1 — Inter contre PSG dans la longue durée
Le PSG dispute ce soir la deuxième finale de Ligue des champions de son histoire — les Parisiens avaient perdu la première en 2020 en pleine pandémie contre le Bayern —, tandis que l’Inter joue de son côté sa septième, après trois victoires — en 1964, en 1965 et en 2010, sous la direction d’orchestre de José Mourinho — et une récente défaite en 2023 contre Manchester City.
Ces chiffres s’expliquent par l’histoire des deux clubs.
Fondé en 1908 à Milan, le Football Club Internazionale — communément appelé Inter et à ne pas confondre avec son adversaire l’AC Milan — fait partie des doyens du football italien et européen. Née une décennie après la Juventus de Turin — l’équipe la plus prestigieuse de la péninsule qui a disputé 9 finales de Ligue des Champions et gagné plus de 36 championnats —, l’Inter a ainsi gagné la plupart de ses finales de Ligue des Champions avant même la naissance du PSG.
Le PSG est en effet l’une des plus jeunes équipes de haut niveau du football européen. Fondée en 1970 pour répondre à une anomalie : une capitale économique et politique de la taille de Paris n’avait pas d’équipe de football capable de rivaliser à l’échelle nationale et continentale.
Ce n’est toutefois qu’avec le rachat à l’été 2011 par la Qatar Investment Authority que le Paris Saint-Germain change de dimension : si en une quarantaine d’années le club n’avait emporté que deux Ligues 1 (en 1984/85 et 1993/94), depuis 2011 le club parisien a remporté 11 fois le championnat.
L’Inter a gagné la plupart de ses finales de Ligue des Champions avant même la naissance du PSG.
Stablement en tête en France, le PSG reste en quête d’un succès international qui lui permettrait d’effectuer pour la première fois de son histoire un triplé, après avoir remporté le titre de Ligue 1 et la Coupe de France le week-end dernier.
2 — Munich et le jeu des symétries structurelles
Le match de ce soir se déroule sur terrain neutre.
C’est la Fußball Arena de Munich qui accueille la finale. Cette coïncidence géographique est particulièrement frappante. Car la deuxième finale dans l’histoire entre une équipe française et italienne en Ligue des Champions se déroule pour la deuxième fois à Munich.
La première fois où un club français a remporté la compétition est aussi la seule. L’Olympique de Marseille, club rival de Paris, avait battu l’AC Milan, club ennemi de l’Inter, toujours à Munich en 1993 (1-0) sur un coup de tête de Basile Boli.
Le match de ce soir propose donc une structure presque pure : deux équipes adversaires du même espace national s’affrontent dans le même lieu. Il reste à savoir si avec les permutations de l’histoire, un schéma permettra d’aboutir à la même issue.
3 — France contre Italie : les braises d’une rivalité
Sans revenir à 2006 et à la rivalité entre les deux équipes nationales, ce match pourrait réactiver une rivalité profonde dans le football mondial, dans la semaine qui verra une rencontre très attendue entre Emmanuel Macron (qui dit être un supporter de l’Olympique de Marseille) et Giorgia Meloni (qui semble osciller entre un soutien à la Lazio et à ses adversaires de la Roma).
Il est également possible que des joueurs français et italiens évoluant respectivement à l’Inter et au PSG se révèlent décisifs pour le club du pays opposé.
Avec 47 buts, Marcus Thuram est le deuxième meilleur marqueur de l’Inter cette saison. Le risque du but d’un Français de l’Inter contre le PSG est donc particulièrement élevé. Ce serait une répétition de la finale du PSG, perdue contre le Bayern par un but de Kingsley Coman, par ailleurs ancien joueur parisien.
L’actuel gardien du PSG, Gianluigi Donnarumma est un ancien de l’AC Milan — l’équipe adversaire de l’Inter —, pourrait également jouer un rôle clef dans la finale.
Avec 47 buts, Marcus Thuram est le deuxième meilleur marqueur de l’Inter cette saison. Le risque du but d’un Français de l’Inter contre le PSG est donc particulièrement élevé.
À noter : depuis la naissance de la Ligue des champions, un quart des finales a vu un club italien perdre. Toutefois le championnat de France n’est pas vraiment plus efficace puisque ses clubs ont perdu 86 % de ses finales — ce qui constitue aussi un record parmi les championnats comptant au moins deux finales.
4 — Tactique d’Inter contre PSG : la prédominance à l’attaque ou à la défense ?
