La Russie a récolté 129,8 millions de tonnes de céréales en 2024 1. Il s’agit d’une baisse de 11,7 % par rapport à la récolte de 2023 2 – la deuxième plus importante de l’histoire russe grâce notamment à l’annexion des territoires ukrainiens. 

  • Le vice-ministre de l’Agriculture Andrey Razin a expliqué ce vendredi cette chute lors d’une table ronde au Conseil de la Fédération de Russie en insistant sur l’effet du changement climatique en indiquant « l’importance d’anticiper dès maintenant les évolutions climatiques » et en ajoutant : « le secteur de l’agriculture est fortement affecté par les fluctuations environnementales et climatiques, et l’année dernière en a été un parfait exemple. Nous avons connu toute la gamme des problèmes au cours de la dernière année agricole : sécheresses, humidité excessive pendant la récolte, ainsi que pénuries d’eau » 3.
  • En raison des gelées au mois de mai 2024 qui avaient touché 23 régions de Russie, avec un état d’urgence déclaré dans huit d’entre elles, la prévision de récolte de céréales avait été réduite à 129 millions de tonnes, contre une estimation initiale de 142-147 millions de tonnes 4

Cette instabilité climatique représente une menace pour le positionnement géopolitique de la Russie qui envisage de faire de l’exportation de céréales une arme de soft power.

  • Comme l’écrivait l’un des architectes intellectuels de la politique étrangère russe Sergueï Karaganov : « Pour un certain nombre de pays de la majorité mondiale, nous pouvons être une source de solutions à leurs problèmes, par exemple, pour servir de garant de la nourriture, de l’énergie, de l’information, de la sécurité militaire et d’autres types de garanties de sécurité » 5
  • Dans le cadre de cette stratégie, lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Bakou, Moscou avait annoncé souhaiter accroître considérablement ses volumes de production et d’exportation d’ici 2030 afin de « contribuer davantage à la lutte contre les pénuries alimentaires, notamment dans les régions du Sud » 6.
  • Si la Russie exporte ses produits agricoles russes dans plus de 160 pays, le vice-ministre de l’Agriculture Andrey Razin avait annoncé la volonté de la Russie d’occuper une place de plus en plus centrale en termes d’exportations agricoles en tonnage, dominant les marchés du blé, du poisson congelé, de l’orge et des pois.
  • Comme nous le montrions, la Russie risque toutefois de perdre son statut de leader sur le marché mondial du blé en 2025, avec une baisse estimée d’un tiers de ses exportations de céréales.

La guerre russe en Ukraine a eu un fort impact sur le marché mondial des céréales, le secteur agricole ukrainien devenant l’un des champs de bataille clefs du conflit. 

  • Avant le début de la guerre, l’Ukraine était le septième exportateur mondial de blé, le quatrième exportateur d’orge et le premier exportateur de graines de tournesol. La baisse significative de la production et des exportations ukrainiennes a eu un impact considérable sur le prix des produits alimentaires mondiaux, les pays à faible et moyen revenu étant touchés de manière disproportionnée.
  • La Russie a fait du secteur agricole un outil clef de sa politique étrangère, rejetant, au début du conflit, la faute sur les pays occidentaux et les sanctions pour les hausses des prix 7.
  • En 2023, Moscou a fourni 200 000 tonnes de céréales gratuitement à la Somalie, au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la République centrafricaine et Erythrée 8.
  • Le Kremlin a également poursuivi une stratégie de redirection de ses produits vers les pays plus ou moins alignés sur sa politique, avec une hausse des exportations vers les pays qui n’ont pas imposé de sanctions à son encontre 9.

Dans les négociations pour un arrêt des combats avec les États-Unis, la question est au cœur des discussions — pour mettre en œuvre un accord partiel de cessez-le-feu en mer Noire, la Russie demande la levée des sanctions à l’encontre « de la RSHB [la Banque agricole russe] et d’autres banques qui assurent le commerce dans le complexe agro-industriel ».