Par ses prises de positions sur les sujets les plus variés — y compris les plus complexes et sensibles comme ceux touchant à la politique monétaire — Donald Trump ne cesse d’étonner. Gouvernements, banques centrales et économistes scrutent ses déclarations en matière de droits de douane dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler désormais la doctrine Miran, du nom du conseiller économique de Trump, qui vise à renverser les chaises de l’ordre monétaire mondial pour négocier un nouvel accord du Plaza et déprécier le dollar.
Au-delà de ces bouleversements de la politique monétaire, d’autres actions du président Trump en matière monétaire n’ont sans doute pas la même portée immédiate mais, mises bout à bout, n’en sont pas moins disruptives.
Qu’il s’agisse de la remise en cause indirecte de l’indépendance de la Federal Reserve dans la conduite de la politique monétaire, de la création d’une réserve de bitcoins et de crypto-actifs, des faveurs accordées aux stablecoins libellés en dollar comme outil permettant non seulement de préserver la domination du dollar mais aussi de financer la dette publique américaine, sans même parler de l’émission avec Melania Trump de meme coins — toutes ces initiatives bouleversent la vision traditionnelle de la monnaie.
Peut-on pour autant parler d’un plan précis et organisé, d’une vision raisonnée de la monnaie, ou d’une approche nouvelle des questions monétaires, comme dans le cas de la doctrine Miran ? Non. On chercherait en vain une logique, une cohérence à toutes ces initiatives — il n’y en a pas.
En revanche, on peut y voir les influences tantôt des post-libertariens, tantôt des libertariens, tantôt des techno-positivistes de la Silicon Valley qui, à des degrés divers et à des moments différents, gravitent autour du président Trump qui s’appuie, au gré de ses intérêts, sur tel ou tel de ces cercles pour assouvir le pouvoir de l’Empire.
Arraisonner les banques centrales
L’indépendance des banques centrales constitue une doxa de l’économie libérale.
Les récentes déclarations du président Trump — tout comme celles réalisées dans le passé — à l’encontre de la Fed et de son président sont considérées comme une potentielle remise en cause de ce dogme.
Même si la notion d’indépendance des banques centrales est assez récente — elle a une cinquantaine d’année — que le concept de banque centrale en charge de conduire la politique monétaire n’est pas si ancien que cela dans l’histoire de l’économie (moins d’une centaine d’années) et que les banques centrales elles-mêmes, vues comme un institut d’émission monétaire, ne sont qu’une création liée aux États modernes (la plus ancienne, à savoir la Riksbank suédoise, a été créée en 1668, et la Fed parmi les plus récentes, en 1913 1), l’interférence du politique dans la conduite monétaire apparaît aujourd’hui comme une atteinte à l’État de droit. La banque centrale est en effet érigée en « quatrième pouvoir », permettant une conduite monétaire déconnectée des soubresauts de la politique, par des personnes non soumises aux aléas des majorités politiques et ne disposant pas d’un mandat représentatif 2.
C’est en cela que les propos du président américain sont violents : ils remettent en cause un des piliers des démocraties libérales et ouvrent la porte à un retour à des pratiques — pas si anciennes — par lesquelles les gouvernements interféraient dans la conduite des politiques monétaires.

Il suffit de se souvenir des années précédant la création de l’euro, et des relations entre la Banque de France et le ministère de l’économie et des Finances. Il faut attendre une loi du 4 août 1993 pour que la Banque de France voit consacrée dans la loi son indépendance. C’était là le long aboutissement d’une évolution qui avait vu celle-ci, société capitalistique détenues par les « deux cent familles », et sa nationalisation par la loi du 2 décembre 1945.
Mais détention du capital et indépendance ne sont pas antinomiques.
Les 12 Federal Reserve Banks américaines restent encore aujourd’hui détenues par les grandes banques nationales américaines : c’est le Federal Reserve Act de 1913 qui leur impose le montant qu’elles doivent détenir — 6 % de leur capital — et leur interdit de revendre ces actions ou de les utiliser comme garanties. Cela signifie que la loi américaine contraint les banques nationales à capitaliser la banque centrale : l’important n’est pas le contrôle du capital, mais l’exercice du pouvoir monétaire.
