femmes qui étaient membres de l’ancienne Cour suprême et avaient été nommées par López Obrador ont été réélues ; l’une d’elles a été accusée de plagiat grave dans ses thèses de licence et de doctorat, et est mariée à un important entrepreneur sous-traitant pour le gouvernement. Les deux autres ont fait campagne en s’appuyant sur leur loyauté envers le parti au pouvoir. 

Le Tribunal de discipline judiciaire, nouvellement créé, qui évaluera les décisions judiciaires et aura le pouvoir de révoquer les juges sans possibilité de recours, sera également influencé par le contrôle du parti. Ses cinq membres ont tous travaillé auparavant dans des gouvernements de Morena ou ont publiquement exprimé leur loyauté envers la « quatrième transformation ».

Si le contrôle partisan des tribunaux est ainsi assuré, les élections ont également mis en évidence le manque de légitimité qui caractérise le processus depuis ses débuts.

Denise Dresser

Les vices du pouvoir judiciaire restent intacts

Bien que le gouvernement présente ces élections comme un moyen de lutter contre les défauts du pouvoir judiciaire, elles sont le signe de sa détérioration.

Si AMLO et Sheinbaum avaient réellement eu l’intention de promouvoir une réforme qui s’attaque aux problèmes fondamentaux du système judiciaire, ils auraient eu à la fois le pouvoir politique et le temps de le faire. Pour cela, il aurait fallu s’attaquer aux causes profondes de l’injustice et de l’impunité au Mexique où l’on estime que 98 % des infractions restent impunies : l’incompétence et la corruption des procureurs et des policiers. Au lieu de cela, à mi-mandat, AMLO avait commencé à critiquer les juges et les membres de la Cour suprême qui tentaient d’établir des limites constitutionnelles à son autorité.

L’appel à la destitution de l’actuelle Cour suprême et de tous les juges était davantage un acte de vengeance qu’un effort pour éradiquer la corruption ou le népotisme dans les tribunaux.

La Cour a tenté de bloquer la militarisation inconstitutionnelle de la sécurité publique, la destruction d’institutions autonomes et la prise de contrôle par le gouvernement de l’institut électoral autonome du pays, l’INE. Les juges et magistrats fédéraux ont ordonné des mesures de protection contre la construction du Train Maya en raison de son impact environnemental négatif sur la péninsule du Yucatán, entre autres exemples. 

En somme, le pouvoir judiciaire a tenté d’agir comme un contre-pouvoir contre la dérive autoritaire  — et il vient d’être puni pour cela. 

AMLO et Sheinbaum ont d’ailleurs tous deux présenté les élections comme un moyen de libérer la démocratie mexicaine des élites oligarchiques et corrompues qui s’opposaient à leur projet de transformation.

Une expérience ratée

Ce que Sheinbaum qualifie d’« expérience démocratique » a été largement condamné.

L’ancien président Ernesto Zedillo, qui a dirigé la transition du Mexique vers la démocratie électorale en 2000, a qualifié les élections d’« assassinat de notre jeune démocratie ».

Le rapporteur spécial des Nations unies a déclaré que la réforme pourrait éliminer tout vestige d’indépendance judiciaire et donner lieu à des décisions motivées par des pressions partisanes en conflit avec les normes internationales en matière de droits de l’homme.

Le pouvoir judiciaire a tenté d’agir comme un contre-pouvoir contre la dérive autoritaire  — et il vient d’être puni pour cela.

Denise Dresser

Même à Washington, des membres de l’administration Trump ont exprimé leur inquiétude face à une politisation du pouvoir judiciaire qui viole explicitement des articles de l’accord Canada-États-Unis-Mexique.

Et l’ONG Human Rights Watch craint qu’un pouvoir judiciaire contrôlé par Morena puisse entraver la capacité des tribunaux à agir en tant qu’arbitres neutres dans les affaires liées à la responsabilité du gouvernement ou à la corruption.

Cette condamnation généralisée découle d’une évidence : dans les démocraties, on n’élit d’ordinaire jamais les juges puisque le rôle du pouvoir judiciaire est de défendre la loi — pas de rendre des jugements populaires ou partisans. Seuls quelques pays le font et les élections sont pour la plupart limitées aux tribunaux inférieurs.

La politisation à l’extrême du pouvoir judiciaire en fait une arme au service du parti au pouvoir, privant les citoyens de leurs droits et contribuant à l’instrumentalisation de la justice contre les détracteurs et les membres de l’opposition.

L’expérience mexicaine a été présentée comme une tentative d’éliminer un pouvoir étatique corrompu et élitiste, lié à ce que la présidente appelle « la longue nuit néolibérale ». Mais Sheinbaum et son parti cherchent à greffer les attributs de la démocratie sur un processus qui sape et politise le système judiciaire : déguisée en manifestation de la volonté populaire, cette stratégie masque mal ce qui est en fait une capture autoritaire de tous les leviers du pouvoir.