L’Inter de Simone Inzaghi est une équipe particulièrement coriace qui fait de la phase défensive la clef de sa force. Dans les 1 395 minutes de football disputées en Ligue des champions cette saison, elle n’a été menée au score que pendant 17 minutes au total.
À noter : son gardien, l’international suisse Yann Sommer, affiche également le meilleur pourcentage d’arrêts (81,4 %) parmi les gardiens ayant disputé au moins huit matchs en Ligue des champions, et il détient également le record de matchs sans encaisser de but (sept). Il est aussi un gardien spécialiste des séances de tir aux buts — c’est lui d’ailleurs qui avait arrêté le tir au but de Kylian Mbappé et éliminé ainsi la France de l’Euro 2021 1.
De son côté, le PSG joue un football plus agressif. L’équipe de Luis Enrique pratique un juego de posición particulièrement brillant qui en phase de possession se structure avec trois joueurs en retrait et deux en largeur.
L’équipe de Luis Enrique affiche une moyenne de 62,2 % de possession dans ses matchs européens cette saison, soit le quatrième meilleur total de la compétition, tandis que seul le Bayern Munich (645) a tenté plus de passes par match que le PSG (632). Parmi les équipes des cinq meilleurs championnats européens, seule Barcelone (174) a marqué plus de buts que le PSG (147) toutes compétitions confondues.
La clef du match pourrait se situer dans un affrontement structurel : dans le duel tactique entre le 3-5-2 de l’Inter et la défense à trois du PSG, l’enjeu pour les Milanais sera d’empêcher les Parisiens de convertir leur supériorité numérique en une série d’avantages positionnels dans les zones avancées du terrain 2.
Dans les 1 395 minutes de football disputées en Ligue des champions cette saison, l’Inter n’a été menée au score que pendant 17 minutes au total.
5 — Soft power contre puissance spéculative : géoéconomie du football contemporain
L’affiche PSG-Inter met aux prises deux modèles de propriétaires opposés.
D’un côté, un État pétrolier qui finance le PSG pour le prestige et l’influence, sans exigence de rentabilité financière immédiate, car le club lui sert d’outil diplomatique et d’image — au point qu’on a pu accuser le Qatar de sportswashing 3. De l’autre, un fonds d’investissement, Oaktree, qui gère l’Inter avec une logique de rentabilité — à l’image du fonds Elliott ayant revendu l’AC Milan pour 1,2 milliard d’euros après l’avoir redressé 4.
Depuis le rachat du PSG en 2011 par Qatar Sports Investments, les propriétaires qataris ont investi plus de 1,5 milliard d’euros dans les transferts de joueurs, propulsant le budget du club parmi les plus importants d’Europe.
Face à la profondeur des capitaux du football contemporain, la Série A italienne — historiquement portées par des capitaines d’industries à l’image de Silvio Berlusconi ou de la dynastie Agnelli — a vu progressivement ses clubs passer sous contrôle d’acteurs internationaux.
Aujourd’hui, plus de la moitié des clubs de Serie A — dont des grands noms comme l’AC Milan, l’AS Roma, la Fiorentina ou l’Atalanta — sont détenus par des capitaux étrangers, principalement nord-américains. Il y a environ un an, l’Inter est devenue le 14ᵉ club italien contrôlé par des intérêts américains. Si ces investissements apportent de l’argent frais et une gestion plus structurée à une Serie A en difficulté, ils posent aussi la question de l’autonomie et de l’identité des clubs dans la péninsule.
6 — Géopolitique de l’Inter : la rivalité sino-américaine structure le football
L’histoire récente de l’Inter illustre de manière plastique les grandes tendances de la géopolitique mondiale à travers le prisme du football.
En 2016, le conglomérat chinois Suning rachète le club lombard et y injecte des centaines de millions d’euros, avec l’ambition de briser l’hégémonie nationale de la Juventus — alors championne d’Italie neuf fois d’affilée entre 2011 et 2020. Ce mouvement s’inscrit dans une vague plus large d’investissements chinois dans le sport européen, dans un contexte où Pékin cherche à accroître son influence globale via des leviers non traditionnels, comme le football.
Le contexte politique italien joue également un rôle déterminant dans cette séquence.
À partir de 2018, Rome connaît un basculement diplomatique : le premier gouvernement Conte (coalition entre le Mouvement 5 Étoiles de Beppe Grillo et la Ligue de Matteo Salvini) marque une prise de distance vis-à-vis des États-Unis. Ce réalignement culminera en 2019 avec la signature, par l’Italie — seule nation du G7 à le faire —, du mémorandum d’adhésion aux « Nouvelles Routes de la Soie ».