Les propos du président Trump sonnent d’un autre âge : celui où les gouvernements interféraient dans les décisions des banques centrales — ou tentaient de le faire — pour accompagner leurs décisions politiques et économiques de mesures monétaires.
Hubert de Vauplane
La notion même d’indépendance pour une banque centrale a évolué dans le temps, reflétant la transformation de son rôle dans les démocraties libérales.
Il existe de multiples critères pour déterminer le degré d’indépendance d’une banque centrale, mais l’on s’accorde à en retenir trois principaux : les procédures de nomination des dirigeants de la banque centrale ; les relations entre le conseil de direction et le gouvernement national ; les responsabilités et missions assignées à la banque centrale. En fait, l’indépendance effective — et non formelle — se mesure dans la capacité de piloter la politique monétaire sans interférence du pouvoir politique et partant, de réduire l’inflation — principale mission assignée aux banques centrales 3.
Une étude du FMI portant sur plusieurs dizaines de banques centrales, entre 2007 et 2021, montre que celles qui présentaient un haut niveau d’indépendance ont mieux réussi à maîtriser les anticipations d’inflation de leur population.
Selon l’orthodoxie monétaire et libérale ambiante, l’indépendance d’une banque centrale est essentielle 4. C’est aussi ce qui justifie le pouvoir de supervision exercé sur les banques 5.
Dans ce contexte, les propos du président Trump sonnent d’un autre âge : celui où les gouvernements interféraient dans les décisions des banques centrales — ou tentaient de le faire — pour accompagner leurs décisions politiques et économiques de mesures monétaires.
Mais au-delà de leur anachronisme, ne reflètent-ils pas de manière plus profonde une tendance à la critique des institutions libérales, dont les banques centrales sont l’un des parangons ?
Accusées de tous les maux, en particulier d’avoir permis l’explosion de la dette publique, les banques centrales seraient, pour une partie de l’opinion publique dans certains pays, à mettre sur le banc des accusés — et la banque centrale aux États-Unis n’échappe pas à ce procès.
L’affaiblissement de la banque centrale américaine peut être analysé comme l’un des points de jonction de plusieurs cercles de pouvoir autour de Trump.
En premier lieu, la nébuleuse post libérale dont certains des proches du président — à commencer par son vice-président J. D. Vance — sont des adeptes ; mais aussi les cercles libertariens ou techno-positivistes qui, sans être présents à la Maison Blanche, ne sont jamais très loin des discussions sur ces sujets monétaires.
Les propos de Donald Trump révèleraient ainsi non seulement le souci de maîtriser un contre-pouvoir puissant et indépendant, qui pour l’heure échappe à l’emprise de la galaxie Trump, mais aussi de remettre en cause l’un des piliers de l’économie libérale, par certains de ses proches — ou moins proches — conseillers.

Le refus d’un dollar numérique et les stablecoins comme substitut
Une autre hétérodoxie monétaire de la nouvelle administration Trump se trouve dans le refus de création d’un dollar numérique.
À l’opposé, Trump promeut les stablecoins comme des outils monétaires numériques permettant à la fois le maintien de la domination du dollar dans l’économie mondiale et le financement du déficit américain. Ses déclarations sur le dollar numérique, avant comme après son élection, sont sans ambiguïté : sous sa présidence, jamais un dollar numérique ne verra le jour.
Le président américain ne s’est pas expliqué sur ce choix radical, mais on peut y voir à la fois sa confiance dans le secteur privé et son aversion pour le secteur public — y compris pour des questions régaliennes comme la circulation de la monnaie.
En analysant de près l’executive order du 23 janvier 2025 on peut cependant identifier des motivations spécifiques à cette décision : il s’agirait de « protéger les américains des risques liés aux monnaies numériques des banques centrales (MNBC), qui menacent la stabilité du système financier, la vie privée des individus et la souveraineté des États-Unis » 6.
L’interdiction constituerait ainsi une protection des citoyens américains.
Trois menaces sont identifiées.
Celle sur la vie privée est une vieille antienne conspirationniste, ou libertarienne — ou les deux — du fait que les données personnelles seraient technologiquement accessibles auprès de la banque centrale, et donc potentiellement transmises aux administrations étatiques. Ce qui est possible dans un État non démocratique ne l’est pas dans un État de droit, où le contrôle du juge sur les données privées, même entre les mains d’autorités publiques, est strictement encadré.
Plus surprenantes sont les deux autres raisons avancées.
Aucune étude sérieuse ne vient en effet souligner un risque pour la stabilité du système financier ou monétaire international par les monnaies numériques des banques centrales (MNBC).
Quant à la souveraineté, c’est l’inverse. Les thuriféraires des MNBC — comme la Banque centrale européenne, par exemple — mettent pour leur part en avant le risque d’atteinte à la souveraineté monétaire du fait de l’utilisation des monnaies privées comme les stablecoins.
Peu importe la teneur des motifs avancés, il n’y aura pas de dollar numérique sous l’ère Trump.
Rappel est aussi fait au président de la Fed que celui-ci ne dispose pas du pouvoir de lancer un dollar numérique qui ressort d’une seule décision politique, à savoir celle du Président des États-Unis 7.
En revanche, l’administration Trump soutient la promotion des stablecoins libellés en dollar.
Cette promotion des stablecoins en lieu et place du dollar numérique semble relativement récente. On chercherait en vain dans les propos du secrétaire d’État au Trésor, Scott Bessent, avant sa nomination à ce poste, une pensée rationnelle et claire sur le sujet. Peut-être les propos de Paolo Ardoino, fondateur de Tether, ont-ils convaincu le secrétaire d’État et le président ? 8
L’hétérodoxie monétaire trouve en partie sa source dans les cercles libertariens, voire techno-positivistes, qui gravitent autour de l’administration Trump et qui voient dans la banque centrale un obstacle à leur ambition de développement.
Hubert de Vauplane
Quoi qu’il en soit, les déclarations de Scott Bessent sont sans ambiguïté.
Ainsi, les propos tenus lors du sommet de la Maison Blanche sur les cryptomonnaies le 7 mars, aux termes desquels les États-Unis utiliseront les stablecoins pour aider à préserver le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale et pour susciter une nouvelle demande nette de bons du Trésor américain.
On a déjà indiqué, dans un précédent article, combien la croissance des stablecoins pourrait grandement aider à financer le déficit américain de plusieurs centaines de milliards de dollars.
C’est désormais officiel.
La continuité de la domination du dollar passera par l’utilisation de « monnaies privées », lesquelles — cerise sur le gâteau — permettront de financer le déficit américain.
Cette hétérodoxie trouve en partie sa source dans les cercles libertariens, voire techno-positivistes, qui gravitent autour de l’administration Trump et qui voient dans la banque centrale un obstacle à leur ambition de développement.
Quoi de mieux, quand on se voit comme le nouvel Empereur, que d’émettre une crypto-monnaie et de créer son propre éco-système financier ? Trump dispose dorénavant de sa propre plateforme de cryptos, la World Liberty Financial, créée avec d’autres investisseurs — dont Justin Sun, le fondateur de la blockchain Tron. Cette plateforme projette de créer son propre stablecoin, dénommé USD1 dont la technologie s’appuie sur le protocole informatique Tron 9.
Le président des États-Unis disposerait ainsi de sa propre monnaie, certes adossée au dollar, mais permettant d’être utilisée comme outil de paiement dans les transactions économiques. C’est d’ailleurs ce qu’a récemment indiqué Binance, la plus grande plateforme mondiale de crypto-actifs, ayant annoncé que l’entrée dans son capital du fonds d’Abu Dhabi MGX serait effectuée en utilisant l’USD1.
Mais créer une monnaie adossée au dollar n’est pas suffisant pour le président Trump : avec les meme coins, il veut une nouvelle monnaie à son effigie.