Aujourd’hui, plus de la moitié des clubs de Serie A — dont des grands noms comme l’AC Milan, l’AS Roma, la Fiorentina ou l’Atalanta — sont détenus par des capitaux étrangers, principalement nord-américains.
Cette convergence se referme brutalement avec la chute du gouvernement Conte et, surtout, lorsque Pékin impose, à partir de 2020, des restrictions aux investissements à l’étranger. Suning se retrouve à court de liquidités, et l’Inter traverse une grave crise : avec un déficit de plus de 100 millions d’euros, des retards dans le versement des salaires et une impossibilité d’injecter de nouveaux fonds.
En 2021, le fonds américain Oaktree accorde un prêt de 275 millions d’euros aux propriétaires chinois, avec les actions du club en garantie. Faute de remboursement, Oaktree prend le contrôle de l’Inter en mai 2024.
En quelques années, un fleuron italien est passé de la superpuissance chinoise à un fonds de Wall Street — le gouvernement Meloni sortant des Routes de la Soie en 2023 —, au gré des rapports de force mondiaux.
7 — L’échelle planétaire d’une finale de Champions League
La finale de la Ligue des champions est l’un des événements sportifs annuels les plus suivis à l’échelle mondiale. Seul le superbowl américain peut rivaliser avec ces audiences — mais il n’est regardé pratiquement que dans un seul pays.
Pour l’édition 2025, l’audience télévisée mondiale devrait atteindre plus d’une centaine de millions de téléspectateurs.
En 2024, la finale avait rassemblé environ 145 millions de personnes en direct selon l’UEFA 5.
Il s’agit d’une augmentation significative par rapport aux dernières années : entre 2016 et 2021, l’audience a fluctué entre 49 millions et 106 millions, avec des chiffres de 88 millions (2016), 106 millions (2017), 59 millions (2018), 79 millions (2019) et 49 millions (2021) respectivement.
Elle sera diffusée dans la plupart des pays du monde et le principal diffuseur en Afrique du Nord et au Moyen-Orient sera beIN sport, propriété du Qatar.
8 — L’exposition planétaire de la marque Qatar
La finale sera une vitrine inédite pour la « marque Qatar » avec un effet démultiplicateur pour ce petit pays de 2,6 millions d’habitants.
Le PSG arbore sur son maillot le logo de Qatar Airways, la compagnie nationale qatarie, devenue sponsor principal du club en 2022 et puissant instrument de soft power de Doha.
D’autre part la chaîne beIN Sports retransmettra l’événement au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie du Sud-Est, assurant au Qatar une visibilité maximale.
Dans un contexte régional marqué par une compétition avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, le Qatar consolide ainsi sa stature de puissance d’influence par le sport, un levier stratégique dans sa diplomatie post-blocus.
9 — PSG contre Inter : qui a le plus de supporters ?
Le PSG se distingue comme l’un des clubs les plus suivis au monde sur les réseaux sociaux, avec 173,5 millions d’abonnés au total.
Il est notamment porté par sa forte présence sur Instagram (63,7 millions) et TikTok (42,7 millions), reflet de sa stratégie axée sur une image globale et jeune, renforcée par les stars passées comme Messi, Neymar ou Mbappé.
À l’inverse, l’Inter Milan, malgré sa longue histoire, affiche une présence beaucoup plus modeste avec 64,7 millions d’abonnés, ce qui lui vaut la 13e place.
Son audience est principalement concentrée sur Facebook (33 millions d’abonnés) et est nettement inférieure sur les autres réseaux sociaux, ce qui souligne un rayonnement numérique plus limité. Cela reflète à la fois des choix de communication différents et un rayonnement moindre de l’équipe hors d’Italie ces dernières années.
Sources
- Kylian Mbappé qui avait quitté le PSG il y a un an notamment pour essayer de gagner la Ligue des Champions avec le Real Madrid regardera le match de ses anciens coéquipiers derrière sa télé…
- Fabio Barcellona, “Cosa deve fare l’Inter contro il PSG”, Ultimo Uomo, 9 mai 2025.
- Fruh K, Archer A, Wojtowicz J. Sportswashing : Complicity and Corruption. Sport, Ethics and Philosophy. 2023 Jan 2;17(1):101-118.
- « Oaktree takes over Inter Milan after Chinese owner missed payment », Reuters, 22 mai 2022.
- Ce chiffre comprend les personnes qui regardent les retransmissions à domicile, sur des plateformes de streaming en direct, ainsi que les fans qui suivent les matchs dans des lieux publics tels que les bars, les restaurants et les fan zones.