Les meme coins : quand le spectacle devient un instrument monétaire autant qu’un mode d’enrichissement
Les princes et souverains voient le plus souvent leur effigie représentée sur les pièces et billets de leur vivant.
C’est un signe affirmant leur souveraineté — un lien entre pouvoir et monnaie, une affirmation du dominium.
L’image du souverain est associée à l’or comme symbole de puissance. C’est Philippe Le Bel qui, en 1290, se fait représenter en majesté sur le petit royal.
En revanche, dans les républiques contemporaines, les hommes et femmes politiques célèbres et consensuels ne voient leur effigie gravée sur la monnaie qu’à leur mort : il s’agit d’une reconnaissance de leur rôle, d’un exemple à suivre, d’un modèle à exposer.
Mais le Président Trump ne veut pas attendre son décès pour que des pièces de monnaie le représentant soient frappées. Ne pouvant le faire sur un dollar fiduciaire, il se tourne alors vers la cryptomonnaie. Au-delà d’une formidable opération financière, la création de meme coins Trump, encore dénommés $TRUMP, constitue la réponse à ce désir.
Les meme coins sont des cryptos actifs souvent inspirées par des mèmes, des personnages ou des tendances sur Internet.
Ils sont généralement créés au sein de communautés en ligne, et se veulent « agréables » et « amusants ». Ils ont initialement vu le jour sous la forme de projets ludiques qui utilisaient la viralité des mèmes Internet pour attirer l’attention et créer une communauté — parmi les meme coins, les plus connus sont le « dogecoin » et le « shiba inu ». Tous ou presque sont associés au divertissement plutôt qu’à un côté pratique et utilitaire. Ces jetons peuvent servir de monnaie d’échange dans des transactions au sein de la communauté dont ils sont issus.
Le Président Trump ne veut pas attendre son décès pour que des pièces de monnaie à son effigie soient frappées : ne pouvant le faire sur un dollar fiduciaire, il se tourne vers la cryptomonnaie.
Hubert de Vauplane
Le Président Trump a lancé le $TRUMP en émettant un milliard de jetons, dont 800 millions restent la propriété de deux sociétés appartenant à la famille Trump, après que 200 millions aient été mises en circulation lors d’une offre initiale de jetons (ICO) le 17 janvier 2025. Le lendemain de sa mise sur le marché, la capitalisation boursière s’élevait à plus de 27 milliards de dollars.
En associant son effigie au meme coin, Donald Trump s’inscrit dans la suite des monarques. Mais au lieu d’associer son effigie à l’or, métal noble et le plus précieux, il l’associe à un crypto-actif, nouvelle représentation de la richesse moderne. Le $TRUMP reflète une certaine idée que le président des États-Unis a de lui-même et constitue bien sûr un moyen d’enrichissement personnel — à l’image des sportifs qui monnayent leurs droits dérivés avec des grandes marques.
Plus besoin de vendre son image à une marque : il suffit de la vendre directement auprès du public.
Le Prince devient un saltimbanque — et le spectacle de celui-ci un « rapport social entre des personnes médiatisé par des images », comme le disait Guy Debord dans La Société du spectacle 10.
La Réserve de bitcoins : une nouvelle réserve stratégique ?
L’idée d’une réserve nationale en crypto-actifs aux États-Unis est en train de devenir réalité.
Annoncée dans les discours lors de la campagne électorale présidentielle, puis reprise par certains sénateurs, la création d’une réserve de bitcoins et plus largement de crypto-actifs a d’abord été perçue comme un effet d’annonce — dans la lignée de toute une série de propositions qu’agitait le candidat Trump.
Alors que peu de personnes pensaient que l’idée verrait véritablement le jour, c’est pourtant aujourd’hui chose faite.
Un executive order signé le 6 mars 2025 11 crée une réserve stratégique de bitcoins en tant qu’actif de réserve permanent, financée par les bitcoins confisqués par le Trésor. À côté de cette réserve de bitcoins est aussi créée une réserve sur d’autres actifs numériques, toujours dans le cadre des confiscations effectuées par le Trésor.
Ceci n’a rien d’exceptionnel : beaucoup d’États disposent d’actifs numériques suite à des saisies 12. Les États-Unis détiendraient ainsi environ 200 000 bitcoins saisis — soit environ 18 milliards de dollars.
Le plus hétérodoxe est ailleurs.
Un projet de loi dénommé Bitcoin Act porté par la sénatrice Cynthia Lummis 13, remanié après une première version, consiste à acheter via un programme d’achat un million de bitcoins, sur une période de 5 ans, afin d’acquérir une participation d’environ 5 % de l’offre totale de bitcoin — reflétant la taille et l’étendue des réserves d’or détenues par les États-Unis. Le but de cette réserve serait de constituer un montant d’actifs pour les générations futures.
Ces acquisitions seraient financées par la diversification des fonds existants au sein du système de la Réserve fédérale et du département du Trésor, mais surtout via la réévaluation du cours du stock d’or de la Réserve fédérale (environ 8 133,5 tonnes). Actuellement comptabilisé au cours historique (42,2222 dollars américains l’once) il s’agirait de le passer au prix actuel du marché (environ 3 200 dollars américains l’once, en mai 2025) : cette réévaluation générerait un gain comptable d’environ 780 milliards de dollars américains.
Après une période de l’étalon-argent (1453-1873), puis de l’étalon-or (1870-1920) et de l’étalon dollar (1920 à aujourd’hui), nous serions aujourd’hui devant une nouvelle période : celle de l’étalon-bitcoin.
Hubert de Vauplane
Ce « coup de baguette magique » sur le prix du stock d’or américain permettrait, entre autre, de financer l’achat du million de bitcoin via le Exchange Stabilization Fund 14.
Strictement parlant, le projet de loi n’exige pas que les réserves d’or soient vendues.
L’or restera dans les réserves du Trésor et continuera d’être détenu en tant qu’actif national. La réévaluation n’est qu’un ajustement comptable, qui réestime à la valeur de marché l’or dans le bilan du Trésor, et utilise la plus-value pour acheter des bitcoins.

Mais, d’un point de vue économique, ce processus s’apparente à une vente indirecte de la valeur de l’or pour acheter des bitcoins — car la valeur comptable de l’or est convertie en espèces ou en équivalents pour les transactions sur le marché des bitcoins.
Ainsi, que ce soit avec la saisie des bitcoins ou avec le projet d’achat de bitcoins, tout deux destinés à alimenter une Réserve stratégique de bitcoins, il s’agit d’opérer un changement de paradigme dans la constitution de ce qui forme la richesse nationale.
Celle-ci ne repose plus uniquement sur la puissance du dollar, mais sur la détention d’une quantité substantielle de ce qui est vu comme la nouvelle richesse mondiale.
Cette transformation ira-t-elle au point d’assigner au bitcoin un rôle nouveau ?
Certains pensent être à l’aube d’un nouvel étalon monétaire autour du bitcoin. Ainsi, après une période de l’étalon-argent (1453-1873), puis de l’étalon-or (1870-1920) et de l’étalon dollar (1920 à aujourd’hui), nous serions aujourd’hui devant une nouvelle période : celle de l’étalon-bitcoin 15. Cela s’inscrirait dans le cadre d’un nouvel accord monétaire international, que le président Trump rêve de voir signer à Mar-a-Lago.
Quelles conséquences de ce foisonnement d’initiatives hétérodoxes ?
Quels liens ces initiatives entretiennent-elles avec la doctrine Miran ?
A priori, aucun.
Mais l’absence de cohérence rationnelle dans ces initiatives n’empêche pas de leur trouver un point commun : elles visent toutes à conférer à Donald Trump des pouvoirs qui, dans l’histoire économique, étaient ceux des Princes et des souverains en matière monétaire.
Le pouvoir monétaire régalien s’est progressivement éloigné du pouvoir politique, au fur et à mesure de l’industrialisation de l’économie, des besoins croissants de financement de la croissance par la dette, et du rôle des banques en la matière, nécessitant de contrôler leurs activités par un superviseur indépendant de l’État. Surtout, cette autonomisation du pouvoir monétaire a accompagné le développement des démocraties parlementaires et, depuis la dernière guerre mondiale, de l’État de droit.
La monnaie doit échapper au pouvoir politique. C’est cette vision-là qui est aujourd’hui mise à mal par le président des États-Unis à travers ses initiatives les plus hétérodoxes.
Sources
- Les premières banques centrales créées aux États-Unis, la First Bank of the United States (1791-1811) et la Second Bank of the United States (1816-1836) n’ont pas survécu aux vicissitudes de la vie politique américaine et à l’hostilité à leurs égards des présidents Thomas Jefferson, pour la première, et Andrew Jackson pour la seconde. Les États-Unis connaissent alors une période dite du « gilded age » (1863-1913) avec des crises se succédant dont celle de 1907, déclenchée par une tentative de manipulation boursière sur les actions de la United Cooper, entreprise minière de cuivre, est la plus grave et conduit quelques années plus tard à la création du Federal Reserve System.
- Cela constitue aussi la faiblesse des banques centrales et la critique la plus importante à leur égard : leur absence de légitimité démocratique et le faible contrôle exercé sur elles par les instances démocratiques, à commencer par les parlements.
- Si la lutte contre l’inflation figure quasiment toujours dans les missions de la plupart des banques centrales — voire peut être, comme pour la BCE, la seule mission assignée — elle peut se combiner avec d’autres objectifs comme celui de favoriser la croissance économique.
- Une autre étude du FMI répertoriant les résultats de 17 banques centrales d’Amérique latine au cours des 100 dernières années examine différents facteurs, parmi lesquels l’indépendance dans les prises de décisions, la clarté du mandat et la possibilité qu’elles soient contraintes de consentir des prêts à l’État : L.I Jacome et ali, « Central Bank Independence and Inflation in Latin America—Through the Lens of History », 16 septembre 2022.
- Le rôle de superviseur sur les banques commerciales par les banques centrales ne fait pas partie des missions historiques de celles-ci. Il est apparu assez rapidement, au XIXème siècle, quand les banques ont joué un rôle crucial dans le financement de l’économie et qu’il a fallu contrôler à tout moment la solvabilité des banques et assurer, lors des crises, le rôle de « prêteur en dernier ressort ».
- Maison-Blanche, « Strengthening American Leadership in Digital Financial Technology », 23 janvier 2025.
- De ce point de vue, la position de Trump est exacte : seul le pouvoir politique doit pouvoir décider de la création d’une nouvelle forme de la monnaie, qui a des conséquences plus importantes que la seule création du support technologique de la monnaie. C’est d’ailleurs la faiblesse du projet européen d’euro numérique qui est prôné par la BCE comme un projet technique, et non politique — ce qui conduit à son échec probable du fait de la réticence des citoyens et des banques.
- Philipp Stafford, « Tether considers US-only stablecoin as Trump loosens crypto rules », Financial Times, 7 avril 2025.
- Les jetons USD1 seront frappés sur les blockchains Ethereum (ETH) et Binance Smart Chain (BSC), et il est prévu de les étendre à d’autres protocoles à l’avenir : Business Wire, « World Liberty Financial prévoit de lancer USD1, le stablecoin prêt pour les institutions », AFP, 26 mars 2025.
- Guy Debord, La Société du spectacle, Buchet-Chastel, 1967.
- Maison-Blanche, President Donald J. Trump Establishes the Strategic Bitcoin Reserve and U.S. Digital Asset Stockpile, 6 mars 2025.
- Prem Reginald et Shaun Paul Lee, « Governments Now Hold 2.3 % of All Bitcoin », CoinGecko, 28 avril 2025.
- Bitcoin Act, Senate of the United States.
- Exchange Stabilization Fund, U.S Department of Treasury.
- Saifedean Ammous, The Bitcoin Standard. The Decentralized Alternative to Central Banking. John Wiley & Sons, Inc, 2018.